ARRÊT N°
N° RG 20/02957 – N° Portalis DBVH-V-B7E-H3HI
EM/DO
CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE D’AVIGNON
20 octobre 2020
RG :F 18/00576
[P]
C/
Société HYDRO CONSEIL
Grosse délivrée le 14 mars 2023 à :
– Me AUTRIC
– Me BAGLIO
COUR D’APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 14 MARS 2023
APPELANTE :
Madame [J] [P]
née le 03 Janvier 1986 à [Localité 8]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Mathilde FEDERSPIEL de l’AARPI NEMESIS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
Représentée par Me Thomas AUTRIC, avocat au barreau de NIMES
INTIMÉE :
Société HYDRO CONSEIL
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Olivier BAGLIO de la SCP BAGLIO-ROIG-ALLIAUME-BLANCO, avocat au barreau D’AVIGNON
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 20 Décembre 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Madame Evelyne MARTIN, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président
Madame Evelyne MARTIN, Conseillère
Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère
GREFFIER :
Madame Delphine OLLMANN, Greffière, lors des débats et Monsieur Julian LAUNAY BESTOSO, Greffier, lors du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l’audience publique du 03 Janvier 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 14 Mars 2023.
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 14 Mars 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour
EXPOSE
Mme [J] [P] a été initialement embauchée par la Sas Hydro Conseil à compter du 1er mai 2013 en qualité de chargée d’études sur un poste situé à [Localité 6] (Sénégal) et pour une durée déterminée de 9 mois, puis, par avenant du 31 janvier 2014, dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée.
Du 1er janvier 2016 au 30 novembre 2016, Mme [J] [P] a bénéficié d’un congé pour création d’entreprise.
Par courriel du 25 octobre 2017, suite à la décision de fermer son bureau situé au Sénégal, la Sas Hydro Conseil a adressé à Mme [J] [P] une offre de reclassement, qu’elle a refusée par courriel du 08 novembre 2017.
Par lettre du 20 novembre 2017, Mme [J] [P] a été convoquée à un entretien préalable en vue d’un licenciement fixé le 1er décembre 2017.
Par lettre du 20 décembre 2017, la Sas Hydro Conseil lui a notifié son licenciement pour motif économique.
Contestant la légitimité de la mesure prise à son encontre, Mme [J] [P] a saisi le 21 novembre 2018 le conseil de prud’hommes d’Avignon pour qu’il soit dit que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse et en paiement de diverses sommes indemnitaires.
Par jugement du 20 octobre 2020, le conseil de prud’hommes a :
– déclaré le licenciement économique de Mme [P] justifié,
– rappelé que la société Hydro Conseil a l’obligation de faire figurer sur les bulletins de salaire la classification conventionnelle applicable au salarié,
– débouté Mme [P] de sa demande liée à l’application du coefficient 170,
– débouté Mme [P] de sa demande liée à l’application du coefficient 150,
– jugé que Mme [P] exerçait les fonctions d’ingénieur position 2.2 coefficient 130 en application de la convention collective syntec,
– condamné la société HYDRO CONSEIL à payer à Mme [P] :
* 927,60 euros outre 92,60 euros de congés payés à titre de rappel de salaire sur l’année 2015,
* 154,60 euros outre 15,46 euros de congés payés à titre de rappel de salaire sur l’année 2016,
* 1 395,60 euros outre 139,56 euros de congés payés à titre de rappel de salaire sur l’année 2017,
* 348,90 euros outre 34,89 euros de congés payés à titre de rappel de salaire (janvier 2018 à mars 2018),
– débouté Mme [P] de ses demandes au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– débouté Mme [P] de sa demande au titre de remboursement des frais exposés entre décembre 2017 et mars 2018,
– débouté Mme [P] de sa demande au titre de dommages intérêts pour non-respect des dispositions de la convention collective syntec sur la prime de vacances,
– condamné la société Hydro Conseil à remettre à Mme [P] les documents de fin de contrat et les bulletins de salaire conformes au jugement sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la notification du jugement,
– condamné la société Hydro Conseil à payer à Mme [P] la somme de 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté la société Hydro Conseil de demande reconventionnelle du versement d’une somme de 3 500 euros par Mme [P] en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– mis les dépens de l’instance ainsi que les éventuels frais d’exécution à la charge de la société Hydro Conseil.
Par acte du 17 novembre 2020, Mme [J] [P] a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Par ordonnance du 13 octobre 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 20 décembre 2022. L’affaire a été fixée à l’audience du 03 janvier 2023 à laquelle elle a été retenue.
Aux termes de ses dernières conclusions auxquelles il convient de se reporter pour connaître les moyens développés au soutien de ses prétentions, Mme [J] [P] demande à la cour de :
1. Sur le licenciement
– juger sans cause réelle et sérieuse son licenciement économique,
2. Sur les demandes financières,
A titre principal :
– juger qu’elle exerçait les fonctions d’ingénieur position 3.1 coefficient 170 en application de la convention collective Syntec,
En conséquence,
– condamner la société Hydro Conseil à lui payer :
* 10 465,20 euros outre 1 046,53 euros de congés payés à titre de rappel de salaire sur l’année 2015,
* 1 744,20 euros outre 174,42 euros de congés payés à titre de rappel de salaire sur l’année 2016,
* 11 077,20 euros outre 1 107,72 euros de congés payés à titre de rappel de salaire sur l’année 2017,
* 2 769,30 euros outre 276,93 euros de congés payés à titre de rappel de salaire sur préavis (janvier 2018 à mars 2018),
– condamner la société Hydro Conseil à lui payer la somme de 17 365,50 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (5 * 3 473,10 euros),
– condamner la société Hydro Conseil à lui payer la somme de 2 185,38 euros à titre de rappel d’indemnité conventionnelle de licenciement,
A titre subsidiaire :
– juger qu’elle exerçait les fonctions d’ingénieur position 2.3 coefficient 150 en application de la convention collective Syntec,
En conséquence,
– condamner la société Hydro Conseil à lui payer :
* 5 778,00 euros outre 577,80 euros de congés payés à titre de rappel de salaire sur l’année 2015,
* 963,00 euros outre 96,30 euros de congés payés à titre de rappel de salaire sur l’année 2016,
* 6 318,00 euros outre 631 ,80 euros de congés payés à titre de rappel de salaire sur l’année 2017,
* 1 579,50 euros outre 157,95 euros de congés payés à titre de rappel de salaire sur préavis (janvier 2018 à mars 2018),
– condamner la société Hydro Conseil à lui payer la somme de 15 382,50 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (5 * 3 076,50 euros),
– condamner la société Hydro Conseil à lui payer la somme de 1537,60 euros à titre de rappel d’indemnité conventionnelle de licenciement,
A titre infiniment subsidiaire :
– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a jugé qu’elle exerçait les fonctions d’ingénieurs position 2.2 coefficient 130 en application de la convention collective Syntec et condamné la société Hydro Conseil à lui payer :
* 927,60 euros outre 92,60 euros de congés payés à titre de rappel de salaire sur l’année 2015,
* 154,60 euros outre 15,46 euros de congés payés à titre de rappel de salaire sur l’année 2016,
* 1 395,60 euros outre 139,56 euros de congés payés à titre de rappel de salaire sur l’année 2017,
* 348,90 euros outre 34,89 euros de congés payés à titre de rappel de salaire sur préavis (janvier 2018 à mars 2018),
– condamner la société Hydro Conseil à lui payer la somme de 13 331,50 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (5 * 2 666,30 euros),
En tout état de cause,
– condamner la société Hydro Conseil à lui payer la somme de 907,46 euros à titre de remboursement des frais exposés entre décembre 2017 et mars 2018,
– condamner la société Hydro Conseil à lui payer la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect des dispositions de la convention collective Syntec sur la prime vacances,
– condamner la société Hydro Conseil à lui remettre les documents de fin de contrats et les bulletins de salaire conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la signification de l’arrêt,
– condamner la société Hydro Conseil à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
En l’état de ses dernières écritures en date du 03 mai 2021, contenant appel incident, la Sas Hydro Conseil sollicite la confirmation du jugement et la condamnation de Mme [J] [P] au paiement de la somme de 3500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel, ainsi qu’aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.
MOTIFS
Sur le licenciement :
Selon l’article L1233-3 du code du travail dans sa version applicable, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.
La réorganisation de l’entreprise constitue un motif économique de licenciement si elle est effectuée pour en sauvegarder la compétitivité ou celle du secteur d’activité du groupe auquel elle appartient, et répond à ce critère la réorganisation mise en oeuvre pour prévenir des difficultés économiques à venir liées à des évolutions technologiques et leurs conséquences sur l’emploi, sans être subordonnée à l’existence de difficultés économiques à la date du licenciement ; les modifications des contrats de travail résultant de cette réorganisation ont eux-mêmes une cause économique ce qui implique que la compétitivité soit déjà atteinte ou menacée de manière certaine.
Il revient à l’employeur, sur qui repose la charge de la preuve, de produire des documents ou autres éléments qui établissent des signes concrets et objectifs d’une menace sur l’avenir de l’entreprise, autrement dit de démontrer le caractère inéluctable des difficultés économiques si la situation reste en l’état.
La seule intention de l’employeur de faire des économies ou d’améliorer la rentabilité de l’entreprise ne peut constituer une cause de rupture du contrat de travail.
Bien que le juge n’ait pas à se substituer à l’employeur dans les choix économiques, lesquels relèvent de son pouvoir de gestion, il doit toutefois vérifier que l’opération était nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise.
En vertu de l’article L1233-16 du code du travail, la lettre de licenciement comporte l’énoncé des motifs économiques invoqués par l’employeur ; cette obligation légale a pour objet de permettre au salarié de connaître les limites du litige quant aux motifs énoncés.
Si la lettre de licenciement doit énoncer la cause économique du licenciement telle que prévue par l’article L1233-1 du code du travail et l’incidence matérielle de cette cause économique sur l’emploi ou le contrat de travail du salarié, l’appréciation de l’existence du motif invoqué relève de la discussion devant le juge en cas de litige.
Il en résulte que la lettre de licenciement qui mentionne que le licenciement a pour motifs économiques la suppression de l’emploi du salarié consécutive à la réorganisation de l’entreprise justifiée par des difficultés économiques et/ou la nécessité de la sauvegarde de sa compétitivité répond aux exigences légales, sans qu’il soit nécessaire qu’elle précise le niveau d’appréciation de la cause économique quand l’entreprise appartient à un groupe ; c’est seulement en cas de litige qu’il appartient à l’employeur de démontrer dans le périmètre pertinent, la réalité et le sérieux du motif invoqué.
Selon l’article 1232-6 alinéa 2 du même code, dans sa rédaction applicable, la lettre de licenciement comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur.
En l’espèce, la lettre de licenciement datée du 20 décembre 2017, la Sas Hydro Conseil expose les difficultés dont fait état la société pour justifier le motif économique :
« Nous sommes au regret de vous notifier, par le présent courrier, votre licenciement pour motif
économique.Comme nous vous l’avons indiqué lors de notre entretien du 1er décembre 2017, le motif de notre décision est explicité ci-dessous.
HYDRO CONSEIL est une société d’ingénierie et de conseil qui intervient de manière régulière dans plus de 30 pays et notamment en Afrique de l’Ouest. De par votre contrat de travail, vous aviez la charge de représenter l’entreprise au Sénégal et d’en coordonner l’activité commerciale. Le Sénégal se caractérise en 2017 par un manque complet d’activité. Les perspectives économiques pour 2018 sont également nulles ‘ aucune offre n’a été gagnée en 2017 et il n’y a aucun contrat signé pour 2018.
Cette situation induit une situation financière particulièrement difficile pour l’entreprise et nous a imposé la fermeture de votre poste à [Localité 6] ; en effet, celui-ci n’a plus lieu d’être en l’absence totale d’activité au Sénégal.
Nous vous avons informée de cette situation lors de plusieurs échanges et nous vous avons confirmé une proposition de rapatriement et de reclassement en tant que chef de mission au siège de l’entreprise, à [Localité 5] dans l’avenant qui vous a été envoyé le 26/10/2017.Vous avez en date du 8/11/2017 refusé votre retour en France dans le cadre de cette proposition de rapatriement et la proposition de reclassement en tant que chef de mission au siège de l’entreprise. Cette situation nous contraint à procéder à votre licenciement pour motif économique. »
La Sas Hydro Conseil fait valoir que Mme [J] [P] a été embauchée pour prendre en charge le bureau de [Localité 6] créé spécialement à cette occasion , que l’ensemble des contrats suivis par la salariée apportés par la société pour 2013/2016 ont permis de justifier cette approche locale, que cependant, à la fin de l’année 2017, aucune perspective d’évolution favorable n’était envisageable, le carnet de commande 2018 étant vide, de sorte que la situation économique de la société s’est fortement dégradée en 2017. Pour justifier le motif économique du licenciement de Mme [J] [P], la Sas Hydro Conseil produit aux débats :
– le rapport du commissaire aux comptes de la société portant sur l’exercice clos le 31 décembre 2017 sur lequel il apparaît que le résultat net d’exploitation qui s’élevait à 193 618 euros au 1er janvier 2016 est devenu négatif à hauteur de 31 732 euros le 1er janvier 2017, que la société qui avait dégagé un bénéfice de 102 668 euros au 1er janvier 2016 a connu une perte de 151 416 euros au 1er janvier 2017,
Mme [J] [P] conteste le bien fondé du licenciement pour motif économique, la réalité des difficultés économiques, l’absence totale de travail sur la région du Sénégal et les mauvais résultats argués dans la lettre de licenciement et produit à cet effet :
– un courriel d’octobre 2017 envoyé par M. [M] [B], fondateur de la société ‘nous avons été contactés par Seuerca pour participer à la préparation d’un état des lieux du parc exploité par la SDE. Ils souhaitent nous mobiliser sur la partie champs captant …Est-ce que tu as la disponibilité pour y participer durant les 5 prochaines semaines…’,
– en réponse courriel de Mme [J] [P] ‘oui je serais dispo a priori, la mission consiste en quoi exactement…’,
– un courriel du 19/10/2017 de M. [B] ‘finalement les visites de sites ont été assez productives , Mme [J] [P] a pu consolider une base de données de forages exploités par la SDE avec les types de problèmes les plus fréquents. Les divergences d’opinion entre l’exploitant les services centralisés de la SDE et la SONES proviennent de l’absence de monitoring sérieux des niveaux d’eau…’,
– échange de textos entre Mme [J] [P] et une ancienne collègue de travail de la Sas Hydro Conseil du 19/09,
– une capture d’écran du site internet de la Sas Hydro Conseil avec une présentation de projets en Afrique ‘nos références au Sénégal’ : de 01 à 06/2017 choix du mode de gestion pour un réseau mixte eau potable et irrigation dans la région de [Localité 6] (client SONES société nationale des eaux du Sénégal), de 04 à 05/2018 ‘études des ressources en eau mobilisables dans le cadre d’un projet d’exploitation de bananiers et de manguiers’, de 08 à 11/2018″assistance technique à la direction de l’assainissement pour la définition et l’appui à la mise en oeuvre d’une stratégie opérationnelle pour le développement marketing de l’assainissement’, de 01 à 02/2019 ‘suivi, évaluation et capitalisation filmés de 3 projets de résilience au risque d’inondation en zone urbaine dans le cadre du changement climatique’,
– le contrat de travail du 08 avril 2013 qui mentionne au titre des conditions de travail ‘la salariée sera basée à [Localité 6], au Sénégal où elle participera au travail de la société…. La salariée sera amenée à faire des déplacements hors du Sénégal et elle pourra être appelée à travailler dans tout pays, et particulièrement dans les pays en voie de développement d’Afrique, d’Amérique Latine et d’Asie…La salariée pourra également être amenée à effectuer des périodes de travail au sein de la société, à [Localité 5] (Vaucluse)’,
– une copie du registre du personnel de la Sas Hydro Conseil sur lequel il apparaît que la Sas Hydro Conseil a recruté une nouvelle chargée d’affaires basée à [Localité 7] le 18 juin 2018,
– un courriel du 21 avril 2017 du comité de direction de la Sas Hydro Conseil informant la salariée qu’elle ne pourra pas percevoir de performance en 2016, que son salaire brut ne pourra pas être augmenté en 2017 même s’il a été envisagé une augmentation moyenne des salaires de 2,24% pour les raisons suivantes : baisse de la rentabilité inquiétante même si le carnet de commande 2017 n’est pas mauvais.
Si la capture d’écran du site de la société et les échanges de courriels entre Mme [J] [P] et M. [B] démontrent que des projets étaient envisagés au Sénégal en 2017 et 2018, il n’en demeure pas moins qu’il n’est pas établi que ces projets ont pu être concrétisés par la passation de commandes fermes d’un montant tel qu’il aurait pu compenser en partie les baisses significatives de deux critères importants de la santé d’une société, à savoir le résultat net d’exploitation qui a diminué de plus de 225 000 euros entre les exercices 2016 et 2017 et une perte des bénéfices de plus de 254 000 euros entre les deux exercices, étant précisé que les difficultés économiques avaient déjà été mises en évidence dans un courriel d’avril 2017 du comité d’entreprise dans lequel il avait été rappelé une baisse de la rentabilité inquiétante.
Il s’en déduit que c’est à bon droit que les premiers juges ont relevé ‘qu’il y a bien matérialité du motif économique en ce que les résultats de l’entreprise toute entière étaient affectés par la chute du chiffre d’affaires du Sénégal ainsi que les mauvaises perspectives pour 2018 et qu’il était nécessaire, afin de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise, de fermer le bureau de [Localité 6]’.
Le licenciement de Mme [J] [P] prononcé pour des motifs économiques est fondé et le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
Sur le reclassement :
L’article L1222-6 du code du travail dispose que lorsque l’employeur envisage la modification d’un élément essentiel du contrat de travail pour l’un des motifs économiques énoncés à L1233-3, il en fait la proposition au salarié par lettre recommandée avec avis de réception.
La lettre de notification informe le salarié qu’il dispose d’un mois à compter de sa réception pour faire connaître son refus. Le délai est de quinze jours si l’entreprise est en redressement judiciaire ou en liquidation judiciaire.
A défaut de réponse dans le délai d’un mois, ou de quinze jours si l’entreprise est en redressement judiciaire ou en liquidation judiciaire, le salarié est réputé avoir accepté la modification proposée.
En l’espèce, par un courriel du 29 septembre 2017, la Sas Hydro Conseil a envoyé un courriel à Mme [J] [P] dans lequel elle lui demande de se positionner sur l’organisation ‘dans le temps de la fermeture du bureau de [Localité 6]’ ; en réponse, Mme [J] [P] indique avoir ‘bien pris note’ de la volonté de la société de modifier son lieu de travail, a exprimé son souhait de ‘continuer à travailler’ au sein de la société et a donné son ‘accord de principe de cette modification de lieu de travail’, ajoutant qu’elle était prête à discuter du contenu de l’avenant à son contrat de travail.
Suivant courrier du 25 octobre 2017, la Sas Hydro Conseil a proposé à Mme [J] [P] un poste au siège social à [Localité 5] dans des conditions habituelles des autres experts de la société, et indique de la nécessité de procéder à une modification des articles 4 et 5 de son contrat, joint une proposition d’avenant à son contrat de travail et lui accorde un delai de deux semaines pour donner une réponse.
Mme [J] [P] a refusé cette proposition par un courriel du 08 novembre 2017.
Le licenciement pour motif économique de Mme [J] [P] étant justifié et la salariée a refusé la modification de son contrat de travail que la Sas Hydro Conseil lui a proposée près de deux mois avant l’engagement de la procédure de licenciement, dans la perspective de la fermeture du bureau à [Localité 6] qu’elle occupait, de sorte que l’argument développé par la salarié sur ce point est inopérant.
Sur l’obligation de reclassement :
L’article L1233-4 du code du travail dispose dans sa version applicable que le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Pour l’application du présent article, le groupe est défini, lorsque le siège social de l’entreprise dominante est situé sur le territoire français, conformément au I de l’article L2331-1 et, dans le cas contraire, comme constitué par l’ensemble des entreprises implantées sur le territoire français.
Le reclassement du salarié s’effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, le reclassement s’effectue sur un emploi d’une catégorie inférieure.
L’employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l’ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret.
Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.
Le refus par le salarié d’une proposition de modification de son contrat de travail, qui ne constitue pas une offre de reclassement, ne libère pas l’employeur de son obligation de reclassement, qui doit être mise en oeuvre préalablement au licenciement.
La recherche d’un reclassement préalable à un licenciement économique s’impose lorsque le licenciement est individuel, lorsque le salarié refuse une modification de son contrat de travail pour motif économique ; dans ce cas, si les postes disponibles sont similaires à ceux refusés par le salarié au titre de la modification de son contrat, ils doivent lui être proposés dans le cadre de l’obligation de reclassement.
Force est de constater que malgré le refus de la salariée de la modification de son contrat de travail par mail du 08 novembre 2017, la Sas Hydro Conseil n’a proposé à Mme [J] [P] aucun poste de reclassement dans le cadre de la procédure de licenciement économique notamment le poste que la salariée avait refusé, de sorte que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Le jugement entrepris sera donc infirmé sur ce point.
Sur les conséquences financières :
L’article L1235-3 du code du travail dispose dans sa version applicable dispose que si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.
Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau ci-dessous.
Ancienneté du salarié dans l’entreprise
(en années complètes)
Indemnité minimale
(en mois de salaire brut)
Indemnité maximale
(en mois de salaire brut)
4
3
5
Au moment de la rupture de la relation contractuelle, Mme [J] [P] avait 31 ans, avait une ancienneté de 4 ans (en année pleine), percevait un salaire mensuel brut moyen de 2 607 euros calculé sur 2017, justifie avoir été admise au bénéfice de l’allocation d’aide au retour à l’emploi le 04 juin 2018, vivre en concubinage, avoir été enceinte en juillet 2019 et avoir perçu l’allocation de base Paje de janvier à août 2020 d’un montant mensuel de 570,13 euros, puis de mai à août 2020, avoir retrouvé une activité professionnelle à compter du 09 juin 2021 en qualité de serveuse dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée à temps partiel avec un salaire mensuel brut de 932,75 euros.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, il convient d’allouer à Mme [J] [P] une somme de 10 500 euros à titre d’indemnité pour lienciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les demandes de reclassification :
Il appartient au salarié qui se prévaut d’une classification conventionnelle différente de celle dont il bénéficie au titre de son contrat de travail, de démontrer qu’il assure effectivement de façon habituelle dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification qu’il revendique.
Les fonctions réellement exercées, qui sont prises en compte pour déterminer la qualification d’un salarié, sont celles qui correspondent à son activité principale, et non celles qui sont exercées à titre accessoire ou occasionnel.
L’article 39 de la convetion collective Syntec applicable au cas d’espèce, prévoit au titre de la classification des ingénieurs et cadres :
Les classifications des ingénieurs et cadres figurent en annexe II de la présente convention.
La classification des cadres sera effectuée en tenant compte des responsabilités assumées et des connaissances mises en application.
Ces classifications s’imposent à toutes les entreprises soumises à la convention. Toute difficulté d’application tenant à l’activité de l’entreprise peut faire l’objet d’un accord de la commission paritaire d’interprétation de la convention.
a) La fonction remplie par l’ingénieur ou cadre est seule prise en considération pour son classement dans les emplois prévus par la classification en cause.
b) L’ingénieur ou cadre dont les fonctions relèvent de façon continue de diverses catégories est considéré comme appartenant à la catégorie la plus élevée parmi celles-ci.
L’annexe II de la dite convention collective dispose que :
Position 2 :
2.1. Ingénieurs ou cadres ayant au moins 2 ans de pratique de la profession, qualités intellectuelles et humaines leur permettant de se mettre rapidement au courant des travaux d’études. Coordonnent éventuellement les travaux de techniciens, agents de maîtrise, dessinateurs ou employés, travaillant aux mêmes tâches qu’eux dans les corps d’état étudiés par le bureau d’études :
– âgés de moins de 26 ans
– âgés de 26 ans au moins
105
115
2.2. Remplissent les conditions de la position 2.1 et, en outre, partant d’instructions précises de leur supérieur, doivent prendre des initiatives et assumer des responsabilités que nécessite la réalisation de ces instructions ; étudient des projets courants et peuvent participer à leur exécution. Ingénieurs d’études ou de recherches, mais sans fonction de commandement
130
2.3. Ingénieurs ou cadres ayant au moins 6 ans de pratique en cette qualité et étant en pleine possession de leur métier ; partant des directives données par leur supérieur, ils doivent avoir à prendre des initiatives et assumer des responsabilités pour diriger les employés, techniciens ou ingénieurs travaillant à la même tâche
150
Position 3 :
3.1. Ingénieurs ou cadres placés généralement sous les ordres d’un chef de service et qui exercent des fonctions dans lesquelles ils mettent en ‘uvre non seulement des connaissances équivalant à celles sanctionnées par un diplôme, mais aussi des connaissances pratiques étendues sans assurer, toutefois, dans leurs fonctions, une responsabilité complète et permanente qui revient en fait à leur chef
170
3.3. L’occupation de ce poste, qui entraîne de très larges initiatives et responsabilités et la nécessité d’une coordination entre plusieurs services, exige une grande valeur technique ou administrative.
Mme [J] [P] soutient qu’elle n’a pas été payée conformément aux minima prévus par la convention collective et revendique le bénéfice d’un coefficient 170, justifie avoir obtenu un diplôme d’ingénieur – grade de master – par l’école supérieure d'[4] le 17 septembre 2009.
Si Mme [J] [P] dont il n’est pas contesté qu’elle a été embauchée sans référence à une position sur son contrat de travail ou sur ses bulletins de salaire, justifie avoir bénéficié du nouveau statut créé par la Sas Hydro Conseil, IRP ‘individu responsable de projet’ qui a vocation à assurer le suivi technique d’un projet ainsi que son suivi administratif avec le soutien ‘ponctuel’ du contrôleur de gestion, qu’elle a bénéficié de ce statut en 2016, et qu’un courriel de la direction du 22 novembre 2016 précise que ‘c’est bien l’IRP qui est seul responsable du dossier quelle que soit sa taille ou sa complexité’, il n’en demeure pas moins, comme l’ont justement relevé les premiers juges, que la salariée ne justifie pas avoir une pratique de 6 ans en qualité de cadre position 2, de sorte qu’elle ne peut pas bénéficier de la position 3.1 et coefficient 170.
Par ailleurs, pour de justes motifs adoptés par la cour, les premiers juges ont considéré que Mme [J] [P] ne remplissait pas les conditions pour bénéficier de la position 2.3 et coefficient 150.
Par contre, au vu des éléments produits par Mme [J] [P], c’est par une juste analyse que les premiers juges ont considéré que la salariée relevait du coefficient 130.
Le jugement sera donc confirmé sur ce point et sur les rappels de salaire accordés à Mme [J] [P] pour les années 2015, 2016, 2017 et de janvier à mars 2018.
Sur la demande de rappel d’indemnité conventionnelle de licenciement et de rappel de salaire sur préavis :
Dès lors que les demandes de reclassification de Mme [J] [P] ont été rejetées, les demandes de rappel d’indemnité conventionnelle de licenciement et sur préavis sur la base d’une position 2.3 coefficient 150 ou position 3.1 coefficient 170, ne sont pas justifiées.
Sur les autres demandes indemnitaires :
– sur le remboursement de frais entre décembre 2017 et mars 2018 :
Mme [J] [P] produit trois factures émises par Sonatel en date du 17 janvier 2018, le 27 février 2018 et le 06 avril 2018 d’un montant total de 1042 euros (conversion en franc CFA). Si le contrat de travail prévoit que la Sas Hydro Conseil prend en charge les frais de bureautique et de communication liés au fonctionnement du bureau, il n’est pas sérieusement contesté que le bureau à [Localité 6] a été fermé le 31 décembre 2017 et que Mme [J] [P] a été dispensée d’exécution du préavis, de sorte que sa demande à ce titre n’est pas fondée.
– sur la prime de vacance :
L’article 31 de la convention collective Syntec prévoit que l’ensemble des salariés bénéficie d’une prime de vacances d’un montant au moins égal à 10 % de la masse globale des indemnités de congés payés prévus par la convention collective de l’ensemble des salariés.
Toutes primes ou gratifications versées en cours d’année à divers titres et quelle qu’en soit la nature peuvent être considérées comme primes de vacances à condition qu’elles soient au moins égales aux 10 % prévus à l’alinéa précédent et qu’une partie soit versée pendant la période située entre le 1er mai et le 31 octobre.
A l’examen des bulletins de salaire de juin, juillet, août, septembre, octobre, novembre 2017 apparaît une ligne sous le salaire de base qui mentionne ‘incluant prime mensualisée congés’ et le contrat de travail prévoit que le salaire brut fixé initialement à 2 330 euros comprend la prime de vacances annualisée.
Il n’est donc pas établi que Mme [J] [P] n’ait pas été remplie de ses droits à ce titre.
Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière prud’homale et en dernier ressort ;
Confirme le jugement rendu le 20 octobre 2020 par le conseil de prud’hommes d’Avignon en ce qu’il a :
– rappelé que la société Hydro Conseil a l’obligation de faire figurer sur les bulletins de salaire la classification conventionnelle applicable au salarié,
– débouté Mme [P] de sa demande liée à l’application du coefficient 170,
– débouté Mme [P] de sa demande liée à l’application du coefficient 150,
– jugé que Mme [P] exerçait les fonctions d’ingénieur position 2.2 coefficient 130 en application de la convention collective syntec,
– condamné la société HYDRO CONSEIL à payer à Mme [P] :
* 927,60 euros outre 92,60 euros de congés payés à titre de rappel de salaire sur l’année 2015,
* 154,60 euros outre 15,46 euros de congés payés à titre de rappel de salaire sur l’année 2016,
* 1 395,60 euros outre 139,56 euros de congés payés à titre de rappel de salaire sur l’année 2017,
* 348,90 euros outre 34,89 euros de congés payés à titre de rappel de salaire (janvier 2018 à mars 2018),
– débouté Mme [P] de sa demande au titre de remboursement des frais exposés entre décembre 2017 et mars 2018,
– débouté Mme [P] de sa demande au titre de dommages intérêts pour non-respect des dispositions de la convention collective syntec sur la prime de vacances,
– condamné la société Hydro Conseil à remettre à Mme [P] les documents de fin de contrat et les bulletins de salaire conforme au jugement sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la notification du jugement,
– condamné la société Hydro Conseil à payer à Mme [P] la somme de 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté la société Hydro Conseil de demande reconventionnelle du versement d’une somme de 3 500 euros par Mme [P] en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– mis les dépens de l’instance ainsi que les éventuels frais d’exécution à la charge de la société Hydro Conseil,
L’infirme pour le surplus,
Statuant sur les dispositions réformées et y ajoutant,
Juge que le licenciement de Mme [J] [P] prononcé par la Sas Hydro Conseil suivant lettre du 20 décembre 2017 est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Condamne la Sas Hydro Conseil à payer à Mme [J] [P] la somme de 10 500 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la Sas Hydro Conseil à payer à Mme [J] [P] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,
Rejette les demandes plus amples ou contraires,
Condamne la Sas Hydro Conseil aux dépens de la procédure d’appel.
Arrêt signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, et par Monsieur Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT