Contrefaçon de logiciel : les mesures d’instruction possibles

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Contrefaçon de logiciel : les mesures d’instruction possibles
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La seule publication d’un article de presse sous le nom d’un scientifique à l’origine de la création d’une application mobile, ne peut suffire à établir des présomptions de concurrence déloyale et contrefaçon de logiciel.

Tandis que l’article 875 du code de procédure civile permet au président du tribunal de commerce d’ordonner sur requête, dans les limites de la compétence du tribunal, toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu’elles ne soient pas prises contradictoirement, l’article 143 du code de procédure civile énonce que les faits dont dépendent la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible.

En l’espèce, les circonstances n’exigeaient pas de ne pas agir contradictoirement.

Un article scientifique et ses modifications ne constituent pas un indice sérieux et objectif des manquements dont les sociétés Sivan suspectent l’auteur. Par conséquent, nul risque de dépérissement des preuves n’est caractérisé du fait de ce prétendu élément nouveau et aucune nécessité de recourir de manière non contradictoire pour l’obtention de preuve après la saisine du juge du fond ne résulte davantage de cet élément.

Résumé de l’affaire : Le tribunal de commerce de Lille métropole a rendu une ordonnance de référé le 24 août 2023, déboutant les sociétés Sivan Innovation LTD et Sivan France de leurs demandes contre la SARL Hyperion et M. [X]. Cette ordonnance a également prononcé la rétractation d’une précédente ordonnance du 29 mars 2023, déclaré nulles certaines mesures d’instruction, ordonné la restitution des éléments saisis, et condamné les sociétés Sivan à verser 2 500 euros à M. [X] et à la société Hyperion. Les sociétés Sivan ont interjeté appel de cette décision le 13 septembre 2023. Le 18 septembre 2023, la cour d’appel de Douai a débouté les sociétés Sivan de leur demande d’arrêt de l’exécution de l’ordonnance et a décidé que les éléments saisis seraient conservés sous séquestre. Les sociétés Sivan ont déposé des conclusions le 26 décembre 2023, demandant la confirmation de l’ordonnance du 29 mars 2023 et le déboutement de la société Hyperion et de M. [X] de leurs demandes. En réponse, la société Hyperion et M. [X] ont déposé leurs conclusions le 13 février 2024, demandant l’infirmation de l’ordonnance en ce qui concerne les dommages-intérêts et la condamnation des sociétés Sivan pour abus de droit. L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 février 2024.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

19 septembre 2024
Cour d’appel de Douai
RG n°
23/04142
République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 1

ARRÊT DU 19/09/2024

N° de MINUTE :

N° RG 23/04142 – N° Portalis DBVT-V-B7H-VDCP

Ordonnance n° J2023000048 rendue le 24 août 2023 par le président du tribunal de commerce de Lille Métropole

APPELANTES

SAS Sivan France prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

ayant son siège social [Adresse 2]

Société Sivan Innovation LTD, société de droit israélien, agissant poursuites et diligences de son représentant légal, M. [N] [L] en qualité de président, domiciliée pour les besoins de la présente action chez Sivan France

ayant son siège social [Adresse 1]

représentées par Me Loïc Le Roy, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistées de Me Olivia Rime, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

INTIMÉS

SARL Hyperion prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

ayant son siège social Lieu-dit [Localité 5]

Monsieur [U] [X], en sa qualité de dirigeant de la société Hyperion

né le 12 novembre 1972, de nationalité française

demeurant Lieu-dit [Localité 5]

représentés par Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistés de Me Francine Le Pechon Joubert, avocat plaidant substitué à l’audience par Me Froussart, avocats au barreau de Paris

DÉBATS à l’audience publique du 21 février 2024 tenue par Dominique Gilles magistrat chargé d’instruire le dossier qui, après rapport oral de l’affaire, a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Valérie Roelofs

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Dominique Gilles, président de chambre

Pauline Mimiague, conseiller

Aude Bubbe, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 19 septembre 2024 après prorogation du délibéré initialement prévu le 13 juin 2024 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 14 février 2024

Vu l’ordonnance de référé du 24 août 2023 du tribunal de commerce de Lille métropole ayant notamment débouté la société de droit israëlien Sivan Innovation LTD et la SAS Sivan France de leurs demandes contre la SARL Hyperion et M. [X], prononcé la rétractation de l’ordonnance du 29 mars 2023 rendue sur requête des sociétés Sivan, prononcé la nullité des mesures d’instruction exécutées, ordonné la restitution des éléments saisis, débouté M. [X] et la société Hyperion de leur demande en dommages-intérêts, condamné les société Sivan à payer, dépens en sus, 2 500 euros à chacun de M. [X] et de la société Hyperion ;

Vu l’appel de cette ordonnance interjeté par les sociétés Sivan par déclaration au greffe de la cour du 13 septembre 2023, intimant M. [U] [X] et la SARL Hyperion ;

Vu l’ordonnance du 18 septembre 2023 du premier président de la cour d’appel de Douai ayant débouté les sociétés Sivan de leur demande d’arrêt de l’exécution provisoire de l’ordonnance susvisée et ayant constaté que M. [X] et la société Hyperion renoncent à se prévaloir de la disposition de l’ordonnance ordonnant la restitution par le commissaire de justice des éléments saisis, à charge pour cet huissier de conserver sous séquestre ces documents jusqu’à décision de la cour sur le présent appel ;

Vu les dernières conclusions d’appelant des sociétés Sivan déposées et signifiées le 26 décembre 2023, demandant à la cour, au visa des articles 875, 493, 143 147, 508 et 604 du code de procédure civile et par infirmation de l’ordonnance entreprise, statuant à nouveau, de :

– dire bien fondée l’ordonnance sur requête du 29 mars 2023 ;

– la confirmer ;

– en tout état de cause :

– débouter la société Hyperion et M. [X] de leur demande subsidiaire de tri et de mise sous séquestre jusqu’à ce que soit définitivement tranché la question de la validité de l’engagement de non-concurrence ;

– à titre subsidiaire et au cas où la demande de séquestre serait accordée, modifier l’ordonnance du 29 mars 2023 afin qu’elle prévoie que la mise sous séquestre interviendra jusqu’à l’intervention de la décision définitive concernant le sort des mesures contestées ;

– dire qu’elles n’ont fait preuve d’aucune mauvaise foi, d’intention de nuire ou de légèreté blâmable et débouter la société Hyperion de toute demande en dommages-intérêts pour préjudice moral découlant d’un abus de droit ;

– condamner solidairement la société Hyperion et M. [X] à leur verser à chacune 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, dépens en sus ;

– débouter la société Hyperion et M. [X] de toutes leurs demandes ;

Vu les dernières conclusions d’intimés de la société Hyperion et de M. [X] déposées et signifiées le 13 février 2024, priant la cour de :

– à titre principal :

– infirmer l’ordonnance entreprise, uniquement en ce qu’elle les a déboutés de leur demande en dommages-intérêts ;

– statuant de nouveau sur ce point :

– condamner in solidum les sociétés Sivan à leur payer 10 000 euros à chacun à ce titre, en compensation du préjudice moral subi par le fait de leur abus de droit d’agir en justice ;

– à titre subsidiaire en cas de réformation de l’ordonnance entreprise :

– modifier l’ordonnance sur requête du 29 mars 2023 en ce qu’elle a prévu la mise sous séquestre de l’intégralité des éléments obtenus jusqu’à ce que soit définitivement tranchée la question de la validité de l’engagement de non-cioncurrence sur lequel doit se prononcer le tribunal de commerce de Lille métropole dans l’instace n° RG : 2021012932 ;

– « préalablement à la levée du séquestre, un tri des éléments obtenus sera organisé en présence du Professeur [X] et de ses conseils afin de préserver le secret des correspondances entre client et avocat, le secret des affaires ainsi que le secret médical ; »

– en tout état de cause, condamner solidairement les sociétés Sivan à leur payer 5 000 euros chacun au titre de l’article 700 du code de pricédure civile, dépens en sus ;

Vu l’ordonnance de clôture du 14 février 2024.

MOTIFS

Le 26 juin 2014, la société de droit israélien Sivan Innovation LTD a acquis :

– de la société Hypérion, dont le gérant est le docteur [U] [X], les droits exclusifs de propriété intellectuelle d’un logiciel applicatif dénommé Sentinel, exploité depuis sous la marque Moovcare, ayant pour but de surveiller les patients atteints d’un cancer bronchique et d’aider à la détection précoce des rechutes de cancer bronchique,

– de la société Healthselfcheck, représentée par son président le Docteur [U] [X], les droits exclusifs de propriété intellectuelle d’un second logiciel applicatif dénommé Smokecheck, application pour smartphone destinée à la détection précoce de complications potentiellement graves liées à la consommation de tabac chez un fumeur.

Par acte du 23 novembre 2016, la société Sivan Innovation LTD a créé une filiale française, la société Sivan France, afin de distribuer les applications cédées, sur le territoire de l’Union Européenne.

Par contrat des 12 et 23 mars 2015, la société Sivan Innovation LTD a acquis de la société 9H37 les droits de propriété intellectuelle de plusieurs logiciels destinés aux professions de santé. Aux termes de cette convention, la société 9H37, MM. [W] [Z], [K] [A] et [C] [Y] s’interdisaient solidairement de conseiller ou d’intervenir, directement ou indirectement ou par personne interposée, auprès d’une société concurrente pendant une durée de cinq ans à compter de la date de signature du contrat, sur le territoire français et les DOM TOM, et d’exercer directement ou indirectement ou par personne interposée une activité concurrente consistant à fournir aux auxiliaires médicaux et/ou aux professionnels de santé prescripteurs des solutions informatiques de gestion de cabinet et/ou de télétransmission de feuilles de soins électroniques et à en assurer le support.

Le 13 avril 2015, a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Lille la société Flgxpl avec pour gérant M. [W] [Z] et, par contrat du 26 mai 2015, la société Sivan Innovation LTD a confié à la société Flgxpl une prestation consistant à fournir une assistance dans tous les domaines d’activité de la société Sivan innovationLTD et notamment une assistance technique à la conception, l’amélioration et l’exploitation des produits de télétransmission destinés aux professionnels de santé libéraux.

Ce contrat de consultant comprend des dispositions en matière de confidentialité et de propriété des résultats des travaux réalisés par M. [Z], lesquels demeurent la pleine propriété de la société Sivan Innovation LTD, M. [Z] et la société Flgxpl s’interdisant formellement d’en faire état ou de les utiliser.

Dans le cadre de ce contrat, M. [Z] a notamment travaillé sur le dossier de dépôt de brevet par la société Sivan Innovation LTD pour protéger l’application Sentinel devenue Moovcare.

M. [Z] est également fondateur de la société Kelendi avec pour gérant la société Flgxpl, ayant pour activité l’édition et la commercialisation de logiciels. A la faveur d’une augmentation de capital décidée le 9 juin 2020, la société Hypérion est devenue actionnaire de la société Kelendi laquelle a notamment édité le site internet « maladiecoronavirus.fr, » référencé depuis le 20 mars 2020 par le ministère des solidarités et de la santé comme application d’information sur la conduite à tenir, suivant les symptômes, en France, dans le contexte de la pandémie de COVID 19.

Ce site est un outil d’information dont la création est revendiquée par le docteur [X] et M. [Z].

La collaboration entre la société Sivan Innovation LTD, d’une part, et la société Hypérion et le Docteur [X], d’autre part, s’est arrêtée en 2020.

Le 25 septembre 2020, la société Theralaxy, créée entre la société Betterise Technologies, la société Flgxpl et la société Boulet [V], a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Bayonne.

Elle a pour objet la conception d’algorithmes de télé-suivi et d’analyse de la dynamique biomédicale, la recherche de concepts numériques en santé permettant le soin à distance et l’édition de logiciels médicaux de télé-suivi et a, notamment, développé dans le domaine thérapeutique de l’oncologie une l’application dénommée Oncolaxy.

Soupçonnant la société Betterise Technologies et la société Theralaxy de se livrer à une concurrence déloyale en vue de commercialiser l’application concurrente Oncolaxy, à l’aide du savoir acquis par la société Sivan, via messieurs [Z] et [F] [V], avec lesquels elle a été en relation d’affaires, la société Sivan Innovation LTD a donné pour instruction à la société Sivan France de saisir le président du tribunal de commerce de Bayonne d’une requête aux fins d’obtenir, en vertu de l’article 145 du code de procédure civile, des mesures d’instruction. Il a été fait droit à cette requête par ordonnance du 6 novembre 2020.

La société Betterise Technologies a saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Bayonne aux fins de rétractation de cette décision. Les sociétés Theralaxy, M. [Z] et la société Flgxpl sont intervenues à l’instance.

Par ordonnance du 25 mars 2021, le président du tribunal de commerce a maintenu sa décision en modifiant la mission des huissiers chargés de l’exécution de la mesure.

Toutefois, par arrêt du 8 février 2022, la cour d’appel de Pau a ordonné la rétractation de l’ordonnance sur requête du 6 novembre 2020 pour défaut de motif légitime et ordonné la restitution de l’ensemble des documents saisis en exécution de l’ordonnance rétractée.

Les sociétés Sirvan se sont pourvues en cassation contre cet arrêt. L’affaire était toujours pendante devant la Cour de cassation lors de la clôture de l’instruction.

La présente cour, par arrêt du 12 janvier 2023, rendu entre les sociétés Sivan, M. [Z] et les sociétés Therelaxy, sur appel d’une ordonnance de référé d’heure à heure du 16 mars 2022 Flxgpl, Betterise Technologies a notamment ordonné le séquestre des éléments de preuve saisis en vertu de la mesure d’instruction annulée par l’arrêt de la cour d’appel de Pau, séquestre mis en place selon cet arrpet jusqu’à décision au fond et irrévocable statuant sur le sort du séquestre mis en place, et ce à la demande de la partie la plus diligente.

Cependant, par actes extrajudiciaires des 16, 20, 23 et 26 juillet 2021, les sociétés Sivan, suspectant MM. [W] [Z], [F] [V] et [U] [X] d’avoir développé l’application concurrente Oncolaxy ont assigné devant le tribunal de commerce de Lille métropole la SARL Flgxpl, M. [W] [Z], la SAS Kelindi, M. [F] [V], la SARL Hyperion, M. [U] [X] et les sociétés Theralaxy et Betterise Technologies pour, notamment, voir dire que la société Hyperion et le docteur [U] [X] ont violé la clause de non-concurrence prévue dans le contrat du 24 juin 2014 modifié par avenant n° IV du 5 mars 2020 et voir ordonner la cessation à peine d’astreinte par le docteur [X] et la société Hyperion de toute activité directe ou indirecte avec la société Theralaxy, le produit Oncolaxy ou son fabricant la société Betterise Technologies, outre la condamnation du docteur [X] et de la société Hyperion à payer 1 000 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice économique.

Ces actes introductifs d’instance ont également demandé au tribunal de commerce, sur le fondement de la concurrence déloyale, outre d’ordonner la publication du jugement à intervenir, de condamner MM. [Z] et [V] ainsi que les sociétés Theralaxy et Betterise Technologies à payer à titre de dommages-intérêts 2 500 000 euros au titre du préjudice économique, 1 000 000 euros au titre du préjudice d’image et 100 000 euros au titre du préjudice moral.

Cependant, par requête du 20 mars 2023 déposée par les sociétés Sivan auprès du président de commerce de [Localité 4], celles-ci ont demandé l’organisation d’une mesure d’instruction non contradictoire sur le fondement des articles 143 et 875 du code de procédure civile, afin d’être autorisé à accéder aux locaux des sociétés Kelindi et Hyperion, de se faire remettre et de prendre copie des éléments de preuve par documents, fichiers, correspondances, SMS ou conversations Whatsapp ou messagerie instantanée, prises de rendez-vous électroniques ou physiques, à l’exception de ceux couverts par le secret médical ou le secret professionnel de l’avocat ou portant la mention « Personnel » sur tout support appartenant aux sociétés Kelindi et Hyperion ou utilisés par M. [U] [X] dans le cadre de son activité au sein de ces sociétés et contenant les mots clés suivants : « Oncolaxy ; Moovcare ; Theralaxy ; Betterise ».

Le président du tribunal de commerce a fait droit à cette requête par ordonnance du 29 mars 2023.

M. [U] [X] et la société Hyperion, par actes extrajudiciaires du 31 mai 2023, ainsi que la société Kelindi, par acte du 1er juin 2023, ont agi contre les sociétés Sivan devant le juge des référés du tribunal de commerce de Lille métropole, en rétractation de cette ordonnance.

C’est dans ces conditions que le juge des référés a rendu l’ordonnance entreprise.

La requête du 20 mars 2023 à laquelle il a été fait droit par l’ordonnance du président du tribunal de commerce de Lille métropole du 29 mars 2023 (l’ordonnance sur requête) est expressément fondée sur les dispositions des articles 875 et 143 du code de procédure civile, à l’exclusion des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile.

M. [X] et la société Kelindi ayant été assignés au fond par les sociétés Sivan avant la date du dépôt de la requête litigieuse, la voie de l’article 145 du code de procédure civile n’était plus ouverte aux sociétés Sivan, puisque cet article exige d’agir avant tout procès au fond.

Or, tandis que l’article 875 du code de procédure civile permet au président du tribunal de commerce d’ordonner sur requête, dans les limites de la compétence du tribunal, toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu’elles ne soient pas prises contradictoirement, l’article 143 du code de procédure civile énonce que les faits dont dépendent la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible.

En l’espèce, la cour doit apprécier, par conséquent, si l’urgence était caractérisée, d’une part, et si les circonstances exigeaient de ne pas agir contradictoirement, d’autre part.

Sur ces points, la requête aux fins de mesures d’instruction non contradictoire expose que le recours à une mesure d’instruction non-contradictoire alors même que le juge du fond est déjà saisi est justifié en ce que, le 20 janvier 2022, la revue internationale de cancérologie Cancerworld a présenté le docteur [X] comme le développeur de l’application Oncolaxy.

En effet, les sociétés Sivan exposent dans la requête litigieuse qu’après avoir fait constater par commissaire de justice le contenu original de cet article, elles avaient fait état de cet élément à l’occasion de la procédure de référé d’heure à heure introduite devant le tribunal de commerce de Lille métropole par les sociétés Sivan, par actes extrajudiciaires du 7 mars 2022, contre M. [Z], et les sociétés Betterise Technologies, Flgxpl, Theralaxy, ce qui avait eu pour effet, quelques heures après, de faire retirer de l’article scientifique en ligne la mention précisant que le docteur [X] avant développé l’application Oncolaxy.

Il est rappelé que l’arrêt de la cour d’appel de Pau déjà mentionné, auquel ni M. [X] ni la société Hyperion n’ont été partie, mentionne à l’appui du chef de la disposition ayant ordonné la rétractation « pour défaut de motif légitime » de l’ordonnance sur requête du président du tribunal de commerce de Bayonne du 6 novembre 2020 qui avait ordonné des mesures d’instruction en vertu de l’article 145 du code de procédure civile :

« Quant aux soupçons de concurrence déloyale portés sur MM. [Z], [V] et [X], et sur les sociétés Flgxpl, Theralaxy, Kelindi, Hyperion et PM Santé consulting, force est de constater que seul le docteur [X] et la société Hyperion étaient astreints à une obligation de non-concurrence dans le domaine des applications de type Sentinel ou Moovcare. Or, le docteur [X], en l’état des élélments objectifs versés aux débats, n’apparaît pas collaborer avec les sociétés Theralaxy ou Betterrise Technologies et s’il a des intérêts au sein de la société Kelindi, cette dernière n’apparaît, ni dans la requête du 5 novembre 2020, ni au travers des pièces versées aux débats, avoir participé au développement de l’application Oncoloaxy.

De ce point de vue, seule l’assignation délivrée par [les sociétés Sivan], devant le tribunal de commerce de Lille dénonce une collaboration entre le docteur [X], Betterise Technologies et Theralaxy, en reprochant à ce spécialiste de « l’e-santé » de faire, au travers de conférences destinées à un public de praticiens, la promotion cachée du produit Oncolaxy, en préconisant une méthode de choix d’une application de télésurveillance en cancérologie jugée discriminante par les requérantes pour l’application Moovcare. 

Toutefois, cette analyse soumise au juge du fond ne s’appuie non plus sur aucun élément objectif communiqué à la cour dans le cadre de la présente instance. »

Il est exact que la présente cour, dans son arrêt du 12 janvier 2023, rendu sur l’assignation en référé d’heure à heure déjà indiquée, a retenu dans ces motifs qu’un péril imminent né de la restitution des pièces appréhendées par les mesures ordonnées à [Localité 3] sans que les sociétés Sivan en aient pris connaissance, constituait un risque de dépérissement des preuves des agissements de concurrence déloyale suspectés et était caractérisé au préjudice des sociétés Sivan, tel qu’il résulte de la modification de l’article déjà mentionné sur un site internet entre sa publication en ligne en janvier 2022 et sa consultation le 7 mars 2022 à 18h45.

Cependant, si le premier juge ayant rendu la présente ordonnance entreprise ne peut être approuvé d’avoir écarté l’élément nouveau prétendu pris de l’article modifié en ce fondant uniquement sur le délai de plus d’un an écoulé la modification de cet article et la requête litigieuse du 20 mars 2023, il n’en demeure pas moins que M. [X] et la société Hyperion produisent, devant la présente cour, l’attestation du docteur [W] [S], auteur des propos retranscrits dans l’article invoqué, qui explique de manière circonstanciée le caractère erroné de la version initiale de cet article, issu d’une simple interview.

Cette attestation précise qu’à la connaissance du docteur [S], M. [X] n’entretient aucun lien avec la société qui a développé Oncolaxy et qu’il n’est pas intervenu dans le développement de cette application.

Contrairement à ce que soutiennent les sociétés Sivan, cette attestation est probante.

Bien que le docteur [X] ait alerté le docteur [S] sur l’erreur commise avant que celui-ci ne demande la modification de l’article, la réalité de l’erreur corrigée par la journaliste est établie.

Par conséquent, cet article et ses modifications ne constituent pas un indice sérieux et objectif des manquements dont les sociétés Sivan suspectent M. [X]. Par conséquent, nul risque de dépérissement des preuves n’est caractérisé du fait de ce prétendu élément nouveau et aucune nécessité de recourir de manière non contradictoire pour l’obtention de preuve après la saisine du juge du fond ne résulte davantage de cet élément.

Si les sociétés Sivan invoquent également les modifications du site internet Theralaxy, les liens de cette société avec le docteur [X] et la société Hyperion ne sont étayées par aucun élément objectif, nonobstant la ressemblance indiquée entre les sites internet et les présentations d’Oncolaxy et Moovcare et la similarité des applications.

L’intervention du docteur [X] et de la société Hyperion n’est pas rendue plausible par ces éléments.

Les liens invoqués entre M. [Z], la société Flxgpl, M. [V] et la société SC Boulet [V], Theralaxy et Betterise sont insuffisants pour justifier le recours à une procédure non contradictoire contre M. [X] et la société Hyperion.

Compte tenu de l’absence d’élément objectif rendant plausible les manquements suspectés de M. [X], la nécessité alléguée de bénéficier d’un effet de surprise par le moyen d’une procédure non contradictoire est inopérante.

Il en va de même du fait que M. [X] dirige la société Kelendi, spécialisée dans l’édition et la commercialisation de logiciels.

Ne constituent non plus aucun élément objectif en faveur de la nécessité de recourir à une procédure non contradictoire, afin de prévenir le dépérissement des preuves de violations d’obligations de non-concurrence, les allégations suivant lesquelles M. [X] userait de son influence pour :

– effecuer des signalements en matière de matériovigilance concernant Smokechek et CovidApp ;

– détourner une partie de la communauté scientifique de l’aplication Moovcare ;

– priver Sivan de la possibilité de se procurer des attestations dans le cadre du présent litige ;

– s’exprimer sur les critères de choix d’une application de télésurveillance de manière à évincer Moovcare au bénéfice d’Oncolaxy en reprenant l’argumentaire du site dédié à cette application ;

– dénigrer Moovcare auprès de la société européenne de cancérologie médicale (ESMO) ;

– se constituer un écosystème destiné à servir ses propres intérêts.

Par conséquent, il convient de confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a rétracté l’ordonnance sur requête.

S’agissant de l’appel incident, le premier juge doit également être approuvé d’avoir dit que nulle faute ni abus dans l’exercice du droit d’ester en justice de la part des sociétés Sivan était établi.

Ni l’intention de nuire ni la légèreté blâmable des sociétés Sivan ne sont établies.

L’ordonnance entreprise sera donc confirmée en ce qu’elle a rejeté les demandes en dommages-intérêts.

Pour le surplus, l’ordonnance entreprise a exactement staté et sera également confirmée.

Les sociétés Sivan, qui succombent en appel, seront condamnées in solidum à verser à M. [X] et à la société Hyperion une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile, dont le montant sera précisé au dispositif du présent appel.

Les sociétés Sivan seront également condamnées in solidum aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme l’ordonnance entreprise ;

Condamne in solidum la société Sivan Innovation LTD et la société Sivan France à payer à M. [X] et à la société Hyperion une somme de 4 000 euros à chacun, au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum la société Sivan Innovation LTD et la société Sivan France aux dépens ;

Rejette les demandes plus amples ou contraires.

Le greffier Le président

Valérie Roelofs Dominique Gilles


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