Convention collective SYNTEC : 1 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/08016

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Convention collective SYNTEC : 1 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/08016

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRÊT DU 1er FÉVRIER 2023

(n° , 12 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/08016 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEMVJ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Août 2021 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – Section Encadrement chambre 6 – RG n° F 20/02615

APPELANT

Monsieur [E] [M]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par Me Slim BEN ACHOUR, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE

SAS MYEFFICO FINANCE 2 venant aux droits de la SAS MYEFFICO FINANCE

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Joaquim BRUNETEAU, avocat au barreau de BORDEAUX, toque : 688

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Stéphane MEYER, président, chargé du rapport, et Mme Valérie BLANCHET, conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Stéphane MEYER, président de chambre

Mme Valérie BLANCHET, conseillère

M. Fabrice MORILLO, conseiller

Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

– signé par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre, et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Monsieur [E] [M] a été engagé pour une durée indéterminée à compter du 1er février 2018, en qualité de directeur de la stratégie et de l’innovation des filiales du groupe dont fait partie l’entreprise, avec le statut de cadre dirigeant, par la société MYEFFICO Finance, aux droits de laquelle la société MYEFFICO Finance 2 se trouve actuellement, qui est la société holding de la société OCTIME, spécialisée dans le service et la vente de logiciels de gestion du temps de travail, et d’autres entités affiliées.

La relation de travail est régie par la convention collective « Syntec ».

Par lettre du 3 décembre 2019, Monsieur [M] était convoqué pour le 16 décembre à un entretien préalable à son licenciement, lequel lui a été notifié le 19 décembre suivant pour insuffisance professionnelle, d’une part, pour manquement à son obligation de loyauté et pour dénigrement d’un collègue, d’autre part.

Le 20 mai 2020, Monsieur [M] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris et formé des demandes afférentes à un licenciement nul pour discrimination ou sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu’à l’exécution de son contrat de travail.

Par jugement du 30 août 2021, le conseil de prud’hommes de Paris a débouté Monsieur [M] de ses demandes et l’a condamné aux dépens.

Monsieur [M] a régulièrement interjeté appel de ce jugement par déclaration du 28 septembre 2021, en visant expressément les dispositions critiquées.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 7 novembre 2022, Monsieur [M] demande l’infirmation du jugement et forme les demandes suivantes :

A titre principal,

– que son licenciement soit déclaré nul et que soit ordonnée sa réintégration dans son poste de travail sous peine d’astreinte de 150 € par jour de retard, avec réserve de liquidation de l’astreinte ;

– la condamnation de la société MYEFFICO Finance 2 à lui payer des dommages intérêts correspondant aux salaires dus jusqu’à la réintégration, soit 209 000 €, somme qui devra être réajustée à la date de la notification du « jugement » ;

– A titre subsidiaire, il demande la condamnation de la société MYEFFICO Finance 2 à lui payer 209 000 € d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Il forme également les demandes suivantes :

– dommages et intérêts pour discrimination : 30 000 € ;

– dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail : 15 000 € ;

– dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité : 20 000 € ;

– la condamnation de la société MYEFFICO Finance 2 à lui octroyer 38 000 actions gratuites et à titre subsidiaire, sa condamnation lui payer 133 200 € de dommages intérêts ;

– indemnité pour frais de procédure : 3 500 €.

– les intérêts au taux légal avec capitalisation.

Au soutien de ses demandes et en réplique à l’argumentation adverse, Monsieur [M] expose que :

– il a été victime de discrimination en raison de l’état de santé de son fils, le comportement de l’employeur ayant totalement changé à son égard lorsqu’il a annoncé la grave maladie dont son fils était atteint et lorsqu’il l’a accompagné dans son traitement ; il a alors été victime de pressions et de comportements discriminatoires ;

– son licenciement constitue le dernier élément constitutif de cette discrimination ;

– son préjudice moral causé par ce comportement discriminatoire est très important ;

– à titre subsidiaire, son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, aucun des griefs de l’employeur n’étant fondé ;

– par les pressions exercées à son encontre pour qu’il poursuive la relation de travail sous la forme d’un contrat de prestation de service, l’employeur a exécuté le contrat de travail de façon déloyale ;

– au lieu de lui apporter son soutien, alors qu’il traversait une passe particulièrement difficile, l’employeur a au contraire aggravé sa situation en violant son obligation de sécurité ;

– l’employeur a également violé son engagement de lui octroyer des actions gratuites.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 7 novembre 2022, la société MYEFFICO Finance 2 demande la confirmation du jugement, que la demande de nullité du licenciement soit déclarée irrecevable et les autres demandes infondées, ainsi que la condamnation de Monsieur [M] à lui verser une indemnité pour frais de procédure de 3 500 €. Elle fait valoir que :

– il n’existe pas de discrimination par association ou par ricochet, seul l’état de santé personnel de la personne qui s’estime victime de discrimination étant recevable ;

– même si l’on admettait la notion de discrimination par ricochet, la demande de Monsieur [M] est mal fondée, en l’absence d’éléments précis et concordants et a alors que l’entreprise a fait preuve de bienveillance à son égard et a strictement respecté sa vie privée et familiale ;

– en tout état de cause, les sommes réclamées par Monsieur [M] sont injustifiées en leurs montants ;

– l’insuffisance professionnelle de Monsieur [M] est établie et justifiait son licenciement ;

– Monsieur [M] a également manqué à son obligation de loyauté à l’égard de l’entreprise et dénigré un collègue ;

– la demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dépasse la limite légale et Monsieur [M] ne rapporte pas la preuve du préjudice allégué ;

– Monsieur [M], ne peut bénéficier du droit aux actions gratuites, l’obligation de l’entreprise sur ce point étant demeurée stade des négociations pouvant être librement rompues et la rupture du contrat de travail étant antérieure à l’expiration du délai d’acquisition ;

– les diverses demandes de dommages et intérêts ne sont pas fondées et Monsieur [M] ne rapporte pas la preuve des préjudices allégués ;

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 8 novembre 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.

* * *

MOTIFS

Sur le principe d’une discrimination

Aux termes de l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

En l’espèce, le moyen de la société MYEFFICO Finance 2, tendant à ce la demande de Monsieur [M] soit rejetée au motif que la discrimination ne peut concerner que la personne qui s’en prétend victime, ne constitue pas une fin de non-recevoir mais un moyen de fond.

Aux termes de l’article L. 1132-1 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable au litige, aucun salarié ne peut être licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en raison de sa situation de famille de son état de santé ou de son handicap.

Monsieur [M] soutient que la discrimination doit être retenue même lorsqu’elle agit « par ricochet » ou « par association », soit lorsqu’elle commise à l’encontre d’une personne en raison de caractéristiques présentes chez une tierce personne, tandis que la société MYEFFICO Finance 2 fait valoir que la discrimination ne peut être retenue que lorsqu’elle atteint personnellement la personne qui s’en prétend victime.

Par arrêt du 17 juillet 2008 (n°C-303/06 – Coleman/Law), la Cour de justice des Communautés Européennes a jugé qu’une interprétation de la directive 2000/78 du 24 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, qui limiterait l’application de celle-ci aux seules personnes qui sont elles-mêmes handicapées serait susceptible de priver cette directive d’une partie importante de son effet utile et de réduire la protection qu’elle est censée garantir et qu’en conséquence, ses articles 1er et 2, paragraphes 1 et 2, sous a), doivent être interprétés en ce sens que l’interdiction de discrimination directe qu’ils prévoient n’est pas limitée aux seules personnes qui sont elles-mêmes handicapées, que lorsqu’un employeur traite un employé n’ayant pas lui-même un handicap de manière moins favorable qu’un autre employé ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable et qu’il est prouvé que le traitement défavorable dont cet employé est victime est fondé sur le handicap de son enfant, auquel il dispense l’essentiel des soins dont celui-ci a besoin, un tel traitement est contraire à l’interdiction de discrimination directe énoncée audit article 2, paragraphe 2, sous a).

Cependant, la société MYEFFICO Finance 2 fait valoir à juste titre que la directive, ainsi interprétée par la CJCE, prévoit que la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, mais pas celle fondée sur l’état de santé, ce dont il résulte que la solution ne peut être transposée en l’espèce.

Il n’en reste pas moins que l’article L.1132-1 du code du travail précité, qui prévoit la discrimination en raison de la situation de famille du salarié, a vocation à s’appliquer en l’espèce, puisque Monsieur [M] soutient que c’est en sa qualité de père de son enfant malade qu’il a été victime d’une différence de traitement.

La sanction de ce type de discrimination est donc de nature à assurer un effet utile aux dispositions destinées à combattre les traitements discriminatoires.

C’est donc sous cet angle qu’il convient d’examiner le présent litige.

Sur les éléments laissant supposer une discrimination

L’article L. 1134-1 du code du travail dispose que lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance de ces dispositions, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

En l’espèce, Monsieur [M] fait valoir que :

– Son fils étant atteint d’une pathologie grave, a été hospitalisé pour une longue durée à compter du 17 mai 2019, quatre dates de séances de chimiothérapie étant fixées et produit un certificat médical en ce sens. Ce fait n’est pas contesté.

– Dès l’annonce de la maladie de son fils à son employeur, le 17 mai 2019, ce dernier l’a reçu en entretien, lui alors fait part de ses inquiétudes quant à ses disponibilités pour travailler et lui a proposé de transformer en contrat d’entreprise la forme juridique dans laquelle s’inscrivait leur relation de travail. Au soutien de cette allégation, il produit un courriel adressé le 24 juin 2019 à son employeur, aux termes duquel il relatait ces allégations.

Ce dernier n’ayant pas répondu, cet élément doit être retenu comme laissant supposer l’existence d’une discrimination.

– Le président de la société a également changé d’attitude à son égard en lui demandant de rédiger des rapports, alors que, précédemment, le « reporting » se faisait quotidiennement, dans le cadre d’un travail réalisé dans une grande proximité avec le président et dans une grande confiance, par le biais de réunions à distance, d’entretiens téléphoniques, d’échanges de courriels et par l’intermédiaire des collaborateurs.

Cependant, la société MYEFFICO Finance 2 répond à juste titre que le « reporting » entre dans les taches normales et habituelles d’un directeur de la stratégie et produit un courriel du 11 octobre 2018, aux termes duquel Monsieur [M] effectuait un compte-rendu de son activité, ainsi qu’un courriel du 19 octobre 20108, soit antérieur à la maladie du fils de Monsieur [M], aux termes duquel le président du groupe, Monsieur [Z] lui demandait un compte-rendu détaillé relatif à un projet.

Cet élément doit donc être écarté.

– À la suite de l’annonce de la chimiothérapie suivie par son fils, le président a cessé petit à petit de communiquer avec lui, l’entraînant dans une dynamique d’isolement.

Au soutien de ce grief, il produit des courriels des 22 juillet et 26 août 2019, aux termes desquels, il proposait des rencontres au président.

Cependant, il ne résulte, ni de ces courriels, ni d’aucun autre élément, que le président lui ait refusé des rendez-vous ou l’ait placé en situation d’isolement alors que, par ailleurs, il communiquait régulièrement avec lui par courriels, aux termes desquels il ne se plaignait d’ailleurs pas d’être isolé.

Cet élément doit donc être écarté.

– L’employeur n’ a pas respecté son engagement de lui octroyer des actions gratuites.

Il résulte des courriels produits par Monsieur [M] lui-même que, dès son embauche, le président de la société lui avait indiqué que cette attribution éventuelle devrait être conditionnée à la réalisation d’objectifs et qu’il s’était alors plaint de cette restriction, bien avant que la maladie de son fils soit déclarée.

Le fait que Monsieur [M] a émis des réclamations postérieurement à cet événement ne permet donc pas de conclure à un lien de causalité entre la maladie de son fils et l’absence d’attribution d’actions gratuites.

Cet élément doit donc être écarté.

– Le 14 novembre 2019, le président de la société l’a convié à une rencontre, a alors

refusé de parler des chantiers dont il avait la charge mais lui a demandé de démissionner au bénéfice d’un contrat de prestation de service, tout en faisant référence à la 4 ème séance de chimiothérapie que son fils devait subir.

Au soutien de cette allégation, Monsieur [M] produit une copie de sms ainsi rédigé :’  » Bonjour JM,

pourrais-tu’me’transmettre’le’nom’et’les’coordonnées’de’ton’avocat’afin’de’me’permettre les’transmettre’au mien qui lui enverra les documents évoqués ensemble. Merci. Bien’sûr’une’pensée’pour’ton’fils’qui’débute’une’nouvelle’épreuve’ce’jour ».

Cet élément doit être retenu comme laissant supposer l’existence d’une discrimination.

– Il a été convoqué à l’entretien préalable de licenciement le 3 décembre 2019, soit le lendemain de son arrêt de travail pour maladie du 2 au 16 décembre 2019.

Cependant, si cette chronologie pourrait éventuellement permettre d’établir un lien entre son propre état de santé et son licenciement, elle ne laisse pas supposer l’existence d’un lien entre sa situation de père d’un enfant malade et ce licenciement.

– Monsieur [M] produit l’attestation de la veuve de monsieur [I], prestataire qui travaillait pour le compte de la société MYEFFICO Finance, qui déclare que cette dernière, profitant de la maladie puis du décès de son époux, n’a réglé que 50% de la facture correspondant à ses prestations.

Cependant, cet événement, étranger à la discrimination alléguée par Monsieur [M], doit être écarté.

– de nombreux directeurs du groupe et le Codir ont manifesté leur incompréhension à l’idée de la rupture de son contrat de travail. ;

– Enfin, Monsieur [M] fait valoir que l’inanité des motifs de licenciement laisse supposer l’existence d’une discrimination.

Ces deux derniers éléments, qui s’ajoutent au grief susvisé, relatif à la volonté réitérée de l’employeur d’obtenir sa démission au profit de la conclusion d’un contrat de prestation de service, doivent être retenus comme laissant supposer l’existence d’une discrimination.

De son côté, la société MYEFFICO Finance 2 argue du caractère justifié du licenciement, qu’il convient donc d’examiner.

Sur les motifs du licenciement

Aux termes de l’article L. 1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

L’insuffisance professionnelle se définit comme l’incapacité objective et durable d’un salarié à exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification. Elle se caractérise par une mauvaise qualité du travail due soit à une incompétence professionnelle, soit à une inadaptation à l’emploi.

Si l’appréciation des aptitudes professionnelles et de l’adaptation à l’emploi relève du pouvoir de l’employeur, pour justifier le licenciement, les griefs doivent être suffisamment pertinents, matériellement vérifiables et perturber la bonne marche de l’entreprise ou être préjudiciables aux intérêts de celle-ci.

Aux termes de l’article L. 1235-1 du code du travail, le juge, pour apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, et au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles, et, si un doute persiste, il profite au salarié.

En l’espèce, en sa qualité de directeur de la stratégie et de l’innovation, Monsieur [M] avait pour mission de gérer l’innovation (amélioration des produits et services existants ainsi que la recherche de financements) et la stratégie (contribuer à la définition de la stratégie du groupe et assurer son suivi ainsi que sa mise en ‘uvre).

Sans être contredite sur ce point, la société MYEFFICO Finance 2 expose que, plus précisément, il était convenu à titre principal que Monsieur [M] s’assure du développement du projet Pangea (suivi du projet, sa gestion et la mise en place d’un produit unique Groupe), de l’amélioration et la sécurisation de l’équipe SaaS et du recrutement de nouveaux talents pour mener les projets.

La lettre de licenciement du 19 décembre 2019, qui fixe les limites du litige en application des dispositions de l’article L.1232-6 du code du travail, caractérise comme suit l’insuffisance professionnelle alléguée :

– L’échec du produit Groupe Pangea : « Le projet principal de « produit Groupe » n’a pas avancé, le planning du projet n’a pas été respecté. Aucune des étapes présentées pour 2019 n’a eu lieu. Il s’agissait pourtant d’une de vos missions prioritaires. Aujourd’hui, vos négligences nous obligent à reporter ou abandonner ce projet. L’ensemble des filiales est impacté par ce projet qui influe sur la stratégie de chacun d’entre elles ».

La société MYEFFICO Finance 2 produit à cet égard un courriel adressé le 12 avril 2019 par Monsieur [Z], président du groupe à Monsieur [M], aux termes duquel il lui reprochait un immobilisme sur ce sujet et lui demandait d’en accélérer la mise en oeuvre.

La société MYEFFICO Finance 2 produit également un planning et explique qu’il n’a pas été respecté, ainsi qu’une attestation de Monsieur [T], directeur général de la filiale argentine du groupe, qui déclare qu’au printemps 2019, il avait demandé à Monsieur [M] de lui présenter le projet Pangea, qui était l’une de ses missions principales mais qu’il a alors constaté que ce projet n’en était qu’au stade de l’idée théorique sans aucun plan d’action immédiat et qui ajoute qu’à aucun moment, Monsieur [M] ne lui a demandé d’élaborer le cahier des charges afin que le projet réponde aux besoins du marché espagnol.

Monsieur [M] conteste ces allégations et observe que l’employeur lui avait adressé un courriel le félicitant pour son travail.

Il ajoute que ce projet stratégique n’était même pas encore connu des fonds d’investissement et souligne qu’aux termes du courriel précité du 12 avril 2019, le dirigeant de la société lui avait déclaré:

« Je’ne’te’jette’pas’la pierre,’tu’n’y’es’pour’rien,’et’je’vois’bien’tous’les’autres’chantiers’qui’avancent ».

Cependant, sans être contredite utilement sur ce point, la société MYEFFICO Finance 2 réplique que, si la première phase du projet a été satisfaisante, cette phase, qui devait durer 10 jours a en réalité duré 6 mois et n’était que la première étape du long processus de mise en place du produit.

Par ailleurs, la phrase citée par Monsieur [M] doit être lue dans le contexte du paragraphe dont elle fait partie : « Plus d’un an après ton arrivée, le projet Pangea n’est pas en vitesse de croisière, voire qu’il n’a pas véritablement commencé pour toutes les équipes. Nous en connaissons les raisons mais nous n’avons plus le temps car je pense sincèrement que le marché ne nous attendra pas.Je’ne’te’jette’pas’la pierre,’tu’n’y’es’pour’rien,’et’je’vois’bien’tous’les’autres’chantiers’qui’avancent et qui sont parfois « aidant » pour celui-là à terme. Je ne demande pas non plus que le projet soit terminé avant d’avoir commencé, mais au contraire simplement qu’il avance concrètement à un rythme élevé, ce pour quoi je t’ai principalement proposé de rejoindre l’aventure avec la mission de sécurisation du Saas ».

La société MYEFFICO Finance 2 établit donc avoir alors mis Monsieur [M] en garde sur le caractère prioritaire du projet, lequel n’a pourtant pas abouti.

Ce grief est donc établi.

Il convient à cet égard de relever que le courriel de mise en garde précité est antérieur au début de la maladie du fils de Monsieur [M].

– La lettre de licenciement énonce également comme constitutive d’insuffisance professionnelle, l’évolution insuffisante de l’équipe SaaS, grief énoncé comme suit : «Nous constatons également que l’évolution de l’équipe SaaS et informatique interne est très insuffisante. En 20 mois, vous n’avez pas souhaité suivre nos recommandations concernant l’embauche d’un DSI, RSSI ou Ingénieur d’Exploitation SaaS. Vous n’avez pas structuré l’équipe afin de renforcer les savoir-faire de celle-ci. J’ai moi-même plusieurs fois dû écrire les fiches de poste, toutefois il n’y a pas eu de démarche active de votre part en suivant. Vous n’avez par ailleurs produit aucun élément financier permettant de comprendre la structure de coûts des plateformes SaaS que nous maintenons».

La société MYEFFICO Finance 2 explique que l’équipe SaaS gère les infrastructures techniques du groupe, lesquelles hébergent le produit Octime pour plus de 1300 clients qui utilisent le logiciel du même nom en ligne, service qui apporte plus de 50% du chiffre d’affaires récurrent au groupe, que cette situation a justifié le recrutement de Monsieur [M] afin de sécuriser l’essentiel de ce qui fait la valeur du Groupe.

Elle produit un courriel du 1er décembre 2018, aux termes duquel le président attirait l’attention de Monsieur [M] sur la nécessité de recruter les personnes adéquates et un courriel du 24 février 2019 le relançant sur ce point ; il convient de préciser que ces deux courriels sont antérieurs au déclenchement de la maladie du fils de Monsieur [M].

Par courriel du 2 novembre 2019, le président faisait part de ses inquiétudes à Monsieur [M] et lui annonçait sa décision de reprendre la main pour les recrutements.

Monsieur [M] se contentait de répondre par la citation suivante :  » Cela n’a pas de sens d’embaucher des gens intelligents et de leur dire quoi faire ; nous embauchons des gens intelligents pour qu’ils nous disent ce qu’il faut faire  » .

La société MYEFFICO Finance 2 produit également l’attestation de Monsieur [U], directeur business development, qui déclare que Monsieur [M] avait pour mission de structurer le département SaaS du groupe afin de sécuriser et monter en puissance les plateformes SaaS, axe stratégique du groupe mais qu’au fil des mois, il a constaté que ses objectifs n’étaient pas atteints, le niveau des problèmes rencontrés chez les clients restant très élevé.

La société MYEFFICO Finance 2 démontre par ailleurs que le successeur de Monsieur [M] a, quant à lui, procédé aux recrutements nécessaires en moins d’une année.

Au soutien de sa contestation de ce grief, Monsieur [M] fait valoir que Monsieur [U] ou bien la Direction dans son ensemble, mettaient des entraves aux recrutements à [Localité 4], mais n’en rapporte pas la preuve.

– La lettre de licenciement énonce également un refus de prise en charge du projet Empleo dans les termes suivants : « Vous avez refusé de prendre la responsabilité de projets que vous n’aviez pas initiés. Vous avez ainsi qualifié de « »projet de merde » le projet Empleo non initié par vous pourtant très stratégique pour nos filiales ».

Elle produit à cet égard un courriel du 19 octobre 2018, aux termes duquel le président de la société demandait à Monsieur [M] et à son équipe de prendre en charge le projet en question et la réponse du même jour de Monsieur [M], faisant part de ses réticences, ainsi qu’une relance du président du 19 décembre 2018, laissée sans réponse.

Monsieur [M] répond que la direction avait décidé d’abandonner le projet en question fin août 2018.

Cependant, il résulte des pièces produites par les deux parties que la Direction avait décidé de relancer le projet.

Monsieur [M] fait également valoir qu’il a contribué à la réalisation d’un business plan mais les éléments qu’il produit ne font pas apparaître qu’il ait pris la responsabilité du projet, alors que cette abstention lui est précisément reprochée.

– La lettre de licenciement reproche également à Monsieur [M] une incapacité à réaliser les missions essentielles d’innovation et de stratégie et produit en ce sens une attestation de Monsieur [U].

Monsieur [M] répond que, grâce à son travail et celui de son équipe, le groupe a pu réussir sa transformation digitale ; il cite comme exemples la migration vers Microsoft Office 365 et l’introduction de nouveaux outils collaboratifs comme Microsoft Teams, expliquant que, sans ces innovations, le groupe aurait été en grande difficulté quelques mois plus tard lorsque l’état d’urgence sanitaire a été déclaré dans le pays, ainsi que du « cloud computing ».

Cependant, la société MYEFFICO Finance 2 réplique à juste titre que la mise en place de ces outils ne peut être considérée comme constitutive de l’innovation exigée par ses fonctions.

– La lettre de licenciement reproche également à Monsieur [M] une absence de comptes rendus et de rapports d’activité.

Monsieur [M] répond que la direction ne s’était jamais plainte de l’absence de reporting jusqu’à la maladie de son fils, alors qu’elle était informée quotidiennement de son activité, ainsi que des états d’avancement des projets.

Cependant, comme exposé plus haut, par courriel du 19 octobre 2018, le président lui demandait un compte-rendu détaillé relatif au projet Empleo v2, tous les 15 jours et sous la forme d’une fiche de synthèse, étant rappelé que ce courriel est antérieur à la maladie du fils de Monsieur [M].

Monsieur [M] était vainement relancé par courriel du 19 juillet 2019.

– Il résulte de ces considérations, d’une part que le grief d’insuffisance professionnelle est dépourvu de lien avec la maladie du fils de Monsieur [M], d’autre part qu’il est avéré.

– La lettre de licenciement reproche, par ailleurs à Monsieur [M] d’avoir discrédité le travail du directeur de business development, Monsieur [L] [U].

Ce grief est établi par plusieurs courriel produits par la société MYEFFICO Finance 2 , aux termes desquels Monsieur [M] mettait directement en cause les compétences de Monsieur [U], se moquait de lui en des termes ironiques et grinçants, tant auprès du président que d’autres collaborateurs de l’entreprise (« Quand tu sais comment les choses se sont passées pour en arriver là, ce mail est plus qu’intéressant et en dit long sur le manager’ » –  » Je vous partage la perle du jour [L] organise le planning de rentrée de la nouvelle juriste. Oui, oui, vous avez bien lu, il organise SON planning de rentrée. Enorme ! » –  » Oooooooh, le petit [L] [X] a été un peu oublié dans les remerciements, c’est pas gentil ça ! » –  » Désespérant au dernier degré !! La boîte n’est absolument pas dirigée !! »).

Par leur forme et la multiplicité des destinataires, ces propos dépassent les limites de la liberté d’expression d’un salarié au sein de l’entreprise et sont donc fautifs.

Sur l’absence de discrimination

Il résulte de ces considérations que, tant sur le plan de l’insuffisance professionnelle que de la faute, les griefs de l’employeur sont avérés ; ils constituent ainsi des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Par ailleurs, si, ainsi qu’il a été exposé plus haut, il est établi que l’employeur a tenté d’obtenir la démission de Monsieur [M] au profit de la conclusion d’un contrat de prestation de service, cette attitude apparaît comme une réaction à l’insuffisance professionnelle de Monsieur [M], voire à son comportement à l’égard d’un collègue, et non pas à l’annonce de la maladie de son fils.

Il convient, au surplus, de relever qu’aux termes de ses courriels, Monsieur [Z], président du groupe, se montrait prévenant à l’égard de Monsieur [M] en ce qui concerne la situation personnelle très difficile qu’il traversait, attitude confirmée par les attestations produites par l’entreprise.

Le jugement doit donc être confirmé en ce qu’il a débouté Monsieur [M] de sa demande de dommages et intérêts pour discrimination.

Sur le licenciement

En l’absence de discrimination, Monsieur [M] doit être débouté de sa demande tendant à voir déclarer le licenciement nul ainsi que de ses demandes afférentes.

Il résulte par ailleurs des considérations qui précèdent que tant l’insuffisance professionnelle que le dénigrement fautif d’un collègue sont établis et constituent des causes réelles et sérieuses de licenciement.

Le jugement doit donc être confirmé en ce qu’il a débouté Monsieur [M] des ses demandes afférentes au licenciement.

Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail

Au soutien de cette demande, Monsieur [M] expose que l’entreprise a profité des graves problèmes de santé rencontrés par son fils pour faire pression sur lui en tentant de lui faire accepter une modification de la relation de travail, sous la forme d’un contrat de prestation de service, alors qu’elle avait précédemment obtenu qu’il renonce à un statut d’indépendant, afin de s’assurer de son investissement et de son engagement pour le groupe.

Cependant, il ne rapporte pas la preuve de pressions mais seulement de demandes réitérées à deux reprises, ni ne prouve l’existence d’un préjudice qui en aurait résulté.

Le jugement doit donc être confirmé en ce qu’il a débouté Monsieur [M] de cette demande.

Sur la demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité

Au soutien de ce grief, Monsieur [M] formule, d’une part, le même grief qu’au soutien de sa demande au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail, d’autre part argue du caractère discriminatoire de l’attitude de l’employeur et de son licenciement .

Ces griefs n’étant pas fondés, le jugement doit être confirmé en ce qu’il a débouté Monsieur [M] de cette demande.

Sur la demande d’attribution d’actions gratuites

Il résulte des courriels produits par Monsieur [M] que la possibilité de cette attribution en est restée, entre les parties, au stade d’une simple éventualité dans le cadre de leurs négociations et qu’elle était conditionnée à la réalisation d’objectifs.

A défaut, pour Monsieur [M] de rapporter la preuve d’un engagement contractuel de la société MYEFFICO Finance 2, le jugement doit être confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande.

Sur les autres demandes

L’équité ne commande pas qu’il soit fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré ;

Déboute Monsieur [E] [M] de ses demandes ;

Y ajoutant ;

Déboute la société MYEFFICO Finance 2 de sa demande d’indemnité pour frais de procédure formée en cause d’appel ;

Condamne Monsieur [E] [M] aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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