Contrefaçon d’une illustration : affaire Zadig et Voltaire

Contrefaçon d’une illustration : affaire Zadig et Voltaire

Une illustration déposée à titre de dessin et modèle est nulle si elle ne présente pas de caractère nouveau. La nouveauté implique que le dessin ou modèle ne doit pas être identique à un dessin ou modèle déjà divulgué au public antérieurement à la date du dépôt de la demande d’enregistrement et qu’elle en diffère par des détails non insignifiants

Illustration inspirée de la lame Gillette

Mme [W] [U]-[G] est artiste plasticienne. Elle a déposé à l’INPI le 31 mars 2015 une demande d’enregistrement en tant que dessin d’un graphisme inspiré de la lame Gillette intitulé LARMADA décrit comme “Double galbe féminin”. Mme [W] [U]-[G] exerce sous l’enseigne BCG DESIGNER une activité de création artistique et a créé une collection de bijoux et de pièces de décoration et de mobilier qui reprennent ce graphique.

Action en contrefaçon contre Zading et Voltaire

Reprochant la SAS Zading et Voltaire ZV France, qui exerce une activité de création et de vente de vêtements de prêt à porter et d’accessoires de mode sous l’enseigne Zadig & Voltaire, de commercialiser des vêtements reproduisant le dessin qu’elle a déposé, Mme [W] [U]-[G] a fait procéder à deux constats d’huissier les 7 et 21 mars 2018 de l’utilisation des dessins qu’elle reproche, en magasin et sur site internet.

Nullité du dépôt de l’illustration

La contrefaçon a été exclue en raison de la nullité du dépôt du dessin LARMADA.

Pour retenir la nullité du dépôt du dessin LARMADA n°20151685-004 et n° 20151685-005, le tribunal a exclu pour ces dessins tout caractère de nouveauté et propre, retenant que le modèle reproduit à l’identique l’intérieur d’une lame de rasoir, objet faisant partie du domaine public, déjà utilisé avant le dépôt litigieux sans son extérieur, et que le seul changement de destination ou de matière, alors que le droit des dessins et modèles ignore le principe de spécialité qui permettrait d’accueillir une forme connue transposée dans un secteur ou pour des produits inédits, ne permettait pas d’accueillir la demande de protection.

Le graphisme qui reprend uniquement mais à l’identique l’intérieur de la lame de rasoir Gillette, sans son contour, ne se distingue pas de l’objet industriel lequel correspond depuis des années à un élément décoratif largement utilisé, le dessin de Mme [U]-[G] ne se distinguant pas des nombreuses antériorités de manière significative, la nouveauté de son dessin ne pouvant ressortir de sa reproduction partielle, sans les contours, ni de la seule interprétation personnelle qu’elle en fait et que le caractère propre ou individuel ne saurait résulter d’une modification de la configuration de l’objet ou d’une modification de son utilisation.

Ainsi que l’a par ailleurs retenu le tribunal, il existe des antériorités, soit dans la lame Gillette elle-même (pièce n° 8 de l’intimée) soit dans le domaine de la joaillerie, comme le dépôt de la société Dinh Van du 2 février 1976 (pièce n° 10 de l’intimée).

Quant au caractère propre de la réalisation inspirée du domaine public, il a été rappelé qu’il doit ressortir de l’impression visuelle d’ensemble qu’il suscite chez l’observateur averti de celle produite par tout dessin ou modèle divulgué avant la date du dépôt de la demande d’enregistrement ou avant la date de priorité revendiquée.

Or, précisément l’observateur averti, c’est à dire celui qui, sans être expert, est doté d’une vigilance particulière au regard de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur déterminé, du fait de son intérêt pour les produits concernés, s’il peut être un amateur d’art, de vêtements ou de bijoux, ainsi que l’observe Mme [U]-[G], peut aussi être un amateur d’objets industriels comme la lame Gillette dont il sera capable de percevoir la forme centrale, même extraite du cadre de la lame.

En tout état de cause, Mme [U]-[G] qui demande la protection de sa réalisation au titre des dessins et modèles, doit rapporter la preuve que son dessin présente au yeux d’un tel public un caractère propre, ce qu’elle ne fait pas, alors que le tribunal a justement retenu que l’impression visuelle d’ensemble laissée par le dessin litigieux ne se distinguait pas de celle laissée par la lame de rasoir Gillette ou les antériorités, quand bien même le dessin ne comporterait aucune arrête, aucune forme rectangulaire, ni aucun angle acéré comme s’agissant de la lame de rasoir. C’est d’ailleurs à tort que Mme [U]-[G] soutient que ce dessin ne contient aucune forme rectangulaire faisant la particularité de la lame de rasoir alors qu’il peut au contraire être tout entier contenu dans un rectangle dont la hauteur est exactement égale à sa hauteur et dont la largeur est exactement égale à la largeur de sa base, ce qui lui confère une forme rectangulaire.

Il s’ensuit qu’en l’absence de toute modification de la partie centrale de la lame il ne se dégage du dessin LARMADA aucune différence signifiante avec la lame Gillette ou les antériorités en dehors de l’interprétation que Mme [U]-[G] en fait, ni aucune impression visuelle différente et partant, aucun caractère propre permettant de conférer à ce dépôt n° 20151685-004 la protection au titre des dessins ou modèles.

Il en va de même du dessin n° 20151685-005 qui reproduit strictement la même forme, dont seuls sont dessinés les contours en noir et le dessin peut également être tout entier contenu dans un rectangle ayant pour largeur, sa base et pour hauteur, sa propre hauteur.

Caractère nouveau d’une illustration

Pour rappel, selon l’article L 511-2 du code de la propriété intellectuelle, pour pouvoir être protégée au titre des dessins et modèles, la forme apparente d’un produit ou d’une partie de produit doit être nouvelle et présenter un caractère propre.

La nouveauté implique que le dessin ou modèle ne doit pas être identique à un dessin ou modèle déjà divulgué au public antérieurement à la date du dépôt de la demande d’enregistrement et qu’elle en diffère par des détails non insignifiants (article L 511-3).

Le caractère propre d’un dessin ou modèle implique quant à lui que l’impression visuelle qu’il produit sur un public averti, c’est à dire doté d’une vigilance particulière sans toutefois être expert, diffère de celle de tous dessins ou modèles antérieurs, pris individuellement (article L 511-4).

A ce titre, la réalisation inspirée d’un sujet du domaine public ne peut être protégeable comme ayant un caractère propre qu’à la condition qu’elle présente une physionomie propre procurant une impression visuelle d’ensemble distincte de celle procurée par des dispositifs comparables. Elle doit également nécessairement comporter des différences signifiantes et la protection ne peut être accordée en l’absence de modification de la physionomie générale.

Le jugement entrepris est en conséquence confirmé en ce qu’il a prononcé la nullité des deux dessins déposés par Mme [U]-[G].


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