Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 11
ARRET DU 11 OCTOBRE 2022
(n° , 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/07674 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCU3N
Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Octobre 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 19/04395
APPELANT
Monsieur [R] [U]
[Adresse 3]
[Localité 4] – United Arab Emirates
Représenté par Me Justine CHARBONNEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : D759
INTIMEE
S.A.S. ERMEO
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Eléonore ZAHLEN, avocat au barreau de PARIS, toque : R268
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 30 Juin 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,
Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre,
Madame Laurence DELARBRE, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI
ARRET :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Anne HARTMANN Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière présente lors du prononcé.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES
M. [R] [U], né en 1971, a accepté le 22 mars 2018 une promesse d’embauche émise le même jour par la SAS Ermeo en qualité de Key account manager et pour une rémunération annuelle de 70 000 euros.
La date d’entrée en fonction était prévue au 9 avril 2018, mais la société Ermeo soutient avoir rompu d’un commun la promesse d’embauche avant cette date.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale Syntec.
A la date de la rupture, la SAS Ermeo occupait à titre habituel plus de dix salariés.
Le 24 avril 2019, M.[R] [U] a adressé un courrier à la société contestant la rupture de la promesse.
Sollicitant la reconnaissance de la formation d’un contrat de travail et le versement des salaires pour la période travaillée, outre diverses indemnités consécutives à la rupture du contrat, M. [R] [U] a saisi, le 22 mai 2019, le conseil de prud’hommes de Paris qui, par jugement du 5 octobre 2020, auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit :
Déboute M. [R] [U] de l’ensemble de ses demandes
Déboute la SAS Ermeo de ses demandes
Condamne M. [R] [U] aux entiers dépens
Par déclaration du 12 novembre 2020, M. [R] [U] a interjeté appel de cette décision, notifiée par lettre du greffe envoyée aux parties le 16 octobre 2020.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 31 mai 2021, l’appelant demande à la cour de :
Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [U] de l’intégralité de ses demandes
Ce faisant :
Condamner la Société Ermeo au paiement des sommes suivantes :
-Rappel de salaires au titre des heures de travail accomplies et non payées : 346,14 €
-Indemnité compensatrice de congés payés sur rappel de salaire : 34,61 €
-Dommages et intérêt pour travail dissimulé : 35.000 €
Juger que l’action de M. [U] en contestation de la rupture de son contrat de travail est recevable et non prescrite ;
Juger que la rupture verbale du contrat de travail doit s’analyser en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
En conséquence :
Condamner la Société Ermeo au paiement des sommes suivantes :
-Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 5.933,33 €
-Indemnité compensatrice de préavis : 17.500 €
-Indemnité compensatrice de congés payés sur préavis : 1.750 €
Ordonner la remise des documents de fin de contrat, sous astreinte de 100 € par jour à compter du 8ème jour après notification de la décision par RPVA
Juger que la Société Erme oa manqué à son obligation de sécurité et de bonne foi dans l’exécution du contrat de travail de M. [U].
En conséquence,
Condamner la Société Ermeo au paiement d’une indemnité de 17.500 € à titre de dommages-intérêts
Condamner la Société Ermeo au paiement d’une indemnité de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du CPC
Dire que ces sommes produiront intérêts à compter de la saisine du Conseil de prud’hommes;
Débouter la Société Ermeo de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
Condamner la Société Ermeoaux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 10 mai 2021, l’intimé demande à la cour de :
A titre principal :
CONFIRMER le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de Paris le 5 octobre 2020 en toutes ses dispositions ;
En conséquence,
CONSTATER que l’action de M. [R] [U] à l’encontre de la société Ermeo est prescrite :
En conséquence,
DECLARER M. [R] [U] irrecevable en ses demandes ;
A titre subsidiaire :
DEBOUTER M. [R] [U] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires ;
En tout état de cause :
ECARTER la demande selon laquelle les sommes produiront intérêts à compter de la saisine du Conseil de prud’hommes par M. [U].
CONDAMNER M. [R] [U] à payer à la société Ermeo la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens »
L’ordonnance de clôture a été rendue le 11 mai 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 30 juin 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR :
Sur la promesse d’embauche et ses conséquences
Il est acquis aux débats que le 22 mars 2018 la société Ermeo a adressé à M. [U] une promesse d’embauche avec une demande de réponse pour le 23 mars 2018, pour un poste de « Key account manager », classification cadre, moyennant une rémunération annuelle de 70.000 euros majorée d’une rémunération variable, pour une entrée en fonction du 9 avril 2018, que M. [U] a accepté par courriel le même jour. (pièce 1 société).
Aux termes de l’article 1224 du code civil : « La promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire. La révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis. Le contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l’existence est nul. »
Il est constant que par l’acceptation par M. [U] de la promesse d’embauche aux conditions précises rappelées ci-avant, le contrat de travail promis s’est formé.
Sur les prétentions salariales
Pour infirmation du jugement déféré qui l’a débouté sur ce point, M. [U] soutient que le contrat a commencé à recevoir exécution avant même la date prévue du 9 avril 2018, puisque dès le 26 mars 2018 il lui a été demandé de participer à un salon professionnel « Smart Industries » se déroulant le 27 mars 2018 à [Localité 5], selon l’invitation produite (pièce 11, appelant) qu’il n’a pas pu décliner ajoutant avoir de surcroît préparé un support méthodologique à l’attention de sa future équipe commerciale, qu’il a communiqué dès le 28 mars à son employeur. Il met ainsi en compte un total de 9 heures de travail dont il demande à être payé à raison de 346,14 euros majorés de 34,61 euros de congés payés.
Pour confirmation de la décision, la société Ermeo réplique que M. [U] ne justifie pas de l’existence d’un lien de subordination antérieur à la date du 9 avril 2018.
Il résulte des articles L. 1221-1 et suivants du code du travail que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d’autrui moyennant rémunération.
Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres directifs, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
L’existence d’un contrat de travail dépend, non pas de la volonté manifestée par les parties ou de la dénomination de la convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité du travailleur.
En outre en l’absence de contrat apparent, il appartient à celui qui se prévaut de l’existence d’un contrat de travail d’en rapporter la preuve.
Il incombe dès lors à M. [U] de prouver qu’il était lié par un contrat de travail avec la société Ermeo dès avant le 9 avril 2018, étant rappelé que cette action ne relève pas de la prescription d’un an invoquée.
S’il justifie avoir participé à un salon professionnel « Smart Industries » à [Localité 5] dès le 27 mars 2018 à l’invitation de M. [G] [B] directeur général, la cour relève que le courriel d’invitation transmis par ce dernier le 26 mars 2018 à M. [U] n’était pas comminatoire puisque celui se borne à indiquer « Je te propose que l’on s’y retrouve mardi matin à partir de 9 heures. J’ai une invitation pour toi. En attendant de se croiser demain… », peu importe que M. [U] qui a manifesté un intérêt certain pour ce salon en confirmant sa présence, affirme s’être senti obligé d’y participer. Par ailleurs si M. [U] justifie avoir transmis toujours à M. [G] [B] par courriel, dès le 28 mars 2018, un document portant la mention « formation commerciale » rien ne permet d’établir qu’il a répondu à une commande et la cour retient, en l’état, qu’il s’agit d’un envoi spontané sans instruction préalable de l’employeur.
Il résulte par conséquent de l’ensemble de ce qui précède que la preuve d’un lien de subordination, et partant l’existence d’un travail salarié pour les 27 et 28 mars 2018 n’est pas rapportée par M. [U] , lequel ne pouvant prétendre aux rappels de salaire formulés, a été à juste titre débouté de ses prétentions de ce chef y compris de celles relatives à l’indemnité pour travail dissimulé, par les premiers juges qui seront confirmés.
Sur la rupture de la relation contractuelle
La société Ermeo, par la voix de son directeur général et selon ses propres écritures expose « avoir été contrainte » dès le 29 mars 2018 de solliciter la rupture de la promesse d’embauche. Elle soutient que celle-ci est intervenue d’un commun accord avec M. [U], lequel n’a donc jamais pris ses fonctions en son sein faisant observer de surcroît qu’il n’a contesté cette rupture qu’en date du 24 avril 2019. Elle estime que les réclamations relatives à la rupture du contrat de travail par M. [U] sont tardives et non fondées.
Pour infirmation du jugement déféré, M. [U] conteste avoir donné son accord pour la rupture de la promesse d’embauche, soulignant que la rupture d’un commun accord d’un contrat de travail à durée indéterminée ne peut procéder que d’une rupture conventionnelle et que la rupture de la promesse d’embauche lui a été imposée qui plus est oralement puisque celle-ci n’a pas fait l’objet d’un écrit.
Sur la prescription de l’action
Pour infirmation du jugement déféré qui a retenu la prescription de son action en contestation de la rupture, M. [U] fait valoir qu’aucune notification écrite de la rupture n’est intervenue, de sorte que son action ne saurait être prescrite.
Pour confirmation de la décision la société expose que l’action initiée par M. [U] le 22 mai 2019 devant le conseil de prud’hommes pour une rupture intervenue le 29 mars 2018 est nécessairement prescrite.
Aux termes de l’article L.1471-1 du code du travail dans sa version issue de l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, applicable au litige, toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.
Il est de droit qu’en l’absence de notification de la rupture du contrat de travail, le délai de l’action en contestation du licenciement ne court pas.
En l’espèce, la cour retient que l’employeur, alors que le contrat de travail était valablement formé n’a pas diligenté de procédure de licenciement et ne justifie pas d’une rupture conventionnelle.
Il s’en déduit qu’aucune rupture n’a été notifiée et que par infirmation du jugement déféré, l’action diligentée par M. [U] n’est pas prescrite, aucun délai n’ayant pu courir.
Sur le fond
La rupture d’un contrat de travail à l’initiative de l’employeur sans qu’aucune procédure de licenciement n’ait été diligentée et sans lettre de licenciement, par nature non motivée est nécessairement sans cause réelle et sérieuse et ouvre droit aux indemnités de rupture.
Sur l’indemnité compensatrice de préavis
Le contrat de travail ayant été valablement formé, M. [U] réclame par application de l’article 15 de la convention collective Syntec s’agissant des cadres, un préavis de trois mois, lequel est dû quelle que soit l’ancienneté du salarié. Il importe dès lors peu qu’il n’ait pu accomplir aucune prestation pour la société Ermeo et il sera fait droit à la demande, non autrement contestée, par infirmation du jugement déféré, à raison d’ un montant de 17.500 euros majorés de 1.750 euros de congés payés afférents.
Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
M. [U] réclame une somme de 5.833,33 euros d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La société Ermeo conclut au débouté de la demande de l’appelant soulignant que celui-ci ne justifie pas de l’étendue de son préjudice et demande à la cour au cas où elle retiendrait le caractère injustifié de la rupture, de limiter l’indemnité accordée à de plus justes proportions.
En application de l’article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction issue de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est fixé en fonction de l’ancienneté selon un barème légal, soit en l’espèce pour une ancienneté de moins d’une année, d’un mois de salaire maximum.
Au constat que M. [U] justifie n’avoir pu bénéficier de l’allocation de retour à l’emploi faute de remplir les conditions de durée d’emploi dans les 28 mois ayant précédé le contrat rompu et n’avoir retrouvé un emploi qu’en 2019 à [Localité 4], il convient de lui allouer par infirmation du jugement déféré la somme de 2.500 euros d’indemnité en réparation de son licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur l’indemnité pour exécution déloyale du contrat de travail
Pour infirmation du jugement déféré, M. [U] réclame une indemnité de 17.500 euros en réparation du préjudice causé par la rupture brutale du contrat de travail, de façon orale, après un ultime entretien avec les investisseurs de la société qui l’ont interrogé outre sur ses compétences sur son mode de vie et sa religion au prétexte de ses origines orientales, lui occasionnant un état dépressif.
La société Ermeo s’oppose à cette demande en faisant valoir que l’appelant ne justifie pas de son préjudice.
Au constat que M. [U] ne justifie pas d’un préjudice distinct de celui déjà réparé par l’indemnité accordée pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour par confirmation du jugement déféré, le déboute de sa demande de ce chef.
Sur les autres dispositions
Il est ordonné à la société Ermeo la remise à l’appelant d’un bulletin de paye récapitulatif des sommes salariales accordées, d’un certificat de travail et d’une attestation Pôle Emploi conformes au présent arrêt, dans les deux mois de sa signification, sans que le prononcé d’une astreinte ne s’impose.
La cour rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le conseil de prud’hommes tandis que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.
Partie perdante, la société Ermeo est condamnée aux dépens d’instance et d’appel, le jugement déféré étant infirmé sur ce point et à verser à l’appelant une somme de 2.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
CONFIRME le jugement déféré en ce qu’il a rejeté les demandes de rappel de salaire, d’indemnité pour travail dissimulé et d’indemnité pour exécution déloyale du contrat de travail.
L’INFIRME quant au surplus.
Et statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
REJETTE l’exception de prescription de l’action en contestation de la rupture du contrat de travail.
JUGE que la rupture du contrat de travail de M. [R] [U] est dépourvue de cause réelle et sérieuse.
CONDAMNE la SAS Ermeo à verser à M. [R] [U] les sommes suivantes :
-2.500 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
-17.500 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis majorée de 1.750 euros de congés payés.
-2.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.
ORDONNE la remise par la SAS Ermeo à M. [R] [U] d’un bulletin de paye récapitulatif des sommes salariales accordées, d’un certificat de travail et d’une attestation Pôle Emploi conformes au présent arrêt, dans les deux mois de sa signification.
RAPPELLE que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le conseil de prud’hommes tandis que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant,
DEBOUTE les parties de toutes conclusions plus amples ou contraires.
CONDAMNE la SAS Ermeo aux dépens d’instance et d’appel.
La greffière, La présidente.