Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 11
ARRET DU 11 AVRIL 2023
(n° , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/01324 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDDOL
Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Janvier 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F 18/08882
APPELANTE
Madame [J] [C]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Alain STIBBE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0211
INTIMEE
SOCIETE NATIONALE DE RADIODIFFUSION RADIO FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Cyprien PIALOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : P0461
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre,
Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,
Madame Catherine VALANTIN, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI
ARRET :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Mme [J] [C], née en 1954, exerçait la fonction de conseillère maître à la Cour des comptes, à temps plein.
En parallèle, elle a été engagée par la société nationale Radio France par contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel à compter du 1er mars 2012 en qualité de présidente de la commission interne des marchés (ci-après la CIM), statut cadre dirigeant.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale de la communication et de la production audiovisuelles et de son protocole annexé n°5.
Le 25 avril 2013, le conseil d’administration de la société Radio France a voté le règlement interne des achats et des marchés, dont l’article 5.2 prévoit que : ‘ Le Président de la CIM est désigné par le président directeur général de Radio France pour une durée de 3 ans. Le Président directeur général de Radio France peut désigner une personne extérieure à Radio France pour occuper cette fonction’.
Par lettre recommandée du 27 novembre 2017, Mme [C] a pris acte de la rupture de son contrat de travail, estimant avoir été victime de harcèlement moral de la part de son employeur.
A la date de sa prise d’acte, Mme [C] avait une ancienneté de 5 ans et 6 mois et la société Radio France occupait à titre habituel plus de dix salariés.
Soutenant que son contrat de travail a fait l’objet d’une novation en contrat à durée déterminée, que sa démission doit être requalifiée en prise d’acte de la rupture devant produire les effets d’un licenciement nul et réclamant diverses indemnités à ce titre, Mme [C] a saisi le 23 novembre 2018 le conseil de prud’hommes de Paris qui, par jugement du 11 janvier 2021, auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit :
– juge que la prise d’acte produit les effets d’une démission, qu’il n’y a pas de harcèlement moral’;
– déboute Mme [C] de l’ensemble de ses demandes’;
– déboute la société nationale de radiodiffusion radio France de sa demande reconventionnelle et de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile’;
– condamne Mme [C] au paiement des entiers dépens.
Par déclaration du 26 janvier 2021, Mme [C] a interjeté appel de cette décision, notifiée le 19 janvier 2021.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 16 février 2023, Mme [C] demande à la cour de :
– déclarer recevable et fondé l’appel interjeté par Mme [C] du jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Paris du 11 janvier 2021 ;
– infirmer ledit jugement dans les dispositions suivantes :
«Le conseil juge que la prise d’acte produit les effets d’une démission, qu’il n’y a pas de harcèlement moral, déboute Mme [C] de 1’ensemble de ses demandes, condamne Mme [C] au paiement des entiers dépens» ;
Faisant droit à l’appel de madame Mme [C] ;
– juger que le contrat à durée indéterminée du 15 juin 2012 nové en contrat à durée déterminée à compter du 25 avril 2013 ;
– requalifier la prise d’acte de la rupture du contrat de travail de Mme [C] en licenciement nul,
– condamner la société nationale de radiodiffusion Radio France au paiement des sommes suivantes :
* dommages-intérêts pour nullité du licenciement’:44.326,14 €
* indemnité de fin de contrat’: 17.730,45 €
* congés payés’: 1.773,04 €
* dommages-intérêts pour harcèlement moral’:100.000 €
* intérêts de droit à compter de la demande
Subsidiairement, condamner la société nationale de radiodiffusion Radio France au paiement des sommes suivantes :
* indemnité pour licenciement nul’: 44.326,14 €
* indemnité légale de licenciement’:3.259,27 €
* préavis’: 7.822,26 €
* congés payés sur préavis’: 782,22 €
* dommages-intérêts pour harcèlement moral’: 100.000 €
* intérêts de droit à compter de la demande
En tout état de cause ;
– dire que les intérêts dus produiront eux-mêmes intérêts chaque année à compter du 23 novembre 2019 ;
– débouter la société nationale de radiodiffusion Radio France de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions, notamment au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, de l’article 700 et des dépens ;
– condamner la société nationale de radiodiffusion Radio France à verser la somme de 15.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 20 février 2023, la société nationale de radiodiffusion Radio France demande à la cour de’:
– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Paris le 11 janvier 2021, en ce qu’il a :
jugé que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail de Mme [C] produit les effets d’une démission ;
jugé que Mme [C] n’a pas été victime de harcèlement moral ;
débouté Mme [C] de l’ensemble de ses demandes’;
– infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Paris le 11 janvier 2021, en ce qu’il a :
débouté la société Radio France de sa demande reconventionnelle au titre de l’indemnité compensatrice de préavis ;
débouté la société Radio France de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
En conséquence et statuant à nouveau :
1) A titre principal, de :
– juger que Mme [C] et la société Radio France sont liées par un contrat écrit à durée indéterminée (CDI) à temps partiel ;
– juger que Mme [C] n’a jamais été victime de faits de harcèlement moral tout au long de sa collaboration au sein de la société Radio France ;
– juger que la société Radio France n’a commis aucun des prétendus manquements allégués par Mme [C] au soutien de la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de la société Radio France ;
En conséquence :
– juger que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail de Mme [C] produit les effets d’une démission ;
– débouter Mme [C] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
2) A titre subsidiaire, si, par extraordinaire, la cour venait à juger que la prise d’acte de Mme [C] produit les effets d’un licenciement nul, de :
-fixer le salaire de référence de Mme [C] à la somme de 2.607,42 euros bruts ;
– ramener les demandes de condamnations de Mme [C] à de plus justes proportions ;
3) En tout état de cause et à titre reconventionnel, de :
– débouter Mme [C] de toutes ses demandes ;
– condamner Mme [C] à verser à la société Radio France la somme de 7.822,26 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
– condamner Mme [C] à verser à la société Radio France la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner Mme [C] aux entiers dépens de première instance et d’appel.
L’affaire a été fixée à l’audience du 21 février 2023 et la clôture prononcée le même jour.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la prise d’acte de la rupture
Pour infirmation de la décision entreprise, Mme [C] soutient qu’elle a été victime de harcèlement moral caractérisé par des comportements répétitifs de sa hiérarchie, une dégradation des conditions de travail et une atteinte réelle et avérée à sa dignité, pour la pousser à démissionner ; qu’elle a été placée en dispense d’activité à deux reprises et n’a pu, pendant sept mois, exercer son activité sans mise à pied ni sanction quelconque ; que l’avis du collège de déontologie des juridictions financières produit par la société n’a aucun rapport avec les fonctions qu’elle a exercées au sein de la société.
La société Radio France rétorque d’une part que la salariée n’apporte pas la preuve du harcèlement moral puisqu’elle se contente de ses propres affirmations, lesquelles sont contestées et d’autre part que les fonctions de présidente de la CIM étaient devenues incompatibles avec le statut de fonctionnaire de la fonction publique d’Etat et de membre de la Cour des comptes de Mme [C], de telle sorte qu’elle était parfaitement en droit d’envisager la rupture du contrat.
Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L’article L.1152-2 du même code dispose qu’aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
L’article L.1152-3 du même code précise que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
Dès lors que sont caractérisés ces agissements répétés, fussent sur une brève période, le harcèlement moral est constitué indépendamment de l’intention de son auteur.
En application des articles L.1152-1 et L.1154-1 du code du travail, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L.1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d’exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce à l’appui de sa demande, la salariée présente les éléments suivants :
– des convocations aux entretiens suivants :
* le 20 avril 2017, avec le directeur des ressources humaines,
* le 8 juin 2017,
* le 15 juin 2017, un entretien préalable au licenciement assorti d’une dispense d’activité (courrier du 2 juin),
* le 30 juin 2017, un entretien préalable au licenciement le 30 juin 2017 avec dispense d’activité (courrier du 20 juin),
* les 17 septembre et 3 octobre 2017, avec le directeur des ressources humaines pour un départ négocié,
* le 14 novembre 2017, avec le directeur des ressources humaines et la secrétaire générale de la société Radio France,
– le report des réunions de la CIM prévues le 7 et 9 novembre 2017,
– les fonctions de secrétaire général de Radio France occupées par Mme [W] maître des requêtes au Conseil d’Etat.
Mme [C] présente ainsi des faits matériellement établis qui pris dans leur ensemble laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral.
Il appartient donc à l’employeur de prouver que les agissements sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
A cet effet, la société Radio France fait état de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, de l’article 5 du décret du 27 janvier 2017 relatif à l’exercice d’activité privée des agents publics entré en vigueur le 1er février 2017, ainsi que l’avis du collège de déontologie des juridictions financières du 24 mars 2014.
Il résulte de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie qu’il est interdit aux agents publics à temps complet de prendre des intérêts de manière directe ou par personne interposée, de nature à compromettre l’indépendance de l’agent, dans une entreprise soumise à son contrôle.
Or il appert que l’ensemble des entretiens auxquels Mme [C] a été convoquée portait sur la question de la compatibilité de sa fonction de présidente de la CIM dont le rôle est d’émettre des ‘avis consultatifs à destination des représentants du pouvoir adjudicateur sur la conformité réglementaire des procédures de mise en concurrence des marchés ou accord-cadres dans une optique de maîtrise des risques juridiques’ avec son emploi de conseiller maître des requêtes à temps complet à la Cour des comptes au contrôle de laquelle la société Radio France, société nationale, est soumise.
La secrétaire générale de Radio France écrivait ainsi à Mme [C] le 10 avril 2017 ‘Voici les éléments qui sont ressortis de l’échange avec le Président et la DRH. Au terme de l’analyse juridique menée, il apparaît qu’il n’y a pas d’autre solution pour régulariser la situation que de mettre fin à ta collaboration’.
En outre, Mme [C] a signé le 16 novembre 2017 un protocole d’accord avec la société Radio France selon lequel les parties constatent une différence d’appréciation sur la situation contractuelle de la salariée et sur la compatibilité entre d’une part, son statut de fonctionnaire et de membre de la Cour des comptes et d’autre part, son contrat de travail à durée indéterminée ; ‘les parties s’engagent à rechercher une solution amiable pour convenir des modalités de la fin de la collaboration de Mme [C] avec Radio France conformément à ce que souhaite Radio France’ ; ‘dans cette perspective, Radio France s’engage à se rapprocher de la direction de la Cour des comptes afin le cas échéant, que cette dernière fasse part de ses recommandations et qu’elle participe éventuellement à la rechercher d’une solution amiable entre les parties’ ; ‘ Mme [C] est dispensée de toute activité et notamment de ses fonctions de présidente de la CIM depuis le 16 novembre 2017 et pendant la durée de la recherche d’une solution amiable, cette période de dispense d’activité étant rémunérée aux échéances habituelles de paie’.
Enfin, la société Radio France justifie de la situation différente de M. [W], maître des requêtes au Conseil d’Etat, placé en position de détachement auprès de la société Radio France à temps complet par arrêté du Premier ministre pour une durée de trois ans au titre de la mobilité pour exercer les fonctions de secrétaire général.
La cour retient donc, à l’instar des premiers juges, que l’employeur établit ainsi que les faits invoqués par la salariée sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral, que la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail produit les effets d’une démission et que Mme [C] doit être déboutée de l’ensemble de ses demandes.
Sur la demande reconventionnelle de la société Radio France
Mme [C] a pris acte de la rupture de son contrat de travail produisant les effets d’une démission le 27 novembre 2017 sans exécuter le préavis de 3 mois prévu par la convention collective.
Pour autant, au constat que la société Radio France a dispensé Mme [C] de son activité motif pris que se posait la question de la compatibilité de ses fonctions à la Cour des comptes avec celles occupées en son sein, elle ne peut soutenir sans se contredire que Mme [C] aurait dû exécuter un préavis avant de quitter la société à la suite de sa démission. En conséquence, à l’instar des premiers juges, il convient de débouter la société Radio France de sa demande de paiement de l’indemnité compensatrice de préavis.
Sur les frais irrépétibles
Mme [C] sera condamnée aux entiers dépens et devra verser à la société Radio France la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement déféré ;
Y ajoutant ;
CONDAMNE Mme [J] [C] aux entiers dépens ;
CONDAMNE Mme [J] [C] à verser à la société nationale Radio France la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
La greffière, La présidente.
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