Contrefaçon sur Facebook : compétence des juridictions françaises

Contrefaçon sur Facebook : compétence des juridictions françaises

Dès lors que Facebook est accessible en France, la victime d’une contrefaçon constatée sur le réseau social peut agir devant les juridictions françaises.

L’article 5-2 de la convention de Berne du 9 septembre 1886 pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques (dont la France et la Belgique sont signataires), dispose que la jouissance et l’exercice de ces droits ne sont subordonnés à aucune formalité; cette jouissance et cet exercice sont indépendants de l’existence de la protection dans le pays d’origine de l’oeuvre.

Par suite, en dehors des stipulations de la Convention, l’étendue de la protection ainsi que les moyens de recours garantis à l’auteur pour sauvegarder ses droits se règlent exclusivement d’après la législation du pays où la protection est réclamée.

La législation du pays où la protection est réclamée est celle de l’État sur le territoire duquel se sont produits les agissements délictueux, l’obligation à réparation n’étant que la conséquence éventuelle de ceux-ci.

En l’occurrence, la bande-annonce de l’émission télévisée musicale ‘The Voice’ diffusée sur la page facebook de l’émission utilisait frauduleusement la chanson Badminton du groupe Astonvilla et il n’est pas contesté que ce site était alors parfaitement accessible en France.

Ainsi, dès lors que les auteurs compositeurs du titre se plaignaient d’exploitations non autorisées sur le territoire français, la loi française a été appliquée pour la mise en œuvre de la protection demandée. A noter que l’application de la loi française ne doit pas être limitée au régime de la réparation du préjudice mais également à la détermination de l’existence de la contrefaçon.

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 2

ARRÊT DU 18 JUIN 2021

Numéro d’inscription au répertoire général : n° RG 19/14268 – n° Portalis 35L7-V-B7D-CAKUU

Décision déférée à la Cour : jugement du 05 juillet 2019 – Tribunal de grande instance de PARIS – 3e chambre 2e section – RG n°16/11217

APPELANTS

M. J M N O

Né le […] à Villeneuve-Saint-Georges

De nationalité française

Exerçant la profession de musicien compositeur

Demeurant […]

M. B Y

Né le […] à Colombes

De nationalité française

Exerçant la profession de musicien compositeur

Demeurant […] – 92300 LEVALLOIS-PERRET

M. D Z

Né le […] à Brest

De nationalité française

Exerçant la profession de musicien compositeur

[…]

Mme P Q R K-L

Née le […] au Plessis-Trévise (94)

De nationalité française

Exerçant la profession d’auteure

Demeurant 12, rue Irène et J Joliot-Curie – […]

S.A.S. TWICKY RECORDS, agissant en la personne de son président, M. F G, domicilié en cette qualité au siège social situé

253, boulevard Saint-Marcel

[…]

Immatriculée au rcs de Marseille sous le numéro B 799 178 496

Représentés par Me Mathieu CROIZET, avocat au barreau de PARIS, toque E 770

INTIMEES

RADIO-TELEVISION BELGE DE LA COMMUNAUTE FRANCAISE (RTBF)

Entreprise publique autonome à caractère culturel, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé

[…]

[…]

BELGIQUE

Représentée par Me Jean-Michel ORION, avocat au barreau de PARIS, toque H 1

Société H I, société de droit belge, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social situé

[…]

2800 MECHELEN

BELGIQUE

Représentée par Me Eric LAUVAUX de la SELARL NOMOS, avocat au barreau de PARIS, toque L 237

Assistée de Me Sylvain NAILLAT plaidant pour la SELARL NOMOS, avocat au barreau de PARIS, toque L 237

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 8 avril 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Laurence LEHMANN, Conseillère, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport

Mme Laurence LEHMANN a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Brigitte CHOKRON, Présidente

Mme Laurence LEHMANN, Conseillère

Mme Agnès MARCADE, Conseillère

Greffière lors des débats : Mme Carole TREJAUT

ARRET :

Contradictoire

Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

Signé par Mme Brigitte CHOKRON, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Vu le jugement contradictoire rendu le 05 juillet 2019 par le tribunal de grande instance de Paris,

Vu l’appel interjeté le 11 juillet 2019 par la société Twicky Records, Mme P K-L, MM. J X, B Y et D Z,

Vu les dernières conclusions (conclusions n°5) remises au greffe, et notifiées par voie électronique le 17 mars 2021 par la société Twicky Records, Mme K-L, MM. X, Y et Z, appelants,

Vu les dernières conclusions (conclusions n°4) remises au greffe, et notifiées par voie électronique le 17 mars 2021 par l’établissement public Radio-Télévision Belge de la Communauté Française (RTBF), intimée,

Vu les dernières conclusions (conclusions n°2) remises au greffe, et notifiées par voie électronique le 08 janvier 2021 par la société H I (H), intimée,

Vu l’ordonnance de clôture du 1er avril 2021,

SUR CE, LA COUR,

Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.

Il sera simplement rappelé que le groupe musical de rock, Astonvilla, fondé en 1994, a lancé en 2013 son propre ‘label’ créant à cet effet la société, Twicky Records, qui a édité et produit leur album dénommé Joy machine sorti dans les bacs et les plateformes de téléchargement en juin 2014.

Le troisième titre de cet album, A, a été composé par MM. X, Y et Z et le texte écrit par Mme K-L et M. X.

Les auteurs et compositeurs ont cédé, le 10 novembre 2013, leurs droits patrimoniaux sur ce titre à la société Twicky Records, en sa qualité de producteur et d’éditeur, à charge pour ladite société de leur reverser ou leur faire reverser des «royalties».

Le 21 septembre 2015, le titre d’une durée de 4 minutes et 7 secondes, a fait l’objet d’un dépôt à la SACEM.

La RTBF est une chaîne de télévision publique belge qui diffuse depuis 2011 l’émission télévisée musicale ‘The Voice’, sur le même modèle que l’émission de télé-crochet diffusée en France sur TF1. En Belgique, l’émission est produite par la société belge H.

A la suite de la diffusion sur la page Facebook de l’émission The Voice Belgique de la RTBF d’une bande annonce de l’émission utilisant la chanson A, la société Twicky Records, a fait dresser un procès-verbal de constat par un huissier le 29 février 2016, et, par courriers du 25 avril 2016 de son avocat, a mis en demeure la société H et la RTBF de cesser cette utilisation et de dédommager sa cliente.

Par actes du 28 juin 2016, la société Twicky Records, Mme K-L, MM. X, Y et Z ont fait assigner la société H et la RTBF sur le fondement de leurs droits d’auteur.

Par une ordonnance rendue le 5 mai 2017, le juge de la mise en état a estimé que les tribunaux français étaient compétents pour connaître de la présente procédure ce qui a été confirmé par la cour de céans par un arrêt du 17 novembre 2017.

Le jugement entrepris du 4 juillet 2019 a :

— dit irrecevables les demandes formulées à l’encontre de la société H par la société Twicky Records, Mme K-L, MM. X, Y et Z,

— dit recevables les demandes présentées par la société Twicky Records, Mme K-L, MM. X, Y et Z concernant le titre A sur le fondement du droit d’auteur,

— débouté la société Twicky Records de ses demandes au titre de l’atteinte alléguée à ses droits patrimoniaux d’auteur sur l’oeuvre précitée,

— débouté Mme K-L, MM. X, Y et Z de leurs demandes au titre de l’atteinte alléguée au droit moral d’auteur sur l’oeuvre,

— condamné in solidum la société Twicky Records, Mme K-L, MM. X, Y et Z à payer à la société H la somme de 5.000 euros pour procédure abusive,

— débouté Mme K-L, MM. X, Y et Z de leur demande d’appel en garantie de la RTBF concernant la condamnation précitée,

— débouté la RTBF de sa demande reconventionnelle pour procédure abusive,

— condamné in solidum la société Twicky Records, Mme K-L, MM. X, Y et Z à verser à la RTBF la somme de 25.000 euros et à la société H la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— Condamné in solidum la société Twicky Records, Mme K-L, MM. X, Y et Z aux dépens.

La société Twicky Records, Mme K-L, MM. X, Y et Z demandent la réformation du jugement entrepris. La société H et la RTBF en demandent la confirmation.

Sur la demande de rejet des dernières écritures et pièces de la société RTBF

La demande de rejet des dernières écritures est sollicité sur le fondement d’un calendrier de

procédure fixé par le conseiller de la mise en état le 25 février 2021 prévoyant des conclusions des intimés avant le 8 mars 2021 et des appelants avant le 17 mars 2021 pour une clôture devant être prononcée le 18 mars 2021. Ce calendrier a été respecté mais la société RTBF a répliqué aux conclusions des appelants par de nouvelles conclusions notifiées le 17 mars 2021 auxquelles il a été répondu par les appelants par conclusions notifiées le même jour.

Le conseiller de la mise en état a alors décidé de reporter la clôture qui a été prononcée le 1er avril 2021, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’écarter des débats les écritures et pièces notifiées par les parties le 17 mars 2021, le principe de la contradiction ayant été respecté.

Sur la compétence de la juridiction française et la loi applicable

A titre liminaire, la cour relève que l’exception d’incompétence de la juridiction française qui avait été soutenue au profit des juridictions belges par la société H et la RTBF a été définitivement rejetée par l’arrêt confirmatif de la cour de céans du 17 novembre 2017.

La cour rappelle les termes de l’article 5-2 de la convention de Berne du 9 septembre 1886 pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques, dont la France et la Belgique sont signataires, qui dispose :

«La jouissance et l’exercice de ces droits ne sont subordonnés à aucune formalité; cette jouissance et cet exercice sont indépendants de l’existence de la protection dans le pays d’origine de l’oeuvre. Par suite, en dehors des stipulations de la présente Convention, l’étendue de la protection ainsi que les moyens de recours garantis à l’auteur pour sauvegarder ses droits se règlent exclusivement d’après la législation du pays où la protection est réclamée».

Il convient de préciser qu’il est établi que la «législation du pays où la protection est réclamée» est celle de l’État sur le territoire duquel se sont produits les agissements délictueux, l’obligation à réparation n’étant que la conséquence éventuelle de ceux-ci.

Il est établi par constat d’huissier en date du 29 février 2016 que la bande-annonce de l’émission télévisée musicale ‘the Voice’ diffusée sur la page facebook de l’émission utilisait frauduleusement la chanson A et il n’est pas contesté que ce site était alors parfaitement accessible en France.».

Ainsi, dès lors que les appelants se plaignent d’exploitations non autorisées sur le territoire français par les intimées, la loi française doit être appliquée pour la mise en œuvre de la protection demandée. L’application de la loi française ne doit pas être, comme le soutient à tort la RTBF, limitée au régime de la réparation du préjudice mais également à la détermination de l’existence de la contrefaçon.

Sur le litige

La cour constate que ni l’originalité de la chanson A, ni la qualité d’auteurs de Mme K-L, MM. X, Y et Z, ni celle d’interprète de MM. X, Y et Z, ni celles de producteur et d’éditeur de la société Twicky records ne sont contestées par les intimées.

Les auteurs agissent sur le fondement de leur droit moral et demandent à ce titre la condamnation in solidum de la RTBF et de la société H à payer, avec intérêts de droit à compter de la date de l’assignation, les sommes de :

—  100.000 euros à M. X en sa qualité de co-compositeur, co-auteur et interprète,

—  50.000 euros à M. Y en sa qualité de co-compositeur et interprète,

—  50.000 euros à M. Z en sa qualité de co-compositeur et interprète,

—  50.000 euros à Mme K-L en sa qualité de co-auteur.

La société Twicky Records agit d’une part sur le fondement des droits patrimoniaux des auteurs qui lui ont été cédés par les auteurs suivant contrat du 10 novembre 2013 et d’autre part en ses qualités de producteur et d’éditeur de la chanson.

Elle sollicite la condamnation in solidum de la RTBF et de la société H à lui payer, avec intérêts de droit à compter de la date de l’assignation, les sommes de :

—  300.000 euros en réparation de la violation de ses droits patrimoniaux,

—  700.000 euros correspondant au manque à gagner résultant de l’utilisation de la chanson sans avoir conclu préalablement une licence de synchronisation pour les droits éditoriaux et les droits phonographiques.

Il n’est pas contesté que la RTBF a utilisé dans un film d’autopromotion de l’émission The Voice pour sa saison 5, d’une durée de 18 secondes, le titre A sans avoir obtenu l’accord des auteurs ou de la société Twicky records considérant tenir son droit d’utiliser l’oeuvre par le contrat d’autorisation générale qu’elle a conclu avec la Société Belge des Auteurs, Compositeurs et Editeurs (SABAM) le 10 novembre 2013, qui elle-même les tenait d’un accord général de réciprocité conclu avec la société française des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique (SACEM).

Il est également avéré que cette bande annonce a été visible en France sur la page Facebook de l’émission The Voice de la RTBF tel que constaté par Me Benisti, huissier de justice à Marseille, le 29 février 2016.

En revanche, la cour constate au vu des éléments apportés aux débats qu’il n’est pas démontré à suffisance qu’en dehors de la page Facebook, le film litigieux pouvait être vu depuis la France, les seules attestations et copies d’écran produites dont l’origine et la date ne peuvent être certifiées et non corroborées par d’autres éléments ne peuvent suffire.

Sur l’action formée à l’encontre de la société H

La société H expose qu’elle n’a participé ni à la production, ni à l’exploitation du spot litigieux et ne pas avoir de lien avec les faits reprochés.

Les appelants sollicitent l’infirmation du jugement qui a déclaré irrecevables leurs demandes formées à l’encontre de la société H et reprochent à cette dernière de se fonder pour justifier de sa mise hors de cause sur le contrat qu’elle a conclu avec la RTBF, produit en anglais et avec des mentions raturées.

La cour rappelle que la langue de la procédure est le français et qu’elle ne peut fonder sa décision sur un contrat de langue anglaise dont la traduction n’est pas versée au débat.

Pour autant, il appartient bien aux demandeurs, aujourd’hui appelants, de justifier de la participation effective de la société H aux faits qualifiés de contrefaçon, c’est-à-dire à la production ou à la diffusion ou à l’exploitation de la bande annonce litigieuse.

Le fait, non contesté, que la société H soit le producteur de l’émission belge The Voice ne prouve pas, alors qu’elle le conteste fermement, qu’elle ait participé, de quelque manière que ce soit, au film d’autopromotion que la RTBF reconnaît avoir seule réalisé et diffusé.

En revanche, contrairement à ce qu’a retenu le tribunal, il ne s’agit pas d’une irrecevabilité au sens de l’article 122 du code de procédure civile mais d’un fondement de fait qui fait défaut à l’action.

Ainsi, le jugement doit être infirmé en ce qu’il a déclaré irrecevable l’action formée à l’encontre de la société H,cette demande devant être déclarée recevable mais mal fondée.

Sur les demandes fondées sur le droit moral des auteurs

L’article L.121-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que :

«L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre.

Ce droit est attaché à sa personne.

Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible.

Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l’auteur.

L’exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires.».

L’article L.121-2 du même code prévoit également que l’auteur dispose seul d’un «droit de divulgation de son oeuvre».

Les auteurs, qui sont seuls titulaires du droit moral sur leur oeuvre, se prévalent de la violation de leur droit à divulgation de l’oeuvre, de leur droit au respect de leur nom et au respect de leur oeuvre.

Le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu’il a dit recevable les demandes présentées par Mme K-L, MM. X, Y et Z concernant le titre A sur le fondement du droit moral de l’auteur.

Sur le droit à divulgation de l’oeuvre

Le droit de divulgation prévu par l’article L.122-2 qui est le droit pour l’auteur de porter son oeuvre à la connaissance du public s’épuise par la première communication au public.

Or, il n’est pas contesté par les auteurs que le titre A a été diffusé au public dès le mois de juin 2014 soit antérieurement aux faits litigieux.

Ainsi, le jugement qui a retenu que les auteurs ne peuvent invoquer une quelconque atteinte à leur droit de divulgation mérite confirmation de ce chef.

Sur l’atteinte à l’oeuvre

Il ressort du constat établi par huissier de justice le 7 mars 2017 que le film d’autopromotion d’une durée de 18 secondes a utilisé en fond sonore un extrait du titre A, ce qui n’est pas contesté.

Les auteurs indiquent qu’il n’auraient jamais donné l’autorisation d’utiliser un extrait de leur oeuvre pour promouvoir une émission dont la philosophie se trouve très éloignée de leurs convictions politiques et que l’utilisation de leur chanson heurte leur sensibilité.

La RTBF énonce en réponse tout à la fois qu’elle a choisi l’oeuvre car elle a eu un «véritable coup de cœur musical», et qu’elle n’a ni altéré, ni modifié l’oeuvre et qu’il est rare que le téléspectateur retienne la chanson utilisée en fond sonore alors que le but est le message d’information relatif aux dates et heures de l’émission.

Pour autant, la reproduction partielle, entendue en fond sonore, sur un message publicitaire qui n’avait pas pour seul objet de promouvoir l’oeuvre elle-même mais une émission sans lien avec elle et non autorisée par les auteurs, porte atteinte à leur droit moral d’auteur, dès lors que l’exploitation publicitaire n’était pas sa finalité artistique.

Il appartenait à la RTBF de s’assurer auprès des auteurs de leur accord à l’utilisation de leur oeuvre à des fins d’autopromotion et de s’assurer que celle-ci ne portait pas atteinte à leur droit moral.

C’est en vain également que la RTBF se prévaut du contrat qu’elle a conclu avec la SABAM le 10 novembre 2013 pour justifier d’une autorisation générale qu’elle aurait eue d’utiliser les oeuvres du répertoire de la SACEM.

En effet, outre que le droit moral de l’auteur est incessible, ce contrat prévoit expressément en son article 6-2 que : «la présente autorisation ne couvre que le droit de reproduction mécanique dans les limites nécessaires à la réalisation des programmes et contenus propres.

Par programmes et contenus propres on entend :

-en ce compris les bandes d’annonces d’autopromotion pour la RTBF elle même, pour ses services audiovisuels, ses programmes et ses produits dérivés, à l’exception de qui est visé à l’article 6.6 ci- après et pour autant que les oeuvres musicales utilisées présentent un lien avec lesdits services audiovisuels, programmes et produits dérivés dont la RTBF entend assurer la promotion.»

Il n’est pas prétendu que la chanson A soit en lien avec l’émission THE VOICE dont il est fait la promotion et dès lors son utilisation dans un but d’autopromotion était expressément exclue de l’autorisation générale donnée par la SABAM.

Le jugement qui n’a pas retenu d’atteinte au droit moral des auteurs sera infirmé de ce chef.

Sur le droit de paternité

La RTBF ne conteste pas que le nom des auteurs de l’oeuvre A ne figure pas dans la bande-annonce litigieuse. Elle précise cependant qu’elle n’avait pas à le faire s’agissant d’un spot publicitaire ou d’autopromotion car il est d’usage dans ces circonstances de ne pas faire apparaître le nom et la qualité de l’auteur, au regard de la nature spécifique des spots audiovisuels de format court n’intégrant pas de générique.

Pour autant, la RTBF ne peut se prévaloir d’une acceptation tacite des auteurs à ne pas voir figurer leurs noms du fait du caractère publicitaire de la bande-annonce alors que ceux-ci n’ont pas été consultés pour autorisation.

De plus, et contrairement à ce qui a été retenu par les premiers juges, rien n’interdisait de mentionner sur la page facebook litigieuse le nom des auteurs de la chanson utilisée ou à tout le moins du groupe Astonvilla.

Le jugement sera également infirmé de ce chef.

Sur les demandes fondées sur les droits patrimoniaux de la société Twicky Records

Sur les droits patrimoniaux des auteurs et de l’éditeur

Les droits patrimoniaux des auteurs ont été cédés à la société Twicky Records par le contrat du 10 novembre 2013 dans la limite de l’apport fait à la Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique (SACEM), dès lors que tant les auteurs que l’éditeur sont membres de cet organisme de gestion collective.

La RTBF fait valoir que le titre litigieux fait partie du répertoire de la SACEM et que les droits patrimoniaux invoqués par les appelants ont été cédés par eux à la SACEM, en leurs qualités d’auteurs, de compositeurs ou d’éditeurs.

Elle ajoute que ces droits patrimoniaux ont fait l’objet d’un accord général de réciprocité entre la Société Belge des Auteurs, Compositeurs et Editeurs (SABAM) et la SACEM et par le contrat d’autorisation générale qu’elle a elle-même conclu avec la SABAM le 10 novembre 2013.

Elle indique que conformément aux obligations déclaratives lui incombant au titre de l’article 11 du contrat d’autorisation générale précité, elle a procédé à l’envoi à la SABAM des déclarations de droits d’auteur de l’ensemble des titres utilisés dans le cadre de ses programmes et notamment de la musique utilisée pour la bande annonce litigieuse, et ce afin que la SABAM puisse procéder conformément à ses règles internes à la répartition des droits d’auteur générés par diffusion.

Les appelants ne contestent pas être tous adhérents de la SACEM et l’existence de l’accord de réciprocité entre la SACEM et la SABAM mais demandent à la cour de dire que l’intégration partielle de leur oeuvre dans un film d’autopromotion n’avait pas été autorisée par la SABAM et dès lors par la SACEM.

Il n’est pas contesté que les auteurs et la société Twicky Records en sa qualité d’éditeur ont fait apport du fait de leur adhésion à la SACEM de leurs droits d’autoriser ou d’interdire l’exécution ou la représentation publiques et la reproduction mécanique de l’oeuvre et l’action pour la défense des droits patrimoniaux générés par celles-ci appartient à la SACEM et n’est ouverte au auteurs ou éditeurs qu’en cas de carence avérée de cette dernière.

Ainsi, et même s’il apparaît que la RTBF a outrepassé ses droits acquis par le contrat qu’elle avait conclu avec la SABAM le 10 novembre 2013, et notamment de son article 6-2 qui n’autorisent la reproduction mécanique pour les bandes annonces d’autopromotion que si l’oeuvre utilisée présente un lien avec lesdits services audiovisuels, programmes et produits dérivés dont la RTBF entend assurer la promotion, ce qui n’est pas le cas du titre A, l’action en défense de ce droit appartient à la SABAM ou à la SACEM et non aux auteurs et éditeur.

Les demandes formées par la société Twicky Records au titre du droit patrimonial des auteurs et de l’éditeur ne pourront qu’être déclarées irrecevables du fait de la cession à la SACEM.

En revanche, la société Twicky Records n’a pas cédé ses droits en sa qualité de producteur et son autorisation devait nécessairement être obtenue pour toute utilisation secondaire ainsi que procédé par la RTBF qui a synchronisé un extrait de l’oeuvre sur un message d’autopromotion en application de l’article L214-1 du code de la propriété intellectuelle.

Sur les mesures réparatrices

La cour rappelle que les faits retenus à l’encontre de la RTBF consistent en l’utilisation dans un film d’autopromotion d’une durée de 18 secondes d’un extrait du titre A, lui-même d’une durée de 4 minutes et 7 secondes, sur la page Facebook de l’émission The Voice Belgique visible en France.

La RTBF énonce, sans être utilement contredite par les appelants, que la bande annonce litigieuse a pu être visible à compter du 4 janvier 2016 et jusqu’au 5 juillet 2016, soit sur une durée de six mois.

Au vu des éléments dont dispose la cour, il sera alloué à chacun des auteurs, Mme K-L, MM. X, Y et Z, la somme 4.000 euros en réparation de l’atteinte portée à leur droit moral d’auteur et à la société Twicky Records une somme de 10.000 euros en réparation du préjudice patrimonial subi en sa qualité de producteur.

La capitalisation des intérêts qui ont couru pendant plus d’une année est ordonnée en application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil.

Il ne sera pas fait droit à la demande de publication qui n’apparaît pas justifiée en l’espèce.

Sur les demandes formées sur le fondement de l’abus de procédure

Les premiers juges ont condamné in solidum les appelants à payer la somme de 5.000 euros à la société H pour procédure abusive.

Pour autant l’exercice d’une action en justice constitue un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à des dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, d’erreur grossière équipollente au dol ou de légèreté blâmable. Or une telle preuve n’est pas rapportée.

Dès lors le jugement sera infirmé de ce chef et les demandes formées en première instance et en appel par la société H pour procédure abusive intégralement rejetées.

La cour observe que la demande qui avait été formée en première instance par la RTBF sur le fondement de l’abus de procédure n’est pas reprise en cause d’appel.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le sens de l’arrêt conduit à l’infirmation des dispositions du jugement concernant les dépens et la RTBF sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel à l’exception des frais d’assignation de la société H qui resteront à la charge des appelants.

Le jugement sera également infirmé en sa condamnation prononcée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au profit de la RTBF qui sera condamnée à payer à ce titre à chacun des appelants, la société Twicky Records, Mme K-L, MM. X, Y et Z, la somme de 10.000 euros soit 50.000 euros au total.

La condamnation qui avait été prononcée et mise in solidum à la charge de la société Twicky Records, Mme K-L, MM. X, Y et Z sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au profit de la société H à hauteur de 10.000 euros sera confirmée et il y sera ajouté une somme de 10.000 euros pour les frais irrépétibles d’appel engagés par la société Twicky Records.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement déféré sauf en ce qu’il dit recevables les demandes présentées par les appelants concernant le titre A sur fondement du droit d’auteur,

Y substituant et y ajoutant

Rejette les demandes de rejet de pièces et de conclusions,

Déclare recevable l’action formée à l’encontre de la société Endelmolshine I,

Déboute Mme P K-L, M. J X, M. B Y, M. D Z et la société Twicky Records de l’ensemble de leurs demandes formées à l’encontre de la société Endelmolshine I,

Dit non recevables les demandes de la société Twicky Records au titre des droits patrimoniaux des auteurs et de l’éditeur,

Condamne l’établissement public Radio-Télévision Belge de la Communauté Française à payer à Mme P K-L, à M. J X, à M. B Y et à M. D Z une somme de 4.000 euros à chacun, soit 16.000 euros au total, en réparation de l’atteinte portée à leur droit moral d’auteur et ordonne la capitalisation des intérêts,

Condamne l’établissement public Radio-Télévision Belge de la Communauté Française à payer à la société Twicky Records une somme de 10.000 euros en réparation de son préjudice patrimonial de producteur et ordonne la capitalisation des intérêts,

Rejette les demandes des parties autres, plus amples ou contraires,

Condamne l’établissement public Radio-Télévision Belge de la Communauté Française à verser à la société Twicky Records, à Mme P K-L, à M. J X, à M. B Y et à M. D Z une somme de 10.000 euros à chacun, soit 50.000 euros au total, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne l’établissement public Radio-Télévision Belge de la Communauté Française aux entiers dépens de première instance et d’appel, à l’exception des frais d’assignation de la société H qui resteront à la charge des appelants, et dit que les dépens pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

La Greffière La Présidente

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