AFFAIRE PRUD’HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 19/05427 – N° Portalis DBVX-V-B7D-MQQ5
[S]
C/
Société ALLIANCE MJ
Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 5]
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de LYON du 25 Juin 2019
RG : 17/00654
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 14 DECEMBRE 2022
APPELANT :
[J] [S]
né le 27 Mars 1971 à [Localité 6]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Emmanuelle BOROT, avocat au barreau de LYON
INTIMÉES :
Société ALLIANCE MJ, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société KP CORPORATE INTERNATIONAL
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Pascale DRAI-ATTAL, avocat au barreau de LYON
Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 5]
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Cécile ZOTTA de la SCP J.C. DESSEIGNE ET C. ZOTTA, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 11 Octobre 2022
Présidée par Anne BRUNNER, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
– Joëlle DOAT, présidente
– Nathalie ROCCI, conseiller
– Anne BRUNNER, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 14 Décembre 2022 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La société SMART TRADING DIFFUSION exerce une activité de ‘vente sous toutes ses formes de produits non réglementés, négoce vente à titre ambulant’. Elle a été créée le 11 février 2003. Son gérant est M. [J] [S].
La société K&P CORPORATE INTERNATIONAL, créée en 2014, exerçait une activité ‘d’audit et conseil en management et développement des ressources humaines’.
Par note de travail datée du 14 février 2015, la société K&P CORPORATE INTERNATIONAL a indiqué ‘[J] [S] prend officiellement le statut de DSI à temps partiel de K&P et supervisera les actions et ressources impliquées dans ce domaine’.
Le 7 février 2017, le tribunal de commerce de Lyon a ouvert la procédure de liquidation judiciaire de la société K&P.
Le 15 mars 2017, M. [J] [S] a saisi le conseil de prud’hommes de LYON aux fins de voire requalifier les prestations de services en contrat de travail à durée indéterminée.
Le 25 janvier 2018, le conseil de prud’hommes s’est déclaré en partage de voix.
Le 25 juin 2019, le juge départiteur statuant après avoir recueilli l’avis du conseiller présent, a rejeté la fin de non-recevoir tirée du principe de l’estoppel, débouté M. [J] [S] de l’ensemble de ses demandes et la société ALLIANCE MJ de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamné M. [J] [S] aux dépens.
M. [J] [S] a fait appel de ce jugement le 25 juillet 2019.
Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées le 22 octobre 2019, M. [J] [S] demande à la cour de :
juger que la relation contractuelle doit s’analyser en un contrat à durée indéterminée ;
condamner et fixer au passif de la société K&P CORPORATE INTERNATIONAL les sommes suivantes :
124 998 euros au titre de rappel de salaires pour la période de janvier à 14 février 2015 au 31 décembre 2016 outre 12 500 euros au titre des congés payés y afférent,
et à titre subsidiaire, 70 885,50 euros outre 7 088,55 euros au titre des congés payés y afférents ;
58 500 euros au titre du travail dissimulé ;
29 250 euros outre 2 925 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, et à titre subsidiaire, 20 475 euros ;
6 435 euros, et à titre subsidiaire, 4 550 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement ;
30 000 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
2 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
condamner la liquidation de la société K&P CORPORATE INTERNATIONAL à remettre des documents de fin de contrat à Monsieur [S] (attestation pôle emploi, certificat de travail)
condamner la liquidation de la société K&P à remettre à Monsieur [S], les bulletins de salaire pour la période allant du 14 février 2015 au 31 décembre 2016
condamner la liquidation de la société K&P en tous les dépens.
Il soutient avoir été embauché en contrat de travail à durée indéterminée le 26 janvier 2015, date à laquelle il a disposé d’un bureau et d’une adresse mail ; que comme il n’était pas payé, il n’a eu d’autres choix que d’émettre des factures, à la demande de la gérante de la société K&P CORPORATE INTERNATIONAL ; que, durant l’année 2016, il a dû relancer la société K&P CORPORATE INTERNATIONAL à de nombreuse reprises afin d’obtenir le paiement de ses heures ; qu’à la fin de l’année 2016, devant l’importance des heures de travail non payées, il a informé la société K & P qu’il cessait toute activité.
Sur la recevabilité de sa demande, M. [J] [S] fait valoir que les conditions de l’estoppel ne sont pas réunies puisqu’il y a un seul débat judiciaire unique et que la société SMART TRADING DIFFUSION et lui même sont deux parties différentes.
Il affirme que la gérante de la société K&P CORPORATE INTERNATIONAL l’a toujours désigné comme salarié de la société ; qu’ainsi, il a été maître de stage de monsieur [O], il effectuait le reporting de son activité toutes les semaines, ne disposait d’aucune liberté dans l’organisation de son activité, avait l’obligation d’assister à toutes les réunions, recevait des ordres de la gérante et de l’assistante de direction, était intégré à une équipe organisée.
Il fait valoir :
qu’au cours de l’année 2015, il a commencé à émettre des factures au nom de la société K&P mais qu’il existait encore une activité de négoce de la société SMART TRADING DIFFUSION ;
qu’en 2016, la société STD n’avait quasiment plus de client, l’activité a été très prioritairement le fait de son intervention auprès de la société K&P CORPORATE INTERNATIONAL ;
que cette dépendance économique a créé un lien de subordination ;
que son temps de travail était de 3,5 jours mais qu’il devait répondre aux mails y compris pendant ses vacances et être présent aux réunions ;
qu’il doit bénéficier d’une présomption de travail à temps plein ;
que les parties ont convenu d’une rémunération de 450 euros par jour soit 9 750 euros mensuels.
Il considère que la gérante de la société savait qu’elle aurait dû le salarier de sorte que le travail dissimulé est établi.
***
Par conclusions du 20 janvier 2020, la société ALLIANCE MJ, en sa qualité de liquidateur de la société K&P demande à la cour de confirmer le jugement, mais, à titre principal, de déclarer l’action de M. [J] [S] irrecevable, à titre subsidiaire, de dire et juger que M. [J] [S] n’a bénéficié d’un contrat de travail et, à titre infiniment subsidiaire, de dire qu’il a démissionné ou a abandonné son poste, en conséquence, de le débouter et de le condamner au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient qu’est irrecevable l’action de celui qui se contredit et fait valoir :
que M. [J] [S] a, le 14 mars 2017, transmis une demande d’inscription de créances commerciales au passif de la liquidation avant de saisir le conseil de prud’hommes d’une demande de requalification ;
qu’il a ainsi affirmé tout à la fois être salarié et indépendant.
Elle ajoute que M. [J] [S] étant gérant de la société SMART TRADING DIFFUSION, la présomption de non salariat doit s’appliquer ; qu’il ne rapporte pas la preuve de l’existence d’un lien de subordination ; qu’il n’établit pas non plus qu’il a travaillé toute la journée alors qu’il était, en même temps dirigeant d’entreprise ni ne démontre que les parties seraient tombées d’accord pour un salaire de 450 euros journalier.
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Par conclusions notifiées le 17 janvier 2020, l’UNEDIC AGS CGEA de [Localité 5] demande à la cour de :
dire irrecevables, les demandes de condamnation de la société K&P CORPORATE INTERNATIONAL ;
débouter M. [S] de l’intégralité de ses demandes ;
confirmer le jugement entrepris de ce chef et débouter Monsieur [S] de l’intégralité de ses demandes.
Subsidiairement, au fond,
fixer le salaire mensuel brut de M. [S] à la somme de 2 627,30 euros (coefficient 130 de la Convention Collective SYNTEC) ;
réduire les rappels de salaire pour les périodes de janvier à mai 2015 et septembre à décembre 2016 à ce montant ;
constater que l’embauche de M. [S] par la société STELLAR LICENCING & CONSULTING LIMITED caractérise sa volonté claire et non équivoque de démissionner à compter de 2016.
En conséquence,
débouter M. [S] de ses demandes d’indemnité compensatrice de préavis, d’indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement, d’indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour rupture abusive ;
débouter Monsieur [S] de sa demande indemnitaire au titre du travail dissimulé et de la rupture.
En tout état de cause,
dire que l’AGS ne garantit pas la TVA payée à tort, qu’elle n’est pas concernée par la remise de documents sociaux, et que l’indemnité éventuellement allouée sur le fondement de l’article 700 n’est pas garantie ;
dire que l’AGS ne devra procéder à l’avance des créances visées aux articles L. 3253-6 et L. 3253-8 et suivants du Code du Travail, que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L. 3253-19, L. 3253-20, L. 3253-21 et L. 3253-15 du Code du Travail et L. 3253-17 du Code du Travail ;
dire que l’obligation du CGEA de faire l’avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s’exécuter que sur présentation d’un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l’absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement.
Elle rappelle que M. [J] [S] ne peut demander la condamnation de la société K&P CORPORATE INTERNATIONAL.
Elle ajoute que M. [J] [S] ne démontre pas l’existence d’un lien de subordination ; qu’en réalité il a exécuté des prestations au nom de la société SMART TRADING DIFFUSION ainsi qu’en attestent les factures versées aux débats et la déclaration de créance transmise au liquidateur.
Elle fait valoir :
que si l’existence d’un contrat de travail est reconnue, le salaire auquel peut prétendre M. [J] [S] est la rémunération conventionnelle de 2 627,30 euros par mois ;
qu’à partir de 2016, M. [J] [S] a occupé les fonctions de directeur associé de la société STELLAR LICENCING & CONSULTING LIMITED dont le siège est à HONG KONG, ce qui caractérise une volonté de démissionner.
SUR CE,
Sur la recevabilité de la demande :
Le principe de l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui repose sur la réunion, dans un même litige, des éléments constitutifs suivants :
une contradiction dans l’attitude procédurale qui se manifeste par un changement de position d’une partie ;
la volonté de tromper les attentes de son adversaire en ruinant ses attentes légitimes nées de la position initiale ;
une modification contrainte des moyens de défense de l’adversaire par l’effet de ce changement d’attitude.
En l’espèce, M. [S] a saisi le conseil de prud’hommes d’une demande de reconnaissance de l’existence d’un contrat de travail, quelques jours après que la société STD a déclaré sa créance auprès de la société ALLIANCE MJ, pour 4 factures entre le 30 septembre 2016 et le 31 décembre 2016.
M. [S] est une personne distincte de la société STD. Il n’a pas changé de position au cours de la procédure prud’homale et son adversaire n’a pas été contraint de changer ses moyens de défense.
Il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré recevables les demandes de M. [S].
Sur l’existence du contrat de travail :
En l’absence d’écrit ou d’apparence de contrat, il appartient à celui qui invoque un contrat de travail d’en rapporter la preuve.
Il résulte des articles L.1221-1 et suivants du code du travail que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d’autrui moyennant rémunération.
Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
M. [S] verse aux débats les factures établies par la société SMART TRADING DIFFUSION et destinées à la société Keys & Partners, entre le 3 juin 2015 et le 31 décembre 2016 pour des missions de direction financière ou des missions de ‘DSI’ ou ‘RSI’.
Le nombre de jours figurant sur chaque facture est variable et oscille entre 4 jours à 14 jours, chacune des dates facturées étant précisée.
La mention manuscrite ‘payée’ figure sur ces factures à l’exception de celles des 30 septembre 2016, 2 et 30 novembre 2016 et 31 décembre 2016.
Ces factures établissent que la société SMART TRADING DIFFUSION a fourni une prestation de service à la société K&P.
M. [J] [S] verse aussi aux débats des échanges de mail contenant parfois des consignes de la part de Mme [T], gérante de la société K&P, parfois des demandes, d’autres fois des informations sur des réunions auxquelles il est demandé à M. [S] de prendre part.
Ces demandes s’inscrivent dans le cadre de la prestation de service fournie par la société STD.
Il ne peut être tiré la conclusion de ces échanges de mail l’existence d’un lien de subordination.
Il en est de même de l’adresse mail ou des cartes de visite au nom de M. [J] [S].
Également, dans le même temps, la société STD fournissait des prestations de service de même nature à d’autres clients (LUDIKBAY, société SANS DETOUR, société MACDES…).
S’il ressort du récapitulatif de ces diverses prestations que le nombre de jours réalisés pour la société K&P a été de 46 jours au cours du 2ème semestre 2015 et de 124,75 jours au cours de l’année 2016, faisant de ce client le plus important, l’activité de la société STD n’était toutefois pas exclusivement consacrée à la société K&P, ce qui met à mal les affirmations de M. [S] selon lesquelles il aurait mis en sommeil sa société et consacré tout son temps à la société K&P, dans le cadre d’une activité salariée.
Ainsi, M. [S] n’établit pas l’existence d’une dépendance économique et partant d’un lien de subordination avec la société K&P. Le jugement sera confirmé sur ce chef.
Sur les autres demandes :
M. [J] [S], qui succombe en son recours, sera condamné aux dépens d’appel.
Il est équitable de condamner M. [J] [S] à payer à la société MJ ALLIANCE, liquidateur de la société K&P Corporate International la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement par arrêt mis à disposition, contradictoirement,
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions
Y ajoutant :
CONDAMNE M. [J] [S] aux dépens d’appel,
CONDAMNE M. [J] [S] à payer à la société MJ ALLIANCE, liquidateur de la société K&P Corporate International la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE