Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 9
ARRÊT DU 1er Juin 2022
(n° , 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/03112 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B7OMT
Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Janvier 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de LONGJUMEAU – RG n° F16/00777
APPELANTE
SAS SPINALCOM
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Bruno REGNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050
INTIMÉE
Madame [F] [L] [M]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Eric ROCHER-THOMAS, avocat au barreau de PARIS, toque : E0489
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 Mars 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Françoise SALOMON, présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Mme Françoise SALOMON, présidente de chambre
Mme Valérie BLANCHET, conseillère
M. Fabrice MORILLO, conseiller
Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, prorogé à ce jour.
– signé par Madame Françoise SALOMON, présidente et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société Spinalcom (anciennement dénommée Structure Computation) est une start-up fondée en 2009 qui, après six années de recherche et développement, a lancé son activité courant 2015 sur la programmation informatique autour des objets connectés.
Elle applique la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs conseils et sociétés de conseil, dite convention Syntec, du 15 décembre 1987.
Suivant contrat du 18 décembre 2015 à effet au 1er février 2016, la société a engagé Mme [L] [M] en qualité de responsable scientifique, statut cadre, moyennant une durée hebdomadaire de 30 heures, réparties du lundi au vendredi, de 10 heures à 17 heures, et une rémunération forfaitaire mensuelle brute de 1 200 euros, englobant la réalisation d’heures supplémentaires jusqu’à 31 heures. Le contrat stipulait que la salariée exercerait sa mission dans les locaux de la société, à [Localité 5], ou à son domicile.
Les parties sont convenues d’une rupture conventionnelle et le contrat de travail a pris fin le 30 juin 2016.
Soutenant que la relation de travail aurait débuté le 29 septembre 2015 et estimant ne pas être remplie de ses droits, la salariée a saisi la juridiction prud’homale le 22 septembre 2016.
Par jugement du 11 janvier 2019, le conseil de prud’hommes de Longjumeau l’a déboutée de ses demandes afférentes à la période antérieure au 1er février 2016, a annulé la mise à pied conservatoire notifiée le 13 avril 2016 à la salariée et a condamné l’employeur au paiement des sommes suivantes :
– 7 068,04 euros correspondant à la rémunération que la salariée aurait dû percevoir du 1er février au 30 juin 2016, outre 706,80 euros au titre des congés payés afférents,
– 17 600 euros d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
– 1 000 euros de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité,
– 1 500 euros de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à l’obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail.
Le conseil a ordonné à l’employeur de remettre les documents de fin de contrat rectifiés, a rejeté le surplus des demandes et alloué 2 000 euros à la salariée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le 1er mars 2019, l’employeur a interjeté appel de cette décision, qui lui avait été notifiée par lettre envoyée le 5 février.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 7 octobre 2019, la société appelante demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté l’intimée de ses demandes afférentes à un contrat de travail pour la période antérieure au 1er février 2016 et de sa demande au titre des heures complémentaires, mais de l’infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau, de :
– dire que l’intimée aurait dû être positionnée au 1.2. coefficient 100 de la convention Syntec et lui donner acte de ce qu’elle reconnaît lui devoir 2 405,05 euros de rappel de salaire et 204,50 euros au titre des congés payés afférents,
– débouter l’intimée de l’ensemble de ses demandes,
– la condamner à lui verser 2 500 euros au titre de ses frais irrépétibles.
Par conclusions transmises le 9 juillet 2019 par voie électronique, l’intimée sollicite la confirmation du jugement entrepris, sauf en ce qu’il a retenu qu’elle n’était pas salariée de l’appelante avant le 1er février 2016 et l’a déboutée de ses demandes afférentes à cette période, ainsi que de ses demandes de rappel d’heures complémentaires et de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la mise à pied conservatoire dont elle a fait l’objet et sauf à augmenter le quantum des dommages-intérêts alloués. Sur ces points, elle demande à la cour de lui reconnaître la qualité de salariée à compter du 29 septembre 2015 et de condamner l’appelante au paiement des sommes de :
– 7 068,04 euros de rappel de salaire et 706,80 euros au titre des congés payés afférents,
– 4 510 euros au titre des heures complémentaires et 451 euros au titre des congés payés afférents,
– 10 000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait de sa mise à pied conservatoire injustifiée,
– 2 000 euros de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité,
– 5 000 euros de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail,
– 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle sollicite la remise de ses bulletins de salaire pour la période du 29 septembre 2015 au 31 janvier 2016.
La clôture de l’instruction est intervenue le 15 février 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 15 mars.
MOTIFS
Sur l’existence d’une relation de travail antérieurement au 1er février 2016
L’existence d’une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à la convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité professionnelle. Elément essentiel du contrat de travail, le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
Il appartient à celui qui revendique l’existence d’un contrat de travail d’en rapporter la preuve.
La cour adopte les motifs des premiers juges qui ont retenu que, pour la période allant du 29 septembre 2015 au 31 janvier 2016, la salariée ne rapportait pas la preuve que la collaboration avec la société s’était déroulée sous l’autorité et le contrôle de la société, et qu’elle n’établissait pas davantage avoir perçu une rémunération. La cour confirme en conséquence le jugement en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande de rappel de salaire pour la période antérieure au 1er février 2016. Elle le confirme également en ce qu’il l’a déboutée de sa demande d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé pour cette période, en l’absence de relation de travail pendant cette période.
Sur la classification de la salariée
La salariée revendique la position 3.1, coefficient 170, compte tenu de son expérience professionnelle en qualité de chargée de travaux dirigés de 2009 à 2012, puis de doctorant contractuel. Elle se prévaut des dispositions de l’article L.612-7 du code de l’éducation selon lesquelles le troisième cycle est une formation à la recherche et par la recherche qui comporte, dans le cadre de formations doctorales, la réalisation individuelle ou collective de travaux scientifiques ou originaux. Ces formations doctorales (…) constituent une expérience professionnelle de recherche, sanctionnée, après soutenance de thèse, par la collation du grade de docteur.
L’employeur reconnaît l’avoir positionnée par erreur en 1.1, alors qu’elle était titulaire d’un diplôme et devait dès lors avoir la position 1.2. et lui devoir en conséquence 2 045 euros de rappel de salaire à ce titre, ainsi que les congés payés afférents. Il conteste en revanche que la salariée remplissait la condition exigée par la convention collective d’une expérience professionnelle pratique de deux années.
Selon la grille de classification de la convention collective Syntec :
– les collaborateurs débutants assimilés à des ingénieurs ou cadres techniques ou administratifs sont positionnés en 1.1 coefficient 95,
– les collaborateurs débutants avec diplôme sont positionnés en 1.2, coefficient 100,
– les ingénieurs ou cadres ayant au moins 2 ans de pratique de la profession sont positionnés en 2.1, coefficient 105 s’ils sont âgés de moins de 26 ans et coefficient 115 s’ils sont âgés d’au moins 26 ans.
– relèvent de la position 3.1 et du coefficient 170 revendiqués par la salariée, les ingénieurs ou cadres sans responsabilité complète placés sous les ordres d’un chef de service.
En l’occurrence, la salariée était titulaire du diplôme de docteur de l’école [6] lors de son embauche. Elle ne relevait dès lors pas de la position 1.1, coefficient 95, ce que reconnaît au demeurant l’employeur. Ses expériences de chargée de travaux dirigés ou de doctorante sont limitées au domaine de la recherche et ne peuvent constituer l’expérience ‘de pratique de la profession’ exigée par la convention collective.
Dès lors la cour, par infirmation du jugement, dit que la salariée devait être positionnée en 1.2. coefficient 100 et condamne l’employeur à lui payer les sommes de 2 045,05 euros de rappel de salaire pour la période allant du 1er février au 30 juin 2016 et de 204,50 euros au titre des congés payés afférents.
Sur la demande de rappel d’heures complémentaires
Conformément à l’article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments.
En l’occurrence, la salariée verse aux débats un décompte des heures complémentaires qu’elle prétend avoir accomplies, dont certaines les samedis ou dimanches.
Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre.
Ce dernier conteste toute heure complémentaire. Il fait valoir que la salariée a pris plusieurs jours de congés entre le 1er février et le 10 avril 2016, soutient qu’elle ne s’est pas investie dans son travail et n’a pas effectué les 130 heures mensuelles prévues à son contrat de travail.
Au regard de l’ensemble des éléments du dossier, la cour retient que la salariée a accompli des heures complémentaires, dans une moindre mesure toutefois que ce qu’elle allègue, et condamne l’employeur à lui payer la somme de 400 euros à ce titre, outre 40 euros au titre des congés payés afférents, par infirmation du jugement.
Sur la demande d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé
Conformément à l’article L.8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L.1221-10, relatif à la déclaration d’embauche.
Au soutien de sa demande, la salariée fait valoir la tardiveté avec laquelle l’employeur a accompli cette déclaration préalable le 19 mai 2016, après qu’elle s’était mise en relation avec l’URSSAF.
L’employeur reconnaît avoir omis de faire cette déclaration mais justifie des bulletins de paie délivrés chaque mois à l’intéressée. Il fait également valoir qu’elle était son unique salariée.
Dès lors, la cour retient que la volonté de dissimuler l’emploi salarié n’est pas établie et déboute la salariée de sa demande d’indemnité forfaitaire, par infirmation du jugement.
Sur la demande de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité
Il n’est pas contesté que la salariée n’a pas bénéficié d’une visite médicale d’embauche, ce qui caractérise un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
Faute toutefois pour l’intéressée de justifier d’un préjudice résultant de ce manquement, la cour la déboute de sa demande de dommages-intérêts, par infirmation du jugement.
Sur la demande de dommages-intérêts pour le préjudice occasionné par la mise à pied injustifiée
L’employeur a notifié le 13 avril 2016 une mise à pied conservatoire à la salariée, alors en absence injustifiée depuis le 11 avril. Elle a alors produit un arrêt de travail, ce qui rend la mise à pied injustifiée.
L’employeur n’a toutefois procédé à aucune retenue de salaire. Dès lors, faute pour la salariée de justifier du préjudice résultant de cette mesure conservatoire injustifiée, la cour la déboute de sa demande indemnitaire, par confirmation du jugement.
Sur la demande de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation d’exécution de bonne foi
La salariée reproche à l’employeur un manquement à son obligation de sécurité et d’avoir profité de ses compétences sans la rémunérer pendant quatre mois, ce qui lui aurait occasionné un préjudice moral, puis d’avoir profité de ses compétences sans la rémunérer suffisamment.
La cour a écarté l’existence d’une relation de travail avant le 1er février 2016 et a retenu que la salariée ne justifiait pas d’un préjudice résultant de l’absence de visite médicale d’embauche. La salariée ne caractérise ni un manquement de l’employeur à son obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail pour la période postérieure, ni un quelconque préjudice.
La cour rejette cette demande, par infirmation du jugement.
Sur les autres demandes
Il y a lieu d’enjoindre à l’employeur de remettre à la salariée un bulletin de paie récapitulatif conforme au présent arrêt et de rappeler que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception, par l’employeur, de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes.
Aucune considération d’équité ne justifie de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
L’employeur supportera les dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
– Confirme le jugement en ce qu’il a débouté Mme [L] [M] de ses demandes afférentes à la période antérieure au 1er février 2016 et de sa demande de dommages-intérêts pour mise à pied injustifiée et en ce qu’il a condamné la société Spinalcom à lui verser 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ;
– L’infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
– Dit que Mme [L] [M] relevait de la position 1.2. coefficient 100 de la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs conseils et sociétés de conseil du 15 décembre 1987 ;
– Condamne la société Spinalcom à lui payer les sommes de :
– 2 045,05 euros de rappel de salaire pour la période allant du 1er février au 30 juin 2016 au titre de sa classification ;
– 204,50 euros au titre des congés payés afférents ;
– 400 euros au titre des heures complémentaires accomplies ;
– 40 euros au titre des congés payés afférents ;
– Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception, par la société Spinalcom, de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes ;
– Déboute Mme [L] [M] du surplus de ses demandes ;
– Enjoint à la société Spinalcom de remettre à Mme [L] [M] un bulletin de paie récapitulatif conforme au présent arrêt ;
– Dit n’y avoir lieu à faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamne la société Spinalcom aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE