14 mars 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
20/02357
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 11
ARRET DU 14 MARS 2023
(n° , 8 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/02357 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBXRJ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Février 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOBIGNY – RG n° 18/02277
APPELANTE
S.A. EASYVISTA
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Virginie BERTHIER GOULLEY, avocat au barreau de PARIS, toque : B1206
INTIMEE
Mademoiselle [D] [R]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Fabrice TAIEB, avocat au barreau de PARIS, toque : C1885
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Catherine VALANTIN, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre,
Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,
Madame Catherine VALANTIN, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI
ARRET :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Mme [D] [R], née le 19 mai 1964, a été embauchée au sein de la SA Easyvista, en qualité de Responsable Ressources Humaines et Administration du personnel, statut cadre, Position 3-1, coefficient 170 par contrat à durée indéterminée à temps partiel en date du 6 septembre 2016.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des Bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs-conseils et sociétés de conseils (Syntec).
Mme [R] a été placée en arrêt de travail du 13 février au 31 mars 2018.
Par lettre RAR du 23 février 2018, la société Easyvista a convoqué Mme [R] à un entretien préalable en vue d’un licenciement fixé le 5 mars 2018.
Par courrier RAR en date du 13 mars 2018, la société Easyvista a notifié à Mme [R] son licenciement pour insuffisance professionnelle, avec dispense d’effectuer son préavis d’une durée de trois mois.
A la date du licenciement, Mme [R] avait une ancienneté d’un an et 4 mois et la société occupait à titre habituel plus de 10 salariés.
Contestant à titre principal la validité et à titre subsidiaire la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, outre des dommages et intérêts, Mme [R] a saisi le 20 juillet 2018 le conseil de prud’hommes de Bobigny, qui par jugement rendu le 3 septembre 2019, auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit :
Requalifie le licenciement de Mme [D] [R] en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne la société Easyvista France à verser à Mme [D] [R] les sommes suivantes :
15 000 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Rappelle que les créances salariales porteront intérêts de droit à compter de la date de convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation, soit le 25 juillet 2018 et les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du présent jugement ;
Ordonne la société Easyvista France de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à Mme [D] [R] sur le fondement de l’article L1235-4 du code de travail ;
Déboute la société Easyvista France de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Easyvista France aux entiers dépens.
Par déclaration du 13 mars 2020, la société Easyvista France a interjeté appel du jugement rendu par le conseil de prud’hommes, notifié aux parties par lettre recommandée avec accusé de réception le 21 février 2020.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 19 novembre 2021, la société Easyvista France demande à la cour de :
Juger recevable et bien fondée la société Easyvista France en son appel,
Réformer le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de Bobigny en ce qu’il a :
Requalifié le licenciement de Mme [D] [R] en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Condamné la société Easyvista France à verser à Madame [D] [R] les sommes suivantes :
15.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
1.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Ordonné à la société Easyvista France de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à Mme [D] [R] sur le fondement de l’article L.1235-4 du Code du travail;
Débouté la société Easyvista France de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamné la société Easyvista aux entiers dépens.
Statuant de nouveau :
A titre principal :
Juger que le licenciement de Mme [D] [R] repose sur une cause réelle et sérieuse;
Juger en conséquence Mme [D] [R] infondée en ses demandes indemnitaires formées en dédommagement d’un licenciement sans cause réelle ni sérieuse;
Juger Mme [D] [R] infondée en sa demande indemnitaire formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile dans le cadre de l’instance pendante devant le Conseil de prud’hommes de BOBIGNY ;
A titre subsidiaire :
Juger que le montant des dommages et intérêts alloués à Mme [D] [R] au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse est limité à la somme de 4.606 € nets;
Juger que le remboursement au Pôle Emploi, par la société Easyvista France, des indemnités chômages éventuellement versées à Madame [D] [R], sera limité à un mois d’indemnités ;
En tout état de cause :
Débouter Madame [D] [R] de toutes demandes plus amples ou contraires aux présentes ;
Condamner Madame [D] [R] à verser à la société Easyvista la somme de 5.000 € au titre des frais irrépétibles exposés devant la Cour d’appel, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
La condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 25 août 2021, Mme [R] demande à la cour de :
Débouter la société Easyvista de toutes ses demandes,
Confirmer le jugement du Conseil de Prud’hommes de Bobigny en ce qu’il a reconnu le caractère abusif du licenciement prononcé par la société Easyvista,
Confirmer le jugement du Conseil de Prud’hommes de Bobigny en ce qu’il a condamné la société Easyvista au remboursement à pôle emploi des indemnités chômage versées à Mme [R] et au paiement de la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure Civile,
L’infirmer en ce qu’il n’a pas reconnu le harcèlement moral dont a fait l’objet Mme [R] et prononcé la nullité du licenciement de Mademoiselle [R],
Reconnaitre le harcèlement moral dont a fait l’objet Mme [R],
Prononcer la nullité du licenciement intervenu,
En conséquence :
Condamner la société Easyvista au paiement de la somme de 110.544 euros à titre de dommages et intérêts détaillée comme suit :
27.636 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif (6 mois),
27.636 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral (6 mois),
27.636 euros au titre de son préjudice d’atteinte à la santé (6 mois),
27.636 euros au titre du manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité de résultat (6 mois)
Si par extraordinaire le harcèlement moral n’était pas reconnu :
Juger que le barème institué par l’article L.1235-3 du code du travail est contraire aux instruments internationaux ratifiés par la France et n’est en conséquence pas applicable,
En conséquence :
Condamner la société Easyvista au paiement de la somme de 110.544 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
Condamner la société Easyvista au paiement de la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu’aux entiers dépens,
Assortir l’ensemble des condamnations des intérêts au taux légal à compter du jour de l’introduction de la demande,
Ordonner la capitalisation des intérêts,
Ordonner la publication du jugement à intervenir dans deux quotidiens ou magazines au choix de l’appelante et sur le site internet de la société Easyvista et aux frais avancés de l’intimé sous astreinte de 500 euros par jour de retard courant à partir du quinzième jour suivant la notification de l’arrêt par le Greffe.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 décembre 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 12 janvier 2023.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION:
– sur le licenciement et le harcèlement :
Pour confirmation du jugement Mme [R] fait valoir que son licenciement était acquis avant même d’avoir été prononcé, la société Easyvista ayant tenté de lui remettre en main propre une convocation pour une rupture conventionnelle qu’elle n’avait jamais sollicitée et le procès verbal de la réunion de la délégation unique du personnel (DUP) en date du 7 février attestant que l’employeur avait manifesté lors de la réunion sa volonté de se séparer d’elle pour des motifs étrangers à ceux invoqués dans la lettre de licenciement dont elle conteste par ailleurs le bien fondé.
Pour infirmation, la société Easyvista fait de son côté valoir que les nombreuses erreurs commises par la salariée et découvertes pendant son arrêt maladie caractérisent une insuffisance professionnelle et constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement.
L’insuffisance professionnelle constitue une cause légitime de licenciement.
Elle se définit comme l’incapacité objective et durable d’un salarié à exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification.
Elle doit ainsi revêtir un caractère de gravité suffisant rendant impossible, sans dommages pour l’entreprise, la continuation du contrat de travail.
Une insuffisance passagère, sans conséquence pour l’entreprise, contredite par les évaluations antérieures du salarié et qui n’est pas précédée de reproches ou de sanctions, n’est ainsi pas nécessairement constitutive d’une cause réelle et sérieuse de licenciement.
En l’espèce, aux termes de la lettre de licenciement du 13 mars 2018, Mme [R] a été licenciée pour insuffisance professionnelle, son employeur lui reprochant:
– des problèmes concernant le traitement de la paie, la société Easyvista indiquant que Mme [R] a omis pour la paie de janvier et février 2018 de déclarer l’abondement pour 4 salariés, a commis des erreurs relatives à la participation du véhicule pour 2 salariés, a émis un bulletin de salaire en janvier 2018 et payé le salaire d’un salarié qui avait quitté l’entreprise le 31 décembre 2017, a versé la paye d’un salarié sur un ancien rib qui n’était plus utilisé depuis 2 ans, a remboursé par erreur un pass naviguo alors que le salarié n’en bénéficiait pas, a commis une erreur concernant le salaire minimum conventionnel d’une salariée entrée dans la société le 2 février 2018 et une erreur de fixation de salaire en dessous du minimum conventionnel pour deux salariés depuis octobre 2017 pour le premier et depuis avril 2017 pour le second, a procédé au paiement d’un salaire supérieur à celui contractuellement prévu depuis janvier 2017 pour un autre salarié, a émis des bulletins de paie erronés ne mentionnant pas le congé maternité d’une salariée en décembre 2017 et janvier 2018, et a enfin commis une erreur de décompte d’une absence pour maladie et d’un jour de congé posé sur le bulletin de paie de décembre 2017 pour un autre salarié.
– des erreurs de mise à jour de l’outil de gestion du personnel et des absences,
– une mise en demeure de l’URSSAF en date du 16 février 2018 relative aux déclaration de septembre et décembre 2017 afin de régularisation de charges pour un montant de 4 825 euros, dont une majoration de 263 euros,
– l’absence de mise à jour d’un contrat de travail.
Or, outre le fait que le 29 janvier 2018, la société Easyvista avait lors de l’entretien d’évaluation de la salariée tenté de lui remettre en main propre une convocation à entretien en vue d’une rupture conventionnelle, il ressort du procès verbal de la réunion extraordinaire de la DUP en date 7 février 2018, soit plus d’un mois avant le licenciement, que la société Easyvista, tout en reconnaissant expressément ‘le sérieux et le professionnalisme’ de la salariée, a indiqué qu’elle souhaitait se séparer d’elle considérant qu’elle avait des problèmes avec les managers et qu’elle n’avait pas réussi son intégration dans la société, le représentant de la DUP ayant quant à lui fait valoir que ‘l’éviction de la salariée’ était vécue comme une injustice.
Il ressort par ailleurs des échanges de mails versés aux débats qu’il y avait un climat extrêmement conflictuel entre Mme [R] et le directeur administratif et financier, les tensions ayant pris des proportions hors du commun lors de l’entretien du 29 janvier 2018.
Dans un échange de mail du 29 janvier 2018, ayant pour objet ‘ rupture de contrat’ le président de la société Easyvista indiquait à la salariée après avoir reconnu qu’il aurait mieux fallu que l’entretien qui venait de se tenir, ait eu lieu avec lui même plutôt qu’avec le directeur administratif et financier, et lui précisait ‘Il n’était pas question de te maltraiter. Je suis désolé je ne pouvais pas imaginer que ça tournerait au pugilat. Le but était de faire un constat de la situation qui devait permettre de se mettre d’accord.’
Il ressort encore du mail adressé à la salariée par le représentant de la DUP le 12 mars 2016 indiquant, après avoir rappelé que le président de la société était inquiet au sujet de la diffusion du PV faisant état des méthodes du directeur administratif et financier en matière management, avait été assez dur au sujet de Mme [R] car il ne comprenait pas qu’elle n’ait pas signé une rupture conventionnelle et en avait déduit qu’elle voulait entrer en conflit et saisir les prud’hommes, ce à quoi il se préparait en essayant de constituer un dossier justifiant la démarche entamée à savoir un licenciement pour faute.
Il ressort ainsi de l’ensemble de ces éléments que les erreurs invoquées dans la lettre de licenciement, à les supposer établies et imputables à la salariée, dont le sérieux et le professionnalisme étaient par ailleurs reconnus par la direction qui lui adressait encore des félicitations sur son travail par mail des 21 décembre 2017 et 31 janvier 2018, ne constituaient pas le véritable motif du licenciement qui trouvait sa cause dans le conflit existant entre Mme [R] et directeur administratif et financier, et le refus de la salariée de signer une rupture conventionnelle, la rupture du contrat de travail ayant été actée par la société avant même que la procédure de licenciement n’ait été engagée et avant que les erreurs invoquées n’aient été découvertes par la direction.
Pour infirmation du jugement s’agissant du harcèlement moral, Mme [R] fait valoir qu’elle a été victime de faits de harcèlement moral de la part du directeur administratif et financier, ce qui est contesté par la société, et que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité à son égard, ce que ce dernier conteste également.
Aux termes des dispositions de l’article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L’article L 1154-1 du code du travail précise que lorsque survient un litige relatif à l’application des dispositions de l’article précité, le salarié présente des éléments de faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par les éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
L’article L.1152-2 du même code dispose qu’aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
L’article L.1152-3 du même code précise que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
En l’espèce Mme [R] présente au soutien de sa demande au titre du harcèlement moral les éléments suivants:
– le mail du 29 janvier 2018, par lequel le président de la société Easyvista indique au sujet de l’entretien qui vient d’avoir lieu avec le directeur administratif et financier, ‘ Il n’était pas question de te maltraiter . Je suis désolé, je ne pouvais pas imaginer que ça tournerait au pugilat. Le but était de faire un constat de la situation qui devait permettre de se mettre d’accord’,
– un échange de mail qu’elle a eu avec le directeur administratif et financier en date du 29 janvier 2018 suite à l’entretien au cours duquel elle a refusé la convocation à un entretien pour une rupture conventionnelle, aux termes duquel elle indique ‘je ne passerai pas un entretien avec une personne qui m’a insulté, toi en l’occurrence, qui a porté la main sur moi, toi en l’occurrence, et qui en tout état de cause est incapable de se contrôler’ ce dernier contestant l’avoir insultée et avoir porté la main sur elle mais indiquant ‘ j’ai répondu à tes agressions sur le même ton que celui que tu as commencé à utiliser à mon égard au tout début de notre conversation. Pour autant si je t’ai blessée, je te présente mes excuses’,
– le procès verbal de la réunion extraordinaire de la DUP en date 7 février 2018, par lequel la société Easyvista, tout en reconnaissant expressément ‘le sérieux et le professionnalisme’ de la salariée, a indiqué qu’elle souhaitait se séparer d’elle considérant qu’elle avait des problèmes avec les managers et qu’elle n’avait pas réussi son intégration dans la société, le représentant de la DUP ayant quant à lui fait valoir que ‘l’éviction de la salariée’ était vécue comme une injustice et que fait de remplacer un entretien individuel par un entretien préalable au licenciement était un acte d’une violence inouïe et totalement inacceptable ce à quoi le président acquiesçait en ces termes ‘je suis d’accord et j’ai notifié ceci au Directeur administratif et financier lors de son entretien individuel’,
– un mail qui lui est adressé par le représentant de la DUP le 4 mars 2018 indiquant ‘ je vais donc lui rappeler que même s’il considère devoir se séparer de toi, tu es malade et qu’il faut qu’il te laisse tranquille pour que tu puisses te soigner et qu’il arrête ce harcèlement’,
– un mail qui lui est adressé par le représentant de la DUP le 12 mars 2016 indiquant, que la direction de la société qui était inquiète au sujet de la diffusion du PV faisant état des méthodes du directeur administratif et financier en matière management, avait été assez dur à son sujet car elle ne comprenait pas qu’elle n’ait pas signé une rupture conventionnelle et en avait déduit qu’elle voulait entrer en conflit et saisir les prud’hommes, ce à quoi elle se préparait en essayant de constituer un dossier justifiant la démarche entamée à savoir un licenciement pour faute,
– un attestation d’une salariée (Office Manager) de l’entreprise affirmant avoir à plusieurs reprises entendu le directeur administratif et financier s’emporter de façon disproportionnée à l’égard de Mme [R] lors d’entretiens,
– Les résultats d’une enquête ‘chapeau DAF’ établie au sein de l’entreprise et faisant ressortir que la salariée avait indiqué d’une part ressentir des conflits récurrents et de plus en plus pesants alors qu’elle avait déjà exprimé cet état de fait à son manager et à sa direction et d’autre part ne pas se sentir intégrée dans une équipe,
– un arrêt de travail et un certificat médical d’un médecin psychiatre affirmant que son état de santé ne lui permettait pas d’assister à l’entretien du 5 mars 2018.
Il est ainsi établi que la salariée a été victime au cours de son entretien d’évaluation du 29 janvier 2018 d’une agression à tout le moins verbale de son supérieur hiérarchique, de pressions pour accepter une rupture conventionnelle et de représailles (un licenciement) pour ne pas l’avoir acceptée.
Ces éléments pris dans leur ensemble, outre les éléments médicaux, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral.
Pour démontrer que les faits ainsi établis seraient justifiés par des éléments étrangers à tout harcèlement moral, la société Easyvista invoque l’insuffisance professionnelle de la salariée, et fait valoir que l’opinion négative qu’elle a donnée sur son manager dans le cadre de l’enquête chapeau DAF est tout à fait minoritaire, plusieurs salariés ayant en outre attesté dans le cadre de la présente procédure des relations positives qu’ils entretenaient avec ce manager.
Or, outre le fait que l’insuffisance professionnelle reprochée est contredite par l’appréciation de la direction qui tout en affirmant vouloir se séparer d’elle, reconnaissait son professionnalisme, il a été démontré que cette prétendue insuffisance ne constituait pas la cause réelle du licenciement qui résidait dans les problèmes que la salariée rencontrait avec son directeur administratif et financier. Elle ne peut en tout état de cause justifier qu’une salariée soit agressée ne serait-ce verbalement, lors d’un entretien d’évaluation qui de fait s’est avéré être un entretien préalable à un licenciement, subisse des pressions pour accepter une rupture conventionnelle, soit présentée comme étant évincée de l’entreprise avant même que ne soit mise en place une procédure de licenciement à son encontre.
La société Easyvista ne démontre ainsi pas que les agissements qui lui sont reprochés sont justifiés par des éléments étrangers à tout harcèlement moral.
Par infirmation du jugement la cour retient que les faits de harcèlement moral reprochés par la salariée sont constitués et que le licenciement qui s’inscrit ainsi dans le processus de harcèlement moral que la salariée a subi est en conséquence nul.
– sur les conséquences financières :
Il résulte des dispositions de l’article L. 1235-3-1 du code du travail que lorsque le licenciement est entaché d’une nullité en raison notamment des faits de harcèlement moral, le juge octroie au salarié une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des 6 derniers mois.
Mme [R], qui comptabilisait une ancienneté de 1 an et 4 mois, justifie avoir été prise en charge par pôle emploi pour la période du 1er au 30 novembre 2018.
Il y a lieu d’évaluer son préjudice subi au titre de la rupture du contrat de travail à la somme de 27.636 euros.
Mme [R] a également subi du fait des agissements de harcèlement moral dont elle a été victime, un préjudice moral et un préjudice de santé qu’il y a lieu d’évaluer à 2.000 euros chacun.
La société Easyvista qui n’a pris aucune mesure pour assurer la sécurité physique et mentale de la salariée alors qu’elle avait connaissance des agissements du directeur administratif et financier à son égard et a au contraire choisi de licencier la salariée qui ne voulait pas accepter une rupture conventionnelle a, en outre, manqué à son obligation de sécurité ce qui a causé à Mme [R] un préjudice qu’il y a lieu d’évaluer à 1.500 euros.
– sur la condamnation en remboursement des indemnités chômages à pôle emploi :
En application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d’ordonner le remboursement par l’employeur à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées au salarié licencié à compter de son licenciement dans la limite des 6 mois prévus par la loi.
– sur la demande de publication du jugement :
La salariée qui ne justifie ni en droit ni en fait sa demande de tendant à voir ordonner la publication de la présente décision sera déboutée de la demande faite à ce titre.
– sur les intérêts :
Les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil des prud’hommes, les autres sommes à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter de la décision qui les alloue.
Il y a lieu d’ordonner la capitalisation des intérêts.
– sur les autres demandes :
Pour faire valoir ses droits en cause d’appel, Mme [R] a dû exposer des frais qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge.
La société Easyvista sera en conséquence condamnée à lui payer la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME le jugement en ce qu’il a condamné la SA Easyvista à payer à Mme [D] [R] la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
INFIRME le jugement pour le surplus ;
Et statuant à nouveau ;
DIT que le licenciement de Mme [D] [R] est nul ;
CONDAMNE la SA Easyvista à payer à Mme [D] [R] les sommes de :
– 27. 636 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul
– 2.000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral au titre du harcèlement moral
– 2.000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice de santé au titre du harcèlement moral
– 1.500 euros pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité
– 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
RAPPELLE que les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil des prud’hommes, les autres sommes à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter de la décision qui les alloue ;
ORDONNE la capitalisation des intérêts ;
ORDONNE le remboursement par la SA Easyvista à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées au salarié licencié à compter de son licenciement dans la limite des 6 mois prévus par la loi ;
DÉBOUTE Mme [D] [R] de sa demande de publication de la décision ;
CONDAMNE la SA Easyvista aux dépens.
La greffière, La présidente.