7ème Ch Prud’homale
ARRÊT N°3/2023
N° RG 19/06448 – N° Portalis DBVL-V-B7D-QEC6
M. [H] TREMELOT
SAS ALYACOM
C/
M. [P] [O]
Association UNEDIC DÉLÉGATION AGS CGEA DE RENNES
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 12 JANVIER 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,
Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 07 Novembre 2022
En présence de Madame DUBUIS, médiatrice judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 12 Janvier 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTS :
Monsieur [H] TREMELOT en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS ALYACOM comme suite au jugement de placement en liquidation judiciaire du Tribunal de Commerce de RENNES en date du 31 mai 2019
[Adresse 5]
[Localité 2]
Représenté par Me Inès TARDY-JOUBERT, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me GISSELBRECHT, Plaidant, avocat au barreau de LAVAL
SAS ALYACOM
[Adresse 1]
[Localité 8]
Représentée par Me Inès TARDY-JOUBERT, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me GISSELBRECHT, Plaidant, avocat au barreau de LAVAL
INTIMÉS :
Monsieur [P] [O]
né le 31 Mai 1973 à [Localité 10]
[W]
[Localité 4]
Représenté par Me Bruno LOUVEL de la SELARL PHENIX, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Association UNEDIC DÉLÉGATION AGS CGEA DE RENNES UNEDIC Délégation AGS CGEA de RENNES, Association déclarée, représentée par sa Directrice, Madame [L] [V], domiciliée
[Adresse 7]
[Localité 3]
Représentée par Me Marie-Noëlle COLLEU de la SELARL AVOLITIS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
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EXPOSÉ DU LITIGE
La SAS Alyacom dirigée par M. [H] [E], avait pour activité la création et le développement de logiciels en vue de la télégestion des équipes professionnelles nomades (services et soins à domicile, sécurité, hygiène…).
M. [P] [O] a été engagé par la société Alyacom selon un contrat de travail à durée indéterminée en date du 25 août 2014. Il exerçait les fonctions de directeur technique, statut cadre et percevait une rémunération annuelle brute de 55 000 euros.
Les relations entre les parties étaient régies par la convention collective des bureaux d’études techniques dite Syntec.
Par mail en date du 08 avril 2016, M. [O] a exprimé sa volonté de quitter la société Alyacom le 24 juin 2016 et proposait en ce sens, une rupture conventionnelle afin de donner suite à son projet de création d’entreprise.
Par courrier recommandé en date du 11 mai 2016, M. [O] officialisait son souhait de quitter la société.
À compter du 04 juillet 2016, M. [O] était placé en arrêt de travail pour maladie.
Le 21 juillet 2016, M. [E] adressait un mail au salarié pendant son arrêt de travail, remettant en cause les choix techniques de M. [O].
Par courrier recommandé en date du 19 septembre 2016, la société Alyacom convoquait le salarié à un entretien préalable au licenciement pour faute fixé au 03 octobre suivant. Parallèlement, M. [O] s’est vu notifier une mise à pied à titre conservatoire.
Le 20 septembre 2016, à l’issue de la visite de reprise, M. [O] a été déclaré inapte au poste et à tout poste dans l’entreprise par le médecin du travail.
Le 30 septembre 2016, M. [E] adressait un courrier recommandé à M. [O] l’informant de ce que son contrat de travail allait être rompu en raison de son inaptitude.
Le 20 octobre 2016, la société Alyacom notifiait à M. [O] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Le 02 novembre 2016, par l’intermédiaire de son conseil, M. [O] a contesté son licenciement et vainement proposé un règlement amiable.
Par jugement en date du 27 juin 2018, le tribunal de commerce de Saint Brieuc a prononcé le redressement judiciaire de la SAS Alyacom, converti en liquidation judiciaire par jugement du 31 mai 2019 qui a désigné Me [H] Trémelot en qualité de liquidateur judiciaire de la société.
***
M. [O] a saisi le conseil de prud’hommes de Guingamp par requête en date du 16 mai 2017 afin de voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’obtenir la fixation au passif de la liquidation judiciaire de la société Alyacom de différentes sommes à titre de dommages-intérêts, indemnités et rappels de salaire.
Il demandait en outre la délivrance sous astreinte de bulletins de salaires conformes et le paiement d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement en date du 16 septembre 2019, le conseil de prud’hommes de Guingamp a :
– Dit et jugé que la moyenne de la rémunération mensuelle est fixée à la somme de 9 250 euros ;
– Dit et jugé le licenciement de Monsieur [O] sans cause réelle et sérieuse,
– Condamné la SAS Alyacom à payer à Monsieur [O] 10 000,00 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– Ordonné la fixation des créances de Monsieur [O] au passif du redressement judiciaire de la SAS Alyacom des sommes suivantes :
– 27 750,00 euros au titre du préavis et 2 775,00 euros au titre des congés payés afférents ;
– 21 369,79 euros d’heures supplémentaires outre 4 897,07 euros de repos compensateur obligatoire pour 2014
– 56 420,82 euros d’heures supplémentaires outre 17 017,99 euros de repos compensateur obligatoire pour 2015 ;
– 12 846,60 euros d’heures supplémentaires outre 2 099,47 euros de repos compensateur obligatoire pour 2016 ;
– 2 601,77 euros au titre de l’indemnité de licenciement ;
– Débouté Monsieur [O] de sa demande de bonus ;
– Condamné la SELARL Ajire, Maître [F], ès-qualités d’administrateur judiciaire et la SELARL TCA, Maître Trémelot à délivrer des bulletins de paye conformes dans le délai d’un mois à compter de la notification du jugement ;
– Reçu le CGEA en son intervention ;
– Déclaré le jugement opposable au CGEA en qualité de gestionnaire de l’AGS dans les limites prévues aux article L. 3253-6 et suivants du code du travail et dans les plafonds prévus ;
– Reçu les demandes des parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile mais leur a laissé la charge de leur frais ;
– Déclaré la demande d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile inopposable au CGEA ;
– Déclaré la demande de condamnation aux entiers dépens inopposable au CGEA ;
– Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire ;
– Laissé aux parties la charge de leurs propres dépens.
***
La SAS Alyacom et Me Trémelot, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société, ont interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 26 septembre 2019 (RG n°19/6448).
L’AGS-CGEA de Rennes a également interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 8 octobre 2019 (RG n°19/6696).
En l’état de leurs dernières conclusions transmises par leur conseil sur le RPVA le 30 mars 2020, la SAS Alyacom et Me Trémelot, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société, demandent à la cour de :
– Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
‘ Débouté Monsieur [O] de sa demande de bonus
‘ Débouté Monsieur [O] de sa demande au titre des frais irrépétibles;
‘ Débouté Monsieur [O] de sa demande au titre de l’indemnité pour travail dissimulé.
– Infirmer le jugement en toutes ses autres dispositions et :
– Débouter Monsieur [O] de ses demandes au titre des heures supplémentaires ;
– Débouter Monsieur [O] de sa demande de requalification du licenciement ;
– Le débouter de ses demandes indemnitaires ;
– Le débouter de sa demande au titre du rappel sur indemnité de licenciement ;
– Le débouter de sa demande au titre de sa rémunération mensuelle moyenne ;
– Condamner le même à verser à Me Trémelot ‘ Sarl TCA ‘ ès qualités de liquidateur de la société Alyacom une indemnité de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner Monsieur [O] aux entiers dépens.
Subsidiairement et avant dire droit, vu les articles R. 1454-19-1 et R. 1454-2 du code du travail :
– Ordonner telle mesure d’expertise afin d’analyser les pièces versées aux débats, y compris tous supports informatiques, décrire les travaux allégués et le temps y consacré par Monsieur [O] dans le cadre de sa réclamation d’heures supplémentaires, dire si ces dernières sont justifiées et du tout dresser un rapport sur lequel il sera statué ultérieurement.
La SAS Alyacom et Me Trémelot ès qualités font valoir en substance que:
– M. [O] a demandé dans sa requête 262.652 euros soit presque 5 ans de salaires pour un peu plus de 2 ans de présence dans l’entreprise ;
– Il a récupéré l’intégralité de ses heures supplémentaires ;
– Ses relevés d’heures signés n’indiquaient pas d’heures supplémentaires autres que celles qu’il a récupérées; le travail nocturne allégué était artificiel ;
– Il n’apporte pas la preuve d’une charge de travail excessive ; son lieu de travail n’a jamais été basé à [Localité 9] mais à [Localité 8] comme l’indique le contrat de travail; il n’a été détaché que temporairement à [Localité 9] ; il avait un comportement exécrable vis à vis de ses collègues ; il s’est désengagé de son travail car il était motivé par un projet de création d’entreprise ; il n’a jamais alerté le médecin du travail sur un harcèlement moral ;
– Le bonus n’avait aucun caractère systématique et le contrat n’en prévoyait que la possibilité ; le salarié ne remplissait pas les conditions contractuelles pour en bénéficier.
En l’état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 29 juillet 2020, M. [O] demande à la cour d’appel d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société Alyacom à lui payer la somme de 10.000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu’il l’a débouté de sa demande de bonus, congés payés afférents et implicitement de sa demande au titre du travail dissimulé.
Il demande à la cour de fixer les créances suivantes au passif de la liquidation judiciaire de la société Alyacom:
– 74 000,00 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 55 500,00 euros de dommages et intérêts pour travail dissimulé ;
– 9 166,66 euros au titre du bonus outre 916,66 euros de congés payés;
– 3 000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Il demande pour le surplus la confirmation du jugement entrepris.
Il sollicite encore de la cour:
– de déclarer l’arrêt opposable à l’AGS-CGEA dans la limite des plafonds applicables au jour de l’ouverture de la procédure collective;
– d’ordonner la remise des bulletins de paye et d’une attestation Pôle Emploi conformes dans le délai d’un mois à compter de la notification de la décision et ce sous astreinte de 50,00 euros par jour de retard ;
– de condamner la liquidation judiciaire de la SAS Alyacom à lui payer 3 000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code procédure civile, et dire qu’ils seront employés en frais privilégiés de procédure;
– de condamner la liquidation judiciaire de SAS Alyacom aux entiers dépens.
M. [O] fait valoir en substance que:
– Il a mentionné ses jours de récupération dans son décompte qui est précis ; certaines journées officiellement positionnées en récupération ont été en fait travaillées ;
– Le gérant, M. [E], a modifié les temps indiqués par M. [O] dans ses relevés d’horaires ; il a également utilisé la signature scannée du salarié ; la société n’a pas communiqué les originaux des relevés ;
– Il justifie avoir travaillé de nuit pour assurer le développement de la V2 ; les échanges de mails attestent de cette situation ainsi que d’autres salariés ;
– Les heures supplémentaires effectuées et non payées n’ont pas été récupérées, cette possibilité n’étant au demeurant pas prévue par la convention collective Syntec ;
– Le mécanisme du bonus individuel est prévu par le contrat de travail et son paiement ne peut être conditionné à la seule volonté de l’employeur ; dès lors que ce dernier n’a pas précisé les objectifs à réaliser, la rémunération doit être intégralement payée ; M. [E] a pris l’engagement de payer à ce titre deux mois de rémunération, ce qu’il a confirmé devant témoin le 15 mars 2016 ;
– Un témoin atteste de la pratique de l’employeur qui consitait à effectuer à chaque fin de mois une fausse déclaration sur le temps de travail ; le conseil de prud’hommes a constaté des incohérences dans les feuilles de temps produites par le liquidateur avec des mentions scannées ; l’employeur a modifié les temps de travail lors d’un contrôle fiscal ; le caractère intentionnel de la dissimulation du temps de travail est établi ;
– Le conseil de prud’hommes ne pouvait prononcer de condamnation au titre de l’absence de cause réelle et sérieuse alors que la société était en liquidation judiciaire ;
– Le salarié a été soumis à une charge de travail excessive en 2015, sans respect des temps de repos ; il a été victime à compter de son souhait d’une rupture conventionnelle, d’agissements répétés qui ont dégradé ses conditions de travail et sa santé: modification de l’intitulé de sa fonction ; suppression de ses accès aux systèmes d’information ; mutation sur [Localité 8] alors qu’il travaillait principalement à [Localité 9] ; divulgation de la pathologie de son épouse ; remise en cause de ses travaux et de sa personne ; l’ensemble de ces éléments fait présumer un harcèlement moral et a conduit le médecin du travail à relever un danger immédiat.
En l’état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 19 février 2020, l’AGS CGEA de Rennes demande à la cour d’appel de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [O] de ses demandes à titre de travail dissimulé et de rappel de bonus.
Elle sollicite pour le surplus linfirmation du jugement entrepris et demande que M. [O] soit débouté de l’ensemble de ses demandes.
Elle demande la condamnation de M. [O] à lui restituer l’intégralité des sommes avancées au titre de l’exécution provisoire, à savoir les sommes suivantes :
– Salaire 21/04/2016 au 04/07/2016 : 5 180,08 euros
– Licenciement : 2 601,77 euros
– Divers arriérés de salaires antérieurs aux 6 derniers mois : 44 096,59 euros
– Divers RTT ou repos compensateur 846,56 euros
– Congés payés 21/10/2016 au 20/01/2017 : 2 775,00 euros
– Préavis : 21/10/2016 au 20/01/2017 : 27 750,00 euros
Subsidiairement, l’AGS-CGEA de Rennes demande à la cour de débouter M. [O] de toute demande excessive et injustifiée.
Il est encore demandé de:
En tout état de cause :
– Fixer à la somme de 4.683 euros le salaire de référence de Monsieur [O] ;
– Dire et juger que le plafond de garantie de l’AGS est atteint ;
En toute hypothèse :
– Débouter Monsieur [P] [O] de toutes ses demandes qui seraient dirigées à l’encontre de l’AGS.
– Décerner acte à l’AGS de ce qu’elle ne consentira d’avance au mandataire judiciaire que dans la mesure où la demande entrera bien dans le cadre des dispositions des articles L.3253-6 et suivants du code du travail.
– Dire et juger que l’indemnité éventuellement allouée au titre de l’article 700 du code de procédure civile n’a pas la nature de créance salariale.
– Dire et juger que l’AGS ne pourra être amenée à faire des avances, toutes créances du salarié confondues, que dans la limite des plafonds applicables prévus aux articles L.3253-17 et suivants du code du travail.
– Dépens comme de droit.
L’AGS-CGEA de Rennes fait valoir en substance que:
– Toutes les heures supplémentaires effectuées ont fait l’objet d’un repos compensateur ; le volume d’heures invoqué par le salarié est surévalué ; les relevés produits par l’employeur sont précis ; il n’est pas démontré que la signature du salarié aurait été scannée ; le témoignage de Mme [A] n’est pas crédible ;
– Les conditions contractuelles pour l’octroi du bonus ne sont pas réunies ; la qualité du travail de M. [O] pour 2016 était insuffisante ; plusieurs témoins attestent d’un désinvestissement du salarié ; pour l’année 2016, la société a perdu plus de 400.000 euros ;
– Il n’est pas établi d’élément intentionnel permettant de retenir l’existence d’un travail dissimulé ;
– M. [O] n’apporte pas la preuve d’une surcharge de travail ; aucun harcèlement moral n’est établi ; l’employeur n’a pas manqué à son obligation de sécurité et le jugement doit donc être réformé en ce qu’il a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– L’AGS ne couvre que les sommes dues en exécution du contrat de travail ; le plafond de garantie applicable est le plafond 6 (77.232 euros) ; M. [O] doit restituer les sommes indûment versées au titre de l’exécution provisoire.
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La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 27 septembre 2022 avec fixation de la présente affaire à l’audience du 07 novembre 2022.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions qu’elles ont déposées et soutenues oralement à l’audience
.MOTIFS DE LA DÉCISION
1- Sur la jonction:
En vertu de l’article 367 du code de procédure civile, le juge peut, à la demande des parties ou d’office, ordonner la jonction de plusieurs instances pendantes devant lui s’il existe entre les litiges un lien tel qu’il soit de l’intérêt d’une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble.
En l’espèce, il existe un lien manifeste entre les appels interjetés d’une part par Maître Trémelot ès-qualités et la société Alyacom, d’autre part par l’AGS-CGEA de Rennes à l’encontre du même jugement rendu le 16 septembre 2019 par le conseil de prud’hommes de Guingamp.
Il est en conséquence justifié d’ordonner la jonction des deux instances sous le seul numéro 19/6448.
2- Sur les demandes relatives au temps de travail:
Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
En l’espèce, M. [O] produit un tableau dactylographié retraçant, depuis son embauche et par semaine civile, ses heures d’arrivée, de départ, les temps de repas et le temps effectif de travail.
Une série de trois tableaux récapitule pour les années 2014, 2015 et 2016 le nombre d’heures supplémentaires effectuées (654,08 h en 2014, 1.728,50 h en 2015 et 406,10 h en 2016) ainsi que les rappels de salaire correspondants, calculés au taux majoré de 25% pour les 8 premières heures et 50% pour les heures suivantes.
Le salarié verse également aux débats des échanges de mails qui font apparaître des envois effectués depuis sa boîte professionnelle parfois de façon tardive (à titre d’exemple: 23h23 le 25 novembre 2015 ; 23h11 le 3 décembre 2015 ; 20h53 le 5 décembre 2015 ; 0h51 le 20 octobre 2015 ; 23h23 le 25 novembre 2015 ; 0h51 le 30 novembre 2015 ; 23h11 le 3 décembre 2015 ; 1h04 le 17 décembre 2015).
Il produit encore des correspondances échangées avec son supérieur hiérarchique, M. [E], dans lesquelles il évoque un temps excessif de travail.
Ainsi, dans un courriel du 15 décembre 2015, indique-t’il: ‘Il n’est pas normal que je sois obligé d’aligner les miles de 9h à 2h du lundi au dimanche depuis plus d’1 an pour tenir à flot la technique (…)’.
Dans un autre courriel du 23 avril 2016, il écrit à M. [E]: ‘(…) Enfin, je voudrais qu’à ton tour tu comprennes que l’époque où je travaillais plus de 100 h par semaine à tenir la V1 et son équipe la journée, à réaliser des études techniques diverses le soir et à développer la V2 la nuit, le samedi et le dimanche (mes enregistrements (commit) sur le serveur de développement l’attestent, ce sont des milliers de lignes de code qui étaient poussées sur le référentiel SVN chaque nuit et les week-ends), cette époque est révolue (…)’.
M. [O] fait encore référence à cette question des heures excédant la durée légale du travail dans un autre courriel adressé à M. [E] le 15 mai 2016, dans lequel il écrit: ‘(…) Je ne retarde aucunement les délivrables volontairement. Je travaille seulement beaucoup moins que ce à quoi tu t’étais habitué i.e. entre 40 et 50 heures par semaine seulement (…)’.
Il produit enfin deux attestations émanant d’une part de Mme [D] [A] et d’autre part de Mme [Z] [B], toutes deux anciennes salariées de la société Alyacom, qui témoignent notamment au sujet de la charge de travail de leur supérieur hiérarchique qu’était M. [O].
Mme [A], dont le témoignage n’a pas lieu d’être écarté des débats au motif qu’elle a également engagé une procédure prud’homale à l’encontre de son ex-employeur, indique avoir constaté que son collègue, qui s’était vu confier à compter d’avril 2015 deux équipes de développement (V1 basée à [Localité 8] et V2 basée à [Localité 9]) devait effectuer des allers-retours incessants entre les deux sites, qu’il s’est en outre vu confier deux importants appels d’offres concernant le CHU de [Localité 3] et le CHU de [Localité 6] et elle ajoute: ‘Dans les mois qui ont suivi, M. F. [O] tentait de faire front à toute cette masse de travail. A de nombreuses reprises, j’ai constaté qu’il arrivait au travail avec une mine très fatiguée. C’est ainsi qu’en discutant avec M. F. [O], j’ai appris qu’il codait la V2 la nuit et le weekend et qu’il s’occupait du reste de ses fonctions la journée’.
Mme [B], dont le témoignage ne peut pas plus être discrédité au motif d’une prétendue relation amicale avec M. [O], indique pour sa part: ‘(…) Durant mon emploi à Alyacom, du 1er juin 2015 au 9 septembre 2016, j’ai constaté de grandes amplitudes de travail de M. [O] qui travaillait la journée et une partie de la nuit. L’équipe de développeurs dont je faisais partie recevait des emails de sa part tard dans la nuit ainsi que le weekend ou pendant ses vacances et nous constations souvent les matins, notamment les lundi matin, d’importantes avancées V2 développées par M. [O] que nous intégrions dans notre code (…)’.
Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre au liquidateur de la société Alyacom de répondre en produisant ses propres éléments justifiant des horaires effectivement réalisés par M. [O].
En premier lieu, la société Alyacom rappelle que le contrat de travail qui soumettait le salarié à un horaire hebdomadaire de 35 heures, lui imposait de remettre un relevé d’heures qui devait être validé.
Elle verse aux débats une liasse de relevés d’heures hebdomadaires couvrant la période allant du mois d’août 2014 au mois de décembre 2015, dont certains portent en marge des heures de travail indiquées, la signature du salarié et au bas du document, sa signature précédée de la mention ‘Bon pour reconnaissance et acceptation du présent décompte hebdomadaire’.
Certains relevés sont incomplets, soit qu’ils ne mentionnent qu’une signature sans visa précédé de la mention manuscrite susvisée, soit encore que la dite mention ait été reproduite sans être précédée de la signature de M. [O].
Aucun élément ne permet de considérer que la signature de M. [O], ainsi qu’il le soutient, ait été scannée à son insu par l’employeur, ce que ne révèlent nullement les copies de relevés versées aux débats par la société Alyacom.
En revanche, outre le caractère incomplet d’un certain nombre d’entre-eux, leur portée doit être relativisée à la lecture de l’attestation de Mme [A], qui écrit: ‘De manière générale, les cadres devaient remplir leurs fiches de temps de travail sous réserve de ne pas dépasser 63 heures sup annuelles, au-delà le solde des heures devait faire l’objet d’un bonus annuel (…). Par conséquent, à chaque fin de mois, de fausses déclarations sur le temps de travail me parvenaient. Ces fiches de temps de travail sont également utilisées pour le versement du crédit d’impôt recherche’.
Le fait que M. [O] ait transmis à deux de ses collaborateurs un courriel le 29 juin 2015 dans lequel il évoque la présentation d’un relevé hebdomadaire de travail et le fait que soient versés aux débats des mails par lesquels il transmettait à Mme [A] les relevés d’heures des membres de son équipe, ne sont pas de nature à remettre en cause les propos susvisés de Mme [A] sur la fiabilité à tout le moins relative des dits relevés.
En second lieu, Maître Trémelot ès-qualités soutient que M. [O] bénéficiait d’une récupération des heures supplémentaires qu’il effectuait.
Aux termes de l’article L3121-24 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, une convention ou un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche peut prévoir le remplacement de tout ou partie du paiement des heures supplémentaires, ainsi que des majorations prévues à l’article L3121-22 par un repos compensateur équivalent.
Dans les entreprises dépourvues de délégué syndical non assujetties à l’obligation annuelle de négocier prévue à l’article L2242-1, ce remplacement peut être mis en place par l’employeur à condition que le comité d’entreprise ou les délégués du personnel, s’ils existent, ne s’y opposent pas (…).
Bien que la société Alyacom justifie par la production de courriers rédigés en ce sens par le salarié, de demandes de 8 jours de récupération au cours de l’année 2016, la mention d’heures récupérées apparaît sur certains relevés d’heures dont il a été indiqué qu’ils sont pour certains incomplets en ce qui concerne notamment la signature du salarié au bas du document, tandis qu’il n’est pas justifié de ce que la possibilité de remplacer le paiement des heures supplémentaires par l’octroi de jours de repos, bien que stipulée au contrat de travail, ait été prévue soit par convention soit par une décision de l’employeur, étant ici observé que l’employeur ne répond pas à l’objection soulevée sur ce point par M. [O]
S’il est toutefois établi par la production des relevés d’heures, ainsi que de courriers adressés par M. [O] à l’employeur mais également aux membres de son équipe, que la pratique de la prise de jours de récupération était de fait appliquée dans l’entreprise, aucun élément ne permet de conclure que l’intégralité des heures supplémentaires effectuées par M. [O] aient été récupérées.
Il ne peut donc être utilement soutenu que la totalité des heures supplémentaires effectuées ait été valablement compensée par un repos compensateur de remplacement.
En troisième lieu, la société Alyacom se prévaut d’une ‘analyse des dépassements d’horaires supposés’ (sa pièce n°42) figurant dans un document qu’elle a elle-même établi, intitulé ‘[P] [O] – Analyse des productions’, pour soutenir que les travaux tardifs voire nocturnes du salarié seraient soient mineurs, soit inutiles, voire ‘truqués’, puisqu’elle fait notamment valoir que sur la journée du 5 décembre 2015 pour laquelle l’intéressé a noté une durée de travail de 9h28, il aurait produit un code truqué sur la plate forme V2.
Ce faisant, le liquidateur judiciaire procède par voie d’affirmations, d’ailleurs formellement démenties par le salarié qui explique avoir effectué durant la journée du 5 décembre 2015 des tests d’archivage assortis de commentaires.
En outre, il ne s’explique pas utilement sur les amplitudes de travail du salarié telles qu’elles ressortent des heures d’émission de plus de 5.000 courriels professionnels envoyés par l’intéressé depuis l’embauche (pièces salarié n°59 à 61).
Au résultat de l’ensemble de ces éléments et sans qu’il soit justifié d’ordonner avant dire droit une mesure d’expertise, la cour dispose des éléments qui lui permettent de fixer comme suit le quantum des rappels de salaires dus au titre des heures supplémentaires:
– 10.684,89 euros brut pour l’année 2014 correspondant à 327 heures supplémentaires
– 28.210,41 euros brut pour l’année 2015 correspondant à 864 heures supplémentaires
– 6.423,30 euros brut pour l’année 2016 correspondant à 203 heures supplémentaires.
M. [O] est en outre fondé à être indemnisé au titre du repos compensateur obligatoire dont il n’a pu bénéficier, soit:
– 2.448,44 euros net pour l’année 2014
– 8.505,12 euros net au titre de l’année 2015
– 1.049,71 euros net au titre de l’année 2016.
Le jugement entrepris sera donc infirmé du chef du quantum des sommes allouées.
3- Sur la contestation du licenciement:
L’employeur, tenu d’une obligation légale de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs en vertu des dispositions de l’article L 4121-1 du code du travail, manque à cette obligation lorsqu’un salarié est victime, sur son lieu de travail, de violences physiques ou morales exercées par l’un ou l’autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements.
Il appartient à l’employeur d’assurer l’effectivité de cette obligation de sécurité à laquelle il est tenu, en assurant la prévention des risques professionnels.
Il est constant que si l’inaptitude médicalement constatée d’un salarié trouve son origine dans un ou plusieurs manquements de l’employeur à son obligation de sécurité, le licenciement intervenu pour inaptitude et impossibilité de reclassement est sans cause réelle et sérieuse.
L’inaptitude physique ne peut en effet légitimer un licenciement lorsqu’elle résulte d’un manquement de l’employeur à son obligation générale de sécurité.
Par ailleurs, en vertu de l’article L1152-1du code du travail, ‘aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel’.
L’obligation légale de sécurité de l’employeur ne se confond pas avec la prohibition des agissements de harcèlement moral.
A cet égard, le fait pour un employeur ne pas prendre de mesures suffisantes pour éviter une situation de souffrance au travail, constitue un manquement à l’obligation de prévention des risques professionnels.
Il incombe à l’employeur de démontrer qu’il a effectivement pris les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité du salarié.
En vertu de l’article 1er de l’accord du 19 février 2013 relatif à la santé et aux risques psychosociaux, annexé à la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, l’employeur se fixe l’objectif d’identifier, au préalable, les facteurs de risques au moyen des indicateurs inscrits dans le document unique des risques professionnels qu’il établit (par exemple : absentéisme, arrêts maladie, enquêtes internes, taux des accidents du travail et maladies professionnelles, analyse des plaintes individuelles ou collectives, etc.).
Ce même accord dispose dans son article 3.1: ‘Eu égard à l’impact potentiel sur la santé et les risques psychosociaux au travail, les partenaires sociaux insistent sur le caractère impératif des dispositions relatives:
‘ au suivi de la durée du travail ;
‘ à la répartition de la durée du travail (quotidienne, hebdomadaire, mensuelle, annuelle) ainsi que les conditions de modification ou les éventuels dépassements ;
‘ aux durées maximales du travail (quotidienne, hebdomadaire, mensuelle, sur 12 semaines consécutives, annuelle) ;
‘ au travail de nuit ;
‘ au travail le dimanche et des jours fériés ; (…)’.
Il instaure dans son article 3.1.2 les modalités de suivi de la durée du travail et dispose: ‘Une attention particulière est portée sur la question de la surcharge de travail, et fera l’objet d’une communication spécifique, notamment dans le cadre de ces réunions de service’.
En l’espèce, M. [O] soutient que son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement trouve son origine à la fois dans un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et dans des agissements de nature à faire présumer un harcèlement moral, étant toutefois observé sur ce dernier point qu’il n’en tire pas de conclusion sur le terrain de l’article L1152-3 du code du travail en vertu duquel le licenciement prononcé à l’encontre d’un salarié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral est nul, le débat étant en l’espèce exclusivement axé sur la question d’une absence de cause réelle et sérieuse de licenciement.
Il est constant que le 20 septembre 2016, M. [O] a été déclaré inapte à tout poste dans l’entreprise à l’issue d’un arrêt de travail ayant débuté le 4 juillet 2016, le médecin du travail précisant que cet avis intervenait dans le cadre de la procédure dite de ‘danger immédiat’ à l’issue d’une seule visite de reprise, soit dans les conditions prévues par l’article R4624-42 du code du travail.
Le salarié verse aux débats un courrier adressé le 28 juillet 2016 par le Docteur [U] [K] à l’un de ses confrères, sollicitant pour ce patient un avis ‘devant un syndrome dépressif réactionnel à des problèmes de relation au travail avec la hiérarchie d’après des déclarations du patient’. Ce médecin ajoute: ‘Le syndrome dépressif me semble lié à une souffrance au travail’.
Outre une charge de travail excessive, telle qu’elle résulte des amplitudes horaires qui, bien qu’elles doivent être modérées par rapport aux revendications du salarié eu égard notamment à un certain nombre de relevés d’heures valablement signés de l’intéressé, n’en sont pas moins établies par des échanges de courriels régulièrement tardifs, voire nocturnes, mais également par les témoignages susvisés de Mesdames [A] et [B], qui ne sont pas utilement remis en cause par l’employeur, il résulte de ces derniers témoignages que M. [O] a été confronté à un positionnement hostile de sa hiérarchie à son égard dès lors qu’il a évoqué les difficultés liées au volume d’activité qu’il devait assumer.
A ce dernier titre, Mme [A] atteste avoir constaté que M. [E] ne prenait pas en compte l’état de fatigue du salarié au sujet elle indique avoir alerté à plusieurs reprises le dirigeant ; elle ajoute qu’étant prente dans le bureau de ce dernier pour son entretien annuel d’évaluation, elle fût témoin d’une convensation téléphonique avec M. [O], à l’issue de laquelle M. [E] s’est violemment emporté, déclarant que ‘[P] est un mauvais, qu’il met du temps à coder les V2 volontairement, que lui et une ingénieure, Mme [Z] [B], avaient une relation extra professionnelle et que l’épouse de M. [O] avait une maladie auto immune (…)’.
Bien que tenus en dehors de la présence du salarié, des propos de cette nature sont à tout le moins déplacés et sans rapport pour une grande partie d’entre-eux avec l’activité professionnelle de l’intéressé.
Mme [B] confirme une dégradation des relations avec l’employeur à partir du mois de mars 2016, dès lors que M. [O] a évoqué son souhait de quitter l’entreprise.
Elle atteste qu’au cours d’un entretien durant lequel il lui était proposé de reprendre la direction des équipes techniques, M. [E] a qualifié M. [O] ‘d’hystérique’ et de ‘castrateur’ au motif qu’il ne répondait pas à toutes les demandes d’évolutions attendues par les commerciaux.
Elle indique que le 12 avril 2016, M. [O] se voyait interdire l’accès à une réunion au cours de laquelle il devait être question de la reprise de la direction de l’équipe technique.
Elle indique encore que des instructions étaient données pour qu’à partir du 20 mai 2016, les demandes de congés et fiches de temps soient envoyées non plus à M. [O] mais à un autre membre de l’équipe.
Elle ajoute: ‘Plus généralement, pendant cette période, M. [E] n’a cessé de dénigrer à la fois le travail et la personne de M. [O] auprès des équipes’.
Ce témoin s’étonne enfin de la demande faite à M. [O], postérieurement à la réception de son arrêt de travail pour maladie, de fixer son lieu de travail à [Localité 8] alors que l’équipe de la V2 était basée à [Localité 9].
En réponse à un courriel adressé le 1er août 2016 par M. [O] qui, outre diverses considérations d’ordre professionnel et technique, se plaignait d’un harcèlement subi de la part de sa hiérarchie, M. [E] répondait le 10 août 2016 sous la forme d’un avertissement en réponse à certains des propos du salarié (‘(…) Je suis donc contraint de vous avertir sur ce point et de veiller à ce que de tels faits ne se reproduisent pas’) et s’agissant de la dénonciation de faits de harcèlement, évoquait, des ‘accusations inacceptables’, réfutant point par point les allégations du salarié.
Toutefois, il n’était pas question de la mise en oeuvre d’une quelconque mesure d’enquête interne sur les agissements évoqués ou encore d’une saisine du CHSCT, l’employeur concluant ainsi son courrier: ‘Je m’interroge sur de telles accusations qui dénotent un esprit de défiance à mon égard…si vous avez des difficultés particulières, je souhaite que nous puissions en parler lors de votre retour sur [Localité 8] afin d’envisager les mesures propres à ce que ce type de suspicions cesse’.
En réponse, le liquidateur judiciaire de la société Alyacom évoque des relations de plus en plus mauvaises entretenues par M. [O] avec les membres de son équipe et il produit à cet égard des attestations émanant de deux salariés, MM. [G] et [Y] qui évoquent pour le premier, ‘un désengagement progressif’ ou encore un ‘travail bâclé’ de M. [O], pour le second une dégradation des relations de travail à partir du mois de mars 2016, M. [O] ayant selon ce dernier témoin perdu sa ‘crédibilité managériale et technique’.
Un autre témoin, M. [C], indique avoir réalisé un audit externe de la recherche et développement durant les mois d’avril et mai 2016 et avoir constaté que M. [O] ‘ne tenait pas les objectifs de performances et de délais sur lesquels il s’était engagé’.
Ces témoignages, s’ils confirment la réalité d’une dégradation des conditions de travail, toutefois analysée sous l’angle d’un désinvestissement de M. [O] dans sa fonction de directeur technique, ne répondent pas aux griefs formés par le salarié, s’agissant d’une souffrance liée à des amplitudes de travail excessives et à un comportement inapproprié de l’employeur à son égard, les témoignages susvisés de Mmes [A] et [B] permettant d’ailleurs de constater que l’employeur a été, au moins pour partie, par des propos inappropriés tenus sur la personne et les qualités professionnelles de M. [O], à l’origine de la dégradation de l’image de ce dernier auprès de ses collègues.
En ne prévenant pas de tels agissements, étant ici observé qu’il n’est pas justifié du respect des dispositions conventionnelles relatives aux mesures de suivi de la durée du travail ainsi qu’à une communication spécifique sur la question de la surcharge de travail dans le cadre de ces réunions de service et en ne prenant pas la mesure du mal être du salarié qui allait conduire à ce que le médecin du travail le déclare inapte à l’issue d’une seule visite de reprise en constatant un danger immédiat pour la santé de l’intéressé, la société Alyacom n’a pas respecté l’obligation légale de sécurité à laquelle elle était tenue.
Dès lors qu’un lien de cause à effet relie ce manquement et l’inaptitude médicale du 20 septembre 2016, le licenciement de M. [O] doit être jugé sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement du conseil de prud’hommes de Guingamp sera confirmé de ce chef.
Il sera en revanche infirmé en ce qu’il a condamné la société Alyacom à payer à M. [O] une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, dès lors que la dite société faisant l’objet d’une procédure collective, seule la fixation d’une telle créance au passif du redressement judiciaire, depuis lors converti en liquidation judiciaire, pouvait intervenir.
S’agissant du quantum des dommages-intérêts alloués et par application des dispositions de l’article L 1235-3 dans sa rédaction applicable au présent litige, le salarié qui comptait plus de deux ans d’ancienneté dans une entreprise de plus de 11 salariés, est en droit de percevoir des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant au moins égal aux six derniers mois de salaire.
S’il ne peut qu’être constaté que ni M. [O], ni le liquidateur de la société Alyacom et l’AGS ne produisent le moindre bulletin de salaire, pas plus d’ailleurs que l’attestation destinée à Pôle emploi, il résulte des indications figurant dans les écritures du liquidateur que les demandes cumulées de M. [O], telles que présentées dans la requête introductive d’instance, étaient ‘de 262.652 euros, soit presque 5 années de salaires (57 mois) (…)’, soit 4.607,92 euros, l’AGS sollicitant pour sa part que le salaire de référence soit fixé à hauteur de 4.683 euros.
Il convient de prendre en compte l’incidence des heures supplémentaires pour fixer ainsi le salaire moyen des six derniers mois à la somme de 5.753,55 euros.
Compte-tenu des circonstances de la rupture, de l’ancienneté du salarié et de l’absence de précisions sur la situation de l’intéressé depuis la rupture, il convient de fixer la créance de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 34.522 euros.
Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.
Le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement étant dénué de cause réelle et sérieuse, M. [O] est fondé à obtenir la fixation au passif de la liquidation judiciaire d’une indemnité compensatrice de préavis équivalente à trois mois de salaire, s’agissant d’un salarié cadre relevant des dispositions de l’article 15 de la convention collective des bureaux d’études techniques, soit la somme de 17.260,65 euros, outre 1.726,06 euros au titre des congés payés y afférents.
En application des dispositions de l’article L 1235-4 du code du travail, il convient de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Alyacom le remboursement des allocations de chômage servies à M. [O], dans la proportion de trois mois.
4- Sur la demande de rappel d’indemnité de licenciement:
L’article 19 de la convention collective nationale des bureaux d’études techniques dispose, s’agissant des ingénieurs et cadres: ‘L’indemnité de licenciement se calcule en mois de rémunération sur les bases suivantes:
Après 2 ans d’ancienneté, 1/3 de mois par année de présence de l’ingénieur ou du cadre, sans pouvoir excéder un plafond de 12 mois (…)’.
M. [O] qui a été embauché le 25 août 2014 et licencié le 20 octobre 2016 a droit, en application des dispositions conventionnelles et sur la base du salaire de référence de 5.753,55 euros, à une indemnité de licenciement de 4.132,13 euros.
Il n’est pas contesté, ainsi que cela se déduit des termes des conclusions du salarié (aucune des parties ne produisant les documents de fin de contrat, excepté le certificat de travail: dernier bulletin de paie, reçu pour solde de toute compte, attestation destinée à Pôle emploi), qu’il a perçu à ce titre une somme de 3.564,89 euros.
Le solde d’indemnité de licenciement dû à M. [O] sera donc fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société Alyacom à la somme de 567,24 euros.
5- Sur la demande au titre du bonus:
Le contrat de travail stipule en son article 4 alinéa 2: ‘En sus de la rémunération fixe forfaitaire telle que prévue au présent contrat, le salarié pourra percevoir un bonus individuel (ci-après ‘le bonus’) dont le montant sera fixé en fonction des résultats de l’entreprise et des performances du salarié. Il est expressément convenu entre les parties que le montant nominal ainsi indiqué ne constitue nullement un montant garanti au salarié.
Le bonus individuel sera versé au salarié après la clôture des comptes du précédent exercice comptable’.
Il importe que les primes ou autres gratifications soient attribuées selon des critères objectifs, précis et vérifiables permettant de définir l’étendue et les limites de l’obligation de l’employeur.
Pour solliciter le versement d’une prime de bonus individuel, M. [O] se fonde sur l’attestation de Mme [B] qui indique que lors d’un entretien en date du 15 mars 2016, en présence de MM. [O] et [E], ce dernier a ‘confirmé en – sa – présence que M. [O] aurait un bonus équivalent à 2 mois de salaires’.
L’intimé ajoute avoir formulé une demande de versement du bonus par mail adressé à M. [E] le 15 avril 2016.
Il évoque encore la satisfaction manifestée à son endroit par l’employeur en janvier et mars 2016.
Les trois courriels invoqués à ce dernier titre par le salarié ne constituent pas des entretiens d’évaluation et sont uniquement relatifs à des propos du dirigeant exprimant sa satisfaction à l’occasion d’événements ponctuels (un ‘bravo’ le 29 janvier 2016 sur la gestion du projet ; un ‘bravo à tous’ le 7 mars 2016 qui ne s’adresse pas spécifiquement à M. [O] ; un ‘bravo’ adressé le 24 mars 2016 au service ‘recherche et développement’ pour une démonstration effectuée à l’occasion d’un salon professionnel).
Le témoignage de Mme [B] ne peut utilement se substituer aux dispositions contractuelles susvisées et il est en outre insuffisamment précis pour caractériser le droit acquis du salarié à un bonus.
La clause contractuelle susvisée se réfère enrevanche à deux critères précis que sont les résultats de l’entreprise et les performances du salarié, ces deux critères étant cumulatifs ainsi que cela résulte de la rédaction adoptée.
Or, il est établi par la production du compte de résultat dressé par la société Trégor Audit Conseil, que la société Alyacom enregistrait à la clôture de l’exercice comptable 2016 une perte de 427.993,56 euros.
Il n’est au demeurant ni allégué ni a fortiori établi qu’un quelconque versement de bonus soit intervenu au titre des précédentes années.
En considération de ces éléments, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté M. [O] de sa demande en paiement d’un bonus.
6- Sur la demande d’indemnité pour travail dissimulé:
En vertu des dispositions de l’article L 8221-5 du Code du travail, le fait se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la déclaration préalable à l’embauche ou de mentionner sur le bulletin de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, est réputé travail dissimulé.
En application de l’article L 8223-1 du même code, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en commettant les faits visés à l’article L 8221-5, a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
En l’espèce, s’il est constant que M. [O] a effectué de nombreuses heures supplémentaires qui n’ont pas toutes été récupérées ni payées, il n’est pas établi que la société Alyacom ait eu l’intention de dissimuler une partie du temps de travail de l’intéressé qui, outre le fait qu’il a manifestement bénéficié de la récupération d’une partie des heures supplémentaires effectuées, disposait, en sa qualité de cadre, d’une relative autonomie dans l’organisation de son temps de travail, tandis que nonobstant les informations contenues dans l’attestation de Mme [A] qui conduisent à remettre en cause la fiabilité des relevés d’heures, aucun élément objectif n’établit que l’employeur ait sciemment falsifié les dits relevés dans le but de dissimuler une partie des heures supplémentaires et d’en compenser le paiement sous la forme d’un bonus annuel.
Dans ces conditions et faute d’élément intentionnel établi, M. [O] doit être débouté de sa demande en paiement d’une indemnité pour travail dissimulé, le jugement entrepris devant être confirmé de ce chef.
7- Sur la demande de remise de documents sous astreinte:
En application de l’article R 1234-9 du Code du travail, l’employeur délivre au salarié, au moment de l’expiration ou de la rupture du contrat de travail, les attestations et justifications qui lui permettent d’exercer ses droits aux prestations mentionnées à l’article L 5421-2 et transmet ces mêmes attestations à l’institution mentionnée à l’article L 5312-1.
L’article L 3243-2 du même code impose la remise au salarié d’un bulletin de paie, dont le défaut de remise engage la responsabilité civile de l’employeur.
Il est justifié en l’espèce d’ordonner à Me Trémelot ès-qualités de remettre à M. [O] dans le délai d’un mois suivant la notification du présent arrêt, un bulletin de salaire et une attestation pôle emploi conformes au présent arrêt.
Il n’est en revanche pas justifié d’assortir cette condamnation d’une astreinte provisoire.
Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.
8- Sur la garantie de l’AGS:
Le présent arrêt sera opposable à l’AGS-CGEA de Rennes dans la limite de sa garantie légale telle que fixée par les articles L 3253-6 et suivants du Code du travail et des plafonds prévus à l’article D 3253-5 du même code.
9- Sur les dépens et frais irrépétibles:
Maître Trémelot ès-qualité de liquidateur judiciaire de la société Alyacom, partie perdante, sera condamné aux dépens de première instance et d’appel.
Il sera donc nécessairement débouté de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
Il n’est pas inéquitable, eu égard aux circonstances de l’espèce, de laisser M. [O] supporter la charge de ses frais irrépétibles, ce dernier devant dès lors être débouté de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Ordonne la jonction des instances enregistrées au greffe de la cour sous les numéros 19/6448 et 19/6696 sous le RG 19/6448 ;
Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a dit le licenciement de M. [O] sans cause réelle et sérieuse, en ce qu’il a débouté M. [O] de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé et en ce qu’il l’a débouté de sa demande en paiement d’un bonus ;
Infirme pour le surplus le jugement entrepris ;
Fixe comme suit la créance de M. [O] au passif de la liquidation judiciaire de la société Alyacom:
– 10.684,89 euros brut à titre de rappel sur heures supplémentaires pour l’année 2014
– 28.210,41 euros brut à titre de rappel sur heures supplémentaires pour l’année 2015
– 6.423,30 euros brut à titre de rappel sur heures supplémentaires pour l’année 2016
– 2.448,44 euros à titre d’indemnisation du repos compensateur obligatoire pour l’année 2014
– 8.505,12 euros à titre d’indemnisation du repos compensateur obligatoire pour l’année 2015
– 1.049,71 euros à titre d’indemnisation du repos compensateur obligatoire pour l’année 2016
– 34.522 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
– 17.260,65 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis
– 1.726,06 euros brut à titre de congés payés sur indemnité compensatrice de préavis
– 567,24 euros à titre de solde d’indemnité conventionnelle de licenciement ;
Ordonne à Maître Trémelot ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Alyacom de remettre à M. [O] dans le délai d’un mois suivant la notification du présent arrêt, un bulletin de salaire et une attestation pôle emploi conformes au présent arrêt ;
Dit n’y avoir lieu au prononcé d’une astreinte provisoire ;
Fixe la créance de Pôle emploi au passif de la société Alyacom en application des dispositions de l’article L1235-4 du code du travail, à hauteur de trois mois d’allocations de chômage servies à M. [O] ;
Déclare le présent arrêt opposable à l’AGS-CGEA de Rennes dans la limite de sa garantie légale telle que fixée par les articles L 3253-6 et suivants du Code du travail et des plafonds prévus à l’article D 3253-5 du même code ;
Déboute M. [O] et Maître Trémelot ès-qualités de leurs demandes respectives fondées sur l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Maître Trémelot ès-qualités aux dépens de première instance et d’appel.
Le Greffier Le Président