1 juin 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/00825
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 10
ARRET DU 01 JUIN 2023
(n° , 1 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/00825 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDATO
Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Décembre 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de PARIS – RG n° F 17/10257
APPELANT
Monsieur [Y] [S]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Zoran ILIC, avocat au barreau de PARIS, toque : K0137
INTIMEE
G.I.E. ELSAN ETABLISSEMENTS Agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
immatriculé au RCS de Paris sous le n° 818 849 499
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Franck BLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : K0168
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre
Monsieur Nicolas TRUC, Président de la chambre
Madame Carine SONNOIS, Présidente de la chambre
Greffier : lors des débats : Mme Sonia BERKANE
ARRET :
– contradictoire
– mis à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente et par Sonia BERKANE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE :
M. [Y] [S] a été engagé par le Groupement d’Intérêt Economique (GIE) Vitalia, suivant contrat à durée indéterminée à effet au 1er mars 2015, en qualité de Directeur d’établissement.
Le salarié dirigeait la clinique du Saint Coeur à Vendôme.
Son contrat a ensuite été repris par le GIE Elsan établissements lorsque le groupe Elsan établissements a racheté le groupe Vitalia.
Dans le dernier état des relations contractuelles régies par la convention collective nationale des bureaux d’étude technique, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils (dite Syntec), le salarié percevait une rémunération mensuelle brute de 9 673,46 euros (correspondant à la moyenne des douze derniers mois de salaire avec intégration des primes versées jusqu’à la fin de la relation contractuelle au terme du préavis).
Le 7 juillet 2017, le salarié s’est vu notifier un licenciement pour cause réelle et sérieuse, libellé dans les termes suivants :
« Nous sommes au regret de vous informer de notre décision de procéder à votre licenciement pour cause réelle et sérieuse. Nous vous rappelons ci-après les raisons qui nous ont contraints à prendre une telle décision :
1) Vous ne prenez pas en considération les demandes transmises par votre responsable hiérarchique, Madame [A] [W], Directrice Adjointe aux Opérations, pour exemple:
– le 5 mai dernier, Madame [W] vous a demandé par courriel de rencontrer Monsieur [E], dirigeant de la société « Le Visiologiste SAS » avec laquelle la clinique a un projet de partenariat pour le développement de l’activité ophtalmologique.
Cette demande vous a été réitérée par Monsieur [G], DG du groupe, lors de sa venue au sein de la clinique Saint C’ur, le 12 mai dernier. Vous nous avez indiqué queMonsieur [E] souhaitait vous avoir comme seul et unique interlocuteur.
Par la suite, nous avons appris, fortuitement, qu’un ophtalmologue s’est installé dans les locaux de la société « Le Visiologiste SAS » : en l’absence d’information de votre part, Madame [W] vous a demandé par courriels, les 7 et 8 juin, les modalités de (l’éventuel) exercice de cette activité au sein de la clinique: à ce jour, vous n’avez effectué aucun retour à cette demande et nous ne connaissons par la teneur de vos (éventuels) engagements.
– le 2 juin dernier, Madame [W] vous a réitéré sa demande d’établir un plan d’actions permettant de diminuer significativement le recours aux Contrats à Durée Déterminée pour tenir compte de la décroissance significative de l’activité de la clinique (pour rappel, -418 K€ à fin avril/N-1). Elle vous a relancé par mail en date du 6 juin dernier : à ce jour, vous n’avez toujours pas estimé utile de produire un tel document; la situation économique de la clinique exige pourtant la mise en place rapide d’un plan de redressement drastique.
En février dernier, Monsieur [G] avait déjà eu l’occasion de vous demander de répondre aux exigences du groupe, en matière de communication. Vous nous aviez alors indiqué (votre mail du 27 février) que vous aviez clairement compris ce message. Nous vous rappelons que Madame [W] avait déjà attiré votre attention sur la nécessité de faire évoluer vos modes de fonctionnement par lettre qui vous a été adressée le 10 octobre 2016.
2) Vos relations difficiles avec la communauté médicale :
A de nombreuses reprises et notamment par mail du 12 mai dernier, nous avons attiré votre attention sur la priorité absolue, pour l’avenir de la clinique, de rétablir des relations sereines et de confiance avec la communauté médicale. C’est l’un des domaines de progrès que nous avions partagé, dans le cadre de votre entretien d’appréciation, le 21 février et, de nouveau, en présence de Monsieur [G], le 3 mars dernier. Vous aviez pourtant bénéficié d’un accompagnement spécifique, financé par le groupe au cours du 2eme trimestre 2016, pour améliorer votre posture manageriale et votre communication, notamment à l’égard de la communauté médicale. En dépit de cet apport et du soutien du Docteur [C], Président de la CME, force est de constater que vous n’avez n’a pas su nouer un dialogue suivi et constructif avec les praticiens de la clinique :
– courriel le 9 mai 2017 du docteur [B] [L] (Chirurgien Digestif) à Madame [W] qui évoque des dysfonctionnements au bloc opératoire, en concluant « je suis très déçu mais très lucide et désireux d’avancer très probablement ailleurs qu’au St
C’ur ». Par ailleurs, il s’est inquiété dernièrement des conditions financières de son remplacement, pour la 1ère semaine de juillet, pour lesquelles vous vous seriez engagé sur une prise en charge « integrale ».
– courrier du docteur [D] du 2 juin 2017 (Gastro-entérologue) qui nous alerte sur la « gravité extrême des problèmes rencontrés » au quotidien et sur votre incapacité à améliorer ses conditions matérielles d’exercice chirurgical. A cette occasion, il nous propose de mettre en ‘uvre une procédure de conciliation préalable à une éventuelle action judiciaire. Le docteur [D] nous a, de nouveau, écrit le 26 juin dernier, en menaçant d’arrêter ses interventions par arthroscopie et d’opérer dans un autre établissement, à son retour de vacances, si l’ensemble du matériel du bloc n’était pas remis à niveau.
– redevances aides opératoires : vous n’avez toujours pas finalisé un accord avec les chirurgiens, spécialisés en Digestif et Orthopédie concernant les redevances des aides opératoires. Au-delà du manque de recettes pour la clinique, estimé à 68 k€, ce sujet est source de tensions, depuis de longs mois avec la communauté médicale.
A chaque demande de Madame [W] sur l’état d’avancement du réglement de ce dossier, vous considérez qu’il n’est plus de votre ressort, les praticiens concernés refusant de l’aborder avec vous.Nous vous rappelons que Madame [W] a dû directement intervenir, fin avril 2017, pour reprendre la négociation qu’ils refusaient de faire directement avec vous. Pour mémoire, vous lui aviez pourtant indiqué par un mail du 13 avril 2015 que la negociation était aboutie…. A la suite de son intervention qui a permis le retour des praticiens à la table des négociations, Madame [W] vous a demandé instamment (mail du 12 mai) de reprendre cette négociation, en vous rappelant, à juste titre, que cette dernière relève de votre stricte responsabilité de Directeur d’Etablissement. Vous nous avez informés, le 20 juin, que vous reprendriez cette négociation.
– Le Docteur [C], Président de la CME, nous a tout récemment interpellés par courriel, de nouveau, pour mettre en cause votre incapacité à communiquer pour créer un climat de confiance et à mobiliser au mieux le corps médical ainsi que le personnel paramédical.Il ajoute dans son message : « force est de constater que Monsieur [S] depuis 2 ans¿ ne remplit pas ces criteres. Cet avis est partagé par tous. »
3) Votre mode de fonctionnement générant des tensions avec les Instances de Représentation du Personnel et certains membres de l’équipe de la clinique:
– le 29 mai dernier, Madame [H], Directrice des Affaires Sociales du Groupe, a été interpellée par un mail de Monsieur [R] [U], Responsable de mission au sein du Cabinet SECAFI, désigné par le Comité d’Entreprise de la Clinique Saint C’ur.Contrairement à vos engagements du 2 février dernier, aucun document ne lui aurait été adressé, en dépit d’un nombre très important de relances et de tentatives de contacts avec vous (notamment un mall du 12 avril). Il est fait référence aux mécontentements des élus de la clinique qui menacent d’entreprendre une action judiciaire pour délit d’entrave. L’intervention de Madame [H] a permis d’apaiser cette nouvelle tension sociale que vous avez inutilement provoquée, dans un contexte où nous avons été saisis, à plusieurs reprises au cours de ces dernières semaines, tant par les représentants du personnel de la clinique, que l’Inspecteur du Travail ou le Médecin du travail, d’un climat social tendu. Madame [W] a dû vous accompagner, à la demande des représentants du personnel de la clinique, à plusieurs réunions pour maintenir le dialogue social.
– nous avons été saisi, à différentes reprises et notamment par mail du 12 mai de Madame [Z], Expert Méthodes et Organisation du Groupe de la volonté de départ du Chef de Bloc de la clinique (le 3ème depuis votre arrivée…) considérant votre manque de soutien à une situation de tension extrême au sein de l’équipe du bloc qui dure depuis plusieurs mois, accentuée par les conséquences de l’incendie du 3 mai dernier. A ce titre, et compte tenu du professionnalisme remarquable dont les équipes ont fait preuve dans de telles circonstances, nous regrettons que vous n’ayez pas jugé utile de les remercier en les récompensant, notamment sous forme de gratifications, comme vous l’avait suggéré Madame [W].
4) Refus délibéré d’appliquer la nouvelle politique hôtelière du Groupe :
Le 12 juin, vous avez rencontré, Madame [O], Directrice du Pôle Hôtellerie du Groupe, en présence de son adjoint pour l’informer de votre refus de mettre en place, au sein de la clinique SAINT COEUR, la refonte de l’offre hôtellerie qui concerne pourtant l’ensemble des établissements du groupe. Ils ont alors essayé, en vain, de vous convaincre de sa pertinence. En date du 7 juin, Madame [W] vous avait pourtant enjoint de mettre en place cette action générant un levier de croissance pour votre établissement, pourtant en manque crucial d’activité. Ce refus délibéré constitue une insubordination caractérisée.
A la lecture de ces éléments, nous estimons que vous ne répondez pas aux exigences de votre responsabilité, en votre qualité de Directeur d’Etablissement, en ne prenant pas la pleine mesure de la situation dans laquelle se trouve la clinique [6], qui nécessite une mobilisation de tous ses acteurs (personnels et praticiens), une plus grande fluidité dans votre communication notamment avec votre responsable hiérarchique et de mettre en ‘uvre scrupuleusement les politiques du groupe ».
Le 15 décembre 2017, M. [Y] [S] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris pour contester son licenciement et solliciter des dommages intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.
Le 17 décembre 2018, l’affaire a été renvoyée devant la formation de départage.
Le 3 décembre 2020, le conseil de prud’hommes de Paris, dans sa section Encadrement, en formation de départage, a statué comme suit :
– dit que le licenciement de M. [Y] [S] par le Groupement d’Intérêt Economique Elsan établissements n’est pas dépourvu de cause réelle et sérieuse
– rejette l’ensemble des demandes formées par M. [Y] [S] à l’encontre du Groupement d’Intérêt Economique Elsan établissements, en ce compris notamment la demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et la demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail
– dit n’y avoir lieu à ordonner l’exécution provisoire du présent jugement
– fixe à la somme de 9 072,02 euros la moyenne des trois derniers mois de salaire brut de
M. [Y] [S] au titre de son contrat de travail conclu avec le Groupement d’Intérêt Economique Elsan établissements
– condamne M. [Y] [S] aux dépens
– rejette les demandes formées sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 7 janvier 2021, M. [Y] [S] a relevé appel du jugement de première instance dont il a reçu notification le 7 décembre 2020.
Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 2 janvier 2023, aux termes desquelles
M. [Y] [S] demande à la cour d’appel de :
– infirmer le jugement RG N° F 17/10257 rendu le 3 décembre 2020 par le conseil de prud’hommes de Paris en ce qu’il a :
» – dit que le licenciement de Monsieur [Y] [S] par le groupement d’intérêt économique Elsan établissements n’est pas dépourvu de cause réelle et sérieuse
– rejeté l’ensemble des demandes formées par Monsieur [Y] [S] à l’encontre du GIE Elsan établissements, en ce compris notamment la demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail
– dit n’y avoir lieu à ordonner l’exécution provisoire du présent jugement
– fixé à la somme de 9 072,02 euros la moyenne des trois derniers mois de salaire brut de M. [Y] [S] au titre de son contrat de travail conclu avec le Groupement d’Intérêt Economique Elsan établissements
– condamné M. [Y] [S] aux dépens
– rejeté les demandes formées sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile »
Statuant à nouveau,
– dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse
– condamner le GIE Elsan établissements à verser à Monsieur [S] les sommes suivantes :
– 117 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
– 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail
– 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel et 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure prud’homale incluant le départage
– dire que les montants alloués porteront intérêts à compter du jour de la demande introductive s’agissant des créances salariales et à compter du jugement à intervenir s’agissant des dommages et intérêts
– condamner la partie défenderesse aux entiers frais et dépens de la procédure.
Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 29 juin 2021, aux termes desquelles le Groupement d’Intérêt Economique Elsan établissements demande à la cour d’appel de :
– fixer le salaire de référence de Monsieur [S] à une somme qui ne pourra excéder 9 099,72 euros bruts
– dire le licenciement de Monsieur [S] comme reposant sur une cause réelle et sérieuse
– dire que le GIE Elsan établissements n’a fait preuve d’aucune déloyauté à l’égard de Monsieur [S]
En conséquence,
– confirmer dans toutes ses dispositions le jugement du juge départiteur du conseil de prud’hommes de Paris, rendu le 3 décembre 2020 (n° RG 17/10257)
– débouter Monsieur [S] de l’intégralité de ses demandes
– condamner Monsieur [S] au paiement de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– condamner Monsieur [S] aux entiers dépens.
Conclusions auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.
L’instruction a été clôturée par ordonnance du 8 février 2023.
MOTIFS DE LA DECISION :
1/ Sur le licenciement pour cause réelle et sérieuse
En application de l’article L. 1232-1 du code du travail un licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.
L’employeur qui prend l’initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige. Il incombe à l’employeur d’alléguer des faits précis sur lesquels il fonde le licenciement.
Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n’appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d’instruction qu’il juge utile, il appartient, néanmoins, à l’employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
L’insuffisance professionnelle se définit comme l’incapacité objective et durable d’un salarié à exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification. L’appréciation de cette insuffisance professionnelle relève du pouvoir de direction de l’employeur mais ce dernier doit, en tout état de cause, invoquer des faits objectifs précis et vérifiables imputables au salarié pour justifier le licenciement.
Par ailleurs, le juge doit contrôler le respect des dispositions de l’article L. 6321-1 du code du travail qui prévoient que l’employeur doit assurer l’adaptation de ses salariés à leurs poste de travail et veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi compte tenu de l’évolution des technologies, des organisations et des emplois.
Aux termes de la lettre de licenciement, il est reproché à M. [Y] [S] un fait fautif en refusant d’appliquer la nouvelle politique hôtelière du Groupe, ainsi qu’en atteste un courriel de la Directrice du Pôle Hôtellerie du Groupe, du 12 juin 2017, qui précisait : « Pour ton info, [Y] [S] est passé nous voir nous informant qu’il ne souhaitait pas mettre en place l’offre préconisée par JN [[F] [I], le Président] suite à son déplacement, pour des raisons d’organisation.
Nous avons tenté en vain de le convaincre de sa faisabilité et de son efficience » (pièce 34).
Il est, également, fait grief au salarié appelant d’avoir fait montre d’une insuffisance professionnelle caractérisée par plusieurs manquements, dont :
– la non-réalisation de la demande de mise en place d’un plan d’actions visant à réduire le recours aux contrats de travail à durée déterminée, alors qu’il avait été rappelé à l’ordre « sur une tendance inflationniste pour les CDD depuis janvier 2017 », dans un courriel de
Mme [W], Directrice Adjointe aux Opérations, du 2 juin 2017, qui lui demandait la transmission « d’un plan d’actions » sur ce sujet (pièce 41). Le salarié n’a jamais transmis le moindre document en retour,
– un retard et un défaut d’information de sa hiérarchie sur l’installation d’un ophtalmologue dans les locaux de la clinique. En effet, alors qu’il avait été demandé, à compter d’août 2016, au salarié de sélectionner un praticien ophtalmologue de la société « Le Visiologiste », pour qu’il s’installe dans les locaux de la clinique (pièce 39), M. [Y] [S] n’a pas organisé le rendez-vous qui lui était demandé entre le responsable de la SAS « le Visiologiste » et sa hiérarchie. Dans le même temps, il a organisé l’accueil d’un ophtalmologue au sein de son établissement sans en référer à ses interlocteurs au sein du Groupe et dans des conditions qui ont conduit la SAS « Le Visiologiste » à dénoncer la convention de partenariat au bout de quelques semaines (pièce 10),
– l’absence de gestion autonome de la problématique des redevances aides opératoires. Il revenait, notamment, à M. [Y] [S] de finaliser l’accord relatif aux redevances des aides opératoires avec les chirurgiens spécialisés dans les activités « digestif » et « orthopédie ». Or, il est apparu, qu’en raison de l’attitude du salarié appelant, les praticiens concernés ne souhaitaient plus négocier avec lui (pièces 50 et 51), ce qui a contraint la supérieure hiérarchique du salarié à reprendre la main sur ces négociations pour parvenir à un accord que le salarié a été incapable de finaliser avant son licenciement mais qui a été signé le 19 décembre 2017 (pièce 22, 65)
– un mode de communication générant d’importantes tensions avec les instances représentatives du personnel et certains membres de la clinique. Le cabinet SECAFI désigné par les membres du comité d’entreprise en vue de l’analyse annuelle des comptes, le 14 février 2017, s’est, ainsi, plaint à la Directrice des Affaires Sociales « qu’en dépit d’un nombre très important de relances et de tentatives de contact » il n’avait toujours pas réussi à obtenir les documents réclamés à M. [Y] [S] ce qui suscitait l’ire des élus qui demandaient au cabinet SECAFI de désigner un avocat pour entreprendre une action contentieuse (pièce 27). La Directrice des Affaires Sociales s’est donc trouvée contrainte d’écrire à M. [Y] [S] pour lui demander de contacter le cabinet SECAFI « pour apaiser la situation » (pièce 28).
L’attitude du salarié a, aussi, été dénoncée par le Chef de Bloc de la clinique qui s’est plaint de son manque de soutien et d’une relation très dégradée avec la Direction (pièces 30, 31, 16), alors même que l’entretien d’évaluation du salarié pour l’année 2016 signalait qu’ »il pas démontré sa capacité à dénouer les points de crispation avec le corps médical. Les changements n’ont pas été abordés dans une relation réciproque de confiance aboutissant à de vives réactions de défiance de la part des praticiens et ne favorisant pas la dynamique interne à mettre en place » « L’année 2017 déterminante pour [Y] dans sa capacité à rapidement rétablir la confiance auprès des praticiens » (pièce 15). Le responsable du service de gastro-entérologie a, également, déploré une communication « entre deux portes » et une absence d’écoute sur une carence en moyens de ce service nuisant à la santé des patients (pièces 17, 19). Cette situation a nécessité, une nouvelle fois, l’intervention de sa hiérarchie pour rétablir le dialogue (pièce 18).
Cette dégradation c’étant encore accentuée en raison de la carence de l’appelant durant une situation de crise à la suite de l’incendie d’une salle de stérilisation, M. [Y] [S] ayant oublié la date d’une visioconférence dédiée à cette question (pièce 32)
– une absence de relation de confiance avec le Docteur [C], Président de la Commission Médicale de l’Etablissement (CME), dont le rôle était d’assurer le lien entre la communauté médicale de l’établissement et la Direction, l’intéressé ayant signalé à Mme [W] « un sérieux problème de gouvernance dans la clinique » et un comportement du directeur « jugé comme très autoritaire, freinant nettement les échanges, associé à une gestion à flux tendu du personnel », confinant au harcèlement pour certains salariés. Après un signalement du Docteur [C] du 20 mars 2016, l’employeur a fait appel à un cabinet de conseil en Management et Communication Santé pour accompagner le salarié à compter du mois de mai 2016 (pièces 48 et 49). Or, en dépit de ces mesures, le Docteur [C] constatait, le 20 février 2017 « un climat de plus en plus délétère qui se traduit par un manque total de confiance vis-à-vis du directeur » (pièce 24) et transmettait les mêmes critiques au Directeur Général de la société en allant jusqu’à énoncer que M. [Y] [S] ne remplissait pas les critères pour être un bon directeur d’établissement (pièce 25).
M. [Y] [S] conteste les griefs et manquements relevés à son encontre et souligne que l’insuffisance professionnelle qui lui est reprochée, dans les écritures de l’intimé, n’a pas été visée en tant que telle dans la lettre de licenciement.
Concernant l’installation d’un ophtalmologue au sein de l’établissement, le salarié soutient que sa hiérarchie a toujours été informée de l’évolution du projet et, notamment, du partenariat signé entre la clinique et le centre de consultation dédiée à l’ophtalmologie ouvert par la SAS Le Visiologiste, à proximité, le 2 juin 2017. La SAS Le Visiologiste ayant dénoncé ce partenariat le 7 juillet 2017, soit le jour de la notification de son licenciement, le salarié relève que l’échec de ce projet ne pouvait motiver cette mesure. De même, il prétend qu’il ne peut lui être reproché de ne pas avoir mis en relation le dirigeant de la SAS Le Visiologiste et des responsables du groupe Elsan, alors que M. [E], dirigeant de la SAS Le Visiologiste atteste qu’il ne voulait traiter qu’avec lui (annexe 4)
S’agissant de son absence de plan d’actions pour réduire le nombre de contrats de travail à durée déterminée, le salarié affirme que l’objectif de Mme [W] était de réduire la masse salariale de la clinique du Saint Coeur, tant en ce qui concernait les contrats de travail à durée déterminée que les contrats à durée indéterminée et qu’il s’est efforcé d’adapter les ressources humaines aux besoins de l’activité afin de préserver un climat social serein. Il souligne, par ailleurs, qu’en 2017, il lui était impossible de recruter des salariés en contrat à durée indéterminée en raison d’un plan de sauvegarde de l’emploi en cours sur un établissement de [Localité 5]. La déléguée syndicale et secrétaire du comité d’entreprise de la clinique atteste des injonctions paradoxales qui étaient adressées au salarié consistant à réduire les effectifs tout en préservant la paix sociale.
Concernant ses relations avec la communauté médicale de la clinique, l’appelant rappelle que, sur les dix dernières années, les directeurs d’établissements se sont succédés et que le Docteur [C], avant d’être nommé Président de la Commission Médicale de l’Etablissement, avait dirigé la clinique et considérait qu’il en était toujours le « P.D.G », ce qui le poussait à le dénigrer auprès de sa hiérarchie. D’ailleurs, la mesure d’accompagnement mise en oeuvre par la Direction n’avait pas pour objet de l’aider dans son management de la clinique mais de faciliter le dialogue entre lui et le Docteur [C], ce qui s’est avéré impossible eu égard à l’attitude de ce dernier. Il rapporte l’existence de conflits personnels entre médecins et une situation de tension qui préexistait bien avant son arrivée et qui s’est poursuivie après son départ. Le salarié appelant soutient qu’il a respecté son engagement d’établir des relations « normales » avec les praticiens exerçant au sein de l’établissement et que seuls quatre d’entre eux sur quarante se sont plaints de rencontrer des difficultés relationnelles avec lui, qui sont nées de l’entrée en vigueur de l’avenant sur les redevances de mars 2016. M. [Y] [S] souligne que les griefs cités par l’employeur et figurant selon lui dans son entretien d’évaluation pour l’année 2016, n’ont pas été repris dans le document soumis à sa signature (annexe 63). Il ajoute qu’il lui a été versé une prime variable discrétionnaire de 10%, ce qui atteste de la satisfaction de l’employeur par rapport à ses actions et son positionnement. Enfin,le salarié appelant indique qu’il n’avait aucune autonomie pour accomplir ses tâches et répondre aux demandes de la communaté médicale.
M. [Y] [S] explique, encore, que l’incendie des locaux dédiés à la stérilisation des matériels est survenu un jour où il se trouvait en congés mais que seulement 4 jours plus tard, il a adressé un courriel détaillé à tous les acteurs de l’établissement pour les informer des actions mises en oeuvre pour permettre une continuité de l’activité (pièce 40).
Concernant les courriers du responsable du service de gastro-entérologie, M. [Y] [S] prétend que s’il a pu donner le sentiment de tarder à répondre aux attentes de ce praticien c’est en raison des contraintes budgétaires qui lui avaient été fixées par la Direction Générale du groupe Elsan, à laquelle il a toujours relayé les besoins de ce service. Il ajoute que son successeur a, également eu à déplorer des problèmes relationnels avec le chef du service gastro-entérologie (annexe 125).
S’agissant des plaintes du chef de bloc, relayées par une salariée du Groupe Elsan, le salarié appelant avance que, là encore, ce qui était dénoncé était moins son inaction que la politique du Groupe Elsan de ne pas investir dans l’établissement.
M. [Y] [S] verse aux débats une attestation de la déléguée syndicale et secrétaire du comité d’entreprise qui témoigne qu’un « dialogue social avait été instauré entre la Direction, représentée par M. [S] et les élus mandatés. Il y a eu régulièrement des échanges par divers moyens » , elle ajoute que « la communication a toujours été bonne et transparente » (annexe 61). S’agissant des échanges avec le cabinet d’expertise SECAFI, le salarié appelant rapporte qu’il a simplement eu des difficultés à transmettre les informations demandées par l’expert parce qu’elles étaient en possession du Groupe et que ce dernier émettait des réticences à lui adresser ces documents (pièce 120).
Enfin, l’appelant dénie avoir refusé d’appliquer la politique hôtelière du groupe mais avance qu’il a tenté de faire comprendre, qu’en raison de la particulière vétusté de l’état immobilier de la clinique [6], procéder à l’augmentation tarifaire envisagée par la Direction aurait conduit à faire fuir les patients vers d’autres structures concurrentes, ce dont a d’ailleurs convenu, à l’époque, la Directrice du Pôle Hôtellerie du Groupe qui a envisagé d’étudier des alternatives (pièce adverse 34). Deux ans après son départ, le Groupe Elsan a finalement cédé la Clinique Saint Coeur sans avoir fait procéder au moindre travaux de rénovation.
En l’état des explications fournies par le salarié et des pièces produites aux débats, il ne ressort pas que les fautes et les manquements qui lui sont imputés soient caractérisés. Ainsi, sa hiérarchie a bien été informée des démarches qu’il avait engagées avec la SAS Le Visiologiste afin de permettre l’intervention d’un ophtalmologue au sein de la clinique mais il n’a pu associer l’employeur à ses échanges avec le dirigeant de la société partenaire en raison de la volonté de ce dernier de n’avoir que pour interlocuteur le salarié appelant. Il ne peut être reproché au salarié un défaut de mise en oeuvre d’un plan visant à diminuer le nombre de contrats de travail à durée déterminée au sein de la structure alors qu’il lui était impossible, à cette époque, de recruter des salariés en contrat à durée indéterminée et qu’il lui était demandé de justifier du bon fonctionnement de son établissement et du maintien d’un climat social serein. De la même façon, il n’est pas démontré le refus du salarié d’appliquer une nouvelle politique hôtelière définie par le groupe mais son souhait de mettre en avant d’autres solutions plus en adaquétion avec l’état de vétusté de l’établissement, qui rendait inopportune une augmentation des tarifs pratiqués. Il est établi que le salarié était soumis, comme le dit une déléguée syndicale et secrétaire du comité d’entreprise, à des injonctions paradoxales de la part de l’employeur qui ne pouvaient que se traduire par des décisions insatisfaisantes susceptibles d’engager sa responsabilité. Il est ainsi, établi que si le salarié n’a pas été en capacité de transmettre les documents qui lui étaient réclamés par l’expert SECAFI c’est uniquement en raison de la réticence du GIE Elsan à communiquer lesdits documents. Pour autant, alors que l’employeur dénonce les nombreuses carences du salarié, il ne justifie en aucune manière lui avoir adressé des observations ou proposé un plan d’accompagnement qui lui aurait permis de remédier à ses difficultés. Enfin, s’agissant des problèmes relationnels pointés dans la lettre de licenciement, il est justifié d’une inimitié entre le salarié et le Docteur [C], sur un fond de rivalité professionnelle qui n’est pas imputable au salarié. Il est, aussi, établi que le directeur qui a succédé au salarié s’est, aussi, trouvé en butte à des critiques exacerbées du chef du service gastro-entérologie. La cour relève, d’ailleurs, que l’entretien d’évaluation signé par le salarié en février 2016 faisait état de relations de « bonne qualité » avec les praticiens de l’établissement et d’un satisfecit de l’employeur qui lui demandait de poursuivre la gestion de la clinique « en bon père de famille », tout en lui allouant une prime discrétionnaire de 10 % (annexes 63, 64).
Il s’en déduit que les nombreux griefs formés à l’encontre du salarié proviennent manifestement d’une inadéquation entre la politique que le GIE Elsan établissements souhaitait pratiquer au sein de l’établissement Clinique Saint Coeur et les difficultés matérielles et budgétaires que rencontrait cette structure, qui rejaillissaient sur le climat social au sein de l’établissement sans que la responsabilité ne puisse en être imputée au salarié. Il convient, d’ailleurs, de relever que deux ans après le licenciement de M. [Y] [S], le GIE Elsan établissement a cédé la clinique [6], sans avoir réalisé aucun des travaux de rénovation des chambres alors que le repreneur qui lui a succédé l’a inscrit comme action prioritaire (annexe 01).
Le licenciement pour insuffisance professionnelle sera donc jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse et le jugement déféré infirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande indemnitaire de ce chef.
Au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [Y] [S] qui, à la date du licenciement, comptait au moins deux ans d’ancienneté dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés a droit, en application de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version applicable au litige, à une indemnité qui ne saurait être inférieure aux salaires bruts perçus au cours des six derniers mois précédant son licenciement.
Au regard de son âge au moment du licenciement, 52 ans, de son ancienneté de plus de 2 ans dans l’entreprise, du montant de la rémunération qui lui était versée, il convient de lui allouer, en réparation de son entier préjudice la somme de 58 100 euros.
2/ Sur le manquement à l’exécution de bonne foi du contrat de travail
Le salarié appelant réclame une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’employeur à l’exécution de bonne foi du contrat de travail en faisant valeur que l’employeur l’a dénigré, tant au sein de la Clinique Saint Coeur, qu’au sein du groupe Elsan et qu’il lui a reproché des agissements faux.
Toutefois, à défaut de justifier de ses premiers griefs et de préciser la nature et l’étendue du préjudice dont il demande réparation au titre des seconds, c’est à bon escient que les premiers juges l’ont débouté de cette demande.
3/ Sur les autres demandes
Les sommes allouées à titre indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de la présente décision.
Le Groupement d’Intérêt Economique Elsan établissements supportera les dépens de première instance et d’appel et sera condamné à payer à M. [Y] [S] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a :
– débouté M. [Y] [S] de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l’exécution de bonne foi du contrat de travail
– rejeté les demandes formées par le GIE Elsan établissements sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit le licenciement de M. [Y] [S] dépourvu de cause réelle et sérieuse
Condamne le Groupement d’Intérêt Economique Elsan établissements à payer à M. [Y] [S] les sommes suivantes :
– 58 100 euros bruts à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
– 3 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance etd’appel,
Dit que es sommes allouées à titre indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires,
Condamne le Groupement d’Intérêt Economique Elsan établissements aux dépens de première instance et d’appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE