16 janvier 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n°
23/53692
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
■
N° RG 23/53692 – N° Portalis 352J-W-B7H-CZU2I
N° : 2/MM
Assignation du :
26,27 avril et 4 mai 2023
[1]
[1] Copies exécutoires
délivrées le:
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 16 janvier 2024
par Jean-Christophe GAYET, Premier Vice-Président adjoint
au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assisté de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier.
DEMANDERESSES
Société HUGO BOSS TRADE MARK MANAGEMENT GMBH
[Adresse 3]
[Adresse 9]
représentée par Maître Christophe CHAPOULLIE de l’AARPI HERTSLET WOLFER & HEINTZ, avocats au barreau de PARIS – #R188
Société HUGO BOSS FRANCE
[Adresse 5]
[Localité 10]
représentée par Maître Christophe CHAPOULLIE de l’AARPI HERTSLET WOLFER & HEINTZ, avocats au barreau de PARIS – #R188
DEFENDEURS
Société CHIC TIME
[Adresse 6]
[Localité 16]
représentée par Maître Maud MARIAN de la SELEURL Maud MARIAN, avocats au barreau de PARIS – #A0989
Monsieur [G] [M] [P]
[Adresse 1]
[Localité 8]
représenté par Maître Maud MARIAN de la SELEURL Maud MARIAN, avocats au barreau de PARIS – #A0989
S.A. ORANGE
[Adresse 2]
[Localité 15]
représentée par Maître Christophe CARON de l’AARPI Cabinet Christophe CARON, avocats au barreau de PARIS – #C0500
S.A.S. FREE
[Adresse 14]
[Localité 11]
représentée par Maître Yves COURSIN de l’AARPI COURSIN CHARLIER AVOCATS, avocats au barreau de PARIS – #C2186
S.A. SOCIETE FRANCAISE DU RADIOTELEPHONE – SFR
[Adresse 4]
[Localité 12]
représentée par Maître Pierre-olivier CHARTIER de l’ASSOCIATION CARRERAS, BARSIKIAN, ROBERTSON & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS – #R0139
S.A. BOUYGUES TELECOM
[Adresse 7]
[Localité 13]
représentée par Maître François DUPUY de la SCP HADENGUE et Associés, avocats au barreau de PARIS – #B0873
DÉBATS
A l’audience du 22 Novembre 2023, tenue publiquement, présidée par Jean-Christophe GAYET, Premier Vice-Président adjoint, assisté de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier,
Nous, Président,
Après avoir entendu les conseils des parties,
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
La société de droit allemand Hugo Boss Trade Mark Management GmbH & Co KG (ci-après la société Hugo Boss TMM) expose être titulaire des droits de propriété industrielle du groupe éponyme et, notamment, des marques de l’Union européenne désignant en particulier des montres en classe 14 :- verbale “Boss” n°49221, déposée le 1er avril 1962
– semi-figurative “Hugo – Hugo Boss” n°49288, déposée le 1er avril 1996 :
– semi-figurative “Boss – Hugo Boss” n°49262, déposée le 1er avril 1996 :
– semi-figurative “Boss – Hugo Boss” n°2860377, déposée le 15 août 2002 :
La société par actions simplifiée Hugo Boss France, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris, indique avoir pour activité l’importation et la distribution en France des vêtements et articles fabriqués par la société mère du groupe Hugo Boss.
Ces sociétés affirment :- avoir découvert en décembre 2022 la vente sur le site internet de montres dont elles estiment qu’elles sont des contrefaçons des modèles qu’elles commercialisent
– que les recherches entreprises pour identifier l’éditeur du site internet litigieux l’ont amené à découvrir que les mentions de ce site internet ne permettent pas d’identifier le siège d’une société existante et que le nom de domaine était enregistré par une personne physique ayant souhaité gardé l’anonymat
– que la marque semi-figurative de l’Union européenne “Chic Time” n°18788994, reproduite sur le site internet litigieux est la propriété de M. [G] [M] [P]
– que leurs mises en demeure adressées à la société Chic Time sont demeurées sans réponse
– que leurs démarches auprès de la société ayant attribué le nom de domaine du site et des sociétés assurant successivement l’hébergement du site se sont heurtées à des refus de levée de l’anonymat
– que la mise en demeure adressée le 6 avril 2023 à M. [P] est également restée sans réponse.
Par actes de commissaire de justice des 25, 26, 27 avril et 3 mai 2023, les sociétés Hugo Boss TMM et Hugo Boss France ont fait assigner la société Chic-Time, M. [P], la société anonyme Bouygues Télécom, la société par actions simplifiée Free, la société anonyme Orange et la société anonyme Société française du radiotéléphone (SFR) à l’audience du 24 mai 2023 du juge des référés de ce tribunal en contrefaçon de marques et blocage du site internet .
À l’audience du 24 mai 2023, l’examen de l’affaire a été renvoyé à l’audience du 22 novembre 2023 à la demande des parties.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS
Se référant expressément à leurs conclusions écrites déposées à l’audience du 22 novembre 2023, les sociétés Hugo Boss TMM et Hugo Boss France ont demandé au juge des référés de :- prendre acte de leur désistement à l’égard des sociétés Bouygues Télécom, Free, Orange et SFR
– prendre acte du désistement de la SAS Hugo Boss France à l’égard de M. [P] et la société Chic-Time
– débouter la société Chic-Time et M. [P] de leurs demandes
– ordonner à titre provisoire à M. [P] et à la société Chic-Time de cesser immédiatement de proposer à la vente et vendre sur le site internet des produits reproduisant ou imitant ses marques sous astreinte
– annuler le procès-verbal de constat du 17 mai 2023 constituant la pièce n°14 de M. [P]
– condamner in solidum M. [P] et la société Chic-Time à payer
> 20 000 euros de dommages et intérêts à titre provisionnel à la société Hugo Boss TMM
> 10 000 euros à la société Hugo Boss TMM et 2000 euros à la SAS Hugo Boss France en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Se référant expressément à ses conclusions écrites déposées à l’audience du 22 novembre 2023, M. [P] a demandé au juge des référés de :- déclarer les demanderesses irrecevables à agir pour défaut de qualité
– le mettre hors de cause
– débouter les demanderesses de leurs fins et conclusions
– condamner les demanderesses à lui verser :
> 50 000 euros de dommages et intérêts à titre provisionnel
> 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société Chic-Time a constitué avocat, mais l’avocat qui s’était constitué pour elle, a indiqué ne plus représenter la société Chic-Time qui n’a pas d’existence.
Les sociétés Bouygues Télécom, Free, Orange et SFR ont constitué avocat, mais n’ont pas formulé de demandes.
MOTIVATION
I – Sur la société Chic Time
Moyens des parties
M. [P] fait observer que son avocat n’intervient que pour son compte, aucune société Chic Time n’ayant d’existence et la constitution pour cette société relevant d’une erreur.
La société Hugo Boss TMM réplique que la société Chic Time mentionnée sur le site est effectivement dénuée d’existence apparente compte tenu des vaisnes recherches qu’elle a opérées, mais qu’elle a néanmoins constitué avocat et présenté des conclusions et des demandes, avant d’admettre son absence d’existence.
Réponse du juge des référés
Aux termes de l’alinéa 2 de l’article 760 du code de procédure civile, la constitution de l’avocat emporte élection de domicile.
Il s’en déduit que seule la constitution d’un nouvel avocat permet de substituer celle précédemment effectuée.
En l’occurrence, la constitution d’avocat pour la société Chic Time a été enregistrée le 23 mai 2023 au greffe, par voie électronique.
La circonstance que cette constitution relève d’une erreur compte tenu de l’absence d’existence de cette société relève de la responsabilité de l’avocat s’étant constitué pour elle, aucune disposition ne permettant de supprimer cette constitution.
En revanche, la société Chic Time n’ayant aucune existence, aux dires concordants des parties, aucune mesure ne pourra être prononcée contre elle.
II – Sur le désistement de la SAS Hugo Boss France
Moyens des parties
M. [P] expose que la SAS Hugo Boss France l’a assigné en référé alors qu’elle savait ne pouvoir lui opposer aucun droit compte tenu que le site internet commercialise ses produits depuis 2008 en toute légalité et qu’une précédente saisie douanière en 2016 pour contrefaçon a abouti à la reconnaissance, par la société Hugo Boss, du caractère authentique des produits vendus. Il entend, en conséquence, maintenir ses demandes indemnitaires à l’encontre de cette société nonobstant son désistement.
La société Hugo Boss TMM et la SAS Hugo Boss France se son désistées de leurs demandes à l’égard des sociétés Bouygues Télécom, Free, Orange et SFR. La SAS Hugo Boss France a indiqué se désister de ses demandes, y compris à l’égard de la société Chic Time et de M. [P], maintenant sa demande à leur encontre au titre des frais non compris dans les dépens selon ses dernières conclusions.
Réponse du juge des référés
L’article 394 du code de procédure civile prévoit que le demandeur peut, en toute matière, se désister de sa demande en vue de mettre fin à l’instance.
L’article 395 du même code ajoute que le désistement n’est parfait que par l’acceptation du défendeur.Toutefois, l’acceptation n’est pas nécessaire si le défendeur n’a présenté aucune défense au fond ou fin de non-recevoir au moment où le demandeur se désiste.
L’article 396 du même code précise que le juge déclare le désistement parfait si la non-acceptation du défendeur ne se fonde sur aucun motif légitime.
Le désistement à l’égard des sociétés de fourniture d’accès à internet ayant été accepté par celles-ci, il sera déclaré parfait.
Le maintien des demandes reconventionnelles de M. [P] justifie la non-acceptation du désistement à son égard, peu important à ce stade le bien fondé desdites demandes.
III – Sur la qualité à agir et à défendre
Moyens des parties
M. [P] soutient que la société Hugo Boss TMM n’a pas qualité à agir dès lors qu’elle ne fabrique pas de montre sous l’une des marques invoquées et que l’ensemble des droits sur les montres “Boss” a été cédé à la société Movado Group International.
Il invoque également n’avoir aucune qualité à défendre étant sorti du monde des affaires, ayant répondu à la mise en demeure qui lui a été adressée et n’exploitant pas le nom de domaine litigieux.
La société Hugo Boss TMM répond qu’elle a qualité à agir en tant que titulaire des marques qu’elle invoque, dans la mesure où la société Movado Group International n’est que licenciée de ses marques et que les montres arguées de contrefaçon n’ont pas été fabriquées par elle.
Elle assure que M. [P] a qualité à défendre, étant titulaire du nom de domaine et de la marque de l’Union européenne “chic time” n°18788994 figurant sur ce site, dont il est argué qu’il vend des contrefaçons de ses marques.
Réponse du juge des référés
L’article 31 du code de procédure civile dispose que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
L’article 32 du même code ajoute qu’est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir.
III.1 – S’agissant de la qualité à agir de la société Hugo Boss TMM
En application de l’article 9, paragraphe 1, du règlement (CE) n°40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire, applicable aux marques communautaires enregistrées antérieurement au 12 avril 2009, la marque communautaire (désormais de l’Union européenne) confère à son titulaire un droit exclusif.
L’article L.716-4-2 du code de la propriété intellectuelle prévoit que l’action civile en contrefaçon est engagée par le titulaire de la marque ou par le licencié avec le consentement du titulaire, sauf stipulation contraire du contrat. Toutefois, le bénéficiaire d’un droit exclusif d’exploitation peut agir en contrefaçon si, après mise en demeure, le titulaire n’exerce pas ce droit dans un délai raisonnable.
Au cas présent, M. [P] produit une information du 21 mars 2022 selon laquelle la société Movado Group International s’est vue renouveler sa licence sur les montres et bijoux vendus sous les marques “Boss” et “Hugo Boss” (ses pièces n°1 et 2).
Cette circonstance est, cependant, inopérante à priver de qualité à agir la société Hugo Boss TMM, dont la titularité des marques de l’Union européenne n°49221, 49288, 49262, 2860377 n’est pas constestée et est établie par les pièces qu’elle produit, en contrefaçon de ces marques (ses pièces n°2 à 5).
La fin de non-recevoir tirée de l’absence de qualité à agir de la société Hugo Boss TMM sera, en conséquence, écartée.
III.2 – S’agissant de la qualité à défendre de M. [P]
En application de l’article 9, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) n°40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire, applicable aux marques communautaires enregistrées antérieurement au 12 avril 2009, le titulaire d’une marque communautaire (désormais de l’Union européenne) est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe identique à la marque communautaire pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée.
Aux termes de l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
À cet égard, M. [P] reconnaît être titulaire du nom de domaine litigieux, ce que la société Hugo Boss TMM établit par ailleurs (conclusions [P] pages 20 à 23 et pièces Hugo Boss TMM n°46.1 à 46.3).
Si M. [P] affirme ne pas exploiter ce site, il ne le démontre par aucune pièce.
Sa demande de mise hors de cause sera, en conséquence, rejetée.
IV – Sur la prescription des faits à l’origine des demandes de la société Hugo Boss TMM
Moyens des parties
M. [P] considère les actes de contrefaçon qui lui sont reprochés comme prescrits dans la mesure où le site litigieux commercialise des montres sous les marques invoqués depuis 2008 et qu’une précédente saisie douanière a abouti à la reconnaissance, par la demanderesse, du caractère authentique des produits vendus sur ce site.
La société Hugo Boss TMM assure que chaque nouvel acte de commercialisation constitue une infraction distincte faisant courir un nouveau délai de prescription, les faits qu’elle invoque datant de mars 2023.
Réponse du juge des référés
L’article L.716-4-2 dernier alinéa du code de la propriété intellectuelle dispose que l’action en contrefaçon se prescrit par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître le dernier fait lui permettant de l’exercer.
Selon l’article 446-2 alinéa 2 du code de procédure civile, lorsque toutes les parties comparantes formulent leurs prétentions et moyens par écrit et sont assistées ou représentées par un avocat, les conclusions doivent formuler expressément les prétentions ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau énumérant les pièces justifiant ces prétentions est annexé aux conclusions. Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. Les moyens qui n’auraient pas été formulés dans les écritures précédentes doivent être présentés de manière formellement distincte. Le juge ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion. Les parties doivent reprendre dans leurs dernières conclusions les prétentions et moyens présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et le juge ne statue que sur les dernières conclusions déposées.
En l’espèce, il ressort du procès-verbal de constat d’huissier du 2 mars 2023 versé aux débats par la société Hugo Boss que les faits reprochés à M. [P] datent de moins de cinq ans à la date de son assignation (pièces Hugo Boss TMM n°19).
Si M. [P] demande dans le corps de ses conclusions l’annulation de ce procès-verbal d’huissier (ses conclusions page 30), force est de constater que cette demande ne figure pas dans le dispositif des mêmes conclusions. Le juge des référés n’en est donc pas saisi.
Par ailleurs, la circonstance que des ventes de produits authentiques aient eu lieu depuis le site litigieux antérieurement est inopérante, la prescription de cinq ans susrappelée s’appliquant à chaque fait de commercialisation, ceux visés par la société Hugo Boss portant, au surplus, sur différents modèles de montres.
La société Hugo Boss TMM établit, de ce fait, que les faits qu’elle reproche à M. [P] ne sont pas prescrits et la fin de non-recevoir à ce titre sera, en conséquence, écartée.
V – Sur la demande d’annulation du procès-verbal d’huissier du 17 mai 2023
Moyens des parties
La société Hugo Boss TMM demande l’annulation du procès-verbal de commissaire de justice du 17 mai 2023, compte tenu qu’il a été établi au nom de la société Chic Time qui n’existe pas, en utilisant lui-même pour chaque commande le compte client de M. [P], en omettant d’authentifier les constatations effectuées et en ne décrivant pas l’ouverture des colis reçus, l’ensemble lui causant nécessairement grief.
M. [P] rétorque que l’acte qu’il produit aux débats s’est déroulé dans les mêmes conditions que celles de ceux que la demanderesse verse elle-même, qu’il n’a fait qu emettre sa carte bancaire à disposition du commissaire de justice et que le fait qu’il a été établi pour le compte de la société Chic Time n’enlève rien aux constatations faites.
Réponse du juge des référés
Aux termes de l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Il résulte de cette disposition et de l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que l’établissement de la preuve en matière de droit des marques est soumise au principe de loyauté dans son recueil (voir en ce sens, pour le droit d’auteur, Cour de cassation, 1ère chambre civile, 25 janvier 2017, n°15-25.210).
Dans le cas présent, le procès-verbal de commissaire de justice des 10 et 17 mai 2023 produit par M. [P] mentionne que cet officier public et ministériel a été requis par la société Chic Time et que les opérations d’achat directement effectuées par le commissaire de justice l’ont été avec le compte utilisateur de M. [P] (pièce n°14).
Ces mentions manifestent, d’une part, que l’acte a été établi pour le compte d’une personne juridique inexistante, de l’aveu même de M. [P], d’autre part, que le commissaire de justice a procédé lui-même à des actes d’achat, qui plus est avec le concours d’une partie intéressée au litige.
Il s’évince de ces éléments que le commissaire de justice a outrepassé les limites d’un constat d’achat pour opérer, sans y avoir été autorisé selon les voies de droits, une saisie-contrefaçon, viciant ainsi l’acte du 17 mai 2023, dont la nullité sera prononcée.
VI – Sur la contrefaçon de marques
Moyens des parties
La société Hugo Boss TMM avance qu’après avoir fait procédé à un constat d’achat de deux montres siglées de ses marques sur le site internet , ces produits se sont révélés contrefaisants, l’établissement de cette preuve avec sa licenciée étant admise. Elle ajoute que le défendeur, auquel incombe la charge de la preuve, échoue à démontrer l’épuisement de son droit de marque, que l’attestation d’un horloger expert qu’il produit est dépourvue de toute force probante et qu’il est personnellement responsable des faits constatés, justifiant selon elle les mesures sollicitées.
M. [P] objecte que les montres siglées des marques invoquées et commercialisées sur le site litigieux sont authentiques pour avoir été acquises auprès de la société Movado Group International, le caractère prétendument erroné des références ou la contrefaçon étant contredits par le constat d’achat et l’attestation d’expert qu’il verse aux débats, outre que les constatations opérées par sa licenciée ont été falsifiées et ne forment que des preuves qu’elle se constitue à elle-même. Il expose se trouver dans l’impossibilité de produire les factures entre la licenciée des marques invoquées et l’exploitant du site dans la mesure où il y est étranger.
Réponse du juge des référés
En application de l’article 15, paragraphe 1, du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne, applicable aux faits de l’espèce, une marque de l’Union européenne ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis sur le marché dans l’espace économique européen sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement.
Selon l’article L.716-4-6 du code de la propriété intellectuelle, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l’encontre du prétendu contrefacteur ou des intermédiaires dont il utilise les services, toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d’actes argués de contrefaçon. (…) Saisie en référé ou sur requête, la juridiction ne peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable qu’il est porté atteinte à ses droits ou qu’une telle atteinte est imminente.
Aux termes de l’article L.716-4-7 alinéa 1 du même code, la contrefaçon peut être prouvée par tous moyens.
En premier lieu, il appartient à M. [P], qui invoque avoir cédé l’exploitation du site ou du nom de domaine de le démontrer, ce qu’il ne démontre par aucune pièce.
De même, il prétend que les montres vendues sur le site litigieux sont authentiques pour avoir été acquises auprès de la société Movado Group International, seule licenciée des marques de la société Hugo Boss TMM, mais ne produit aucune pièce au soutien de cette allégation.
En deuxième lieu, il n’est pas contesté par M. [P] et il ressort des pièces versées par la société Hugo Boss TMM que le site offre à la vente des montres faisant usage de signes identiques aux marques de l’Union européenne opposées (pièce Hugo Boss n°16 et 19). Ces marques visent à leur enregistrement les montres en classe 14 (pièces Hugo Boss n°2 à 5). Les produits vendus sont donc identiques à ceux visés à l’enregistrement des marques opposées.
En troisième lieu, les constats d’achat opérés par la société Hugo Boss TMM les 2 et 6 mars 2023, associés à l’attestation de M. [Y] [S] et à l’examen physique par la société licenciée des marques invoquées des montres achetées sur le site , prouvent de manière suffisament vraisemblable que ces montres sont des contrefaçons (pièces Hugo Boss n°36 à 37.4).
En effet, la seule mention selon laquelle “l’intégralité des montres, dont les montres de la marque Hugo Boss traitées par notre entreprise pour le compte de Chic Time sont authentiques et identiques en tous points aux modèles que nous vendons dans nos boutiques” émanant d’une société d’horlogerie bijouterie est insuffisante à écarter toute contrefaçon vraisemblable, en particulier en l’absence de précision sur les contrôles effectués par cette société (pièce [P] n°15).
L’atteinte à la fonction d’origine des marques de l’Union européenne dont la société Hugo Boss TMM est titulaire par M. [P] justifie le prononcé d’une mesure d’interdiction de vente sur le site , sous astreinte dans les termes du dispositif.
Elle justifie, également, la condamnation de M. [P] au paiement d’une indemnité provisionnelle de 10 000 euros, en considération du préjudice, à tout le moins moral, résultant de la vraisemblance de la contrefaçon.
VII – Sur la demande reconventionnelle
Moyens des parties
M. [P] réclame l’indemnisation provisionnelle du préjudice qu’il estime avoir subi en raison des agissements illicites de la demanderesse.
La société Hugo Boss TMM conteste toute faute commise au détriment du défendeur.
Réponse du juge des référés
L’article 1240 du code civil prévoit que tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
En application de l’article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 € sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.
Le droit d’agir en justice participe des libertés fondamentales de toute personne. Il dégénère en abus constitutif d’une faute au sens de l’article 1240 du code civil lorsqu’il est exercé en connaissance de l’absence totale de mérite de l’action engagée, ou par une légèreté inexcusable, obligeant l’autre partie à se défendre contre une action que rien ne justifie sinon la volonté d’obtenir ce que l’on sait indu, une intention de nuire, ou une indifférence totale aux conséquences de sa légèreté (en ce sens Cour de cassation, 3ème chambre civile, 10 octobre 2012, n° 11-15.473).
Les termes de la décision excluent tout abus de la société Hugo Boss TMM dans son action.
La demande à ce titre de M. [P] sera, en conséquence rejetée.
VIII – Sur les dispositions finales
VIII.1 – S’agissant des dépens et des frais non compris dans les dépens
En application de l’article 491 du code de procédure civile, le juge des référés statue sur les dépens.
Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge de l’autre partie.
L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a lieu à condamnation.
M. [P], qui perd l’instance, sera condamné aux dépens et à payer 6000 euros à la société Hugo Boss TMM au titre des frais non compris dans les dépens.
En équité, la SAS Hugo Boss France sera déboutée de sa demande à ce titre.
VIII. 2 – Sur l’exécution provisoire
Aux termes de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.
En application de l’article 514-1 du code de procédure civile, par exception, le juge ne peut écarter l’exécution provisoire de droit lorsqu’il statue en référé, qu’il prescrit des mesures provisoires pour le cours de l’instance, qu’il ordonne des mesures conservatoires ainsi que lorsqu’il accorde une provision au créancier en qualité de juge de la mise en état.
L’exécution provisoire de droit ne peut pas à être écartée en l’espèce.
PAR CES MOTIFS
Le juge des référés, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par ordonnance réputée contradictoire en premier ressort,
Déclare parfait le désistement des sociétés Hugo Boss TMM et Hugo Boss France à l’égard des sociétés Bouygues Télécom, Free, Orange et SFR ;
Constate l’extinction de l’instance à l’égard des sociétés Bouygues Télécom, Free, Orange et SFR et le dessaisissement de la juridiction ;
Rejette la demande de mise hors de cause de M. [P] ;
Annule le procès-verbal de constat des 10 et 17 mai 2023 de Maître [J] [V], commissaire de justice à [Localité 8] ;
Interdit, à titre provisoire, à M. [P] d’offrir à la vente sur le site des produits reproduisant ou imitant les marques de l’Union européenne n°49221, n°49288, n°49262 et n°2860377, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée suivant un délai de 10 jours après la signification de la présente décision ;
Se réserve la liquidation de l’astreinte ;
Condamne, à titre provisionnel, M. [P] à payer 10 000 euros à la société Hugo Boss TMM à titre de dommages-intérêts ;
Rejette la demande de M. [P] en procédure abusive ;
Condamne M. [P] aux dépens ;
Condamne M. [P] à payer 6000 euros à la société Hugo Boss TMM en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Rejette la demande de la SAS Hugo Boss France au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Fait à Paris le 16 janvier 2024
Le Greffier,Le Président,
Minas MAKRISJean-Christophe GAYET