13 mars 2023
Cour d’appel de Rennes
RG n°
20/00925
8ème Ch Prud’homale
ARRÊT N°106
N° RG 20/00925 –
N° Portalis DBVL-V-B7E-QOZV
M. [I] [R]
C/
SAS TIBCO TELECOMS
Infirmation partielle
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 13 MARS 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Rémy LE DONGE L’HENORET, Président de chambre,
Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,
Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 16 Décembre 2022
devant Madame Gaëlle DEJOIE, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
En présence de Madame Natacha BONNEAU, Médiatrice judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 13 Mars 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANT :
Monsieur [I] [R]
né le 06 Juin 1971 à [Localité 6] (78)
demeurant [Adresse 1]
[Localité 3]
Ayant Me Virginie HAMON, Avocat au Barreau de NANTES, pour Avocat constitué
INTIMÉE :
La SAS TIBCO TELECOMS prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Sandrine VIVIER substituant à l’audience Me Jean-david CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Avocats postulants du Barreau de RENNES et ayant Me Marie-Pascale VALLAIS de la SELARL VALLAIS AVOCAT, Avocat au barreau de NANTES, pour conseil
M. [I] [R] a été embauché par la SAS TIBCO TELECOMS, appartenant au groupe TIBCO à compter du 12 novembre 2012 dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée en qualité de Responsable contrôle, niveau 2.1, à l’embauche puis de Responsable de service niveau 2.2, à compter d’un avenant du 13 novembre 2014.
La direction a annoncé en février 2017, au regard des pertes financières de l’activité, le projet de fermeture du bureau de contrôle et l’affectation des collaborateurs à de nouvelles missions dans l’entreprise. Une reprise de cette activité par la société QUALICONSULT a été envisagée par l’intermédiaire de M. [R], projet qui n’a finalement pas abouti.
M. [R] a été destinataire d’un courrier du 28 avril 2017 l’affectant sur sa nouvelle mission, auquel il a répondu qu’elle correspondait à un déclassement inacceptable et à une modification de son contrat de travail.
M. [R] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 28 juin 2017, avec l’assistance d’un représentant du personnel, puis est licencié pour faute grave par lettre du 11 juillet 2017 sur la base des principaux griefs suivants :
– Sabotage du projet de rachat du bureau de contrôle,
– Refus de sa nouvelle affectation.
Le 21 septembre 2017, M. [R] a saisi le Conseil de prud’hommes de Nantes aux fins de :
‘ Constater l’absence de faute commise par M. [R];
‘ Constater l’existence d’une cause en réalité économique au licenciement;
‘ Requalifier ‘le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse’;
‘ Condamner la SAS TIBCO TELECOMS à verser les sommes suivantes :
– 10.253,07 € brut d’indemnité compensatrice de préavis,
– 1.025,30 € brut de congés payés afférents,
– 5.696,15 € brut d’indemnité de licenciement,
– 41.208 € net de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 2.000 € net de dommages-intérêts pour l’attitude de l’employeur suite au refus des modifications du contrat de travail,
– 2.000 € net de dommages-intérêts pour mise à pied vexatoire,
– 10.000 € net de dommages-intérêts pour non-respect de l’ordre des licenciements,
– 2.000 € net de dommages-intérêts pour non-respect de 1’obligation de consultations du Comité d’Entreprise,
– 2.000 € de dommages-intérêts pour non-respect de l’obligation de proposition du Contrat de sécurisation professionnelle,
‘ Ordonner le remboursement des allocations chômages versées,
‘ Fixer le salaire de référence à la somme de 3.417,69 € bruts,
‘ Exécution provisoire, nonobstant appel et sans caution,
‘ Remise d`une attestation Pôle Emploi, d’un certificat de travail et des bulletins de salaire conformes, sous astreinte de 80 € par jour de retard à compter de la date de la décision à intervenir,
‘ 2.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
‘ Intérêts au taux légal, outre l’anatocisme,
‘ Condamner la partie défenderesse aux entiers dépens.
La cour est saisie d’un appel régulièrement formé par M. [R] le 6 février 2020 du jugement du 17 janvier 2020 par lequel le Conseil de prud’hommes de Nantes a :
‘ Débouté M. [R] de l’ensemble de ses demande,
‘ Débouté la SAS TIBCO TELECOMS de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ Condamné M. [R] aux dépens.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 11 septembre 2020, suivant lesquelles M. [R] demande à la cour de :
‘ Dire et juger M. [R] recevable et bien fondé en ses demandes,
‘ Réformer le jugement rendu le 17 janvier 2020 par le Conseil de Prud’hommes de NANTES;
En conséquence,
‘ Constater l’absence de faute commise par M. [R],
‘ Constater l’existence d’une cause économique au licenciement de M. [R],
‘ Requalifier le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
‘ Condamner la SAS TIBCO TELECOMS à verser à M. [R] les sommes de :
– 10.253,07 € brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 1.025,30 € brut à titre de congés payés y afférents,
– 5.696,15 € brut à titre d’indemnité de licenciement,
– 41.208,00 € net à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 2.000 € net à titre de dommages-intérêts à raison de l’attitude de l’employeur suite au refus des modifications du contrat de travail,
– 2.000 € net à titre de dommages-intérêts pour mise à pied vexatoire,
– 10.000 € net à titre de dommages-intérêts pour non-respect de l’ordre des licenciements,
– 2.000 € net à titre de dommages-intérêts pour non-respect de l’obligation de consultations du Comité d’Entreprise,
– 2.000 € net à titre de dommages-intérêts pour non-respect de l’obligation de proposition du CSP,
‘ Ordonner le remboursement des allocations chômages versées,
‘ Dire que ces sommes porteront intérêt légal outre anatocisme,
‘ Fixer le salaire de référence à la somme de 3.417,69 € brut,
– Ordonner l’exécution provisoire nonobstant appel et sans caution,
– Ordonner la remise d’une attestation POLE EMPLOI, d’un certificat de travail et des bulletins de salaire conforme sous astreinte de 80 € par jour de retard à compter de la date de la décision à intervenir,
‘ Condamner la SAS TIBCO TELECOMS à verser à M. [R] la somme de 2.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ Condamner la SAS TIBCO TELECOMS aux entiers dépens.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 16 juin 2020, suivant lesquelles la SAS TIBCO TELECOMS demande à la cour de :
‘ Confirmer le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de NANTES le 17 janvier 2020,
En conséquence,
‘ Dire et juger que le licenciement de M. [R] repose sur une faute grave,
‘ Débouter M. [R] de l’ensemble de ses demandes,
‘ Condamner M. [R] à verser à TIBCO TELECOMS une somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ Le Condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel,
Subsidiairement, et dans l’hypothèse où la cour ferait droit ne serait-ce que partiellement aux demandes de M. [R],
‘ Le débouter de sa demande en paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile, s’il bénéficie de l’aide juridictionnelle,
En cas de condamnation de la concluante au paiement de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ La dispenser totalement du remboursement au Trésor des sommes avancées par l’Etat au titre de l’aide juridictionnelle, en vertu des dispositions de l’article 123 du décret du 19 décembre 1991 pris en application de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique.
La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 1er décembre 2022.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions notifiées via le RPVA.
MOTIVATION DE LA DECISION
Sur le licenciement pour faute grave
M. [R] fait valoir pour infirmation que le conseil de prud’hommes n’a répondu que sur le refus de la modification du contrat de travail opposée par le salarié mais a dénaturé les motifs de la lettre de licenciement et manqué à ses obligations en n’examinant pas tous les griefs de cette lettre’; que les faits qualifiés de sabotage, datés du 21 et 22 mars 2017 sont prescrits’; que le reproche consistant à lui reprocher d’avoir saboté un projet qu’il a lui-même initié n’a aucun sens. S’agissant de sa décision de refuser sa nouvelle affectation, M. [R] soutient qu’elle était justifiée dans la mesure où le changement de mission impliquait une modification de son contrat de travail, le poste proposé n’étant pas identique à celui de responsable du bureau de contrôle et représentant une dévalorisation et un déclassement.
M. [R] soutient que la vraie cause de son licenciement est économique, ce que démontrent la suppression de son poste, la baisse du chiffre d’affaires de la société TIBCO et la fermeture de certaines filiales du groupe TIBCO’; que dans ces conditions l’absence de respect par la société TIBCO TELECOMS de la procédure spécifique prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.
La société TIBCO TELECOMS répond pour confirmation que les reproches tenant au sabotage ne sont pas prescrits puisqu’elle n’a pris conscience de la réalité de l’intention animant M. [R] que dans son courrier du 6 juin 2017 dans lequel est apparue la «’manoeuvre’» du salarié de saborder le projet de cession et de refuser toute nouvelle mission au sein de la société TIBCO tout en prétendant que la société avait agi afin d’augmenter les résultats, tout ceci dans le seul but pour le salarié d’extorquer une rupture négociée et avantageuse de son contrat de travail.
La société TIBSO TELECOMS fait valoir par ailleurs que l’arrêt de l’activité du bureau de contrôle ne constitue pas en soi une cause économique et que les griefs évoqués dans la lettre de licenciement sont tous parfaitement établis, chacun d’entre eux justifiant le licenciement pour faute grave.
Il résulte des articles’L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n’a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle fait obstacle au maintien du salarié dans l’entreprise y compris pendant la durée du préavis.
L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
En application des dispositions de l’article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.
La lettre de licenciement du 11 juillet 2017 (pièce n°59 du salarié), qui fixe les limites du litige, est ainsi rédigée’:
« Aussi nous entendons par la présente vous notifier votre licenciement pour faute grave.
Nous vous rappelons les faits qui nous conduisent à prendre une telle mesure.
Courant février 2017, la Direction vous a informé de la fermeture du service bureau de contrôle au sein de Tibco, en précisant qu’un repreneur était recherché afin de maintenir les emplois.
Le 22 février 2017 vous avez proposé à Mr [N] [C] Dirigeant de Tibco Télécoms, une mise en relation avec Mr [O], le dirigeant de la société Qualiconsult, qui semblait intéressé par le projet de reprise du bureau de contrôle.
Bien évidemment, Mr [N] a accueilli favorablement votre initiative et vous a soutenu dans cette démarche, étant rappelé que ce rachat ne pouvait que convenir aux membres de l’équipe des lors qu’il leur permettait de poursuivre leurs missions de contrôle au sein d’une société spécialisée, conformément à leur souhait.
Par ailleurs, la Direction était soucieuse qu’un tel rachat soit accepté par l’équipe même si elle aurait pu le leur imposer.
M. [N] a reçu M. [O] le lundi 27/02/2017 de 10h à 12h en votre compagnie. Vous avez assisté à l’intégralité de l’échange et entendu de la part de M. [O] que toutes les personnes de notre bureau de contrôle serait reprise [sic], que les contrats de travail seraient transférés, que la société Qualiconsuit était dans la même convention Syntec que Tibco, que l’entreprise Qualiconsult distribuait de la participation et intéressement, que l’entreprise Qualiconsult se développait et que cela serait pour les salariés une très belle opportunité en pouvant continuer de travailler dans leurs régions, l’activité de Qualiconsult étant nationale.
Pour autant nous ne comprenons toujours pas à ce jour la teneur de vos réactions postérieures contradictoires et l’ambivalence de vos comportements qui ont conduit à faire échouer le processus que vous avez vous-même initialisé. Ceci avec une méthode très douteuse avec une accumulation de non-dits, de mensonges, et de faux fuyants envers nous.
15 jours après la rencontre du potentiel repreneur et pour présenter M.[O] aux équipes techniques de Tibco, vous avez organisé une réunion avec Mr [O] et l’équipe bureau de contrôle prévue le 23 mars 2017.
Or le 21 mars 2017, vous avez envoyé un email à Mr [O] ainsi qu’à l’équipe du bureau de contrôle pour annuler la réunion sous prétexte que vous n’aviez pas de confirmation de la présence de Mr [O] à cette réunion, et que Mr [S], Directeur Général de Tibco Télécoms, n’était pas disponible le 23 mars 2017.
Vous avez annulé cette réunion sans autorisation préalable de la Direction et surtout sans vérifier les disponibilités de Monsieur [N] qui aurait pu participer à cette réunion à la place de Monsieur [S].
Le 21 mars 2017 au soir, Mr [N] s’est entretenu avec Mr [O] par téléphone et ce dernier lui a appris que vous ne souhaitiez pas être repris par son entreprise et que vous lui aviez annoncé que [M] [J] était enceinte et qu’elle ne souhaitait pas non plus de reprise.
Mr [N] a été très surpris de cet appel et vous a alors interrogé. Vous lui avez confirmé que vous aviez divulgué l’état de grossesse de Madame [J] et que les contours du poste que vous avait présentés le directeur régional de Qualiconsult n’étaient pas clairement définis et qu’il vous fallait plus d’informations ‘avant d’éventuellement accepter ce poste’.
Or, au cours de votre entretien préalable, vous nous avez confirmé que vous saviez que les contrats de travail devaient être maintenus et que la reprise éventuelle s’imposait à tous les salariés, de sorte que votre posture à l’égard de Qualiconsult n’avait aucun sens.
En outre vous aviez refusé un poste à pourvoir au sein de TlBCO SERVICES nous laissant croire que vous ne souhaitiez pas non plus rester salarié de notre groupe.
Bien évidemment vos craintes exprimées auprès de Qualiconsult n’ont pu que conduire le dirigeant à faire volte-face.
Vous n’aviez pas non plus à divulguer sans autorisation de la Direction de Tibco l’information de l’état de grossesse de [M] [J], cela n’ayant aucun impact dans le cadre d’un projet de rachat d’un service.
Mr [N] vous a donc demandé de réaliser une réunion de concertation avec l’équipe sur la nécessité de poursuivre les négociations avec Qualiconsult dont vous lui avez rendu compte par courriel du 22 mars 2017.
Au lieu d’apaiser les inquiétudes vous n’avez fait que les raviver conduisant ainsi les salariés à refuser en bloc ce rachat.
En effet, vous vous êtes fait l’écho d’une prétendue absence d’information tout en reconnaissant qu’elle avait été verbale alors que dans l’attente de la réunion extraordinaire du comité d’entreprise prévue le 22 mars 2017, nous ne pouvions réaliser aucune information officielle sous peine de délit d’entrave.
Par ailleurs vous avez conditionné ce rachat à une revalorisation salariale et conforté les salariés en ce sens alors que ce rachat conduisait nécessairement à maintenir leur salaire.
Vous avez été incapable de rassurer l’équipe en leur indiquant au minimum que ce rachat impliquera le maintien des contrats de travail, y compris des rémunérations sans modification.
Le 22 mars 2017, la Direction qui avait convoqué un CE exceptionnel en vue de l’informer de ce rachat par la société, a donc été contrainte de l’informer qu’il n’interviendrait finalement pas.
Le 22 mars 2017, nous vous avons donc fait parvenir un mail, ainsi qu’à tous les membres de l’équipe du bureau de contrôle rappelant que le rachat par la société Qualiconsult n’avait pas abouti, tout en vous assurant qu’au vu de la polyvalence de nos métiers nous allions pouvoir vous trouver une nouvelle mission conforme à votre poste.
Nous vous avons également rappelé de façon claire et non équivoque, que si vous souhaitiez vous concentrer sur des missions de bureau de contrôle, il vous appartenait de postuler dans des sociétés spécialisées dans ce domaine car cette activité n’existerait plus chez Tibco Télécoms à compter du 2 mai 2017.
Nous n’avons eu aucun retour à ce mail, laissant donc supposer votre accord.
Comme convenu dans le mail du 22 mars 2017, nous avons pu vous trouver une nouvelle mission, aussi le 28 avril 2017 nous vous avons fait parvenir un courrier vous informant de votre nouvelle mission à compter du 1er juin 2017, à savoir un poste de pilotage des opérations nécessitant l’accréditation COFRAC.
Le 8 mai 2017, nous avons reçu un courrier de votre part prétextant que cette nouvelle mission constituait une modification de votre contrat de travail car vous n’aviez plus de fonction de management.
Nous avons répondu à ce courrier en date du 23 mai 2017, en vous rappelant que le changement de mission n’avait aucun impact sur votre contrat de travail.
En date du 06 juin 2017, vous avez confirmé de nouveau votre refus d’exécuter votre nouvelle mission en nous accusant, cette fois-ci, d’avoir cherché à augmenter nos résultats.
En outre, vous vous êtes réclamés d’un préjudice en réparation duquel vous étiez prêt à une issue amiable. Déjà le 5 avril 2017, vous aviez formulé une demande de rupture conventionnelle en avançant des prétentions financières démesurées.
Cette lettre datée du 6 juin 2017 qui nous a permis de faire la lumière sur vos man’uvres pour saboter le projet de rachat du bureau de contrôle par Qualiconsult.
Nous vous rappelons donc que l’article 4.2 de vote contrat de travail stipule que ‘Monsieur [I] [R] sera rattaché administrativement à l’agence de [Localité 7] – [Adresse 5] (44) étant entendu que compte tenu de la nature de ses fonctions, Monsieur [I] [R] sera nécessairement appelé a se déplacer en tout lieu où son activité serait susceptible d’être exercée. Par conséquent, Monsieur [I] [R] accepte par avance d’effectuer tout déplacement de plus ou moins longue durée et à effectuer [sic] des missions de durée variable en tout lieu en France ou à l’international.
Par ailleurs, votre contrat de travail rappelle également que : ‘Les attributions de Monsieur [I] [R] lui seront précisées au fur et à mesure des besoins. Tout aspect particulier de la mission de Monsieur [I] [R] pourra lui être précisé par écrit ou de toute autre façon ( article 3.2) et qu’ : ‘il pourra par ailleurs lui être demandé dans l’intérêt de la bonne marche de l’entreprise d’accomplir accessoirement des tâches ne se rattachant pas directement à sa fonction’ ( article 3.3 ).
Ainsi vos fonctions impliquent de votre par une mobilité géographique et une polyvalence nous autorisant à vous attribuer de nouvelles missions dans l’intérêt de l’entreprise.
Par ailleurs, en application de notre règlement intérieur, tout collaborateur ‘est tenu de respecter les instructions de ses supérieurs hiérarchiques, ainsi que l’ensemble des instructions diffusées par voie de notes de service et d’affichage. Tout acte contraire à la discipline est passible de sanctions’ (article 1.6.1 Discipline et Comportement).
Nous considérons donc que vous avez manqué gravement à votre obligation d’exécuter de bonne foi votre contrat de travail en manoeuvrant afin de saboter le projet de rachat de notre bureau de contrôle par Qualiconsult et en refusant une nouvelle mission n’emportant pas modification de votre contrat de travail, et ce afin de négocier votre départ en avançant des prétentions financières démesurées.
Vos agissements ont déstabilisé l’entreprise puisque l’équipe du bureau de contrôle a cru pouvoir refuser à tort de nouvelles missions que l’entreprise était contrainte de leur confier, compte tenu de votre sabotage ou projet de rachat par Qualiconsult.
Par conséquent, nous n’avons d’autre choix que de mettre un terme à notre collaboration et à vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave.
[…]»
Il y a lieu d’examiner successivement les griefs formulés dans la lettre de licenciement.
Sur le sabotage du projet de reprise
La société employeur ne produit en l’espèce, au soutien de sa démonstration du «’sabotage’» et de la déloyauté de son salarié dans les échanges relatifs au projet de reprise, que ses pièces’:
– n°1′: courriel du 22 mars 2017 de M. [R] dans lequel il exposait à M. [N] les principales craintes manifestées par les membres de son équipe après qu’il les avait sollicités postérieurement au désengagement de M. [O] dans le cadre d’une «’réunion de concertation sur la nécessité de poursuivre les négocations’»’;
– n°10 (attestation de M. [B]) et 11 (attestation de Mme [J]) dans lesquelles ces deux salariés indiquent seulement qu’il leur a été proposé un nouveau poste au sein de la société TIBCO après la fermeture du service du bureau de contrôle.
La société TIBCO se réfère en outre aux pièces du salarié n° 6 (E-mail du 20 janvier 2017 de M. [N]), 39 (E-mail du 22 mars 2017 de M. [N]), 41 (E-mail de M. [N] du 23 mars 2017 transférant ses échanges avec M [O] relatif au désengagement de celui-ci), 55 (Lettre de la société TIBCO adressée à M. [R] du 23 mai 2017), 56 (lettre de M. [R] du 6 juin 2017), 32 (E-mail du 20 mars de M. [N]), 58 (attestation de M. [F] relative au compte rendu de l’entretien préalable au licenciement de M. [R]), 37 (E-mail du 21 mars 2017 de M. [N]), 38 (E-mail du 22 mars 2017 9h01 de M. [R] à M. [N] en réponse à un SMS), 59 (lettre de licenciement reproduite ci-dessus), 9 (E-mail du 20 février 2017 de M. [N], 11 (E-mail du 20 février 2017 de M. [G]), 14 (E-mail du 22 février 2017 de M. [I] [R]).
D’une part il ressort de l’ensemble de ces pièces que les éléments qu’elle reproche à M. [R] au titre du sabotage du projet de reprise par QUALICONSULT étaient déjà parfaitement connus de l’employeur dès le 22 mars 2017, en particulier au regard du reproche formulé par SMS par M. [N] et de la réponse de M. [R] (pièce n°38 susvisée) et du courrier de M. [R] (pièce n°1 de l’intimée).
Le courrier de M. [R] du 6 juin 2017 (pièce salarié n°56 susvisée) ne contient aucune révélation ni aucun élément relatif aux échanges préalables au retrait du projet de cession de M. [O] puisqu’il n’évoque que la décision de la direction du 28 avril 2017 relative à l’organisme COFRAC et à la proposition ultérieure. La société employeur ne pouvait donc fonder son licenciement sur des faits qui lui étaient connus depuis plus de deux mois lors de l’engagement des poursuites.
D’autre part, aucune de ces pièces ne rapporte la preuve, qui incombe à l’employeur, d’une quelconque déloyauté de M. [R] dans les échanges relatifs au projet de reprise ni de l’ «’accumulation de manoeuvres’» qu’elle invoque (page 17 de ses écritures) alors même que’:
– l’annulation de la réunion du 22 mars 2017 a bel et bien fait suite à l’impossibilité pour M. [S] d’y assister, à un moment où la présence de M. [O] était incertaine,
– la réunion du 22 mars 2017 avec les membres de son équipe a bien été organisée par M. [R] après le désengagement de M. [O], de même que son avis émis sur la circonstance qu’il n’était pas utile de poursuivre les négociations,
– les reproches adressés à M. [R] de n’avoir pas veillé à «’rassurer les salariés’», suffisamment réussi à leur «’expliquer le principe du transfert’», «’ravivé les inquiétudes du personnel’» (pages 14 et 15 des écritures de l’intimée) ne ressortent que de simples affirmations de l’employeur qui ne sont étayés par aucun élément,
– la société elle-même expose dans ses écritures que l’état de grossesse de Mme [J] n’avait «’effectivement aucun impact sur le projet de rachat’» (page 18 de ses écritures),
– il n’est rapporté la preuve d’aucun rendez-vous «’secret’» entre M. [R] et M. [O].
Ce grief n’est donc pas constitué.
Sur la déstabilisation de l’entreprise et l’incitation des autres membres de l’équipe
Le grief énoncé dans la lettre de licenciement concernant le fait que son comportement aurait «’déstabilisé l’entreprise puisque l’équipe du bureau de contrôle a cru pouvoir refuser, à tort, de nouvelles missions que l’entreprise était contrainte de leur confier’» n’est étayé par aucun élément ni corroboré par aucun fait précis, de sorte que ce grief n’est pas non plus établi.
===
Sur les prétentions financières «’démesurées’» de M. [R]
La circonstance que M. [R] ait évoqué une demande de rupture conventionnelle, à laquelle M. [N] n’était pas opposé, alors qu’une telle option constitue une possibilité de mettre fin à la relation de travail de manière librement consentie entre les parties, ne peut, quelles que soient les prétentions financières que M. [R] aura pu formuler dans ce cadre (ses pièces n°42, 43 et 44) être constitutive d’un manquement à ses obligations ni constituer une faute à défaut de démonstration de déloyauté de sa part.
Ce grief n’est pas constitué.
Sur le refus de la nouvelle mission
L’article 3.2 du contrat de travail de M. [R] du 8 novembre 2012 (pièce n°1 du salarié) non modifié par l’avenant du 13 novembre 2014 lui confiant la fonction de «’Responsable de service’» avec une position 2.2 et un coefficient C130 (pièce n°3), mentionne que ses attributions lui seront précisées au fur et à mesure des besoins. Tout aspect particulier pourra lui être précisé par écrit. Il pourra par ailleurs lui être demandé dans l’intérêt de la bonne marche de l’entreprise d’accomplir des tâches ne se rattachant pas directement à sa fonction. »
M. [R] ne justifie par aucune des pièces qu’il vise (n°48, 50, 51, 53, 56 et 64) que la mission définie au courrier du 28 avril 2017 à effet du 1er juin 2017 (sa pièce n°48) aurait impliqué une quelconque modification de son contrat de travail au regard de la fiche de poste « responsable de service’» (pièce n°5), se contentant d’affirmer que «’les nouvelles missions imposées sont totalement différentes puisqu’elles n’impliquent plus de management d’équipe, ni aucune responsabilité’» en référence à ses pièces (fiches de postes et listings de présentation pièces n°4, 5, 17) qui ne permettent pas de caractériser une quelconque part de management dans l’exercice de ses précédentes missions puisque qu’il n’y est fait référence qu’à son rôle de tutorat sur un seul salarié, M. [T] et ce, de manière très ponctuelle (ses pièces n°78, 79).
La circonstance que les tâches confiées selon la proposition de nouvelle mission adressée au salarié soient différentes de celles qui lui étaient confiées précédemment, alors qu’elles correspondaient à sa qualification, que le salarié conservait sa classification et sa rémunération ainsi que sa position hiérarchique, est insuffisante : la proposition n’impliquait pas une modification de son contrat de travail nécessitant son accord.
Dans ces conditions le grief est matériellement établi.
Dans les circonstances rapportées, il convient de restituer à ces faits leur juste qualification en relevant que ceux-ci sont constitutifs, non d’une faute grave ayant rendu impossible le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée du préavis, mais d’une faute disciplinaire de nature à conférer une cause réelle et sérieuse au licenciement.
M. [R], ne démontre aucun comportement déloyal de l’employeur et n’établit pas que son licenciement aurait été motivé par un motif économique, de sorte qu’il y a lieu de constater que le licenciement pour motif personnel de M. [R] est justifié.
Le jugement sera également infirmé sur ce point.
***
Sur les conséquences financières
Aux termes de l’article L.1234-1 du code du travail, lorsque le licenciement n’est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit à un préavis dont la durée est calculée en fonction de l’ancienneté de services continus dont il justifie chez le même employeur.
Selon l’article L.1234-5 du code du travail, lorsque le salarié n’exécute pas le préavis, il a droit, sauf s’il a commis une faute grave, ou si l’inexécution résulte du commun accord des parties, à une indemnité compensatrice.
Aucune faute grave n’étant retenue à l’encontre du salarié, l’employeur, qui l’a licencié à tort sans préavis, se trouve débiteur envers lui d’une indemnité compensatrice de préavis dont il est tenu de lui verser le montant intégral pour toute la période où il aurait dû l’exécuter, l’inexécution du préavis ayant pour cause la décision de l’employeur de le priver du délai-congé sous le prétexte d’une faute grave inexistante.
En l’espèce, M. [R] ne peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse mais seulement à une indemnité compensatrice de préavis et aux congés afférents.
Au regard de la moyenne des 3 et des 12 derniers mois de salaire évaluée sur la base des pièces versées aux débats (pièces n°63 du salarié) à hauteur respectivement de 3.506,32 € et de 3.858,64 € brut, l’employeur doit ainsi être condamné ‘ dans la limite des demandes formées ‘ à payer au salarié disposant d’une ancienneté de 4 ans et 11 mois les sommes de :
– 10.253,07 € brut au titre de l’indemnité de préavis correspondant à trois mois de salaire de la convention collective en sa qualité de cadre,
– 1.025,30 € brut au titre des congés payés afférents
– 5.696,15 € net au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement (toujours dans la limite de la demande formulée par le salarié).
Le jugement sera réformé en ce sens.
Au regard de ce qui précède, la demande en paiement de dommages et intérêts formée par M. [R] à raison de l’attitude de l’employeur qui aurait «’essayé de forcer la modification du contrat de travail’» sera rejetée.
Sur la demande au titre des conditions vexatoires du licenciement
Pour demander à ce titre la condamnation de la société TIBCO TELECOMS, M. [R] soutient que son licenciement est intervenu de manière brutale.
Même lorsque le licenciement est fondé sur un motif réel et sérieux, les circonstances entourant la rupture peuvent constituer une faute de la part de l’employeur, justifiant alors l’indemnisation du salarié.
M. [R] en l’espèce, alors qu’il est établi que les jours de mise à pied ont finalement été réglés par son employeur, M. [R] qui ne démontre pas que son licenciement se soit accompagné de circonstances particulières de pressions, alors qu’il a pu se présenter et être assisté d’un conseiller lors de l’entretien préalable, ne produit pas d’autre pièce relative au comportement de l’employeur à l’occasion de cet entretien.
Au total, les pièces produites devant la cour ne permettent pas de caractériser une faute particulière de la part de la société TIBCO TELECOMS dans les circonstances ayant entouré le licenciement de M. [R] ni de caractériser un préjudice spécifique du salarié indépendamment des incidences financières compensées ci-dessus.
Celui-ci sera donc débouté de cette demande.
Dès lors que le licenciement a été valablement prononcé pour motif personnel, M. [R] doit être débouté de toutes ses demandes aux titres de l’ordre des licenciements, d’une absence de consultations du Comité d’Entreprise et d’une absence de proposition du CSP.
Sur les frais irrépétibles
Les éléments de la cause et la situation économique respective des parties justifient qu’il soit fait application de l’article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant contradictoirement et en dernier ressort par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,
INFIRME partiellement le jugement entrepris ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés’;
DIT que le licenciement de M. [R] n’est pas fondé sur une faute grave mais sur une cause réelle et sérieuse ;
DÉBOUTE M. [R] de ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de préjudice moral subi du fait des conditions entourant son licenciement ;
CONDAMNE la société TIBCO TELECOMS à payer à M. [R] les sommes suivantes :
– 10.253,07 € brut au titre de l’indemnité de préavis correspondant à trois mois de salaire de la convention collective en sa qualité de cadre ;
– 1.025,30 € brut au titre des congés payés afférents’;
– 5.696,15 € net au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement’;
RAPPELLE que les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et que les autres sommes à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter de la décision qui les prononce ;
CONDAMNE la société TIBCO TELECOMS aux dépens de première instance’;
CONFIRME le jugement entrepris pour le surplus,
Et y ajoutant,
CONDAMNE la société TIBCO TELECOMS à M. [R] la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
DÉBOUTE la société TIBCO TELECOMS de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société TIBCO TELECOMS aux dépens d’appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.