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Décrire et interpréter une photographie sans préciser toutefois les choix précis opérés par le photographe lors de la phase préparatoire ne permet pas d’établir l’originalité.
En l’espèce, il n’est pas démontré que la photographie, qui est, certes, le fruit d’un travail technique maîtrisé, est protégée par le droit d’auteur dans la mesure où elle ne révèle pas de choix créatifs ou de parti pris esthétique particuliers témoignant de la personnalité de son auteur. L’auteur photographe doit toujours non pas apporter des précisions concernant les objectifs de l’appareil photographique ou de les réglages mais un choix personnel et créatif dans la mise en scène du décor photographié. En la cause, les éléments présentés ne permettent pas de retenir une physionomie particulière ou un effort créatif particulier permettant à la photographie litigieuse de se distinguer d’autres photographies du même genre. Conformément à l’article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial. Selon l’article L.112-1 du même code, ce droit appartient à l’auteur de toute œuvre de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination. Selon l’article L. 112-2, 9° du même code, sont considérées comme œuvres de l’esprit les œuvres photographiques et celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie. L’article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle précise que la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée. Il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d’une œuvre sans formalité et du seul fait de la création d’une forme originale en ce sens qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur et n’est pas la banale reprise d’un fonds commun non appropriable. Néanmoins, lorsque l’originalité d’une œuvre de l’esprit est contestée, il appartient à celui qui se prévaut d’un droit d’auteur de définir et d’expliciter les contours de l’originalité qu’il allègue. Seul l’auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, est en mesure d’identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole. L’article 6 de la directive 2006/116/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative à la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins, intitulé “Protection des photographies” dispose que les photographies qui sont originales en ce sens qu’elles sont une création intellectuelle propre à leur auteur sont protégées conformément à l’article 1er. Aucun autre critère ne s’applique pour déterminer si elles peuvent bénéficier de la protection. Les États membres peuvent prévoir la protection d’autres photographies. Interprétant l’article 6 de la directive 93/98 du 29 octobre 1993 relative à l’harmonisation de la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 1er décembre 2011, aff. C-145/10, Eva-Maria Painer contre Standard VerlagsGmbH ea) a dit pour droit “qu’une photographie est susceptible de protection par le droit d’auteur à condition qu’elle soit une création intellectuelle de son auteur, ce qui est le cas si l’auteur a pu exprimer ses capacités créatives lors de la réalisation de l’œuvre en effectuant des choix libres et créatifs et ce, de plusieurs manières et à différents moments lors de sa réalisation. Ainsi, au stade de la phase préparatoire, l’auteur pourra choisir la mise en scène, la pose de la personne à photographier ou l’éclairage. Lors de la prise de la photographie de portrait, il pourra choisir le cadrage, l’angle de prise de vue ou encore l’atmosphère créée. Enfin, lors du tirage du cliché, l’auteur pourra choisir parmi diverses techniques de développement qui existent celle qu’il souhaite adopter, ou encore procéder, le cas échéant, à l’emploi de logiciels. À travers ces différents choix, l’auteur d’une photographie de portrait est ainsi en mesure d’imprimer sa ” touche personnelle ” (point 92 de la décision) à l’œuvre créée.” En d’autres termes, pour bénéficier de la protection au titre du droit d’ auteur, une photographie doit être, indépendamment du sujet photographié ou de la destination du cliché, une création intellectuelle propre à son auteur, reflétant sa personnalité qui peut se révéler en premier lieu dans la phase de préparation de la prise de la photographie par ses choix dans le placement des objets à photographier ou en exprimant sa personnalité par l’éclairage choisi; qu’en second lieu le photographe peut imprégner la photographie de sa personnalité au moment de la prise de vue elle-même, par le cadrage, l’angle de prise de vue, le jeu des ombres et de la lumière; qu’enfin le photographe peut révéler sa personnalité en retravaillant la photographie, notamment à l’aide de logiciels professionnels dédiés à cet effet, par la modification des couleurs, la suppression d’éléments, le recadrage ou le changement des formats. |
→ Résumé de l’affaireL’affaire oppose l’Agence France Presse (AFP) à la société DK Ambassador concernant l’utilisation non autorisée par cette dernière d’une photographie appartenant à l’AFP sur son site internet. Malgré les tentatives de trouver une solution amiable, aucun accord n’a été trouvé, ce qui a conduit l’AFP à assigner DK Ambassador en justice pour contrefaçon de droit d’auteur. L’AFP demande des dommages et intérêts pour préjudices patrimoniaux et moraux, ainsi qu’une indemnité pour résistance abusive. De son côté, DK Ambassador conteste l’utilisation de la photographie litigieuse sur son site, arguant notamment que celle-ci n’est pas originale et ne bénéficie pas de la protection du droit d’auteur. L’affaire est en attente de jugement, avec une audience prévue pour avril 2024.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
[1] Le :
Expédition exécutoire délivrée à : Me LEGER #D2159
Copie certifiée conforme délivrée à : Me LAZAREGUE #C1798
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3ème chambre
1ère section
N° RG 22/02990
N° Portalis 352J-W-B7G-CWEG7
N° MINUTE :
Assignation du :
11 février 2022
JUGEMENT
rendu le 27 juin 2024
DEMANDERESSE
Société AGENCE FRANCE PRESSE
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Jean-Marie LEGER de la SELARLU LEGI-ART, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D2159
DÉFENDERESSE
S.A.S. DK AMBASSADOR
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Alexandre LAZAREGUE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C1798
Décision du 27 juin 2024
3ème chambre 1ère section
N° RG 22/02990
N° Portalis 352J-W-B7G-CWEG7
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Anne-Claire LE BRAS, 1ère Vice-Présidente Adjointe
Madame Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Monsieur Malik CHAPUIS, Juge,
assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière
DEBATS
A l’audience du 22 avril 2024 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 27 juin 2024.
JUGEMENT
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
La société Agence France Presse (ci-après “AFP”) se présente comme une agence d’information globale, assurant une couverture rapide, complète et vérifiée des événements de l’actualité. L’article 1er de la loi n°57-32 du 10 janvier 1957 relative à son statut dispose qu’elle a pour objet de rechercher tant en France qu’à l’étranger, les éléments d’une information complète et objective et de mettre contre paiement cette information à la disposition des usagers.
L’AFP a, pour ce faire, développé des bases de données en ligne comportant des textes, des photographies, des vidéos et des graphiques, permettant à ses clients d’avoir accès à ses flux de documents d’information réalisés en temps réel et à ses bases d’archives.
L’AFP commercialise ainsi les photographies issues de sa banque d’images notamment sur son site internet “www.afp-forum.com”, en prenant soin de rappeler que les images présentes sur ce site sont disponibles sous réserve de l’octroi de licences. L’AFP a par ailleurs mandaté la société Picrights qui dispose d’un outil d’intelligence artificielle de reconnaissance dans lequel elle stocke les photographies de ses clients.
La société DK Ambassador se présente comme une société proposant des services de conciergerie de luxe pour les voyageurs étrangers visitant la France. Elle mène également des activités évènementielles dans le domaine du luxe en s’étant constitué un réseau de partenaire prestigieux. Elle dispose d’un site internet, accessible à l’adresse URL “https://www.dkambassador.com”dans lequel elle présente ses activités
En 2021, l’AFP a eu connaissance de l’utilisation, par la société DK Ambassador, de sa photographie référencée Par3324550. Cette photographie représente une série de pancartes indiquant le taux des remises promotionnelles de produits à la vente dans un magasin pendant la période des soldes.
L’AFP a adressé à la société DK Ambassador des courriers entre les mois de février et avril 2021 afin de tenter de trouver une solution amiable au litige. Sans réponse à ces différents envois, deux lettres de mise en demeure ont été envoyées les 12 juillet et 14 septembre 2021, par le conseil de l’AFP. Aucun accord n’a pu être trouvé.
Dans ce contexte, la société DK Ambassador a été assignée, par acte d’huissier de justice en date du 11 février 2022, devant le tribunal judiciaire de Paris pour contrefaçon de droit d’auteur.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 13 juin 2023, la société Agence France Presse demande au tribunal, au visa des articles L. 111-1, L. 112-1 et suivants, L. 121-1 à L. 122-4, L. 331-1-3 et L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle, des articles 1240 et 1241 du code civil, des articles 544 et 545 du code civil, de l’article 32-1 du code de procédure civile et de l’article 700 du code de procédure civile, de :
A titre principal,
-Juger que la société DK Ambassador a commis des actes de contrefaçon de droit d’auteur à son préjudice, en reproduisant sans son autorisation sur son site https://www.dkambassador.com/ la photographie n° Par3324550 lui appartenant ;
A titre subsidiaire,
-Juger que la reproduction intégrale, sans autorisation, par la société DK Ambassador, pour l’illustration de son site internet, d’une photographie qu’elle exploite commercialement, constitue un comportement fautif engageant la responsabilité civile de la société DK Ambassador ;
-Juger que l’utilisation non autorisée par la société DK Ambassador sans bourse délier, d’une photographie lui appartenant constitue une violation de l’article 1er de la loi n° 57-32 du 10 janvier 1957, violation elle-même constitutive d’une faute civile délictuelle ;
-Juger qu’en s’appropriant le fichier numérique correspondant à son cliché, la société DK Ambassador a porté atteinte à son droit de propriété et qu’elle a, de ce seul fait, engagé sa responsabilité civile à l’égard de cette dernière ;
En tout état de cause,
-Condamner la société DK Ambassador à lui payer, la somme de 3.500 euros, en réparation de ses préjudices patrimoniaux ;
-Condamner la société DK Ambassador à lui payer, la somme de 3.500 euros, en réparation de ses préjudices moraux ;
-Condamner la société DK Ambassador à lui payer une somme de 3.000 euros au titre de sa résistance abusive ;
-Condamner la société DK Ambassador à lui payer une indemnité, sauf à parfaire, de 8.400 euros outre les entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 6 février 2023, la société DK Ambassador demande au tribunal, aux visas des articles 1353, 1363, 1240 et 1241 du code civil, des articles L. 111-1, L. 112-1, L. 121-1 à L. 122-4, L. 122-5, L. 331-1-3 et L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle, de l’article 700 du code de procédure civile, de la jurisprudence et les pièces versées au débat, de :
A titre principal,
-Constater qu’il n’est pas démontré l’usage par la société DK Ambassador de la photographie litigieuse sur son site internet ;
En conséquence :
-Débouter l’AFP de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions au titre du droit d’auteur et de la responsabilité délictuelle ;
A titre subsidiaire,
-Constater que la photographie litigieuse n’est pas originale et ne bénéficie pas de la protection du droit d’auteur ;
En conséquence :
-Débouter l’AFP de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions au titre du droit d’auteur ;
A titre subsidiaire,
-Constater que la reproduction de la photographie litigieuse est proportionnée et justifiée par la liberté d’expression et la liberté d’information du public ;
En conséquence :
-Débouter l’AFP de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions au titre du droit d’auteur et de la responsabilité délictuelle ;
A titre subsidiaire,
-Constater l’atteinte minime au droit d’auteur ne justifiant pas la nécessité de réparation d’un préjudice.
En conséquence :
-Débouter l’AFP de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions au titre du droit d’auteur ;
A titre infiniment subsidiaire, sur la responsabilité délictuelle,
-Constater l’absence de comportement fautif de sa part ;
-Constater l’absence de préjudice économique et moral subi par l’AFP ;
En conséquence :
-Débouter l’AFP de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions au titre de la responsabilité délictuelle ;
-Débouter l’AFP de sa demande de paiement en réparation de son préjudice moral ;
En tout état de cause:
– Condamner l’AFP à lui payer la somme de 4.800 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 5 septembre 2023 et l’audience a été fixée au 22 avril 2024.
Sur la valeur probante de la capture d’écran produite en pièce 6 par l’AFP
Moyens des parties
La société DK Ambassador estime que les éléments de preuve de l’utilisation de la photographie litigieuse, rapportés par l’agence France Presse, ne sont pas fiables, tant et si bien qu’aucune demande ne peut aboutir, que ce soit sur le fondement de la contrefaçon de droit d’auteur ou de la responsabilité civile. Elle conteste ainsi la valeur probante de la capture d’écran produite par l’AFP, estimant qu’elle a été réalisée sans que les modalités ne soient précisées, en dehors de l’intervention d’un huissier de justice, ce qui ne permet pas de garantir l’authenticité de son contenu.
L’agence France Presse soutient qu’une capture d’écran est recevable à titre de preuve. Rappelant que la contrefaçon peut être prouvée par tout moyen et que la preuve est libre, elle souligne que la capture d’écran produite comporte une date, en bas à droite, l’URL du site internet de la défenderesse, et qu’elle ne présente aucune irrégularité de nature à remettre en cause sa fiabilité. Elle conclut qu’elle ne saurait, dans cette hypothèse, être présumée fausse. Elle rappelle que les captures d’écran sont réalisées par la société PICRIGHTS, prestataire spécialisé et indépendant qui dispose d’un outil logiciel d’identification performant. Elle invoque enfin le droit d’accès effectif à un juge,estimant que l’enjeu financier limité du litige ne justifie pas que soient exposés les frais d’un procès-verbal de constat d’huissier de justice. Enfin, elle souligne que la société adverse a reconnu l’usage du cliché dans son courrier préalable à l’introduction de l’instance.
Appréciation du tribunal
L’article 9 du code de procédure civile dispose qu’il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Il est constant que la preuve des actes de contrefaçon ou de concurrence déloyale est libre et peut être rapportée par tous moyens. Par ailleurs, les captures d’écran ne sont pas dépourvues par nature de force probante (Cass. com., 7 juillet 2021, n° 20-22.048), le juge disposant d’un pouvoir souverain dans l’appréciation de la force probante des éléments de preuve rapportés.
En l’espèce, l’agence France Presse produit aux débats, afin de démontrer l’usage non autorisé par la société défenderesse d’une photographie, une capture d’écran sur laquelle apparaît la date mentionnée sur l’écran (3 juillet 2018) ainsi que l’adresse URL du site “http://www.dkambassador.com/2014-winter-sales-in-France/”, qui permet de faire le lien avec la société DK Ambassador.
Il importe par ailleurs de souligner qu’à la suite des deux courriers adressés par l’AFP pour dénoncer l’utilisation de la photographie litigieuse, datés des 1er février et 3 mars 2021, comportant en pièce jointe la capture d’écran discutée, la société DK Ambassador a reconnu, par courrier du 17 juillet 2021, l’usage de la photographie sur son site internet, précisant qu’il s’agit d’une erreur commise par son prestataire.
Dès lors, il convient de considérer la capture d’écran produite comme étant suffisamment probante, à défaut d’élément contraire de nature à jeter un doute sur sa fiabilité.
Sur la protection de la photographie n° Par3324550 au titre du droit d’auteur
Moyens des parties
L’agence France Presse estime que la photographie n° Par3324550, issue de sa base de données, qui illustre une série de pancartes indiquant le taux des remises promotionnelles de produits à la vente dans un magasin pour la période de soldes, est protégée par le droit d’auteur.
Elle considère en effet que par son cadrage, ses couleurs et ses jeux de lumière, cette photographie manifeste un effort créatif qui lui confère une originalité au sens du droit d’auteur, comme étant révélatrice de la personnalité du photographe. Selon elle, les interprétations de l’auteur de la photographie qui traduisent l’effort de création, se rattachent toutes à une caractéristique formelle du cliché, comme le choix de la scène, le cadrage, le flou du premier plan, la perspective, l’angle de prise de vue, la couleur rouge dominante, ou encore les jeux de lumière ainsi qu’à des choix arbitraires.
S’agissant des antériorités que lui oppose la société DK Ambassador, elle estime que les similitudes ne sont pas suffisantes et que les effets esthétiques sont différents, aucun des clichés produits ne comportant, selon elle, de recherche créative.
La société DK Ambassador estime que l’AFP ne démontre pas l’originalité de la photographie, se contentant de la décrire et de l’interpréter. Elle souligne en effet qu’elle emploie le champ lexical de l’émotion, ce qui relève de la pure interprétation, et fait une description romanesque de la photographie à défaut de démontrer des choix personnels et subjectifs de l’auteur. La société DK Ambassador souligne encore qu’il existe plusieurs clichés similaires illustrant la période des soldes sur le site de l’AFP et note que s’y retrouvent tous les éléments invoqués par l’AFP: la perspective, le cadrage, le flou, l’excès, le vertige. Soulignant que la photographie a satisfait une commande, elle conclut que n’est démontré aucun choix arbitraire en faisant une oeuvre personnelle du photographe.
Si le tribunal devait retenir l’originalité du cliché, la société DK Ambassador invoque également l’application de l’exception de courte citation et lui demande de mettre en balance le droit d’auteur et sa liberté d’expression.
Appréciation du tribunal
Conformément à l’article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial. Selon l’article L.112-1 du même code, ce droit appartient à l’auteur de toute œuvre de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination.
Selon l’article L. 112-2, 9° du même code, sont considérées comme œuvres de l’esprit les œuvres photographiques et celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie.
L’article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle précise que la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée.
Il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d’une œuvre sans formalité et du seul fait de la création d’une forme originale en ce sens qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur et n’est pas la banale reprise d’un fonds commun non appropriable. Néanmoins, lorsque l’originalité d’une œuvre de l’esprit est contestée, il appartient à celui qui se prévaut d’un droit d’auteur de définir et d’expliciter les contours de l’originalité qu’il allègue. Seul l’auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, est en mesure d’identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole.
L’article 6 de la directive 2006/116/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative à la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins, intitulé “Protection des photographies” dispose que les photographies qui sont originales en ce sens qu’elles sont une création intellectuelle propre à leur auteur sont protégées conformément à l’article 1er. Aucun autre critère ne s’applique pour déterminer si elles peuvent bénéficier de la protection. Les États membres peuvent prévoir la protection d’autres photographies.
Interprétant l’article 6 de la directive 93/98 du 29 octobre 1993 relative à l’harmonisation de la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 1er décembre 2011, aff. C-145/10, Eva-Maria Painer contre Standard VerlagsGmbH ea) a dit pour droit “qu’une photographie est susceptible de protection par le droit d’auteur à condition qu’elle soit une création intellectuelle de son auteur, ce qui est le cas si l’auteur a pu exprimer ses capacités créatives lors de la réalisation de l’œuvre en effectuant des choix libres et créatifs et ce, de plusieurs manières et à différents moments lors de sa réalisation. Ainsi, au stade de la phase préparatoire, l’auteur pourra choisir la mise en scène, la pose de la personne à photographier ou l’éclairage. Lors de la prise de la photographie de portrait, il pourra choisir le cadrage, l’angle de prise de vue ou encore l’atmosphère créée. Enfin, lors du tirage du cliché, l’auteur pourra choisir parmi diverses techniques de développement qui existent celle qu’il souhaite adopter, ou encore procéder, le cas échéant, à l’emploi de logiciels. À travers ces différents choix, l’auteur d’une photographie de portrait est ainsi en mesure d’imprimer sa ” touche personnelle ” (point 92 de la décision) à l’œuvre créée.”
En d’autres termes, pour bénéficier de la protection au titre du droit d’ auteur, une photographie doit être, indépendamment du sujet photographié ou de la destination du cliché, une création intellectuelle propre à son auteur, reflétant sa personnalité qui peut se révéler en premier lieu dans la phase de préparation de la prise de la photographie par ses choix dans le placement des objets à photographier ou en exprimant sa personnalité par l’éclairage choisi; qu’en second lieu le photographe peut imprégner la photographie de sa personnalité au moment de la prise de vue elle-même, par le cadrage, l’angle de prise de vue, le jeu des ombres et de la lumière; qu’enfin le photographe peut révéler sa personnalité en retravaillant la photographie, notamment à l’aide de logiciels professionnels dédiés à cet effet, par la modification des couleurs, la suppression d’éléments, le recadrage ou le changement des formats.
Il importe, dès lors, de déterminer si la photographie n°Par3324550, pour laquelle l’agence France Presse demande la protection au titre du droit d’auteur, est originale.
En l’espèce, l’AFP décrit l’empreinte de la personnalité de l’auteur comme résultant de la sensation de tournis autour d’une enfilade d’affichettes rouges, par le flou en premier plan puis l’enfilade d’étiquettes pendues comme des denrées alimentaires au-dessus de l’étale d’un marchand de rue. Elle soutient que l’auteur a ainsi souhaité évoquer l’abondance, l’excès, tout en suscitant une sorte de vertige propre au consommateur pressé de faire des bonnes affaires lors de la période des soldes. Elle met encore en exergue le cadrage, les couleurs et jeux de lumière,traduisant un effort créatif. L’œil se perdrait , selon elle, dans cette quantité d’offres de réduction. De plus, la société demanderesse estime que l’auteur de la photographie a opté pour un cadrage spécifique qui permet de mettre en avant l’image d’une société de consommation, obnubilée par la bonne affaire, le prix cassé et l’écoulement des stocks. Enfin, le rouge permet selon elle, d’accentuer l’agressivité latente qui est provoquée lors de cette période de rabais.
Cependant, l’AFP, qui, en cela, décrit et interprète la photographie, ne précise toutefois pas les choix précis opérés par le photographe lors de la phase préparatoire. Elle n’apporte en effet aucune précision concernant les objectifs de l’appareil photographique ou de les réglages et ne démontre aucun choix personnel et créatif dans la mise en scène du décor photographié ou dans l’agencement des affichettes, une grande partie des enseignes disposant leurs affiches de la même manière pour indiquer les articles concernés par les soldes. Il en est de même pour la couleur rouge qui est celle utilisée dans le domaine commercial pour attirer l’attention des clients afin de leur indiquer quels articles sont en réduction. Tous ces éléments ne permettent pas de retenir une physionomie particulière ou un effort créatif particulier permettant à la photographie litigieuse de se distinguer d’autres photographies du même genre. De nombreuses photographies de même nature, représentant des affichettes de solde en enfilade avec un jeu de flou, sont d’ailleurs disponibles sur le site de l’AFP.
Par conséquent, il n’est pas démontré que la photographie, qui est, certes, le fruit d’un travail technique maîtrisé, est protégée par le droit d’auteur dans la mesure où elle ne révèle pas de choix créatifs ou de parti pris esthétique particuliers témoignant de la personnalité de son auteur.
Les demandes fondées sur la contrefaçon ne peuvent donc prospérer et seront rejetées.
Sur l’engagement de la responsabilité civile de la société DK Ambassador
Moyens des parties
L’agence France Presse reproche à la défenderesse l’utilisation non autorisée d’une photographie. Rappelant la définition du parasitisme, elle estime que la responsabilité civile pour faute suffit en l’espèce à sanctionner l’usage d’une copie de sa photographie. Elle considère que la société DK Ambassador ne peut opposer la liberté du commerce et de l’industrie pour s’approprier son travail, via une copie numérique de son produit, pour alimenter sa communication commerciale et rendre son site internet attrayant. Elle souligne l’économie d’investissement humain ou financier dans l’illustration de son site.
L’AFP ajoute être investie d’une mission légale comportant la réalisation de photographies, la loi du 10 janvier 1957lui donnant pour mission de mettre contre paiement l’information qu’elle collecte à la disposition des usagers. Elle en déduit que cette photographie a une valeur économique, fruit d’un travail et d’un investissement spécifique et que la société DK Ambassador, en refusant de la rémunérer, commet un manquement fautif à ces dispositions,l’exploitation commerciale payante s’appliquant aux utilisateurs.
L’AFP ajoute que l’utilisation non autorisée de la photographie la désorganise, en détournant son processus commercial. Elle considère que cela constitue une atteinte à son droit de propriété.
Elle conclut que cette faute lui occasionne un préjudice consistant en un gain manqué, constitué par la redevance impayée, mais également en des pertes subies, compte-tenu des moyens nécessaires pour identifier et faire cesser l’utilisation non autorisée. Elle invoque encore un trouble commercial, la dévalorisation par banalisation de sa photographie, ainsi qu’un préjudice moral lié à une atteinte à son image ainsi qu’à l’absence de crédit sous la photographie.
La société Dk Ambassador estime qu’en l’absence de faute commise et de caractérisation d’un préjudice, sa responsabilité civile ne peut être engagée. Elle estime que la photographie est libre de droit dès lors qu’elle n’est pas protégée par un droit de propriété intellectuelle. L’usage de la photographie ne peut donc, selon elle, être constitutif d’une faute.
En outre, caractériser le parasitisme suppose de démontrer que l’opérateur a utilisé le travail d’autrui dans un but lucratif, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, selon elle. Faute d’usage commercial, elle estime n’avoir tiré aucun bénéfice de l’exploitation de la photographie litigieuse, qui puisse être indemnisé. Elle considère à ce titre qu’elle a uniquement exploité la photographie litigieuse dans les limites proportionnées de la liberté d’expression et d’information du public, dans une rubrique purement informative du site. Elle conteste la moindre désorganisation, alors que l’AFP a confié à la société Picrights la charge de scanner internet.
Enfin, la société DK Ambassador soutient qu’en application de la loi n°57-32, seule l’AFP est tenue d’une obligation légale, ce texte n’imposant aucune obligation aux usagers.
Si le tribunal devait caractériser une faute, la société DK Ambassador estime que le préjudice ne peut excéder la somme due en application des tarifs de l’AFP. Le calcul du préjudice ne peut, selon elle, excéder une journée (le 3 juillet 2018) soit 1 euro, étant rappelé que la photographie a été utilisée dans un seul article et que la rubrique est inactive depuis près de deux ans. Elle conteste tout préjudice moral, alors que la popularité de son site est très faible.
Appréciation du tribunal
Aux termes de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Il est constant que celui qui ne dispose pas de droit privatif sur l’élément qu’il exploite dans le commerce ne peut trouver dans l’action en concurrence déloyale ou parasitaire une protection de repli lui permettant de faire sanctionner la simple exploitation non autorisée de cet élément. En outre, le simple fait de copier un produit qui n’est pas protégé par des droits de propriété intellectuelle ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale ou de parasitisme.
Est en revanche fautif le fait, pour un professionnel, de s’immiscer dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire particulier (Cass. Com., 26 janvier 1999, pourvoi n° 96-22.457 ; Cass. Com., 10 septembre 2013, pourvoi n° 12-20.933), ce qui constitue un acte de parasitisme. En outre, les agissements parasitaires peuvent être constitutifs d’une faute au sens de l’article 1240 du code civil même en l’absence de toute situation de concurrence (Cass. Com., 30 janvier 1996, pourvoi n° 94-15.725, Bull. 1996, IV, n°32).
En l’espèce, il ressort de la copie d’écran versée aux débats en pièce 6 par l’AFP, ainsi que du courrier adressé par la société DK Ambassador le 17 juillet 2021, que cette dernière a utilisé la photographie litigieuse pour illustrer un article portant sur les soldes d’hiver sur son site internet www.dkambassador.com, dont elle ne discute pas être l’éditrice, destiné à promouvoir son activité qui consiste en un service de conciergerie de luxe pour les voyageurs étrangers visitant la France.
Il ressort de la capture d’écran du site de l’AFP (pièce 7 de l’AFP) que le cliché litigieux, réalisé par [K] [T], fait partie de la banque de photographies de l’AFP.
Or, l’AFP, afin de remplir la mission qui lui est assignée par la loi n°57-32 du 10 janvier 1957, consistant à mettre une information complète et objective à disposition des usagers contre paiement, procède à différents investissements humains et financiers, pour constituer cette banque d’images. Cela implique notamment la mise en place d’un réseau de photographes professionnels qu’elle rémunère, qu’elle équipe de matériels performants et dont elle couvre les frais de production. La directrice financière de l’AFP atteste d’ailleurs des charges exposées pour la filière photo, bien que les données concernent les années 2020 à 2022.
De ce fait, en reproduisant le cliché sur son site internet, sans bourse délier, la société DK Ambassador a profité des investissements de l’AFP et, sans manquer à une obligation pré-existante qui lui serait imposée par la loi du 10 janvier 1957, a néanmoins adopté un comportement fautif parasitaire, de nature à engager sa responsabilité civile.
Il n’est pas nécessaire d’examiner le surplus des moyens étant observé que l’AFP ne démontre pas une désorganisation de ses services et que l’article 544 du code de procédure civile ne peut être invoqué, s’agissant d’une photographie, au soutien d’une demande de dommages-intérêts.
La capture d’écran est datée du 3 juillet 2018. Les démarches amiables entre les parties datent de mars 2021 et la société DK Ambassador a indiqué avoir retiré la photographie du site, ce qui n’est pas contesté par l’AFP. Par conséquent, il y a lieu de considérer qu’est démontré un usage pendant plus de deux ans de la photographie, ce qui représente, au regard des tarifs de l’AFP produits aux débats, une somme de 585,75 euros qui doit être allouée à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice économique de l’AFP.
L’AFP ne démontre pas, en revanche, les pertes qu’elle dit avoir subies et en particulier les frais exposés pour identifier les utilisations non autorisées des clichés sur internet par l’intermédiaire de la société PICRIGHTS notamment. Elle ne prouve pas davantage le trouble commercial ou la banalisation de la photographie.Cette dernière n’étant pas protégée au titre du droit d’auteur, l’AFP n’est pas fondée à invoquer un préjudice moral lié à l’absence de crédit sous le cliché.
La société DK Ambassador sera donc condamnée à payer à l’AFP la somme de 585,75 euros à titre de dommages-intérêts en réparation intégrale de son préjudice.
Sur la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive
Moyens des parties
L’agence France Presse estime que la défenderesse, malgré de multiples relances, n’a pas engagé de démarches amiables, laissant ses courriers sans réponse, alors que le faible enjeu financier du litige aurait permis d’éviter les coûts inhérents à une procédure judiciaire.
La société DK Ambassador ne formule pas d’observation sur ce point.
Appréciation du tribunal
Si la société DK Ambassador n’a pas engagé de démarches amiables pour tenter de trouver une issue au litige l’opposant à l’AFP, en dépit des courriers adressés en ce sens au printemps 2021, cette dernière ne démontre pas avoir subi un préjudice autre que celui résultant de l’obligation d’introduire une action en justice, qui est indemnisé dans le cadre des demandes fondée sur les dépens et frais irrépétibles.
La demande de dommages-intérêts pour résistance abusive est rejetée.
Sur les demandes annexes
Succombant, la société DK Ambassador sera condamnée aux dépens de l’instance.
Supportant les dépens, elle sera condamnée à payer à l’agence France Presse la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La présente décision est exécutoire par provision.
Le tribunal,
Déboute l’agence France Presse de ses demandes fondées sur la contrefaçon de droit d’auteur sur la photographie n°Par3324550;
Condamne la société Dk Ambassador à payer à l’AFP, la somme de 585,75 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice patrimonial sur le fondement de la responsabilité civile;
Déboute l’agence France Presse de ses autres demandes de dommages-intérêts, en ce compris sa demande fondée sur la résistance abusive ;
Condamne la société Dk Ambassador aux dépens de l’instance;
Condamne la société Dk Ambassador à payer à l’AFP une indemnité de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Rappelle que la présente décision est exécutoire de droit par provision.
Fait et jugé à Paris le 27 juin 2024
La Greffière La Présidente
Caroline REBOULAnne-Claire LE BRAS