RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 10
ARRÊT DU 21 Septembre 2022
(n° , 1 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 21/01423 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDD5H
Décision déférée à la Cour : Jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de PARIS le 22 Mars 2016 sous le RG n° F15/06605 ; infirmé partiellement par un arrêt de la chambre 6-4 de la Cour d’appel de PARIS rendu le 19 juin 2018 sous le RG n° 16/06134 lui-même partiellement cassé par la Cour de cassation dans son arrêt n° 1112 F-D rendu le 25 novembre 2020, ayant renvoyé la cause et les parties devant la Cour d’appel de PARIS autrement composée.
APPELANTE
Mme [H] [E]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Laure SERFATI, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
S.A.R.L. LA MAIN TENDUE prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Séverine HOUARD-BREDON, avocat au barreau de PARIS, toque : E0327
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 24 mai 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Monsieur Nicolas TRUC, Président de chambre
Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de chambre
Madame Anne MEZARD, Vice Présidente placée faisant fonction de conseillère par ordonnance du Premier Président en date du
Greffier : Madame Sonia BERKANE, lors des débats
ARRET :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de chambre de chambre et par Madame Sonia BERKANE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire
EXPOSE DU LITIGE :
Mme [H] [E] a été engagée par la société à responsabilité limitée (SARL) La Main Tendue, suivant contrat à durée indéterminée à temps partiel en date du 19 novembre 2010, en qualité d’assistante de vie. Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective nationale des entreprises de services à la personne du 20 septembre 2012.
La SARL La Main Tendue est une entreprise de services à la personne et d’aide à domicile de personnes âgées ou handicapées.
Par un avenant du 1er février 2011, le temps de travail de 45 heures mensuelles a été porté à 70 heures par mois.
Par un nouvel avenant du 1er mars 2011, le temps de travail a été porté à 130 heures par mois.
Le 2 février 2015, Mme [H] [E] a été désignée comme déléguée du personnel suppléante.
Le 18 février 2015, Mme [H] [E] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 2 mars suivant.
Par un courrier du 4 mars 2015, la salariée a été mise à pied à titre conservatoire.
Le même jour, la SARL La Main Tendue a saisi l’Inspection du travail d’une demande d’autorisation de licenciement.
Par un courrier du 31 mars 2015, l’Inspection du travail a répondu à l’employeur : « Considérant dans ces conditions que la demande de licenciement est liée à l’élection et au mandat de Madame [E], décide : l’autorisation de procéder au licenciement pour faute de Madame [E] est refusée ».
Le 24 avril 2015, l’employeur a exercé un recours hiérarchique contre cette décision.
Le 3 avril 2015, Mme [H] [E] a écrit au directeur de la SARL La Main Tendue pour se plaindre du fait qui lui avait été annoncé que son travail se cantonnerait désormais, principalement, à faire du ménage et du tri de papier au sein de l’agence et chez quelques clients.
Le 6 avril 2015, Mme [H] [E] a été placée en arrêt de travail pour maladie.
Le 13 avril 2015, l’employeur lui a répondu que ses accusations graves n’étaient aucunement justifiées et que ses nouvelles conditions de travail résultaient du fait que certains clients ne souhaitaient plus qu’elle soit à leur service et que son inaptitude à porter des charges de plus de 10 kg ne l’autorisait pas à travailler chez des personnes qui avaient besoin d’être portées.
Le 5 juin 2015, Mme [H] [E] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail ainsi que d’une demande de rappel de salaire et de prime d’ancienneté.
Le 18 septembre 2015, le Ministre de l’emploi, du travail de la formation professionnelle et du dialogue social a annulé la décision de l’Inspecteur du travail mais a refusé d’autoriser le licenciement de Madame [E] au motif que la matérialité des faits n’était pas établie et que le grief devait être écarté.
Le 22 mars 2016, le conseil de prud’hommes de Paris, dans sa section Activités Diverses, a statué comme suit :
– prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur
– condamne la SARL La Main Tendue à verser à Mme [H] [E] les sommes suivantes :
* 2 093,26 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis
* 209,32 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis
* 1 172,22 euros à titre d’indemnité de licenciement
Avec intérêts au taux légal a compter de la réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation
* 5 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et
sérieuse,
Avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision
– rappelle qu’en application de l’article R. 454-28 du code du travail, ces condamnations sont exécutoires de droit à titre provisoire, dans la limite maximum de neuf mois de salaires, calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaires. Fixe cette moyenne à la somme de 1 046,93 euros
– déboute Mme [H] [E] du surplus de ses demandes
– déboute la SARL La Main Tendue de sa demande au titre de l’article 700 formulée par voie de conclusions
– condamne la SARI. La Main Tendue aux dépens.
La SARL La Main Tendue a remis à la salariée ses documents de fin de contrat en exécution de cette décision.
Mme [H] [E] a relevé appel de ce jugement.
Par un arrêt du 19 juin 2018, la cour d’appel de Paris a :
– infirmé le jugement du 22 mars 2016, sauf en ce qu’il a rejeté la demande de Mme [H] [E] en paiement d’une indemnité pour violation du statut protecteur lié au mandat de déléguée du personnel suppléante
Statuant à nouveau sur les autres chefs,
– rejeté les demandes de Mme [H] [E]
Y ajoutant
– rejeté les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– condamné Mme [H] [E] aux dépens de première instance et d’appel.
Saisie du pourvoi formé par Mme [H] [E], la Cour de cassation, par arrêt du 25 novembre 2020, au visa des articles 455 du code de procédure civile, 2241 du code civile et R.1452-1 et R 1452-6 du code du travail dans leur rédaction issue du décret n°2008-244 du 7 mars 2008, a cassé et annulé l’arrêt du 19 juin 2018, sauf en ce qu’il a confirmé le rejet de la demande de Mme [H] [E] en paiement d’une indemnité pour violation du statut protecteur.
Cette décision est motivée par le fait que la cour d’appel a rejeté la demande de requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat à temps complet « par une affirmation péremptoire et sans examiner les éléments que la salariée produisait au soutien de sa demande » et qu’elle a déclarée irrecevable comme prescrite la demande de rappel de salaire au titre des temps de déplacement formée par la salariée alors que la prescription avait été interrompue par la saisine du conseil des prud’hommes le 5 juin 2015, même si la demande avait été présentée en cours d’instance.
Il était, également précisé que la cassation sur le premier le deuxième moyen du pourvoi entraînait la cassation, par voie de conséquence des chefs du dispositif ayant débouté la salariée de sa demande de résiliation judiciaire et de ses demandes indemnitaires subséquentes.
Vu les écritures déposées à l’audience et soutenues par son conseil, aux termes desquelles
Mme [H] [E] demande à la cour d’appel de :
– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes du 22 mars 2016 en ce qu’il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de Madame [E] aux torts exclusifs de la société La Main Tendue
– le réformer pour le surplus et statuant à nouveau
– condamner la société La Main Tendue à verser à Madame [E] les sommes suivantes :
* indemnité de préavis : 2 979,1 euros, outre 297,91 euros de congés payés afférents
subsidiairement : 2 093,26 euros outre 209,32 euros de congés payés afférents
* indemnité de licenciement : 1 668,3 euros
subsidiairement : 1 172,22 euros
* dommages et intérêts pour licenciement nul : 14 000 euros
* rappels de salaires sur la base d’un temps plein : 25 014,21 euros outre 2 501,41 euros de congés payés afférents
subsidiairement rappels de salaire sur la base de la durée contractuelle du travail (130 heures pars mois) : 7 642,6 euros à titre de rappel de salaires et 764,27 euros de congés payés afférents
plus subsidiairement : 3 129 euros à titre de rappel de salaires au titre des temps de déplacement
* dommages-intérêts pour dépassement de la durée contractuelle du travail : 15 000 euros
* primes de transports : 1 603,95 euros
* article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros
– ordonner la capitalisation des intérêts par application de l’article 1343-2 du code civil.
Vu les écritures déposées à l’audience et soutenues par son conseil, aux termes desquelles la SARL La Main Tendue demande à la cour d’appel de :
– dire Mme [H] [E] irrecevable s’agissant de sa demande d’indemnité pour violation du statut protecteur à hauteur de 44 686,50 euros et subsidiairement 31 398,90 euros, outre 3 139,89 euros de congés payés afférents
Pour le surplus et statuant à nouveau
A titre principal
– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Paris du 22 mars 2016 en ce qu’il a :
« – prononcé résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur
– condamné la SARL La Main Tendue à verser à Mme [H] [E] les sommes suivantes :
* 2 093,26 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis
* 209,32 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis
* 1 172,22 euros à titre d’indemnité de licenciement
Avec intérêts au taux légal à compter de la réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation
* 5 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et
sérieuse,
avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision »
– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Paris du 22 mars 2016 en ce qu’il a débouté Mme [H] [E] du surplus de ses demandes
– débouter Mme [H] [E] de l’ensemble de ses demandes
A titre subsidiaire
– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Paris du 22 mars 2016 en toutes ses dispositions
– débouter Mme [H] [E] de ses demandes plus amples contraires
En tout état de cause
– condamner Madame [E] à payer à la société La Main Tendue la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– condamner Madame [E] aux entiers dépens.
MOTIFS DE LA DECISION :
A titre liminaire, la cour observe que la salariée a abandonné sa demande de rappel de prime d’ancienneté en cause d’appel.
1/ Sur la demande de requalification du contrat de travail à temps partiel en un contrat à temps complet
Mme [H] [E] fait valoir qu’alors que son contrat de travail initial prévoyait un temps partiel de 45 heures mensuelles, porté à 70 puis à 130 heures par mois, aucune répartition des horaires de travail n’a jamais été définie. La salariée ajoute que les plages horaires étaient constamment modifiées, tant en ce qui concernait le nombre d’heures à accomplir que leur répartition, qui s’étendait à l’ensemble des jours de la semaine, dimanche et jours fériés inclus. Elle précise, ainsi, que pour un même mois, elle a pu recevoir pas moins de 8 plannings différents (pièce 29 salariée).
La salariée signale que cette incertitude sur l’organisation de son travail ne lui permettait pas d’occuper un autre emploi et qu’elle devait se tenir à la disposition permanente de l’employeur.
Il est, également, arrivé, fréquemment, que l’employeur ne lui fournisse pas de travail pour les 130 heures prévues contractuellement dans l’avenant du 1er mars 2011 et qu’il réduise sa rémunération aux heures effectuées, en la mentionnant en absence pour le reste du temps. Saisie de cette même irrégularité pour d’autres salariés de la société, l’Inspection du travail a d’ailleurs mis en demeure la SARL La Main Tendue de régulariser la situation (pièce 40), ce dont elle s’est abstenue.
Mme [H] [E] prétend qu’elle a été amenée à 4 reprises (mars 2011, août 2011, mars 2013 et mai 2013) à travailler au-delà de la durée légale mensuelle du travail de 151,67 heures prévue pour un temps plein.
En conséquence, Mme [H] [E] sollicite la requalification de son contrat de travail à temps partiel en un contrat à temps complet à compter du 1er janvier 2011 et jusqu’au 30 novembre 2014 ainsi qu’un rappel de salaire de 25 014,21 euros, outre 2 501,41 euros au titre des congés payés afférents.
L’employeur rappelle que, dès lors que la structure qui emploie le salarié est une association ou une entreprise d’aide à domicile, ce qui est bien son cas, seule la durée hebdomadaire ou mensuelle du travail doit figurer dans le contrat de travail à temps partiel et qu’il n’était donc pas tenu de préciser, dans ce document, la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine et les semaines du mois.
La société intimée ajoute que des plannings de travail étaient remis aux salariés, par la coordinatrice présente dans les bureaux de la société, entre le 20 et 30 de chaque mois pour le mois suivant (pièce 86 et 87) et elle produit aux débats, l’ensemble des plannings de travail remis à Mme [H] [E] de janvier 2014 à avril 2015 (pièces 25, 40 et 88).
L’employeur ajoute, sans en justifier, que Mme [H] [E] a toujours refusé de travailler à temps complet et qu’elle ne s’est jamais plainte d’avoir à effectuer des heures complémentaires, d’autant que celles-ci se trouvaient défiscalisées pour elle. Par ailleurs, s’il a pu arriver que Mme [H] [E] effectue un nombre d’heures équivalent à un temps complet, en mars et juillet 2011, ainsi qu’en mars et avril 2013, ces situations exceptionnelles ne se sont plus jamais répétées par la suite.
S’il est exact que pour prendre en compte les contraintes particulières d’exercice des entreprises d’aide à domicile, soumises à des variations d’horaires importantes, le législateur les a exonérées de l’obligation de faire figurer, dans les contrats de travail, la répartition des horaires, il n’en demeure pas moins que les salariés ne doivent pas être placés dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme ils doivent travailler en raison d’une instabilité horaires à laquelle les soumettrait l’employeur.
En l’espèce, il ressort tant des plannings de travail de Mme [H] [E] communiqués par l’employeur, que des bulletins de paie versés aux débats par la salariée, que ses horaires de travail et leurs répartitions changeaient chaque semaine. L’examen des plannings de travail permet de constater que la salariée a reçu 6 plannings de travail différents pour le mois de septembre 2014, 9 pour le mois d’octobre, 4 pour le mois de novembre, 4 pour le mois de décembre, 5 pour le mois de janvier etc… cette situation se renouvelant chaque mois. Pour le seul mois d’octobre le nombre d’heures à effectuer est ainsi passé de 113 heures à 148, 67 heures (pièce 88 employeur).
Il est, également, avéré, et non contesté par l’employeur, que la durée mensuelle de travail de Mme [H] [E] pouvait varier entre 80 et 185 heures (par exemple :79 heures pour le mois de février 2013 et 167 heures le mois suivant) et que si elle était le plus souvent inférieure à la durée contractuellement garantie, sans modification du contrat de travail, elle pouvait aussi dépasser la durée d’un temps complet, en violation des dispositions de l’article L. 3123-17 du code du travail, cette seule irrégularité entraînant, d’ailleurs, la requalification du contrat à temps partiel en contrat à temps complet.
Il s’évince de ces considérations que l’importante variabilité des horaires de travail de la salariée, en dehors même du cadre minimal fixé par le contrat de travail, ne lui permettait pas de s’organiser ni de prétendre à une deuxième emploi et qu’elle se trouvait ainsi contrainte de demeurer à la disposition permanente de la société intimée.
Le contrat à temps partiel sera donc requalifié en un contrat à temps complet à compter du 1er janvier 2011 et il sera fait droit à la demande de rappel de salaire et congés payés afférents formés par la salariée. Le jugement déféré sera donc infirmé de ce chef.
2/ Sur la prime de transport
Mme [H] [E] indique que si la société intimée a systématiquement fait figurer sur ses bulletins de paie des primes de transport celles-ci n’ont jamais été ajoutées au salaire versé. Elle revendique, en conséquence, un rappel de ces primes à hauteur de 1 603,95 euros.
L’employeur objecte que cette demande nouvelle en cause d’appel doit être rejetée, mais il ne sollicite pas son irrecevabilité. Il relève, par ailleurs, que si les primes de transport ont systématiquement été portées sur les bulletins de salaire de Mme [H] [E] s’est bien qu’elle lui ont été réglés. Il précise que cette indemnité étant traitée comme un remboursement de frais professionnels par l’URSSAF, elle était versée nette de charges sociales et qu’elle figurait, dès lors, non pas dans la base brute cotisable, mais après la ligne « net imposable » et avant celle « net à payer ».
Mais, la cour rappelle que la délivrance d’un bulletin de paie ne constitue qu’un commencement de preuve par écrit, et que si un salarié conteste avoir perçu l’intégralité de son salaire, l’employeur doit produire des pièces comptables justifiant des paiements intervenus pour justifier qu’il s’est bien acquitté de ses obligations.
A défaut, pour la SARL La Main Tendue de satisfaire à la charge de la preuve qui lui incombe, il sera fait droit à la demande de rappel de prime de transport de Mme [H] [E].
3/ Sur la demande de dommages-intérêts pour dépassement de la durée contractuelle du travail
La salariée appelante ne s’expliquant pas dans le corps de ses écritures sur le fondement de cette demande, elle sera déboutée de cette prétention puisque l’article 6 du code de procédure civile fait obligation aux parties d’alléguer des faits propres à fonder leurs prétentions.
4/ Sur la résiliation judiciaire
Les dispositions combinées des articles L. 1231-1 du code du travail et 1224 du code civil permettent au salarié de demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur en cas de manquements suffisamment graves de ce dernier à ses obligations contractuelles.
Il appartient à Mme [H] [E] d’établir la réalité des manquements reprochés à son employeur et de démontrer que ceux-ci sont d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation contractuelle. La résiliation prononcée produit les mêmes effets qu’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par ailleurs si, ayant engagé l’instance en résiliation de son contrat de travail, le salarié a continué à travailler au service de l’employeur et que ce dernier le licencie ultérieurement, le juge doit d’abord rechercher si la demande de résiliation du contrat de travail était justifiée ; si tel est le cas, il fixe la date de la rupture à la date d’envoi de la lettre de licenciement; c’est seulement dans le cas contraire qu’il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l’employeur.
La réalité et la gravité de ces manquements sont appréciés à la date où la juridiction statue et non à la date où ils se sont prétendument déroulés.
La salariée appelante fonde sa demande de résiliation judiciaire sur les manquements suivants imputés à l’employeur :
– le non-paiement des salaires contractuels à hauteur de 130 heures mensuelles
– la violation des dispositions légales en matière de contrat de travail à temps partiel
– le non-paiement des temps de déplacement
– le non-paiement des primes de transport.
Elle ajoute qu’elle a, aussi, subi des faits de harcèlement moral doublés d’une discrimination syndicale, à compter de sa désignation en qualité de déléguée du personnel suppléante, en février 2015. La salariée rapporte, à cet égard, qu’en mai 2014, elle s’est vue notifier un avertissement parce qu’elle avait refusé de changer au dernier moment son planning alors qu’elle avait un rendez-vous médical (pièces 9 et 10). À cette même date, elle accuse l’employeur d’avoir tenté de modifier unilatéralement son contrat de travail en l’affectant à des tâches de femme de ménage alors qu’elle exerçait des missions d’assistante de vie/auxiliaire de vie. À partir de son élection en qualité de délégué du personnel suppléant, sa situation s’est encore fortement dégradée ce qui a nécessité l’intervention du syndicat CGT, auquel elle était affiliée (pièces 14, 15 et 19).
La salariée verse aux débats des attestations de collègues de travail ayant constaté les intimidations dont elle était l’objet et la volonté de l’employeur de se passer de ses services (pièces 22, 23, 24, 25), ce souci s’étant d’ailleurs traduit par sa tentative de licenciement pour des faits de vol, refusée par l’Inspection du travail au motif qu’il n’existait aucune preuve des faits allégués et que la demande d’autorisation de licenciement était liée à son mandat électif (pièce 28).
Mme [H] [E] souligne que ces agissements répétés ont entraîné une dégradation de son état de santé et un état dépressif réactionnel sévère qui ont entraîné son placement en arrêt travail (pièces 31 à 35 et 45). En conséquence, la salariée demande à ce qu’il soit prononcé la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur produisant les effets d’un licenciement nul.
La cour retient au vu de ses éléments, qui font état de l’existence d’un syndrome dépressif avéré ainsi que l’imputation par la salariée de ce dernier à ses conditions de travail, que cette dernière établit suffisamment des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et qu’il appartient dès lors à l’employeur de prouver que les agissements précis qui lui sont reprochés n’étaient pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
L’employeur répond que si Mme [H] [E] a été engagée en qualité d’assistante de vie, elle était informée, dès son embauche, que ces fonctions incluait la réalisation de tâches ménagères au domicile des clients, ainsi que le prévoit d’ailleurs la convention collective nationale des services à la personne. Il ne peut donc être considéré qu’en lui demandant d’effectuer des travaux de ménage (que la salariée refusait d’effectuer au domicile des clients) la société intimée ait modifié unilatéralement ses conditions de travail. L’employeur se défend d’avoir exercé des actes d’intimidation auprès de la salariée et il explique qu’en raison de la réception de plusieurs plaintes de clients (pièces 13, 14) il lui a proposé un poste de commerciale et de coordinatrice pour la « remotiver » (pièce 21). Ayant reçu de nouvelles plaintes, notamment pour des faits de vol (pièces 31, 35, 37, 22) à la suite de l’élection de la salariée comme déléguée du personnel suppléante, la société intimée n’a eu d’autre choix que d’engager une procédure de licenciement.
L’employeur relève que l’engagement syndical de l’Inspecteur du travail, qui a refusé d’autoriser le licenciement de la salariée, a entaché son impartialité et que si le Ministère du travail ne lui a pas davantage accordé cette autorisation il n’a pas, pour autant, mis en évidence de lien entre l’appartenance syndicale de la salariée et la procédure de licenciement engagée.
La cour retient qu’il ressort de l’énoncé même des fonctions de la salariée, tel que figurant à l’article 4 de son contrat de travail, que son poste comportait l’accomplissement de tâches ménagères et qu’il ne peut être considéré que la demande qui lui avait été faite par l’employeur d’exécuter ces missions consistait en une modification imposée de ses conditions de travail.
Par ailleurs, Mme [H] [E] ne peut valablement soutenir qu’elle exerçait un emploi d’auxiliaire de vie alors qu’elle avait demandé à bénéficier d’une formation pour pouvoir prétendre à ce poste (pièce 8 employeur). Les pressions et intimidations imputées à l’employeur ne sont pas caractérisées et celui-ci justifie avoir mis en oeuvre une procédure de licenciement à l’encontre de la salariée après avoir reçu plusieurs plaintes de clients l’accusant de vol (pièces 31, 35, 37 et 22). Il est donc établi que l’engagement de la procédure disciplinaire ne présentait aucun lien avec la récente désignation de Mme [H] [E] en qualité de déléguée du personnel suppléante, ainsi que l’a d’ailleurs considéré le Ministère du travail qui a annulé la décision de l’Inspection du travail mais en maintenant son refus d’autoriser le licenciement à défaut d’une caractérisation de faits fautifs.
L’employeur justifie donc que ses agissements n’étaient pas constitutifs d’un harcèlement ou d’une discrimination. En revanche, en réduisant pour 27 mois sur 48, le temps de travail mensuel de la salariée, par rapport aux 130 heures prévues contractuellement à compter du 1er mars 2011, ainsi que sa rémunération, la SARL La Main Tendue a modifié des éléments substantiels du contrat de travail de Mme [H] [E], sans accord exprès de cette dernière, ce manquement étant suffisamment grave pour justifier la résolution judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, Mme [H] [E] qui, à la date du licenciement, comptait au moins deux ans d’ancienneté dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés a droit, en application de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version applicable au litige, à une indemnité qui ne saurait être inférieure aux salaires bruts perçus au cours des six derniers mois précédant son licenciement.
Au regard de son âge, 54 ans au moment de la rupture du contrat de travail, de son ancienneté de plus de 5 ans dans l’entreprise, du montant de la rémunération qui aurait dû lui être versée sur la base de 130 heures mensuelles (1 457,55 euros), il convient de lui allouer, en réparation de son entier préjudice la somme de 10 203 euros.
La salariée peut, également, légitimement prétendre aux sommes suivantes :
– 2 979,10 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis
– 297,91 euros au titre des congés payés y afférents
– 1 668,30 euros à titre d’indemnité de licenciement.
5/ Sur les autres demandes
Les sommes allouées à titre salarial porteront intérêts au taux légal à compter du 10 juin 2015, date à laquelle l’employeur a réceptionné sa convocation à l’audience du bureau de conciliation et d’orientation.
Les sommes allouées à titre indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du 22 mars 2016, date du jugement déféré.
Il sera ordonné la capitalisation des intérêts dus pour une année entière.
La SARL La Main Tendue supportera les dépens d’appel de la présente procédure et ceux de l’arrêt cassé et sera condamnée à payer à Mme [H] [E] la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant dans la limite de sa saisine,
Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a :
– prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur
– débouté Mme [H] [E] de sa demande de prime d’ancienneté et congés payés afférents
– débouté Mme [H] [E] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement nul
– débouté la SARL La Main Tendue de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– condamné la SARL La Main tendue aux dépens,
L’infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Requalifie le contrat de travail à temps partiel liant Mme [H] [E] et la SARL La Main Tendue en un contrat à temps complet,
Condamne la SARL La Main Tendue à payer à Mme [H] [E] les sommes suivantes :
– 25 014,21 euros à titre de rappel de salaire sur un temps complet
– 2 501,41 euros au titre des congés payés afférents
– 1 603,95 euros à titre de rappel de primes de transport
– 10 203 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
– 2 979,10 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis
– 297,91 euros au titre des congés payés y afférents
– 1 668,30 euros à titre d’indemnité de licenciement
– 2 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Dit que les sommes allouées à titre salarial porteront intérêts au taux légal à compter du 10 juin 2015 et que les sommes allouées à titre indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du 22 mars 2016,
Ordonne la capitalisation des intérêts pourvu qu’ils soient dus pour une année entière,
Déboute Mme [H] [E] de sa demande de dommages-intérêts pour dépassement de la durée contractuelle du travail,
Déboute la SARL La Main Tendue de ses demandes plus amples ou contraires,
Condamne la SARL La Main Tendue aux dépens d’appel de la présente procédure et à ceux de l’arrêt cassé.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE