ARRÊT N°
FD/SMG
COUR D’APPEL DE BESANÇON
ARRÊT DU 14 JUIN 2022
CHAMBRE SOCIALE
Audience publique
du 12 avril 2022
N° de rôle : N° RG 21/00662 – N° Portalis DBVG-V-B7F-ELSB
S/appel d’une décision
du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BESANCON
en date du 30 mars 2021
Code affaire : 80T
Demande en paiement de créances salariales en l’absence de rupture du contrat de travail
APPELANTE
S.A.R.L. SENIORS COMTOIS SERVICE Prise en la personne de son représentant légal domicilié de droit audit siège, sise [Adresse 2]
représentée par Me Vincent BRAILLARD, avocat au barreau de BESANCON, présent
INTIME
Monsieur [J] [F], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Emmanuelle-Marie PERNET, avocat au barreau de BESANCON, présente
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats du 12 Avril 2022 :
Monsieur Christophe ESTEVE, Président de Chambre
Madame Bénédicte UGUEN-LAITHIER, Conseiller
Mme Florence DOMENEGO, Conseiller
qui en ont délibéré,
Mme MERSON GREDLER, Greffière lors des débats
Les parties ont été avisées de ce que l’arrêt sera rendu le 7 Juin 2022 par mise à disposition au greffe. A cette date la mise à disposition de l’arrêt a été prorogée au 14 juin 2022.
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Statuant sur l’appel interjeté le 14 avril2021 par la Sarl Seniors Comtois Service du jugement rendu le 30 mars 2021 par le conseil de prud’hommes de Besançon qui, dans le cadre du litige l’opposant à M. [J] [F], a :
– annulé l’avertissement du 19 février 2019
– débouté M. [F] de sa demande d’annulation de l’avertissement du 15 octobre 2019
– jugé que la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail par M. [F], aux torts exclusifs de l’employeur, a les effets d’un licenciement nul
– condamné la Sarl Seniors Comtois Services AD à lui payer les sommes de :
– 1 452,11 euros brut au titre des indemnités kilométriques non réglées
– 8 089,95 euros brut au titre des heures supplémentaires liées aux trajets entre les clients
– 808,99 euros brut au titre des congés payés afférents
– 8 712,24 euros au titre d’indemnité pour travail dissimulé
– 8 712 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul
– 3 194,40 euros brut au titre d’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents
– 1 497,57 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement
– 8 500 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice suite aux souffrances subies
– 7 500 euros au titre du non-respect de l’obligation de sécurité
– 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
– condamné la Sarl Senior Comtois Services à rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées à M. [F] du jour du licenciement au jour du jugement dans la limite de six mois
– débouté la Sarl Seniors Comtois Services de sa demande présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
– condamné la Sarl Seniors Comtois Services aux entiers dépens ;
Vu les dernières conclusions transmises le 28 octobre 2021, aux termes desquelles la Sarl Seniors Comtois Services, appelante, demande à la cour de :
– infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de Besançon le 30 mars 2021 en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a débouté M. [F] de sa demande d’annulation de l’avertissement du 15 octobre 2019
– et statuant à nouveau sur ces points, débouter M. [F] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions et de son appel incident.
– condamner M. [F] à lui payer la somme de 3 000 euros conformément aux dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
– le condamner aux entiers dépens ;
Vu les dernières conclusions transmises le 10 août 2021, aux termes desquelles M. [F], intimé et appelant incident, demande à la cour de :
– confirmer le jugement sauf en ce qu’il l’a débouté de sa demande d’annulation de l’avertissement du 15 octobre 2019 et a fixé à la somme de 8 500 euros le montant des dommages et intérêts au titre du préjudice lié aux souffrances endurées
– infirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de sa demande d’annulation de l’avertissement du 15 octobre 2019
– infirmer le jugement en ce qu’il a fixé à la somme de 8 500 euros le montant des dommages et intérêts au titre du préjudice lié aux souffrances endurées et statuant à nouveau de ce chef, condamner la Sarl Seniors Comtois Services à lui payer la somme de 24 500 euros au titre des soufrances endurées en suite du harcèlement moral dont il a été victime
– condamner la Sarl Seniors Comtois Services à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Pour l’exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile
Vu l’ordonnance de clôture du 10 mars 2022 ;
Vu les conclusions de procédure du 24 mars 2022 aux termes desquelles M. [F] sollicite la révocation de l’ordonnance de clôture pour autoriser la production de nouvelles pièces et permettre à la Sarl Senior Comtois Services d’y répondre ;
SUR CE ,
EXPOSE DU LITIGE :
Selon contrat à durée déterminée à temps partiel en date du 23 septembre 2016, la Sarl Senior Comtois Services (ADHAP) a embauché M. [J] [F] en qualité d’assistant de vie pour une durée moyenne mensuelle de 104 heures, portée à 130 heures par avenant en date du 1er mars 2017.
Par avenant en date du 31 mars 2017, M. [F] a été promu en qualité d’animateur pour une durée de 130 heures mensuelles, incluant un travail administratif de 20 heures mensuelles.
Suite à différents comportements que l’employeur estimait fautifs, M.[J] [F] a été sanctionné par trois avertissements les 19 février, 29 mars et 15 octobre 2019, que le salarié a contestés mais dont seul celui du 29 mars 2019 a été annulé par l’employeur.
C’est dans ces conditions que contestant les deux avertissements maintenus et soutenant être victime de harcèlement moral et non rempli de ses droits au regard des indemnités kilométriques et des temps de déplacement, M. [J] [F] a saisi le 2 septembre 2019 le conseil de prud’hommes de Besançon.
M. [F] a fait valoir ses droits à la retraite et a sollicité le 7 août 2020 auprès de son employeur de voir prolonger le terme de son préavis de départ du 16 septembre 2020 au 30 septembre 2020.
Le 15 septembre 2020, M. [F] a pris acte de la rupture de son contrat de travail et a ajouté à ses prétentions initiales une demande tendant à voir reconnaître à cette décision les effets d’un licenciement nul, demandes qui ont donné lieu au jugement entrepris.
MOTIFS DE LA DECISION :
– sur la demande de révocation de l’ordonnance de clôture :
La présente instance ayant été engagée par M. [F] le 2 septembre 2019 et l’avis avant clôture de la présente procédure ayant été adressé aux parties le 28 octobre 2021, la demande de révocation de l’ordonnance de clôture prise le 10 mars 2022 , présentée dans les conclusions de procédure du 24 mars 2022, ressort comme particulièrement injustifiée et dilatoire.
M. [F] a en effet disposé de plus de trois ans et demi pour réunir les pièces qu’il estimait utiles à la solution du litige qu’il avait initié et il ne rapporte pas la preuve, dans ses dernières conclusions, des difficultés spécifiques et inhérentes à des tiers auxquelles il aurait été confronté pour en disposer.
M. [F] sera en conséquence débouté de ce chef de demande.
– sur les sanctions disciplinaires :
Aux termes des articles L 1331-1 et suivants du code du travail, l’employeur dispose à l’égard de ses salariés d’un pouvoir disciplinaire, pour sanctionner les comportements fautifs des salariés.
En cas de litige, le conseil de prud’hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L’employeur fournit au conseil de prud’hommes les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le conseil de prud’hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié en application de l’article L 1333-3 du code du travail.
Le conseil de prud’hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.
a – sur l’avertissement du 19 février 2019 :
En l’espèce, l’employeur a notifié à M. [F] un avertissement, lui reprochant :
– le 8 février 2019 : insubordinations envers son responsable d’agence, complétées par une attitude agressive ;
– le 11 février 2019 : le salarié a refusé d’effectuer une intervention auprès d’un bénéficiaire ;
– le 15 février 2019 : le salarié a transporté une bénéficiaire avec son véhicule personnel
– le 18 février 2019 : suite à une nouvelle attitude agressive, le salarié a refusé d’effectuer le remplacement d’une coordinatrice et de travailler ponctuellement de 21h à 22h alors que cela est parfaitement prévu à son contrat de travail.
Contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges, cette lettre n’est pas ‘insuffisamment précise sur certains points’ dès lors qu’elle mentionne les faits reprochés, les date et détaille les personnes ayant été témoins des faits d’insubordination reprochés ou victimes du défaut d’intervention, précisions qui ont permis à M. [F] de répondre point par point aux épisodes visés et dont il n’a pas contesté la survenance dans son courrier du 28 février 2019.
Si M. [F] a contesté cependant tout caractère vif et inapproprié des conversations des 8 février 2019 et 18 février 2019 et si aucune pièce ne vient étayer les griefs de déclarations négatives sur la gestion du centre et de désengagement professionnel, ce salarié a néanmoins reconnu avoir informé son employeur le 8 février 2019 qu’il n’interviendrait pas chez M. [N] le 11 février 2019 et a confirmé ne pas s’ y être rendu en raison de contraintes familiales. Il n’a pas plus contredit avoir utilisé son véhicule personnel pour véhiculer Mme [X], alors que la fiche de mission prévoyait expressément ‘ avec un véhicule de l’ADAPH’ (pièce 31-21) et ne s’est pas expliqué sur le refus de travailler le soir qui lui était opposé pour le 18 février 2019, ne reconnaissant que l’exécution de la prestation auprès de M. [C] qui n’était pas contestée.
Contrairement à ce que soutient M. [F], ces faits caractérisent une insubordination du salarié, dès lors que son contrat de travail prévoit expressément un horaire d’intervention entre 6 heures et 23 heures et que les parties n’ont pas contractualisé, dans les avenants successivement conclus, une dérogation pour permettre à ce salarié, quand bien même il ne serait qu’à temps partiel, de disposer de ses lundi et mercredi à compter de 14 heures 30.
L’employeur était donc parfaitement légitime à délivrer un avertissement à M. [F], dès lors que ce dernier refusait d’exécuter les missions qui lui étaient confiées contractuellement et caractérisait ainsi un comportement fautif.
C’est donc à tort que les premiers juges ont annulé cet avertissement.
Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé de ce chef.
b) – sur l’avertissement du 15 octobre 2019 :
En l’espèce, l’employeur a notifié à M. [F] un avertissement, lui reprochant :
– d’avoir le 5 septembre 2019 commis plusieurs infractions au code de la route, alors que ce dernier utilisait un véhicule de service, en ne respectant pas un panneau stop et en doublant plusieurs véhicules sur une portion de route considérée comme sinueuse et sans visibilité, faits rapportés par un tiers dans un courriel adressé à l’agence
– d’avoir le 5 octobre 2019, été contrôlé par les services de la police nationale suite au non-respect d’un panneau stop , alors qu’il conduisait un véhicule de service, faits dont il a informé lui-même la coordinatrice de l’agence le 7 octobre 2019
– de s’être amusé le 11 octobre 2019 d’avoir à nouveau été arrêté et sanctionné par la police pour un franchissement de ligne blanche en plein centre-ville de [Localité 3]
– d’avoir ainsi mis en danger la vie d’autrui et porté atteinte à l’image de marque de la société ADHAP Service.
Si M. [F] fait grief aux premiers juges de ne pas avoir annulé cet avertissement, ces derniers ont cependant retenu à raison que les faits du 5 septembre 2019, que M. [F] a lui-même reconnus dans son courrier du 28 octobre 2019 et que M. [L] a confirmés dans son courriel du 10 septembre 2019, constituent un comportement fautif qui justifiait parfaitement l’exercice par l’employeur de son pouvoir disciplinaire.
Il en est de même du franchissement de ligne blanche dont M. [F] n’a pas contredit avoir entretenu, lors ‘d’une conversation informelle’, son employeur, ‘par souci d’honnêteté et de conscience professionnelle’.
Enfin, s’il conteste les faits du 5 octobre 2019, les plannings d’attribution des véhicules produits aux débats témoignent que ce dernier disposait, matin et après-midi, du même véhicule 871 sur la période du mercredi 2 octobre au dimanche 6 octobre 2019 inclus et qu’aucun élément ne permet de retenir qu’ il aurait été en intervention chez des particuliers lors de la verbalisation que la coordinatrice a constatée.
C’est donc à bon droit que les premiers juges ont maintenu l’avertissement délivré le 15 octobre 2019.
Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé de ce chef.
– sur les indemnités kilométriques :
La convention collective nationale des entreprises de services à la personne du 20 septembre 2012, complétée par avenant du 31 janvier 2019 relatif aux salaires minima conventionnels, prévoit ‘qu’en cas d’utilisation de son véhicule personnel pour réaliser des déplacements professionnels, le salarié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à 20 entimes d’euros par kilomètre.’
Un usage d’entreprise prévoyait par ailleurs depuis le 1er février 2016 jusqu’au 1er janvier 2020, en cas de déplacements professionnels entre deux bénéficiaires, un forfait d’indemnisation de 1,10 euros pour les déplacements compris entre 0 et 5 kilomètres et une indemnisation à hauteur de 0,35 euros du kilomètre parcouru au-delà de 5 kilomètres, usage dénoncé par courrier du 8 octobre 2019 au profit d’un montant d’indemnité kilométrique de 0,22 euros par kilomètre parcouru.
En l’espèce, les premiers juges ont fait droit à la demande de rappels au titre des indemnités kilométriques à hauteur de 1 452,11 euros, conformément au dernier décompte que M. [F] avait produit (pièce 31.1).
Il résulte cependant des bulletins de paye produits que M. [F] a bénéficié mensuellement d’une indemnité allouée au titre des frais kilométriques entre septembre 2016 jusqu’à septembre 2019, date à laquelle ce dernier a reconnu avoir bénéficié à titre permanent d’un véhicule de service.
Si M. [F] soutient que ce faisant, il n’a pas été rempli de ses droits, ce dernier ne démontre cependant pas, alors qu’une telle charge de la preuve lui incombe, que l’indemnisation que l’employeur lui a versée n’aurait pas été conforme avec l’usage d’entreprise sus-visé et justifierait l’allocation des compléments qu’il sollicite dans son dernier décompte.
Le décompte produit par M. [F] présente cependant des incohérences majeures au regard du nombre de kilomètres que ce salarié invoque avoir effectués ‘réellement’ et qui sont en totale discordance avec ceux qu’il a lui même renseignés dans les fiches transmises mensuellement à son employeur et qui ont fondé l’indemnisation prévue dans ses bulletins de salaire. Ainsi, pour exemple, 610 kilomètres sont revendiqués pour mars 2019, contre 512 kilomètres (intégrant les 5 kilomètres forfaitaires par trajet) déclarés à l’employeur, 715 kilomètres sont revendiqués en février 2019, contre 478 kilomètres déclarés à l’employeur, sans qu’aucun élément objectif ne vienne justifier une telle divergence dans les récapitulatifs que le salarié a effectués seul de ses déplacements au regard de ses plannings d’intervention.
M. [F] sollicite par ailleurs à tort l’application du barème de 0,35 euros dès le premier kilomètre, alors que l’usage d’entreprise, qui était conforme à l’avenant n ° 1 du 21 mars 2016, prévoit une indemnisation de 0,22 euros du kilomètre pour les 5 premiers et de 0,35 euros pour les suivants.
C’est donc à tort que les premiers juges ont fait droit à cette demande, M. [F] ne démontrant pas ne pas avoir été rempli de ses droits quant à l’utilisation de son véhicule personnel.
Le jugement entrepris sera enconséquence infirmé de ce chef.
– sur les heures complémentaires liées aux trajets :
Aux termes de l’article L 3121-1 du code du travail, la durée de travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.
Sont assimilés à des temps de travail effectif les déplacements du salarié qui doit se rendre d’un lieu de travail à un autre lieu de travail (Cass soc 12 janvier 2005- n° 02-47505)
En l’espèce, les premiers juges ont fait droit à la demande de rappels au titre des heures ‘supplémentaires’ à hauteur de 8 089,85 euros, outre congés payés afférents, conformément au dernier décompte que M. [F] avait produit (pièce 31.1).
Si l’appelante soutient à juste titre que les temps de transport de M. [F] étaient bien pris en compte comme du temps de travail effectif, conformément à l’article 6 de son contrat de travail qui ne constitue aucunement une clause abusive, la lettre d’observations de l’ inspection du travail du 11 juin 2019 fait cependant apparaître que jusqu’à cette date, les temps de déplacement entreprise-client et client-client n’étaient pas enregistrés conformément aux articles L 3171-2 et D 3171-8 du code du travail et ne s’avéraient pas rémunérés dans leur durée réelle.
Seul était ainsi retenu un temps inter-vacation de 10 minutes dont le caractère forfaitaire ne pouvait manifestement correspondre à la totalité du temps de travail effectif de M. [F], compte-tenu des différents lieux d’ interventions mentionnés dans les plannings communiqués.
M. [F] n’a en conséquence pas été rempli de la totalité de ses droits.
Le décompte que ce dernier produit est cependant erroné dès lors qu’il ne prend pas en compte les heures d’inter-vacation que l’employeur a détaillées dans les bulletins de paye et a bien acquittées, contrairement à ce que soulève l’intimé. L’ensemble de ces heures ne constitue pas en effet des heures complémentaires, seules celles dépassant la durée conventionnelle de 130 heures du contrat à temps partiel de M. [F] revêtant une telle qualification et justifiant l’ inscription d’un montant spécifique sur les bulletins de paye.
Déduction faite des heures d’ores et déjà incluses dans le temps de travail effectif du salarié et rémunérées, les heures complémentaires réalisées par M. [F] au titre des trajets entreprise-client et client-client et non comptabilisées entre juillet 2017 et décembre 2019 s’élève à 64 heures 30, soit la somme de 859,14 euros (taux horaire majoré de 10 %).
Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé de ce chef et la Sarl Seniors Comtois Service sera condamnée à payer à M. [F] cette somme, outre congés payés afférents.
– sur le travail dissimulé :
Aux termes de l »article L 8221-5 du code du travail
, est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;
2° soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.
En cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire, en application de l’article L 8223-1 du code du travail.
En l’espèce, il résulte des éléments ci-dessus détaillés que 64 heures 30 complémentaires n’ont pas été déclarées par l’employeur sur la période de juillet 2017 à décembre 2019.
Si le nombre d’heures complémentaires ainsi omis est certes moindre que celui que les premiers juges avaient à tort retenu, l’inspection du travail avait cependant rappelé l’employeur à ses obligations à plusieurs reprises avant le 11 juin 2019 aux fins de faire apparaître les temps de déplacement sur les décomptes de la durée du travail quotidien ou hebdomadaire et permettre une détermination, non pas théorique, mais réelle de ces derniers.
Or, la société n’a pas satisfait de manière intentionnelle à ces injonctions, s’estimant, dans son courrier du 4 juin 2019, manifestement dispensée des dispositions des articles L 3171-2 et D 3171-8 du code du travail et caractérisant ainsi la dissimulation fautive du nombre d’heures de travail effectif réellement réalisé par son salarié.
C’est donc à bon droit que les premiers juges ont retenu le travail dissimulé et ont condamné la Sarl Seniors Comtois Service à payer à M. [F] la somme de 8 712,24 euros.
– sur le harcèlement moral :
Aux termes de l’article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions de cet article, toute disposition ou tout acte contraire est nul, en application de l’article L 1152-3 du code du travail.
Lorsque survient un litige relatif à l’application de l’article L 1152-1 du code du travail, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
En l’espèce, M. [F] reproche à son employeur :
– d’avoir été à sa disposition 24 heures sur 24, conformément aux termes abusifs de son contrat de travail, avec changements incessants de planning
– de lui avoir adressé des lettres d’avertissements totalement injustifiées
– d’avoir une charge de travail telle qu’il ne pouvait effectuer son travail administratif de 20 heures mensuelles, ce qui pouvait lui être parallèlement reproché alors qu’on lui imposait 130 heures de travail chez les clients
– de ne pas avoir appliqué les mesures de protection permettant de protéger sa santé physique et mentale
– de s’être vu imposer un travail d’aide-soignant, sans en avoir les qualifications
– de s’être vu refuser par l’employeur ses demandes de rémunération liées au passage au bureau pour la remise des clefs et au paiement des indemnités forfaitaires de déplacements.
Contrairement à ce que soutient M. [F], son contrat de travail ne le maintient pas à disposition de son employeur 24 heures sur 24 heures et ne présente aucune clause abusive, ce contrat n’ayant repris que les stipulations de la convention collective nationale des entreprises de services à la personne du 20 septembre 2012, lesquelles dérogent pour partie aux dispositions applicables au contrat à temps partiel comme le rappelle l’article L 3123-1 du code du travail. Les plannings cités par M. [F] pour les 4 et 25 avril 2019 témoignent au surplus que ce salarié a travaillé dans les limites contractuelles fixées et avec le respect de ses temps de pause et ne caractérisent donc pas les incessants changements de plannings qu’il invoque avoir subis.
Par ailleurs, les avertissements des 19 février 2019 et 15 octobre 2019 étaient parfaitement justifiés et ressortent comme dénués de tout lien avec la présente instance dès lors que le premier a été délivré bien avant la saisine du conseil de prud’hommes le 2 septembre 2019 et que le deuxième concerne un comportement routier fautif que l’employeur n’a pu lui-même orchestrer. Il ne saurait tout autant être reproché à l’employeur d’avoir annulé de lui-même le troisième avertissement, en date du 29 mars 2019, au regard des explications présentées par le salarié sur les faits qui lui étaient initialement reprochés.
Au surplus, si l’avenant du 1er mars 2017 a certes promu M. [F] au poste d’animateur avec une durée de travail de 130 heures, dont 20 heures de travail administratif, ce dernier ne détaille cependant pas les agissements répétés qu’aurait commis son employeur à son égard soit pour l’empêcher de remplir le travail administratif qui lui était confié soit pour lui intimer de le réaliser dans des conditions qui auraient été contraires à une exécution loyale du contrat de travail.
Enfin, si M. [F] a bien informé son employeur le 29 mai 2019 avoir reçu une gifle de la part de Mme [U], ce dernier n’a pas sollicité d’être déchargé de cette intervention ni attiré l’attention de la Sarl Seniors Comtois Services sur la dangerosité éventuelle de cette personne bénéficiaire de l’APA, auprès de laquelle il intervenait de longue date et avait manifestement noué un lien.
Quant aux activités confiées, les plannings d’intervention détaillés de M. [F] prévoient des prestations de ménage, de courses et de travaux ménagers sans aucun lien avec les missions confiées à un aide-soignant, et les deux feuillets ( pièce 22) de suivi médical qu’il produit pour justifier de l’extension inappropriée de ses missions (installation bassin et penilex) ne sont ni datés, ni nominatifs quant à la personne concernée par les soins et à celle les ayant dispensés de telle sorte qu’il ne peut lui être attribué la réalisation de ces derniers. Il en est de même pour les aides à la toilette et à l’habillage, lesquelles sont manifestement réalisées par d’autres salariés, comme en témoignent les initiales figurant en regard de ces tâches sur les fiches d’interventions détaillant les informations personnelles de chaque bénéficiaire de la prestation. Aucun élément ne vient en conséquence établir que M. [F] aurait été contraint d’exécuter des tâches ne relevant pas de ses missions contractuelles et de ses compétences.
Les éléments de fait produits par M. [F], pris dans leur ensemble, ne laissent donc pas supposer l’existence d’un harcèlement dont il aurait été victime, quand bien même ce dernier aurait développé en mars 2020 un ‘syndrome anxiodépressif réationnel’ selon Mme [E], médecin généraliste.
C’est donc à tort que les premiers juges ont retenu l’existence d’un harcèlement moral.
Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé de ce chef.
– sur la prise d’acte de la rupture :
En application des articles L 1237-9 et L 1237-10 du code du travail, le départ à la retraite du salarié constitue une cause autonome de résiliation du contrat de travail distincte de la démission. (Cass soc – 15 janvier 2002 – .99-45 335) et doit prendre la forme d’un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.
Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de son départ à la retraite, remet en cause ce départ en retraite en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de son départ qu’à la date à laquelle il a été décidé, celui-ci était équivoque, l’analyser en une prise d’acte de la rupture qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d’un départ volontaire à la retraite. (Cass soc 15 mai 2013 n° 11-26 784)
En l’espèce, M. [F] a fait valoir ses droits à la retraite, selon un préavis qui devait expirer le 16 septembre 2020 et qui a été prorogé le 10 août 2020, à la demande du salarié, jusqu’au 30 septembre 2020, puis a pris acte de la rupture de son contrat de travail par courrier en date du 15 septembre 2020, aux termes duquel il reprochait à son employeur le non-paiement des indemnités kilométriques, les changements de plannings intempestifs, l’attribution de tâches ne relevant pas de ses compétences et le manquement à l’obligation de sécurité en le faisant circuler dans un véhicule de service dépourvu de vignette d’assurance, de contrôle technique et avec des pneus lisses et en ne prenant pas les mesures immédiates nécessaires suite à son agression par Mme [U].
De tels manquements de l’employeur à ses obligations ne sont cependant pas établis par M. [F].
Aucun élément ne vient ainsi confirmer que M. [F] n’aurait pas été rempli de ses droits s’agissant des indemnités kilométriques. Il n’est pas plus démontré que si d’aventure des changements de planning ont été imposés à M. [F], ces derniers ne se sont pas effectués dans les délais de prévenance prévus par la convention nationale collective et en respect des stipulations contractuelles. Quant à l’attribution des tâches, M. [F] ne justifie pas avoir dû intervenir au-delà de ses qualifications. Enfin, M. [F] ne rapporte pas la preuve des mises en danger auxquelles il aurait été confronté comme des manquements de son employeur dans son obligation de sécurité à son égard, se contentant d’affirmations sans les étayer de quelconques pièces objectives.
L’examen des circonstances antérieures et contemporaines dans lesquelles M. [F] a été amené à rompre le contrat de travail ne rend en conséquence pas équivoque son départ en retraite volontaire.
Il en est de même de sa lettre de prise d’acte du 15 septembre 2020, laquelle doit en conséquence être retenue comme étant à l’origine de la rupture, dès lors que le préavis pour le départ en retraite courait toujours.
Aucun élément ne vient établir qu’entre le dépôt de sa demande de retraite et le 15 septembre 2020, les conditions de travail auxquelles était confronté M. [F] se seraient dégradées, ce dernier ayant au contraire curieusement sollicité la poursuite de son préavis pourtant prévu pour le 16 septembre 2020.
La prise d’acte doit donc produire les effets d’une démission au 16 septembre 2020, date de sa réception.
Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé de ce chef et M. [F] sera débouté de ses demandes présentées au titre des dommages et intérêts pour licenciement nul, indemnité compensatrice de préavis, indemnité légale de licenciement et dommages et intérêts pour préjudice moral.
La décision attaquée sera en outre infirmée en ce qu’elle a condamné la Sarl Senior Comtois Services à rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées à M. [F] du jour du licenciement au jour du jugement dans la limite de six mois.
– sur le manquement à l’obligation de sécurité :
Aux termes de l’article L4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, en organisant des actions de prévention des risques professionnels, en prévoyant des actions d’information et de formation et en s’assurant de la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
L’obligation de sécurité est une obligation de moyens. (Cass soc 14 novembre 2018 n° 17-18 890)
En l’espèce, M. [F] soutient que son employeur a manqué à son obligation de sécurité:
– en le harcelant pendant 41 mois
– en ne prenant pas les mesures nécessaires pour protéger son intégrité physique, alors qu’il a subi trois agressions de Mme [U]
– en le laissant conduire un véhicule dépourvu de vignette d’assurance, de contrôle technique et dôté de pneus lisses
– en multipliant les interventions sans respect des délais de prévenance.
Les éléments ci-avant examinés n’ont cependant permis d’établir ni les faits de harcèlement dont ce salarié invoquait avoir été victime, ni la mise à disposition d’un véhicule inadéquat et dangereux, ni la soumission à des plannings à modification constante et immédiate.
Quant aux ‘agressions’ dont M. [F] s’est déclaré victime de la part de Mme [U], ces dernières n’ont manifestement pas présenté le caractère de gravité qu’invoque l’intimé, deux d’entre elles n’ayant pas fait l’objet d’un rapport écrit à l’employeur et la dernière ayant été simplement signalée à titre d’incident, sans dépôt de plainte, constatations médicales ou demande à l’employeur de changement d’intervenant.
Les manquements de la Sarl Senior Comtois Service à son obligation de sécurité ne sont en conséquence pas démontrés.
Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé de ce chef.
– sur les autres demandes :
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles.
Partie perdante en ce qu’elle reste débitrice de son ex-salarié, la Sarl Seniors Comtois Service sera condamnée aux dépens et déboutée de sa demande présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La Sarl Seniors Comtois Service sera condamnée à payer à M. [F] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré :
Déboute M. [J] [F] de sa demande de révocation de l’ordonnance de clôture
Infirme le jugement du 14 avril 2021 sauf en ce qu’il a débouté M. [F] de sa demande d’annulation de l’avertissement du 15 octobre 2019, a condamné la Sarl Seniors Comtois Service à payer la somme de 8 712,24 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé et a statué sur les frais irrépétibles et les dépens
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
Déboute M. [J] [F] de sa demande d’annulation de l’avertissement du 19 février 2019
Déboute M. [J] [F] de sa demande présentée au titre des indemnités kilométriques
Condamne la Sarl Seniors Comtois Service à payer à M. [F] la somme de 859,14 euros, outre 85,91 euros de congés payés afférents, au titre des heures complémentaires effectuées
Déboute M. [J] [F] de l’ensemble des demandes présentées au titre du harcèlement moral
Dit que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail du 15 septembre 2020 produit les effets d’une démission à compter du 16 septembre 2020
Déboute en conséquence M. [J] [F] de l’ensemble de ses demandes financières présentée au titre de la rupture du contrat de travail
Déboute M. [J] [F] de sa demande de dommages et intérêts au titre de l’obligation de sécurité
Déboute la Sarl Seniors Comtois Service de sa demande présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
Condamne la Sarl Seniors Comtois Service à payer à M. [J] [F] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
Condamne la Sarl Seniors Comtois Service aux dépens d’appel.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le quatorze juin deux mille vingt deux et signé par Christophe ESTEVE, Président de chambre, et Mme MERSON GREDLER, Greffière.
LA GREFFIÈRE,LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE,