Contrefaçon de publicité : CA de Paris, 1er mars 2023, RG 21/05308

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Contrefaçon de publicité : CA de Paris, 1er mars 2023, RG 21/05308
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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 1

ARRET DU 1ER MARS 2023

(n° 031/2023, 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 21/05308 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDKO5

Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Février 2021 -Tribunal de Commerce de Paris RG n° 2019026356

APPELANTE

S.A.S. LA PHOCEENNE DE COSMETIQUE

Société au capital de 209 000 euros

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de SALON DE PROVENCE sous le numéro 408 156 131

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée et assistée de Me Annette SION de l’ASSOCIATION HOLLIER-LAROUSSE & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P0362

INTIMEE

S.A. L’OREAL

Société au capital de 112 134 349,60 euros

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 632 .012.100

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliès ès qualités audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistée de Me Annabelle DALEX de SCP DEPREZ GUIGNOT & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque P221 substituant Me Pierre DEPREZ

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 04 janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Isabelle DOUILLET, présidente et , Madame Françoise BARUTEL, conseillère,

Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre,

Mme Françoise BARUTEL, conseillère,

Mme Déborah BOHEE, conseillère,

Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON

ARRÊT :

Contradictoire

par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Exposé du litige

***

EXPOSE DU LITIGE:

La société La Phocéenne de Cosmétique (Phocéenne), créée en 1996, est une PME qui produit et distribue des produits cosmétiques naturels, sous la marque ‘Le Petit Olivier’, depuis 2003.

La société L’Oréal a lancé en octobre 2018 une nouvelle marque de produits cosmétiques bio dénommée ‘La Provençale Bio’.

Estimant que la communication télévisuelle de ‘La Provençale Bio’ reprenait de nombreux éléments de deux campagnes de publicités des produits ‘Le Petit Olivier’ diffusées entre 2011 et 2014, la société Phocéenne a, par lettre RAR en date du 11 décembre 2018, mis en demeure la société L’Oréal, en vain, de cesser la diffusion de la publicité litigieuse.

C’est dans ce contexte que par acte du 6 mai 2019 la société Phocéenne a fait assigner la société L’Oréal devant le tribunal de commerce de Paris sur le fondement de la concurrence déloyale et du parasitisme.

Dans son jugement rendu le 8 février 2021, le tribunal de commerce de Paris a:

– Débouté la société La Phocéenne de Cosmétique de sa demande de condamner la société L’Oréal à lui verser la somme de 600.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi ;

– Débouté la société La Phocéenne de Cosmétique de sa demande d’ordonner la publication de la décision à intervenir, sur la page d’accueil du site Internet www.laprovencale.bio, pendant une durée de 6 mois à compter de la signification de la décision à intervenir;

– Débouté la société La Phocéenne de Cosmétique de sa demande d’ordonner la publication du jugement à intervenir dans cinq revues ou journaux au choix de la société La Phocéenne de Cosmétique, et aux frais de la société L’Oréal, le coût global des publications ne pouvant excéder la somme de 50.000 € H.T.;

– Débouté la société L’Oréal de sa demande de dommages et intérêts au titre de la procédure abusive;

– Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires;

– Condamné la société La Phocéenne de Cosmétique à payer à la société L’Oréal la somme de 20 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

– Ordonné l’exécution provisoire ;

– Condamné la société La Phocéenne de Cosmétique aux dépens de l’instance dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 € dont 12,20 € de TVA

Le 19 mars 2021, la société La Phocéenne de Cosmétique a interjeté appel de ce jugement.

Moyens

Dans ses dernières conclusions, numérotées 2, signifiées par RPVA le 3 octobre 2022, la société La Phocéenne de Cosmétique demande à la cour de :

En application des dispositions de l’article 1240 du code civil,

Réformer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 8 février 2021 en ce qu’il a débouté la société La Phocéenne de Cosmétique de ses demandes de condamnation de la société L’Oréal pour concurrence déloyale et parasitisme.

En conséquence,

Dire et juger que la société L’Oréal a commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme à l’égard de la société La Phocéenne de Cosmétique.

Condamner la société L’Oréal à verser à la société La Phocéenne de Cosmétique la somme de 600.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.

Ordonner la publication de la décision à intervenir, sur la page d’accueil du site internet www.laprovencale.bio., pendant une durée de 6 mois à compter de la signification de la décision à intervenir.

Ordonner la publication du jugement à intervenir dans cinq revues ou journaux au choix de la société La Phocéenne de Cosmétique, et aux frais de la société L’Oréal, le coût global des publications ne pouvant excéder la somme de 50.000 € H.T.

Condamner la société L’Oréal à payer à la société La Phocéenne de Cosmétique la somme de 15.000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile , ainsi qu’aux entiers dépens.

Débouter la société L’Oréal de l’ensemble de ses demandes reconventionnelles

Dans ses dernières conclusions, numérotées 2, signifiées le 9 septembre 2022, la société L’Oréal demande à la cour de :

Vu l’article 1240 du Code civil,

– CONFIRMER le jugement du tribunal de commerce de Paris du 8 février 2021 en ce qu’il a:

o Débouté la société La Phocéenne de Cosmétique de sa demande de condamner la société L’Oréal à lui verser la somme de 600.000 Euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice subi ;

o Débouté la société La Phocéenne de Cosmétique de sa demande d’ordonner la publication de la décision à intervenir, sur la page d’accueil du site internet www.laprovencale.bio, pendant une durée de 6 mois à compter de la signification de la décision à intervenir ;

o Débouté la société La Phocéenne de Cosmétique de sa demande d’ordonner la publication du jugement à intervenir dans cinq revues ou journaux de son choix ;

o Condamné la société La Phocéenne de Cosmétique à payer à la société L’Oréal la somme de 20.000 Euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

o Ordonné l’exécution provisoire

Par conséquent :

– DEBOUTER intégralement La Phocéenne de Cosmétique de toutes ses demandes, fins et prétentions ;

– INFIRMER le jugement du tribunal de commerce de Paris du 8 février 2021 en ce qu’il a débouté la société L’Oréal de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts,

Statuant à nouveau :

– CONDAMNER la société La Phocéenne de Cosmétique à verser à la société L’Oréal la somme de 50.000 Euros de dommages-intérêts, en réparation du préjudice moral subi par L’Oréal, sauf à parfaire ;

Y ajoutant :

– CONDAMNER La Phocéenne de Cosmétique à verser à la société L’Oréal la somme de 20.000 Euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens au titre de la présente procédure d’appel ;

L’ordonnance de clôture a été rendue le 29 novembre 2022.

Motivation

MOTIFS DE LA DECISION

En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises telles que susvisées.

Sur la concurrence déloyale

La société Phocéenne fait valoir que le fait de lancer des produits directement concurrents, sous la marque ‘La Provençale Bio’, en reprenant l’atmosphère, les images et le style très particuliers des publicités du Petit Olivier constitue un acte de concurrence déloyale ; que les éléments communs sont tels que cela crée chez le consommateur une confusion ou à tout le moins une association entre les deux marques.

Elle soutient qu’il existe 7 éléments communs aux publicités qui sont si proches qu’elles pourraient laisser penser qu’il s’agit de produits issus d’une même gamme ; que les caractéristiques principales de la publicité Le Petit Olivier ont été reprises par la société L’Oréal, et notamment lors du premier plan un olivier de très grande taille au milieu d’une oliveraie, par la suite, une jeune femme châtain clair vêtue de blanc avec les cheveux mi-longs ondulés en plan serré au milieu des oliviers, puis un plan sur la main de femme attrapant une branche d’olivier,

puis un plan serré sur le visage de la jeune femme assise sur une balancelle se touchant le visage,

puis cette même jeune femme assise sur une balancelle suspendue à un olivier de forme arrondie et en osier, la fin des publicités présentant une sélection des produits sur un fond neutre de couleur beige autour desquels on peut voir l’ombre de feuilles d’oliviers ; que s’agissant de la publicité pour les produits Le Petit Olivier à base d’huile d’argan la quasi-totalité des plans a été reprise.

Elle ajoute qu’elle a choisi de promouvoir sa gamme Le Petit Olivier en diffusant sur internet un film sur les producteurs d’olives avec qui elle travaille, l’huile d’olive utilisée provenant de ses propres mouliniers Meryll et Cyril de Batz ; que la société L’Oréal a également repris le concept de mettre en avant le moulinier puisqu’elle diffuse deux films sur l’oléiculteur et le moulinier ; que les vidéos se déroulent pareillement dans une oliveraie très ensoleillée dans laquelle on voit les rayons du soleil passer dans les branches des oliviers ; qu’elles comportent également une musique de fond très douce avec une voix off donnant des explications sur l’aspect naturel des matières premières ; que ces films reprennent les caractéristiques du film de la société Phocéenne à savoir au début et à la fin une image de la marque, des images d’un champ d’oliviers vu du sol, des images de la personne marchant dans le champ d’oliviers, un gros plan de la personne sur fond d’oliviers avec son nom et sa profession inscrits en blanc, des images de l’exploitant cueillant des olives, un gros plan sur les mains attrapant les olives puis tenant un panier rempli d’olives, puis de l’huile d’olive qui coule. Elle en déduit que la société L’Oréal a imité de manière déloyale ses publicités et plus généralement sa communication, afin de profiter de la notoriété acquise par les produits Le Petit Olivier bénéficiant d’une importante renommée.

Elle ajoute que la confusion et les ressemblances entre les publicités Le Petit Olivier et La Provençale Bio ont été constatées par les journalistes et les internautes ; que notamment le magazine LSA a publié les images comparées en indiquant ‘Il faut dire que le spot publicitaire

de 2018 pour la crème de Jouvence anti-âge de La Provençale bio rappelle fortement la communication du Petit Olivier en 2014 (…) Les captures que nous avons réalisées de ces deux spots publicitaires trouvés sur Youtube illustrent leur similitude. Il est incontestable que les créatifs de La Provençale bio ont au minimum manqué de créativité en proposant un spot ressemblant autant à une pub du Petit Olivier diffusée… quatre ans plus tôt.’

La société Phocéenne fait valoir que les produits cosmétiques en cause sont directement concurrents en ce qu’ils sont à base d’huile d’olive, vendus en grandes et moyennes surfaces, à des tarifs similaires et visant la même cible de clientèle ; que la volonté de reprendre les caractéristiques de la publicité et de la communication est incontestable ; que la succession d’images n’est pas banale pour évoquer la Provence ou des produits cosmétiques à base d’huile d’olive ; que c’est dans la reprise des éléments, pris dans leur ensemble, que réside la concurrence déloyale ; que la société L’Oréal aurait eu la possibilité de mettre en avant l’huile d’olive et l’ambiance provençale de manière différente.

Elle prétend que le tribunal, qui a retenu que la reprise combinée de l’ensemble des caractéristiques était de nature à générer un risque de confusion, a finalement exclu à tort un tel risque au motif qu’il se serait écoulé un délai de 4 ans entre les publicités en cause ; qu’elle justifie au contraire que sa publicité est toujours diffusée sur son site internet et sur différentes plateformes telles que YouTube de sorte que les publicités en cause ont été diffusées concomitamment, internet étant un media plus important que la télévision ; qu’il convient de prendre en compte dans l’appréciation du risque de confusion fautif l’ensemble de la communication en ce compris le film de présentation du moulin de sorte que c’est tout le concept de communication qui a été imité ; qu’enfin, la différence pouvant exister entre les produits est inopérante, notamment la certification bio, dans la mesure où l’objet du litige porte uniquement sur les publicités.

La société L’Oréal soutient qu’aucun risque de confusion n’est caractérisé ; que les communications en cause ne partagent qu’un thème relatif à la composition des produits, comme le font les autres acteurs du marché tels que Palmolive, L’Occitane ou Le Petit Marseillais ; que la structure des communications n’a rien d’original ; que l’appelante a abandonné depuis 2014 toute communication télévisée sur le thème et l’univers provençal ; que la société L’Oréal a développé un univers qui lui est propre notamment en présentant ses produits en extérieur mais aussi en intérieur (mas provençal, porcelaine provençale) ; que les vidéos en ligne sur la chaîne YouTube n’ont fait l’objet que de 3 000 vues chacune pour les films publicitaires et de 257 vues pour la vidéo du moulinier ; que le tribunal de commerce doit être approuvé en ce qu’il a dit qu’un consommateur ne pouvait, plus de quatre ans après avoir visionné les films publicitaires, confondre les produits Le Petit Olivier avec ceux de La Provençale.

La société L’Oréal ajoute enfin que la société Phocéenne ne justifie d’aucun préjudice en ce qu’entre 2018 et 2019 elle a enregistré une croissance de 3,8% pour Le Petit Olivier et de 6,9% pour les soins du visage.

Sur ce,

La cour rappelle que le principe est celui de la liberté du commerce, et que ne sont sanctionnés au titre de la concurrence déloyale que des comportements fautifs en violation des usages loyaux du commerce.

Le seul fait de commercialiser des produits identiques ou similaires à ceux, qui ne font pas l’objet de droits de propriété intellectuelle, distribués par un concurrent relève de la liberté du commerce et n’est pas fautif, dès lors que cela n’est pas accompagné de manoeuvres déloyales constitutives d’une faute telle que la création d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit, circonstance attentatoire à l’exercice paisible et loyal du commerce.

L’appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d’une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou mois servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l’imitation, l’ancienneté d’usage, l’originalité et la notoriété de la prestation copiée.

En l’espèce, la société Phocéenne fait grief à la société l’Oréal d’avoir repris dans son film de publicité de la Provençale Bio diffusé à partir d’octobre 2018 sept éléments se trouvant dans deux films publicitaires du Petit Olivier, l’un sur un soin du corps à l’huile d’olive, l’autre sur un soin du visage à l’huile d’argan, diffusés à la télévision à partir de 2011, dont la diffusion télévisuelle a cessé à compter de 2014 mais qui sont toujours présents sur les réseaux sociaux.

La cour constate cependant que les reprises incriminées au titre du risque de confusion fautif à savoir un olivier au milieu d’une oliveraie dans le premier plan, une jeune femme châtain clair vêtue de blanc avec les cheveux mi-longs ondulés en plan serré au milieu des oliviers, puis un plan sur la main de la femme attrapant une branche d’olivier, puis un plan serré sur le visage de la jeune femme assise se touchant le visage, puis cette même jeune femme assise sur une balancelle suspendue à un olivier de forme arrondie et en osier, et enfin une présentation des produits sur un fond neutre, autour desquels on peut voir l’ombre de feuilles d’olivier, sont pour l’essentiel des éléments banals d’une communication publicitaire centrée sur la composition à base d’huile d’olive de produits cosmétiques, montrant en conséquence des oliviers, la cueillette des olives, les bienfaits en terme de douceur sur le visage et une image de la douceur de vivre dans le soleil du sud représentée notamment par une balancelle ou un hamac, ainsi que cela résulte notamment du spot Palmolive diffusé en 1984 ; que le fait de terminer le film publicitaire par un visuel des produits est également banal, tout comme le choix d’un fond clair, permettant de les mettre en valeur, la présence de l’ombre de feuilles d’oliviers étant à peine perceptible et en tout état de cause traitée différemment dans leur forme et leur nombre dans les films en cause; que ces images ne sont en outre pas les seules du film publicitaire incriminé qui comprend notamment plusieurs plans sur le pressage des olives, l’huile qui en est obtenue, sa richesse en polyphénols antioxydants mise en exergue dans un plan goutte à goutte lui conférant le caractère d’un liquide précieux, ces éléments marquants étant totalement étrangers aux films de la Phocéenne.

La société Phocéenne reproche aussi à la société L’Oréal d’avoir diffusé deux films centrés sur l’oléiculteur et le moulinier reprenant le concept de mettre en avant le moulinier, qui est celui qui extrait l’huile des olives dans son moulin à huile. Ce grief n’est cependant pas fondé, la société L’Oréal étant libre de présenter les étapes de fabrication d’un des composants de ces produits, à savoir l’huile d’olive, comme le font de nombreux acteurs du secteur cosmétique tels que l’Occitane, Body Shop ou Welleda, et les éléments prétendument communs à savoir un champ d’oliviers, le visuel du professionnel sur un fond d’oliviers, l’inscription de son nom et de sa profession, ainsi que les images de cueillette d’olives et de paniers remplis d’olives, étant banals pour communiquer sur les récoltes d’olives en Provence à partir desquelles sont produites l’huile d’olive utilisée dans les produits cosmétiques La Provençale Bio, de sorte qu’aucun risque de confusion fautif n’est davantage constitué.

Il sera ajouté au surplus, comme l’a relevé le tribunal, que ce prétendu risque de confusion est d’autant moins avéré, que les films publicitaires de la société Phocéenne ont été diffusés de 2011 à 2014, c’est à dire que la dernière diffusion télévisuelle remonte à plus de quatre ans avant celle du spot incriminé, la société Phocéenne ne démontrant aucune notoriété particulière de ces spots et ne contestant pas avoir choisi depuis 2016 d’autres axes de communication, les films qu’elle invoque au soutien de la présente instance étant certes toujours présents sur les réseaux sociaux, mais avec un nombre de vues tout à fait réduit pour un produit de grande consommation à savoir moins de 3 000 pour les publicités, et moins de 300 pour la vidéo présentant le moulinier.

Enfin, les articles d’un journaliste ou les commentaires des internautes, opérant des rapprochements entre les films en cause, pour en souligner les ressemblances, ne peuvent fonder la démonstration d’un risque de confusion fautif susceptible de constituer un acte de concurrence déloyale.

Il résulte de ces éléments, qu’ainsi que l’a jugé le tribunal, la preuve d’une faute de la société L’Oréal constitutive d’un risque de confusion déloyal n’est pas rapportée. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur le parasitisme

La société Phocéenne soutient qu’elle a réalisé d’importants investissements pour concevoir ses publicités et vidéos de présentation ; qu’elle a investi près de 4 millions d’euros en frais de communication dont 600 K€ pour la publicité télévisuelle; qu’ainsi, la marque ‘La Provençale’ profite indûment des investissements et de la notoriété de la marque ‘Le Petit Olivier’ qui existe sur le marché depuis 16 ans, la société L’Oréal se plaçant dans son sillage pour lancer ses propres produits tout en banalisant ceux de la marque Le Petit Olivier ; que les caractéristiques reproduites ne sont pas banales ; que le spot publicitaire Palmolive datant de plus de 35 ans, ne permet pas de faire échec aux griefs de parasitisme en ce que même si la société Phocéenne s’était inspirée de cette ancienne publicité, le fait qu’un concurrent reprenne exactement la même source d’inspiration tombée dans l’oubli et y ajoute des images identiques constitue un acte de parasitisme ; que les griefs sont constitués par l’association dans la communication La Provençale de toutes les caractéristiques propres à la publicité Phocéenne ; que le fait que ces codes de communication aient été repris a eu pour conséquence de les banaliser.

Elle ajoute qu’il est incontestable que le lancement par une société d’une importance telle que la société L’Oréal d’une marque directement concurrente en reprenant toutes les caractéristiques particulières de la communication, engendre un préjudice important ; qu’une partie des investissements de publicité et de communication réalisés par la Phocéenne a bénéficié à la société L’Oréal qui commercialise ses produits en donnant l’impression d’une affiliation, d’une référence aux articles Le Petit Olivier ; que le préjudice est d’autant plus important que l’Oréal a effectué une campagne promotionnelle de grande ampleur et a diffusé massivement la publicité litigieuse, de sorte qu’elle est fondée à obtenir en réparation du préjudice résultant du détournement une somme représentant 15% de ses investissements.

La société L’Oréal soutient que la société Phocéenne ne démontre pas que sa publicité constitue une valeur économique individualisée et encore moins qu’elle aurait été indûment captée ; que le spot publicitaire incriminé ne fait que traiter de thèmes anciens et banals qui sont de libre parcours et étroitement liés à sa crème de visage à base d’huile d’olive ; que cette thématique de la Provence est communément utilisée par les acteurs du marché cosmétique comme par exemple la marque Palmolive ; qu’une société ne saurait en acquérir le monopole ; qu’il en est de même s’agissant des vidéos informatives présentant les professionnels oléiculteurs ou mouliniers intervenant dans la fabrication des produits L’Oréal ; que les éléments de similitude revendiqués sont banals et n’ont été utilisés par la société Phocéenne que de manière ponctuelle entre 2011 et 2014, alors que seul un usage continu ou important est susceptible de caractériser un acte de parasitisme ; qu’aucune faute ne peut être caractérisée du fait de l’utilisation de thèmes et d’idées banals et répandus ; que la société Phocéenne ne démontre pas que les éléments qu’elle invoque seraient constitutifs d’une ‘signature’ ou de ‘codes’ de sa marque, caractéristiques d’une valeur économique individualisée ; qu’elle s’est abstenue de communiquer son plan média ; qu’elle ne justifie d’aucun investissement de nature à caractériser la création d’une valeur économique individualisée ; qu’aucun préjudice n’est démontré ni aucun lien de causalité caractérisé, la seule similitude entre les produits en cause portant sur la proximité des univers provençaux.

Sur ce,

La cour rappelle que le parasitisme consiste à capter une valeur économique d’autrui individualisée, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements et à se placer ainsi dans son sillage pour tirer indûment parti des investissements consentis ou de la notoriété acquise.

En l’espèce la valeur économique prétendument captée par la société L’Oréal, consiste, selon la société Phocéenne, en 7 images contenues dans deux films publicitaires, à savoir une oliveraie, une jeune femme en plan serré au milieu d’oliviers, une main de femme attrapant une branche d’oliviers, puis touchant son visage, une jeune femme assise dans une balancelle d’osier arrondie et un zoom des produits de la marque sur fond beige, ainsi que dans le choix de réaliser une vidéo sur le professionnel, à savoir le moulinier, qui fabrique l’huile d’olive utilisée dans les produits.

Si la société Phocéenne produit un tableau excel récapitulant ses dépenses publicitaires, et notamment la réalisation de films et l’achat d’espaces publicitaires de 2011 à 2018, la cour observe cependant, qu’outre que ce tableau n’est accompagné d’aucune certification par un expert comptable ni d’aucune facture ni d’aucun plan media permettant d’apprécier l’ampleur de la diffusion des spots invoqués, il concerne la période de 2011 à 2018 alors qu’il est constant que depuis février 2014 la société Phocéenne a cessé la diffusion télévisuelle des spots litigieux, que leur diffusion sur internet est depuis marginale, et qu’à compter de 2016 elle a communiqué autour d’une atmosphère radicalement différente ‘respectons la beauté’ qui ne fait plus référence ni à l’olive ni à la Provence.

En outre et ainsi qu’il a déjà été dit, les éléments du film publicitaire et des vidéos incriminés, pris isolément et dans leur ensemble, sont des idées publicitaires communément répandues pour communiquer sur l’un des ingrédients, à savoir l’huile d’olive, d’un produit cosmétique, et la société Phocéenne ne démontre pas que ces éléments s’accompagnent d’une importante notoriété acquise par la marque de ces chefs, ni qu’ils participent fortement à la construction d’une identité visuelle spécifique, reprise d’année en année, alors au contraire qu’ils ont été abandonnés dans ses principales communications depuis 2014, et à tout le moins depuis 2016.

Il résulte de ces développements que la société Phocéenne échoue à démontrer la valeur économique individualisée qui aurait été indûment captée par la société L’Oréal. Dès lors, aucun acte de parasitisme n’est caractérisé. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef de même qu’en ce qu’il a rejeté les demandes subséquentes de la société Phocéenne.

Sur la demande reconventionnelle

La société L’Oréal soutient que la société Phocéenne, qui ne pouvait se méprendre sur la portée de ses droits, a cherché à lui nuire en n’hésitant pas à faire de la presse son tribunal au prix de montages simplificateurs et trompeurs ; que la société Phocéenne a ensuite largement relayé ces publications sur ses comptes Facebook et LinkedIn en appelant les internautes à juger en renvoyant à un montage simplificateur ; que le fait de faire état d’un procès en cours alors qu’aucune décision n’a été rendue jette le discrédit sur un concurrent ; que toute personne a droit à la réparation de son préjudice moral lequel résulte du temps et des moyens que l’Oréal a dû consacrer à la défense de ses intérêts ainsi que de son préjudice d’image. Elle demande en conséquence la somme de 50 000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral.

La société Phocéenne soutient que les articles de presse ont été rédigés par des journalistes indépendants relevant les similitudes entre les deux publicités, ce qui ne lui est pas imputable, la procédure n’ayant en outre pas été engagée de mauvaise foi.

Sur ce,

L’accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n’est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait d’agir en justice ou d’exercer une voie de recours légalement ouverte est susceptible de constituer un abus.

En outre, constitue un acte de dénigrement, même en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l’une, d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l’autre, à moins que l’information en cause ne se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure.

En l’espèce, la société L’Oréal ne démontre pas la faute commise par la société Phocéenne qui aurait fait dégénérer en abus son droit d’agir en justice, l’intéressée ayant pu légitimement se méprendre sur l’étendue de ses droits.

S’agissant des articles de presse versés au débat relatifs au litige entre les sociétés Phocéenne et L’Oréal, la cour observe que ces articles ont été écrits par des journalistes dans le cadre de la liberté d’information et d’expression sans qu’il en résulte aucune imputabilité à la société Phocéenne, outre au surplus que ces articles relatent les deux thèses en présence, en ce compris celle de la société L’Oréal.

Enfin, la diffusion sur la page facebook Le Petit Olivier de trois plans des films en cause sur internet accompagnée de la question ‘Et vous, qu’en pensez-vous ‘ sans formuler aucune critique ni jeter aucun discrédit sur les produits de la société L’Oréal n’est pas davantage constitutive d’une faute, les commentaires de quelques internautes soulignant les ressemblances n’étant pas directement imputables à la société Phocéenne ni, en tout état de cause, constitutifs d’un dénigrement fautif.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déboute la société l’Oréal de demande de réparation de son préjudice moral fondée sur le dénigrement,

Condamne la société La Phocéenne de Cosmétique aux dépens d’appel, et vu l’article 700 du code de procédure civile, la condamne à verser à ce titre à la société L’Oréal, la somme de 8 000 euros.

LA GREFFIERE LA PRÉSIDENTE


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