11 mai 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/06045
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 10
ARRET DU 11 MAI 2023
(n° , 1 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/06045 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CD7TA
Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Mai 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F19/07402
APPELANT
Monsieur [J] [H]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Marie-christine LE, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
S.A.S. SATT LUTECH
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Karine MIGNON-LOUVET, avocat au barreau de PARIS, toque : L120
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Carine SONNOIS, Présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Monsieur Nicolas TRUC, Président de la chambre
Madame Mme Carine SONNOIS, Présidente de la chambre
Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre
Greffier : lors des débats : Mme Sonia BERKANE
ARRET :
– contradictoire
– mis à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Mme Carine SONNOIS, Présidente et par Sonia BERKANE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE :
M. [J] [H] a été embauché par la SATT Lutech par contrat à durée indéterminée à compter du 2 mars 2015 en qualité de Chef de projet, statut cadre, niveau 2.2, coefficient 130.
La SATT Lutech est une société d’accélération du transfert de technologies qui accompagne des projets innovants issus des laboratoires académiques vers le marché.
Les relations contractuelles étaient soumises à la convention collective Syntec.
Le 20 avril 2018, M. [J] [H] a été élu en qualité de membre titulaire du Comité social et économique pour un mandat de 4 ans.
M. [J] [H] a été placé en arrêt maladie à plusieurs reprises à compter de mai 2018, et a été hospitalisé au mois de juin 2018. Entre le 16 juillet 2018 et le 30 septembre 2018, il a été en temps partiel thérapeutique et à compter du 30 septembre 2018, il a repris son activité à temps plein.
Il a de nouveau été placé en arrêt maladie du 7 janvier 2019 au 22 janvier 2019, puis du 28 janvier 2019 au 12 novembre 2019.
Le 6 août 2019, M. [J] [H] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur.
Puis, M. [J] [H] a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 31 décembre 2019.
Estimant que la prise d’acte de son contrat de travail devait produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse voire nul, M. [J] [H] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 3 mars 2020.
Par jugement rendu en formation paritaire du 28 mai 2021, notifié le 5 juin 2021, le conseil de prud’hommes de Paris a :
– ordonné la jonction entre les deux instances enregistrées sous les numéro de RG n° 19/07402 et RG 20/01878
– débouté M. [J] [H] de l’ensemble de ses demandes,
– dit que sa prise d’acte de la rupture du contrat de travail doit s’analyser en une démission,
En conséquence,
– condamné M. [J] [H] à verser à la S.A.S SATT Lutech la somme de 15 478 euros au titre du préavis non exécuté,
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
– condamné M. [J] [H] aux dépens.
M. [J] [H] a interjeté appel de ce jugement par déclaration d’appel déposée par voie électronique le 2 juillet 2021.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 13 décembre 2022, M. [J] [H] demande à la cour de :
-le recevoir en ses écritures; les disant bien fondées,
-infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Paris en date du 28 mai 2021 en toutes ses dispositions et en particulier en ce qu’il :
– l’a débouté de l’ensemble de ses demandes,
– a dit que la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail doit s’analyser en une démission,
– en conséquence, a condamné M. [J] [H] à verser à la SATT Lutech la somme de 15 428,76 euros au titre du préavis non exécuté,
– a condamné M. [J] [H] aux dépens,
-dire et juger que la prise d’acte du contrat de travail en date du 31 décembre 2019 aux torts exclusifs de l’employeur est justifiée et produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse voire nul ;
En conséquence,
– fixer le salaire mensuel moyen de référence de M. [J] [H] à 5 142,92 euros bruts ;
– condamner la société au paiement des sommes suivantes :
*indemnité compensatrice de préavis (3 mois) : 15 428 euros bruts ;
*congés payés afférents : 1 542,80 euros bruts ;
*indemnité conventionnelle de licenciement à parfaire : 8 143 euros ;
* dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse voire nul : 60 000 euros nets ;
*dommages-intérêts pour violation du statut protecteur (janvier 2020 à octobre 2022) : 169 716,36 euros bruts ;
*rappel de salaire : 476,66 euros bruts et congés payés afférents de 47,66 euros bruts ;
*dommages intérêts pour harcèlement moral et manquement à l’obligation de sécurité : 50 000 euros nets ;
*dommages-intérêts liés au préjudice relatif à la prévoyance : 20 000 euros nets ;
– condamner la SATT Lutech à la remise des bulletins de salaire et des documents de fin de contrat conformes au jugement à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision ;
– condamner la SATT Lutech au paiement de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– dire et juger que l’ensemble de ces sommes porteront intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts en application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil ;
– condamner la SATT Lutech aux entiers dépens ;
– ordonner l’exécution provisoire ;
– débouter la SATT Lutech de ses demandes reconventionnelles portant sur la condamnation de M. [J] [H] au paiement de :
*la somme de 15 428,76 euros au titre du préavis de 3 mois non exécuté,
*la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 22 décembre 2022, la société SATT Lutech demande à la cour de :
– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Paris du 28 mai 2021,
– dire et au besoin juger que la demande relative à la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [J] [H] est devenue sans objet du fait de sa prise d’acte antérieure,
– dire et au besoin juger que la prise d’acte de rupture du contrat de travail à l’initiative de M. [J] [H] en date du 31 décembre 2019 produit les effets d’une démission,
Par conséquent et en tout état de cause :
– débouter M. [J] [H] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
et reconventionnellement :
– condamner M. [J] [H] à verser à la société SATT Lutech la somme de 15 428, 76 euros bruts, à titre d’indemnité correspondant au préavis non exécuté,
– condamner M. [J] [H] à verser à la société SATT Lutech la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [J] [H] aux entiers dépens.
Conclusions auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.
L’instruction a été clôturée par ordonnance du 18 janvier 2023.
L’affaire a été fixée à l’audience du 13 février 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
1/ Sur le rappel de salaire
M. [J] [H] sollicite un rappel de salaire, en application de l’article 41 de la convention collective Syntec qui prévoit un maintien du salaire pendant une durée de trois mois « pour toute période de 12 mois consécutifs au cours de laquelle le salarié aurait eu une ou plusieurs absences pour maladie ou accident ». Or, après avoir repris son poste le 13 novembre 2019, il a de nouveau été placé en arrêt maladie du 30 au 31 décembre 2019 mais n’a pas bénéficié d’un maintien de salaire, alors même qu’il n’avait pas épuisé ses droits.
La société SATT Lutech répond que cette demande n’est en rien justifiée et est en tout état de cause indue.
La cour constate que le salarié avait, avant son arrêt des 30 et 31 décembre 2019, été placé en arrêt de travail du 7 au 22 janvier 2019, puis du 28 janvier au 12 novembre 2019. S’il affirme dans un mail du 17 février 2020 adressé à la Responsable RH (pièce 30) n’avoir utilisé ses droits à maintien de salaire que du 7 au 22 janvier et du 28 janvier au 9 février 2019, soit pendant un mois seulement, aucune pièce ne le démontre, étant observé que les bulletins de salaire à compter de février 2019 ne sont pas produits.
Faute d’élément probant, M. [H] sera débouté de sa demande au titre du rappel de salaire.
2/Sur le harcèlement moral et le manquement à l’obligation de sécurité
Aux termes des articles L.4121-1 et suivants du code du travail, l’employeur est tenu à l’égard de chaque salarié d’une obligation de sécurité qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer sa sécurité et protéger sa santé. Il doit en assurer l’effectivité.
Selon l’article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L’article L.1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral et il incombe alors à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
M. [H] fait valoir qu’il a subi une mise à l’écart de la part de sa hiérarchie puisque le nombre de projets qui lui ont été confiés a drastiquement diminué entre 2016 et 2018. Par ailleurs, il s’est vu refuser toute évolution dans sa carrière et son emploi au sein de l’entreprise. En effet, aucune suite n’a été donnée par sa hiérarchie à sa candidature à un poste d’ingénieur d’affaires auquel il avait postulé dès août 2018, il n’a bénéficié d’aucune formation depuis son embauche et ses demandes de formation ont toutes été refusées.
Il a également fait l’objet d’une surveillance accrue de la part de sa hiérarchie, puisqu’à compter d’octobre 2018, il était le seul à recevoir des messages de contrôle de son activité et à devoir demander une autorisation préalable pour ses rendez-vous extérieurs.
Enfin, il affirme qu’il a subi un dénigrement et des agissements humiliants de la part de sa hiérarchie qui a remis en question ses compétences professionnelles et nui à sa réputation.
Il produit à l’appui de ses affirmations les attestations de deux collègues de travail, Mme [F] et de Mme [U].
La première, juriste dans la société depuis avril 2013, déléguée suppléante du collège cadre au CSE et démissionnaire en février 2019, décrit (pièce 15 appelant) des tentatives réitérées de déstabilisation visant M. [J] [H] soit à l’occasion des réunions du CSE, en lui attribuant l’ensemble des propos tenus par les représentants du personnel puis en lui demandant des explications à titre personnel, soit dans le cadre de son travail, son supérieur le dénigrant et remettant en cause la réalité de ses problèmes de santé, en écartant sa candidature à un poste de chargé d’affaires, pourtant vacant, sans explication et en lui confiant en décembre 2018 une mission sans intérêt. Selon elle, ces faits s’inscrivaient dans un contexte d’instabilité chronique des effectifs de la société depuis 2016, s’expliquant par une absence de vision claire de la Direction sur les missions de la société, un micro-management, une absence de stratégie sur le long-terme et une dévalorisation du personnel.
La seconde, chef de projet à compter de juin 2016, qui a pris acte de la rupture de son contrat de travail en août 2019, atteste (pièce 40 appelant) avoir alerté sa hiérarchie sur la dégradation de l’état de santé de M. [H], laquelle contestait tout lien avec ses conditions de travail. Lorsque ce dernier a alerté la Direction sur la situation qu’elle subissait, il a été accusé de manipulation. Plus généralement, la Direction avait une attitude de défiance et de dénigrement vis-à-vis de M. [H], en lui demandant de justifier de ses absences, en remettant en cause ses compétences, en attribuant les projets de façon inégale et incohérente, voire en refusant de lui attribuer un projet. Selon elle, M. [H] a subi un acharnement constant du manager et de la Direction à partir du moment où il a été élu au CSE.
Ces faits ont eu pour conséquence un premier arrêt de travail à compter de mai 2018 puis un second arrêt de travail de janvier à novembre 2019, le médecin décrivant une anxiété majeure invalidante et des symptômes dépressifs caractérisés.
À son retour, ces manquements se sont répétés puisqu’il a continué à faire l’objet d’une mise à l’écart et d’un isolement, que sa hiérarchie l’a placé dans une situation d’échec faute d’informations suffisantes lors de la passation des dossiers et qu’il a fait l’objet d’accusations mensongères et diffamatoires.
Par ailleurs, M. [J] [H] affirme qu’il a alerté la société sur les man’uvres et agissements déloyaux dont il était victime mais que celle-ci n’a pris aucune mesure pour préserver sa santé qui a été gravement affectée puisqu’il a été hospitalisé en juin 2018, puis a fait l’objet d’un arrêt de travail pour maladie entre janvier 2019 et novembre 2019. Il produit aux débats un mail daté du 13 février 2019 adressé à M. [L] dans lequel il évoque la détérioration de ses conditions de travail et un profond sentiment d’injustice et l’enjoint de prendre « les mesures adéquates pour faire cesser cette situation», ainsi qu’un échange de mails entre le 16 avril 2019 et le 3 mai 2019 avec M. [L] faisant suite à un échange téléphonique du 9 avril 2019.
La cour retient au vu de ces éléments, qui relatent tous de manière concordante un syndrome dépressif avéré ainsi que l’imputation par le salarié de celui-ci à ses conditions de travail, que M. [J] [H] présente des éléments laissant présumer l’existence d’un harcèlement, mais également d’un manquement à l’obligation de sécurité, et qu’il appartient dès lors à l’employeur de prouver que les agissements précis qui lui sont reprochés n’étaient pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
La SATT Lutech répond en premier lieu que les missions ont été réparties entre les collaborateurs, chacun d’eux étant sollicité en fonction de l’importance du projet à mettre en ‘uvre et du temps de travail nécessaire pour s’en charger. S’agissant de la formation sollicitée par le salarié, celle-ci était relative au capital investissement, sans lien direct avec ses fonctions, mais correspondait en fait à l’emploi qu’il a retrouvé aussitôt après avoir quitté la société. Suite à la candidature de M. [H] au poste d’ingénieur d’affaires, celui-ci a été reçu le 18 octobre 2018 par la direction dans le cadre de la campagne de recrutement et il lui a été indiqué que d’autres candidats présentaient des compétences et un profil plus intéressant que le sien, étant précisé que la société cherchait principalement à procéder à un recrutement externe. Le fait que la société lui ait demandé en octobre 2018 de rapporter sur l’état de ses projets relève de l’exercice de son pouvoir de direction. Il n’a été victime d’aucun dénigrement et c’est bien au contraire le représentant de la société, M. [L], qui a dû se présenter au commissariat pour s’expliquer sur la plainte déposée par M. [H] à son encontre pour dénonciation calomnieuse, étant précisé que M. [L] n’est arrivé dans la société qu’en juillet 2018.
La société SATT Lutech objecte enfin qu’aucun manquement à l’obligation de sécurité ne saurait lui être reproché. D’ailleurs, la Caisse primaire d’assurance-maladie a refusé de prendre en charge sa maladie au titre de la législation relative aux risques professionnels.
Seuls les entretiens annuels d’évaluation concernant que les années 2016 et 2017, qui inventorient les déclarations d’inventions attribuées, sont produits par le salarié (pièce 4). Celui-ci ayant été placé en arrêt maladie à plusieurs reprises au cours de l’année 2018 et n’ayant travaillé qu’à mi-temps du 16 juillet 2018 au 30 septembre 2018, la comparaison chiffrée avec l’année précédente manque de pertinence (24 déclarations d’invention attribuées en 2017 et 12 déclarations d’invention attribuées en 2018).
Pour autant, Mme [U], chef de projets comme M. [H], atteste qu’à l’occasion d’une réunion d’équipe destinée à répartir l’ensemble des projets aux deux chefs de projets en poste, à savoir elle et M. [H], le manager a refusé de leur affecter les projets issus de l’Institut de la vision, pour des motifs non pertinents. Au retour de M. [H], ce même manager a menti sur un projet de l’Institut de la vision pour ne pas lui attribuer et le réserver à un nouveau chef de projet en cours de recrutement.
Malgré l’insistance de M. [H] à bénéficier d’une formation sur le Capital-Investissement (mail du 16 octobre 2017, réitéré le 20 septembre 2018 (pièce 31)), au sujet de laquelle son supérieur hiérarchique a noté en conclusion de l’évaluation annuelle 2017, qu’elle « devrait notamment participer à la poursuite de cette dynamique », l’employeur n’a pas donné suite et explique que cette formation était en fait en lien avec le nouveau projet professionnel du salarié après sa prise d’acte.
Mais la cour relève que la demande de formation avait été exprimée dès le premier entretien annuel réalisé en janvier 2016, puis validée par son supérieur hiérarchique en avril 2018, ce qui démontre sa pertinence, tandis que l’employeur n’explicite aucun motif objectif à son absence de prise en compte.
Il est, par ailleurs, admis que M. [J] [H] a candidaté sur un poste d’ingénieur d’affaires en août 2018 mais n’a pas été retenu (pièce 6 appelant). Si, dans un mail du 18 octobre 2018, celui-ci remercie M. [L] et M. [I] « pour le temps et l’écoute que vous m’avez consacrés ce matin » et note que la décision ne sera pas prise avant début 2019, aucun retour ne lui a ensuite été fait, Mme [F] soulignant que le poste était pourtant toujours vacant.
Et les deux mails datés des 18 octobre 2018 et 11 décembre 2018 dans lesquels le supérieur hiérarchique de M. [H] note ne pas l’avoir vu et lui demande s’il est à l’extérieur, suivis dès le 12 décembre 2018, d’un mail aux quatre chefs de projets leur demandant de lui transmettre les informations sur leur planning soit par leur calendrier soit en lui demandant une autorisation, que Mme [U] analyse comme une humiliation et une tentative de décrédibilisation de M. [H] devant toute l’équipe, témoignent d’une pression exercée sur le salarié, sans que la société justifie du bien-fondé de ces contrôles.
Le salarié a été placé en arrêt de travail à plusieurs reprises du 16 mai 2018 au 12 novembre 2019. Les arrêts de travail établis par un psychiatre mentionnent un stress aigu, une anxiété majeure invalidante et des symptômes dépressifs caractérisés, ceux à compter de mars 2019 faisant état d’une anxiété invalidante réactionnelle à un stress professionnel. Il apparaît donc que la dégradation de l’état de santé de M. [H] est la conséquence de ses conditions de travail, peu important qu’il y ait eu un refus de prise en charge au titre de la législation relative aux risques professionnels.
Cette situation a été tardivement prise en compte par l’employeur suite aux mails envoyés par le salarié, puisqu’au retour de M. [H] fin 2019, un suivi avec un autre manager a été mis en place. Et la Direction a missionné le cabinet Alteralliance pour une évaluation des risques psycho-sociaux dont les conclusions restituées en 2020 ne sont pas produites. Mais Mme [F] et Mme [U] attestent de ce qu’elle avaient, dès 2018, alerté le supérieur hiérarchique de M. [H] sur l’impact de ses conditions de travail sur son état de santé.
En l’état de ces éléments pris dans leur ensemble, il convient de considérer que M. [H] a bien été victime d’agissements constitutifs d’un harcèlement moral de la part de l’employeur, qui ont eu une répercussion sur son état de santé, mais également d’un manquement à l’obligation de sécurité de la part de son employeur.
Le jugement entrepris sera par conséquent infirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande indemnitaire de ces chefs et il lui sera alloué la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts.
3/Sur le manquement aux obligations relatives à la prévoyance
M. [J] [H] soutient que la SATT Lutech a multiplié les négligences, retardant le paiement des indemnités journalières de sécurité sociale et l’empêchant de bénéficier du complément d’indemnité dû par la prévoyance. Ces manquements ont eu pour conséquence une aggravation de son état de santé, et a créé des difficultés financières.
La société SATT Lutech répond qu’aucun manquement aux obligations relatives à la prévoyance et aux indemnités journalières de sécurité sociale n’est imputable à l’employeur. La jurisprudence de la cour de cassation prévoit que la responsabilité de l’employeur est engagée lorsque le salarié ne perçoit pas les prestations de prévoyance, uniquement s’il n’a pas procédé à toutes les diligences nécessaires pour que le salarié puisse bénéficier de l’indemnité. Or, la société a effectué toutes les diligences qui s’imposaient à elle. En outre, les débats ne résultent que de la demande de reconnaissance de maladie professionnelle de M. [J] [H] auprès des organismes compétents. Enfin, la société estime que M. [J] [H] n’a subi aucun préjudice, et qu’en application d’une jurisprudence constante, lorsque l’employeur a effectivement manqué à ses obligations, l’indemnisation du salarié se limite au montant des prestations non versées.
Il ressort d’un mail envoyé le 4 juin 2019 par l’organisme de prévoyance Gresham (pièce 16 appelant) qu’il a été procédé à l’ouverture du sinistre dès le 28 janvier 2019, pour cause d’arrêt maladie professionnelle, et l’employeur justifie de l’envoi d’une demande d’indemnisation à cet organisme dès le 29 avril 2019, lequel préconise un envoi dans les 15 jours après l’expiration de la franchise de 3 mois.
Dans ce même mail du 4 juin 2019, Gresham indique : « Pour nous permettre de verser les premières prestations, nous restons dans l’attente des décomptes d’indemnités journalières rectificatives de la sécurité sociale et de la notification liée à la reconnaissance en maladie professionnelle. En effet, pour éviter toute régularisation vis-à-vis de l’employeur à l’issue de la majoration des indemnités journalières versées par la sécurité sociale en maladie professionnelle, nous ne pouvons pas instruire le dossier au vu des décomptes maladie en notre possession ».
Ce n’est que le 28 novembre 2019 que la Caisse primaire d’assurance-maladie du Val-de-Marne a notifié à l’employeur et au salarié, le refus de prise en charge de la maladie de M. [J] [H] au titre de la législation relative aux risques professionnels, sachant que le versement des prestations était conditionné à la justification des indemnités journalières rectificatives, en maladie et non en maladie professionnelle.
Le salarié a été informé des difficultés dans le traitement de son dossier exposées par Gresham le 4 juin 2019 par un mail de la responsable des ressources humaines (pièce 17 intimée) puis dans un courrier du 31 octobre 2019 (pièce 14 intimée).
Le retard pris dans le versement des prestations par l’organisme de prévoyance n’est donc pas imputable à la SATT Lutech, les délais d’instruction de la demande de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles en étant la cause principale.
Le salarié sera par conséquent débouté de sa demande au titre du manquement aux obligations relatives à la prévoyance.
5/ Sur la prise d’acte
Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à
son employeur, cette rupture produit les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifient, soit, dans le cas contraire, d’une démission.
Pour que la prise d’acte produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les faits invoqués par le salarié doivent non seulement être établis mais constituer des manquements suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail. La charge de la preuve des faits qu’il allègue à l’encontre de l’employeur à l’appui de sa prise d’acte pèse sur le salarié.
Il est rappelé que le courrier par lequel le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail ne fixe pas les limites du litige, la juridiction devant examiner les manquements invoqués par le salarié même s’ils ne sont pas mentionnés dans ledit courrier.
Les motifs de la prise d’acte, aux termes de la lettre du 31 décembre 2019 et des conclusions, sont les suivants :
– une exécution déloyale du contrat de travail et des agissements de la hiérarchie confinant au harcèlement moral caractérisés par :
-une mise à l’écart avec une diminution drastique du nombre de projets à lui confiés
-une absence de formation professionnelle depuis son embauche et un refus de toute évolution de carrière
-une surveillance accrue discriminatoire de son activité et des humiliations publiques visant à nuire à sa réputation professionnelle, de la part de sa hiérarchie
-un dénigrement et des agissements humiliants publics de la part de sa hiérarchie
-une mise à l’écart et un isolement
-des accusations mensongères et diffamatoires à son encontre concernant une salariée
-des man’uvres d’intimidation et pressions dans l’exercice de son mandat de représentant du personnel
-un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, puisqu’à la suite de la détérioration de son état de santé, aucune mesure n’a été mise en place
– une absence de réunion de revue de projets pour la passation des dossiers puis une impossibilité de passation en raison du départ de M. [M], l’amenant à devoir répondre aux sollicitations de sa manager alors qu’il ne disposait pas des informations, ce qui a créé une situation de stress anxiogène
– le refus du président de réinstaurer un dialogue direct avec lui et la négation de sa situation de souffrance et des situations de tension générées par son isolement
– des brimades, propos agressifs et intimidations de la part du président lors de la réunion CSE du 27 novembre 2019
-un manquement de l’employeur quant à ses obligations relatives à la prévoyance, M. [H] restant sans ressources de février 2019 à décembre 2019.
A titre liminaire, la société SATT Lutech souligne que les manquements invoqués par le salarié au soutien de sa prise d’acte, l’ont également été au soutien de sa demande de résiliation judiciaire. Ainsi, ces manquements n’ont pas été considérés par le salarié comme empêchant la poursuite de son contrat de travail suite au dépôt de sa demande de résiliation judiciaire. Le salarié n’explique pas en quoi les griefs invoqués étaient suffisamment graves pour empêcher la poursuite de son contrat de travail, ni pourquoi il avait considéré que les griefs invoqués permettaient la poursuite du contrat de travail dans un premier temps, et ne le permettaient plus ensuite. En réalité, ce sont des considérations personnelles qui sont à l’origine de la prise d’acte car M. [J] [H] a retrouvé un emploi à compter du 1er janvier 2020.
Par ailleurs, elle fait valoir que M. [J] [H] produit des pièces qu’il s’est constitué à lui même, des pièces auxquelles il est extérieur et des pièces hors de propos. Lorsqu’a été sollicité le paiement de la prime conventionnelle vacances, M. [J] [H] ne se trouvait pas dans l’entreprise. Ce n’est que plus tard, lorsqu’une lettre de réclamation a été adressée par l’ensemble des salariés de l’entreprise, que M. [J] [H] est intervenu par procuration. Le Président de la société a adressé une lettre à M. [J] [H] en avril 2023 afin de prendre en compte ce sentiment d’intimidation du salarié. Le droit d’alerte que M. [J] [H] prétend avoir lancé ne l’a pas été au sens légal du terme, et l’affirmation du salarié selon laquelle il aurait fait l’objet de la part de son manager de pressions est contestée. Enfin, la société souligne qu’elle a toujours eu de bons rapports avec les représentants du personnel.
La cour retient que les faits de harcèlement moral et de manquement à l’obligation de sécurité retenus au point 2 sont suffisamment graves pour justifier, à eux seuls, la rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur produisant les effets d’un licenciement nul, dont la date sera fixée au 31 décembre 2019.
Le jugement prud’homal sera dès lors infirmé en ce qu’il a analysé la prise d’acte en une démission et rejeté toutes les demandes indemnitaires de M. [H].
Au titre de l’indemnité pour licenciement nul, conformément à l’article L. 1235-3-1 du code du travail, l’article L. 1235-3 n’est pas applicable lorsqu’il est constaté que le licenciement est entaché par une des nullités prévues au deuxième alinéa de cet article, dont le harcèlement moral.
Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, il est en droit de revendiquer une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Au regard de son âge au moment de la prise d’acte, 53 ans, de son ancienneté de plus de 4 ans dans l’entreprise, du montant de la rémunération qui lui était versée, 5 142,92 euros, il convient de lui allouer, en réparation de son entier préjudice la somme de 36 000 euros en réparation de son entier préjudice.
Le salarié peut, également, légitimement prétendre à l’allocation des sommes suivantes :
-15 428,76 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis
-1 542,80 euros au titre des congés payés afférents
-8 143 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement en application des dispositions de l’article 19 de la convention collective applicable.
6/ Sur la violation du statut protecteur
M. [J] [H] fait valoir qu’il a été élu membre du CSE le 20 avril 2018 pour une durée de 4 ans et que la période de protection au titre de ce mandat expirait 6 mois après la cessation de ce mandat, soit au 20 octobre 2022.
En conséquence, il réclame une indemnité égale à la rémunération brute qu’il aurait dû percevoir entre la date de la rupture du contrat de travail et l’expiration de la période de protection, soit 169 716,36 euros (33 mois).
La cour ayant dit que la prise d’acte de rupture du contrat de travail de M. [J] [H] en date du 31 décembre 2019 produit les effets d’un licenciement nul, il convient de faire droit à la demande du salarié de versement d’une indemnité pour violation du statut protecteur.
7/ Sur la demande reconventionnelle en paiement du préavis
La cour ayant considéré que la rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur produit les effets d’un licenciement nul, la SATT Lutech sera déboutée de sa demande.
8/ Sur les autres demandes
Il sera ordonné à la SATT Lutech de délivrer à M. [J] [H] dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, les bulletins de paie et documents de fin de contrat conformes, sans qu’il soit nécessaire d’assortir cette obligation d’une astreinte.
La cour rappelle que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé de l’arrêt et que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation et que la capitalisation est de droit conformément à l’article 1343-2 du code civil.
La SATT Lutech sera condamné à verser à M. [J] [H] la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et supportera les dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a débouté M. [J] [H] de ses demandes de dommages-intérêts au titre du préjudice relatif à la prévoyance et de rappel de salaire,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que la prise d’acte de rupture du contrat de travail de M. [J] [H] en date du 31 décembre 2019 produit les effets d’un licenciement nul,
Condamne la SATT Lutech à payer à M. [J] [H] les sommes suivantes :
– 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral et manquement à l’obligation de sécurité
-15 428,76 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis
-1 542,80 euros au titre des congés payés afférents
-8 143 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement
-36 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul
-169 716,36 euros à titre d’indemnité pour violation du statut protecteur
-3 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel,
Ordonne à la SATT Lutech de délivrer à M. [J] [H] dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, les bulletins de paie et documents de fin de contrat conformes, sans qu’il soit nécessaire d’assortir cette obligation d’une astreinte,
Rappelle que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé de l’arrêt et que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation et que la capitalisation est de droit conformément à l’article 1343-2 du code civil,
Déboute la SATT Lutech de sa demande reconventionnelle ainsi que du surplus de ses demandes plus amples ou contraires,
Déboute M. [J] [H] de ses demandes plus amples ou contraires,
La SATT Lutech supportera les dépens d’appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE