Contrefaçon de la marque Château de Chambord : l’affaire Yagi Tsusho

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Contrefaçon de la marque Château de Chambord : l’affaire Yagi Tsusho
Ce point juridique est utile ?

Les éventuels actes de commercialisation sur le territoire japonais ne peuvent aboutir à aucune condamnation pour contrefaçon d’une marque française (Château de Chambord).

Toutefois, en raison de la commercialisation de produits dérivés, les sociétés exploitantes de châteaux bénéficient désormais d’une protection de leurs marques pour les produits de la mode, de la papeterie et autres.

Le domaine national du Château de Chambord a pu ainsi démontrer un usage sérieux de ses marques sur la période de référence, la demande reconventionnelle en déchéance de marques formulée par la société Yagi Tsusho poursuivie pour contrefaçon a été rejetée.

Néanmoins, la société Yagi Tsusho a établi, disposer de droits antérieurs à ceux du domaine national de Chambord sur les signes litigieux. Dès lors, elle n’a fait que continuer l’exploitation de signes qu’elle a acquis et qui avaient été déposés antérieurement aux dépôts des marques invoquées par le domaine national de Chambord.

Selon l’article L.714-5 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable les 23 novembre 2011 et 4 février 2013, dates du dépôt des marques litigieuses, encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans. Est assimilé à un tel usage :

a) L’usage fait avec le consentement du propriétaire de la marque ou, pour les marques collectives, dans les conditions du règlement ;

b) L’usage de la marque sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif ;

c) L’apposition de la marque sur des produits ou leur conditionnement exclusivement en vue de l’exportation.

La déchéance peut être demandée en justice par toute personne intéressée. Si la demande ne porte que sur une partie des produits ou des services visés dans l’enregistrement, la déchéance ne s’étend qu’aux produits ou aux services concernés.

L’usage sérieux de la marque commencé ou repris postérieurement à la période de cinq ans visée au premier alinéa du présent article n’y fait pas obstacle s’il a été entrepris dans les trois mois précédant la demande de déchéance et après que le propriétaire a eu connaissance de l’éventualité de cette demande.

La preuve de l’exploitation incombe au propriétaire de la marque dont la déchéance est demandée. Elle peut être apportée par tous moyens.

La déchéance prend effet à la date d’expiration du délai de cinq ans prévu au premier alinéa du présent article. Elle a un effet absolu.

Ces dispositions s’interprètent à la lumière des dispositions de l’article 12 paragraphe 1 de la directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques, reprises par la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008, selon lequel le titulaire d’une marque peut être déchu de ses droits si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et qu’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage ; toutefois, nul ne peut faire valoir que le titulaire d’une marque est déchu de ses droits si, entre l’expiration de cette période et la présentation de la demande en déchéance, la marque a fait l’objet d’un commencement ou d’une reprise d’usage sérieux ; cependant, le commencement ou la reprise d’usage qui a lieu dans un délai de trois mois avant la présentation de la demande de déchéance, ce délai commençant à courir au plus tôt à l’expiration de la période ininterrompue de cinq ans de non-usage, n’est pas pris en considération lorsque les préparatifs pour le commencement ou la reprise de l’usage interviennent seulement après que le titulaire a appris que la demande de déchéance pourrait être présentée.

La notion de commencement ou de reprise d’usage sérieux, permettant d’échapper à la déchéance, suppose que soit prouvé l’usage sérieux de la marque contestée (en ce sens Tribunal de l’Union européenne – TUE -, 14 mars 2017, IR c EUIPO et Pirelli Tyre SpA, T-132/15, § 95).

Une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l’exclusion d’usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque (en ce sens Cour de justice de l’Union européenne – CJUE -, 11 mars 2003, Ansul, C-40/01, § 43).

L’usage sérieux de la marque doit être établi pour chacun des produits ou services couverts par son enregistrement et visés par la demande en déchéance (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 29 janvier 2013, n° 11-28.596).

Il n’est pas nécessaire que l’usage d’une marque soit toujours quantitativement important pour être qualifié de sérieux et, même minime, il peut être suffisant pour recevoir cette qualification à condition qu’il soit considéré comme justifié, dans le secteur économique concerné, pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou services protégés par la marque (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 16 février 2022, n° 19-20.562).

Enfin, la CJUE, interprétant les dispositions de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) n°207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne, équivalente à celles de l’article 12, paragraphe 1, de la directive précitée, a dit pour droit qu’elles doivent être interprétées en ce sens que, dans le cas d’une demande reconventionnelle en déchéance des droits attachés à une marque de l’Union européenne, la date à prendre en compte pour déterminer si la période ininterrompue de cinq ans figurant à cette disposition est arrivée à son terme est celle de l’introduction de cette demande (CJUE, 17 décembre 2020, Husqvarna AB c. Lidl Digital International GmbH & Co. KG, C-607/19).

Cette interprétation doit également s’appliquer aux marques françaises, dans la mesure où les dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle ne sont que la transposition de celles de la directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques, reprises par la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008.

Selon l’article L.713-1 du code de la propriété intellectuelle, l’enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque pour les produits ou services qu’il a désignés.Ce droit s’exerce sans préjudice des droits acquis par les tiers avant la date de dépôt ou la date de priorité de cette marque.

En vertu de l’article L.713-2 du même code de la propriété intellectuelle, est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l’usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :

1° D’un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;

2° D’un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s’il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d’association du signe avec la marque.

L’article L.713-3-1 du même code précise que sont notamment interdits, en application des articles L.713-2 et L.713-3, les actes ou usages suivants :

1° L’apposition du signe sur les produits ou sur leur conditionnement ;

2° L’offre des produits, leur mise sur le marché ou leur détention à ces fins sous le signe, ou l’offre ou la fourniture des services sous le signe;

3° L’importation ou l’exportation des produits sous le signe ;

4° L’usage du signe comme nom commercial ou dénomination sociale ou comme partie d’un nom commercial ou d’une dénomination sociale;

5° L’usage du signe dans les papiers d’affaires et la publicité ;

6° L’usage du signe dans des publicités comparatives en violation des dispositions des articles L.122-1 à L.122-7 du code de la consommation;

7° La suppression ou la modification d’une marque régulièrement apposée.
Ces actes et usages sont interdits même s’ils sont accompagnés de mots tels que : “formule, façon, système, imitation, genre, méthode”.

Aux termes de l’article L.716-4 du même code, l’atteinte portée au droit du titulaire de la marque constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur. Par ailleurs, constitue une atteinte aux droits attachés à la marque la violation des interdictions prévues aux articles L.713-2, L.713-3-3 et au deuxième alinéa de l’article L.713-4 du code de la propriété intellectuelle.

En application de l’article L.716-4-9 du même code, le tribunal peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l’origine et les réseaux de distribution des produits argués de contrefaçon qui portent atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de produits argués de contrefaçon ou qui fournit des services utilisés dans de prétendues activités de contrefaçon ou encore qui a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces produits ou la fourniture de ces services.

Résumé de l’affaire : L’établissement public à caractère industriel et commercial du domaine national de [Localité 2] détient plusieurs marques liées au château de [Localité 2]. La société japonaise Yagi Tsusho possède également des marques qui, selon le domaine national, créent un lien trompeur avec le château. Après une mise en demeure restée sans réponse, le domaine national a assigné Yagi Tsusho en nullité de marques et en concurrence déloyale. Parallèlement, il a déposé des demandes de déchéance et de nullité auprès de l’EUIPO concernant les marques de Yagi Tsusho. Le tribunal a statué sur plusieurs points, écartant certaines demandes et déclarant son incompétence sur d’autres. L’EUIPO a prononcé la nullité d’une des marques de Yagi Tsusho, tandis qu’une autre demande a été rejetée. Les parties ont formulé des demandes contradictoires, le domaine national cherchant à faire reconnaître des actes de contrefaçon, tandis que Yagi Tsusho demandait la déchéance des marques du domaine national pour défaut d’usage sérieux. L’affaire est fixée pour plaidoirie en mars 2024.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

25 septembre 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n°
21/07910
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Le
Expédition exécutoire délivrée à :
– Maître Viaris de Lesegno, vestiaire G605
Copie certifiée conforme délivrée à :
– Maître Chaupitre, vestiaire B994

3ème chambre
3ème section

N° RG 21/07910 –
N° Portalis 352J-W-B7F-CUTEK

N° MINUTE :

Assignation du :
21 mai 2021

JUGEMENT
rendu le 25 septembre 2024
DEMANDERESSE

E.P.I.C. DOMAINE NATIONAL DE [Localité 2]
Château De [Localité 2]
[Localité 2]

représentée par Maitre Eric CHAUPITRE, avocat au barreau de PARIS,vestiaire #B0994

DÉFENDERESSE

Société YAGI TSUSHO LIMITED
[Adresse 1]
[Adresse 3] (JAPON)

représentée par Maître Sophie VIARIS DE LESEGNO de la SELEURL SVL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS,vestiaire #G605

Décision du 25 septembre 2024
3ème chambre 3ème section
N° RG 21/07910 – N° Portalis 352J-W-B7F-CUTEK

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Jean-Christophe GAYET, premier vice-président adjoint
Anne BOUTRON, vice-présidente
Linda BOUDOUR, juge

assistés de Lorine MILLE, greffière,

DEBATS

A l’audience du 13 mars 2024 tenue en audience publique devant Jean-Christophe GAYET et Anne BOUTRON, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l’audience, et, après avoir donné lecture du rapport, puis entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 12 juin 2024 puis prorogé au 25 septembre 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

L’établissement public à caractère industriel et commercial du domaine national de [Localité 2] (ci-après le domaine national de [Localité 2] ou EPDNC) est un ensemble architectural et naturel français. Il comprend, notamment, le monument historique du château de [Localité 2], situé dans le Loir et Cher, appartenant à l’État.
Il est titulaire des marques françaises :- verbale “Château de [Localité 2]” n° 3876290, déposée le 23 novembre 2011, pour divers produits et services en classes 8, 14, 16, 20, 21, 24, 25, 29, 30, 31, 32 et 41
– verbale “Château de [Localité 2]” n° 3980815, déposée le 4 février 2013, pour des produits du cuir et imitation du cuir en classe 18
– figurative n° 4368358, enregistrée le 6 juin 2017, pour divers produits et services en classes 3, 4, 5, 8, 9, 14, 16, 18 à 21, 24, 25, 28 à 33 :

La société Yagi Tsusho est une société japonaise spécialisée dans l’importation, la distribution et le développement de marques de prestige à destination du marché japonais. Elle est titulaire des marques : – verbale de l’Union européenne “[Localité 2]” n° 011705266, déposée le 2 avril 2013 pour désigner divers produits en classes 13, 18 et 25
– verbale internationale désignant l’Union européenne “[Localité 2] sellier depuis 1947” n° 1398329, déposée le 30 novembre 2017 sous priorité d’une demande japonaise du 9 novembre 2017, et enregistrée, pour désigner divers produits en classes 18 et 25.

Estimant que ces marques créaient un lien trompeur avec le château de [Localité 2], le domaine national de [Localité 2] a adressé, par courrier du 7 janvier 2021, une mise en demeure à la société Yagi Tsusho, sollicitant le retrait volontaire des marques litigieuses auprès de l’INPI, ainsi que l’engagement de la cessation de l’utilisation de l’image du château de [Localité 2]. La société Yagi Tsusho n’a pas déféré à ces demandes.
Par acte de commissaire de justice du 21 mai 2021, le domaine national de [Localité 2] à fait assigner la société Yagi Tsusho devant ce tribunal en nullité et à titre subsidiaire en déchéance de marques de l’Union européenne, ainsi qu’en concurrence déloyale et parasitaire.
Le 21 janvier 2022, le domaine national de [Localité 2] a saisi l’office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) d’une demande de déchéance de la marque “[Localité 2]” n° 0117005266 et, le 31 janvier 2022, d’une demande en nullité de la marque “[Localité 2] sellier depuis 1947” n° W01398329.
Par conclusions du 17 février 2022, le domaine national de [Localité 2] a formé des demandes additionnelles en contrefaçon des marques “Château de [Localité 2]” n° 3876290 et 3980815 et figurative n° 174368358.
Saisi par la société Yagi Tsusho, le juge de la mise en état, par ordonnance d’incident du 22 mars 2022, a :- écarté l’exception de nullité de l’assignation
– écarté le moyen tiré de l’absence de motivation de la demande additionnelle du domaine national de [Localité 2]
– déclaré le tribunal incompétent pour connaître des demandes en nullité et en déchéance de la marque de l’Union européenne “[Localité 2]” n° 0117005266 et des effets de l’enregistrement international désignant l’Union “[Localité 2] sellier depuis 1947” n° 1398326
– déclaré le tribunal incompétent pour connaître de la demande subsidiaire du domaine national de [Localité 2] en concurrence déloyale et parasitaire, les faits dommageables étant commis au Japon
– écarté l’exception d’incompétence quant à la demande en contrefaçon de marques françaises
– écarté les fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité à agir de la société Yagi Tsusho, et du défaut de qualité à agir sur le nom [Localité 2]
– rejeté la demande de sursis à statuer
– rejeté les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions d’incident du 14 septembre 2022, la société Yagi Tsusho a saisi le juge de la mise en état d’une fin de non-recevoir tirée du défaut d’usage sérieux des marques invoquées par le domaine national de [Localité 2]. Le 18 novembre 2022, par mesure d’administration judiciaire, le juge de la mise en état à renvoyé l’incident au tribunal.
Par décision du 10 octobre 2022, l’EUIPO a prononcé la nullité de la marque “[Localité 2]” n° 11705266, pour les produits des classes 13, 18 et 25, à compter du 21 janvier 2022.
Par décision du 13 mars 2023, l’EUIPO a rejeté la demande du domaine national de [Localité 2] de nullité de la marque “[Localité 2] sellier depuis 1947” n° W01398329.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 25 mai 2023 et l’affaire fixée à l’audience du 13 mars 2024 pour être plaidée.
PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions au fond, notifiées par voie électronique le 1er février 2023, le domaine national de [Localité 2] demande au tribunal de :- débouter la défenderesse de sa demande de déchéance de ses marques, tant à titre d’irrecevabilité que sur le fond,
– enjoindre à la défenderesse de lui communiquer, sous astreinte de 1000 euros par jour de retard, passé le délai de 30 jours à compter de la signification de la décision à intervenir, les pièces justificatives suivantes :
> le catalogue des articles fabriqués par la maroquinerie Philippe Serre pour la société Yagi, depuis le 1er janvier 2016 (avec référence, prix d’achat, modèle et coloris)
> visuels, références et prix de chaque article
> visuel du marquage de chaque article
> le nombre d’articles fabriqués et vendus
> le chiffre d’affaires réalisé avec la société Yagi
– renvoyer à toute audience ultérieure ayant pour objet de statuer sur la demande en contrefaçon ci-après exposée :
> dire que la société Yagi Tsusho a commis des actes de contrefaçon des marques françaises verbales “Château de [Localité 2]” n° 3876290 et 3980815, et figurative n° 174368358
> condamner la défenderesse à titre de réparation du préjudice financier causé par les actes de contrefaçon à lui verser 1 315 624 euros pour la période allant du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2020
> condamner la défenderesse à titre de réparation du préjudice moral causé par les actes de contrefaçon à lui verser 30 000 euros
– subsidiairement,
> faire interdiction à la société Yagi Tsusho d’utiliser la dénomination [Localité 2], comme d’utiliser l’image du château de [Localité 2] pour commercialiser ses articles de maroquinerie, sous astreinte de 5000 euros par jours de retard quinze jours après la signification de la décision à intervenir
> condamner la défenderesse à lui verser 16 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, en application de l’article 699 du même code.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 23 mai 2023, la société Yagi Tsusho demande au tribunal de : – la déclarer recevable en sa demande reconventionnelle
– prononcer à l’encontre du domaine national de [Localité 2] la déchéance pour défaut d’usage sérieux de ses droits sur la marque verbale française “Château de [Localité 2]” n° 3876290 pour les produits suivants en classe 25 : vêtements, chaussures, chapellerie, chemises, vêtements en cuir ou en imitation du cuir, ceintures (habillement), fourrures (vêtements), gants (habillement), foulards, cravates, bonneterie, chaussettes, chaussons, chaussures de plage, de ski ou de sport, couches en matières textiles, sous-vêtements
– prononcer à l’encontre du domaine national de [Localité 2] la déchéance pour défaut d’usage sérieux de la marque verbale française “Château de [Localité 2]” n° 3980815 en date du 4 février 2013 pour les produits suivants de la classe 18 : cuir et imitations du cuir, peaux d’animaux, malles et valises, parapluies, parasols et cannes, fouets et sellerie, portefeuilles, porte-monnaie, sacs, coffrets destinés à contenir des affaires de toilette, colliers ou habits pour animaux, filets à provisions
– dire que la déchéance produira ses effets à compter du 5 mars 2018 pour la marque verbale “Château de [Localité 2]” n° 3876290
– dire que la déchéance produira ses effets à compter du 31 mai 2018 pour la marque verbale “Château de [Localité 2]” n° 3980815 ;
– ordonner la communication de la présente décision, une fois celle-ci définitive à l’INPI à l’initiative de la partie la plus diligence pour inscription sur ses registres
– déclarer le domaine national de [Localité 2] irrecevable en ses demandes et, en conséquence,
– débouter le domaine national de [Localité 2] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions
– à titre subsidiaire
> juger que le domaine national de [Localité 2] ne justifie pas de l’exploitation sérieuse des marques verbales “Château de [Localité 2]” n° 3876290 en date du 23 novembre 2011 pour les ceintures, et “Château de [Localité 2]” n° 3980815 en date du 4 février 2013 pour les sacs
> juger que le domaine national de [Localité 2] ne justifie pas de l’exploitation sérieuse de la marque figurative n°4 368 358 en date du 6 juin 2017 pour les ceintures et les sacs
> déclarer le domaine national de [Localité 2] irrecevable en ses demandes
– en conséquence, débouter le domaine national de [Localité 2] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions
– reconventionnellement, condamner le domaine national de [Localité 2] à lui verser 10 000 euros au titre de la procédure abusive
– en tout état de cause, condamner le domaine national de [Localité 2] à lui verser 16 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL SVL avocat.

MOTIVATION

1 – Sur la demande reconventionnelle en déchéance des marques n° 3876290 et n° 3980815

Moyens des parties

La société Yagi Tsusho fait valoir que les marques n° 3876290 et n° 3980815 ne font l’objet d’aucune preuve d’usage dans les cinq ans suivant leur enregistrement, respectivement publiés les 15 mars 2013 et 31 mai 2013, et n’ont fait l’objet d’une reprise d’usage que postérieurement au 24 mai 2022, date à laquelle la demanderesse connaissait la demande en déchéance qui lui a été opposée au cours de la procédure devant l’EUIPO. Elle ajoute que les preuves d’usage produites pour la période antérieure démontrent que les ventes d’articles sont confidentielles, postérieures à l’introduction de l’instance, ne concernent pas l’ensemble des produits pour lesquels les marques ont été enregistrées et les signes exploités le sont à titre décoratif, non à titre de marque.
Le domaine national de [Localité 2] oppose que la défenderesse ayant conclu reconventionnellement à la déchéance des deux marques qu’il invoque le 14 septembre 2022, la période de référence débute le 14 septembre 2017. Il estime que les preuves produites d’usage des marques invoquées à compter de cette date justifient de leur caractère sérieux compte tenu des volumes commercialisés depuis le 1er janvier 2019 et des licences concédées. Il considère que la reproduction du signe sur les produits qu’il commercialise et ceux vendus sous licence a bien lieu à titre de marque, outre que ces marques apparaissent sur les étiquettes, sur certains des produits pour en garantir l’origine, notamment pour le cuir, ou sur les emballages.
Réponse du tribunal

Selon l’article L.714-5 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable les 23 novembre 2011 et 4 février 2013, dates du dépôt des marques litigieuses, encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans.Est assimilé à un tel usage :
a) L’usage fait avec le consentement du propriétaire de la marque ou, pour les marques collectives, dans les conditions du règlement ;
b) L’usage de la marque sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif ;
c) L’apposition de la marque sur des produits ou leur conditionnement exclusivement en vue de l’exportation.
La déchéance peut être demandée en justice par toute personne intéressée. Si la demande ne porte que sur une partie des produits ou des services visés dans l’enregistrement, la déchéance ne s’étend qu’aux produits ou aux services concernés.
L’usage sérieux de la marque commencé ou repris postérieurement à la période de cinq ans visée au premier alinéa du présent article n’y fait pas obstacle s’il a été entrepris dans les trois mois précédant la demande de déchéance et après que le propriétaire a eu connaissance de l’éventualité de cette demande.
La preuve de l’exploitation incombe au propriétaire de la marque dont la déchéance est demandée. Elle peut être apportée par tous moyens.
La déchéance prend effet à la date d’expiration du délai de cinq ans prévu au premier alinéa du présent article. Elle a un effet absolu.

Ces dispositions s’interprètent à la lumière des dispositions de l’article 12 paragraphe 1 de la directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques, reprises par la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008, selon lequel le titulaire d’une marque peut être déchu de ses droits si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et qu’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage ; toutefois, nul ne peut faire valoir que le titulaire d’une marque est déchu de ses droits si, entre l’expiration de cette période et la présentation de la demande en déchéance, la marque a fait l’objet d’un commencement ou d’une reprise d’usage sérieux ; cependant, le commencement ou la reprise d’usage qui a lieu dans un délai de trois mois avant la présentation de la demande de déchéance, ce délai commençant à courir au plus tôt à l’expiration de la période ininterrompue de cinq ans de non-usage, n’est pas pris en considération lorsque les préparatifs pour le commencement ou la reprise de l’usage interviennent seulement après que le titulaire a appris que la demande de déchéance pourrait être présentée.

La notion de commencement ou de reprise d’usage sérieux, permettant d’échapper à la déchéance, suppose que soit prouvé l’usage sérieux de la marque contestée (en ce sens Tribunal de l’Union européenne – TUE -, 14 mars 2017, IR c EUIPO et Pirelli Tyre SpA, T-132/15, § 95).

Une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l’exclusion d’usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque (en ce sens Cour de justice de l’Union européenne – CJUE -, 11 mars 2003, Ansul, C-40/01, § 43).
L’usage sérieux de la marque doit être établi pour chacun des produits ou services couverts par son enregistrement et visés par la demande en déchéance (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 29 janvier 2013, n° 11-28.596).

Il n’est pas nécessaire que l’usage d’une marque soit toujours quantitativement important pour être qualifié de sérieux et, même minime, il peut être suffisant pour recevoir cette qualification à condition qu’il soit considéré comme justifié, dans le secteur économique concerné, pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou services protégés par la marque (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 16 février 2022, n° 19-20.562).
Enfin, la CJUE, interprétant les dispositions de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) n°207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne, équivalente à celles de l’article 12, paragraphe 1, de la directive précitée, a dit pour droit qu’elles doivent être interprétées en ce sens que, dans le cas d’une demande reconventionnelle en déchéance des droits attachés à une marque de l’Union européenne, la date à prendre en compte pour déterminer si la période ininterrompue de cinq ans figurant à cette disposition est arrivée à son terme est celle de l’introduction de cette demande (CJUE, 17 décembre 2020, Husqvarna AB c. Lidl Digital International GmbH & Co. KG, C-607/19).

Cette interprétation doit également s’appliquer aux marques françaises, dans la mesure où les dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle ne sont que la transposition de celles de la directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques, reprises par la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008.
Au cas présent, la société Yagi Tsusho a formé pour la première fois sa demande en déchéance des marques n° 3876290 et n° 3980815 le 14 septembre 2022 dans la présente instance, de sorte que la période de référence à retenir au titre de la déchéance est les cinq années précédant cette date. Si elle fait porter sa demande de déchéance sur les cinq ans qui suivent la date de publication de l’enregistrement de ces marques, soit du 15 mars 2013 au 15 mars 2018 pour la marque n° 3876290 et du 31 mai 2013 au 31 mai 2018 pour la marque n° 3980815, ce moyen est inopérant.
S’agissant de la marque n° 3876290, la société Yagi Tsusho demande sa déchéance pour les vêtements, chaussures, chapellerie, chemises, vêtements en cuir ou en imitation du cuir, ceintures (habillement), fourrures (vêtements), gants (habillement), foulards, cravates, bonneterie, chaussettes, chaussons, chaussures de plage, de ski ou de sport, couches en matières textiles, sous-vêtements, visés en classe 25 de son enregistrement.
S’agissant de la marque n° 3980815, la société Yagi Tsusho demande sa déchéance pour les cuir et imitations du cuir, peaux d’animaux, malles et valises, parapluies, parasols et cannes, fouets et sellerie, portefeuilles, porte-monnaie, sacs, coffrets destinés à contenir des affaires de toilette, colliers ou habits pour animaux, filets à provisions, visés en classe 18 de son enregistrement, correspondant à l’ensemble des produits qui y sont visés (pièce EPDNC n° 6).
Au soutien de l’usage sérieux de ces marques pour ces produits, le domaine national de [Localité 2] produit aux débats :- un constat de commissaire de justice des 21 juin et 7 juillet 2022 relevant les divers produits offerts à la vente dans les boutiques situées dans l’enceinte du château de [Localité 2] et celle située au parking 0 (sa pièce n° 44) et en annexe des relevés de vente certifiés par l’agent comptable par procuration du domaine
– une facture du 14 juin 2018 et le bon à tirer des étiquettes mentionnant “Château de [Localité 2], maroquinerie de [Localité 2]” ou “maroquinerie de [Localité 2]” (ses pièces n° 47-1 à 47-3)
– une attestation de la directrice déléguée de la société Alexandre Mareuil du 17 janvier 2023 mentionnant que les articles en cuir commercialisés dans ces boutiques et sur le site internet de la société le sont depuis le début de l’année 2018 et portent sur des fourreaux de carabine, des sacs à dos en cuir, des ceintures en cuir, des étuis de balles, des flasques de poche gainées de cuir, des mugs gainés de cuir, des sièges de battue, des porte-monnaies en cuir, des sacs en cuir, des portefeuilles, des bracelets en cuir, des porte étiquettes en cuir, des porte-clés en cuir, des laisses en cuir, et des colliers en cuir (sa pièce n° 47-4)
– un constat de commissaire de justice du 1er décembre 2022 relevant les divers produits offerts à la vente dans les boutiques situées dans l’enceinte du château de [Localité 2] et l’origine des matières présentée aux clients au sein de ces boutiques (sa pièce n° 48)
– des articles de presse des journaux La nouvelle république en date du 23 octobre 2020 et Le petit solognot du 10 novembre 2020 (ses pièces n°50-1 et 50-2), ainsi qu’une facture d’achat de brebis (sa pièce n°50-3), mettant en avant la présence de troupeaux de brebis solognotes au sein du château de [Localité 2]
– un constat de commissaire de justice du 5 janvier 2023 relevant les divers produits offerts à la vente dans les boutiques situées dans l’enceinte du château de [Localité 2], ainsi que les relevés de vente des articles sous leurs références certifiés par l’agent comptable par procuration du domaine (sa pièce n°49)
– un contrat de licence conclu avec la société Cotton Blue le 1er mai 2017 pour une durée de trois ans portant notamment sur des châles et foulards, produits de la classe 25 (sa pièce n°39-3)
– un contrat de licence conclu avec la société Holiprom le 24 novembre 2016 pour une durée de trois ans portant notamment sur des tee-shirts, sweat-shirts, écharpes, bonnets, gants, capes de pluie et casquettes, produits de la classe 25, et des parapluies, produits de la classe 18 (sa pièce n°39-2)
– un contrat de licence conclu avec la société Céline le 5 juin 2021portant sur des produits de la classe 25 ayant généré la fabrication d’un tee-shirt, un sweat-shirt et un sweat-shirt à capuche (ses pièces n°39-10 et 51-1 à 51-5).

Il ressort de l’ensemble de ces éléments, et surtout des constats réalisés dans les boutiques du domaine, que le demandeur use bel et bien des marques en cause, pour la vente de produits des classes 18 et 25, peu important que quelques offres à la vente soient constatées postérieurement à la période de référence de cinq ans précédant le 14 septembre 2022.
La société Yagi Tsusho prétend que ces usages par le domaine national de [Localité 2] n’auraient qu’un objet décoratif et ne seraient pas des usages à titre de marques. Or, il ressort des pièces précitées versées aux débats par le demandeur, et notamment des divers constats de commissaires de justice, que, bien que les marques en cause apparaissent sur les produits, ils sont également apposés sur les étiquettes reliées à chacun des articles ainsi que sur les emballages, ce qui constitue un usage à titre de marque conformément à sa fonction essentielle d’identification d’origine et non à titre purement décoratif.
Enfin, les produits vendus par le domaine sont issus des ressources générées par les battues de régulation de la réserve naturelle de France que représente le domaine du château de [Localité 2]. Le demandeur justifie, de ce fait, d’un usage sérieux des marques en cause dans le secteur économique concerné, dans la mesure où la production des articles vendus sous ces marques est artisanale et donc limitée aux ressources générées par le domaine. Dès lors, la société Yagi Tsusho soutient à tort que les ventes réalisées par le domaine national de [Localité 2] seraient insuffisantes pour qualifier de sérieux l’usage des marques en cause.
En conséquence, le domaine national de [Localité 2] démontre un usage sérieux de ses marques sur la période de référence, la demande reconventionnelle en déchéance de marques formulée par la société Yagi Tsusho est donc rejetée.

2 – Sur la demande de communication de pièces

Moyens des parties

Suite à une sommation de communiquer des pièces demeurée sans effet, le domaine national de [Localité 2] demande au tribunal d’ordonner la communication de ces mêmes pièces par la défenderesse, afin de pouvoir établir la contrefaçon de ses marques sur le territoire français. Il considère qu’en commercialisant des articles de maroquinerie sous la marque “[Localité 2] sellier” et en reprenant l’image du château de [Localité 2], la société Yagi Tsusho commet des actes de contrefaçon des marques françaises verbales n° 3876290 et n° 3980815 et figurative n° 4368358 que seules les pièces qu’il réclame permettraient d’établir.
La société Yagi Tsusho soutient que la demande du domaine vise à pallier sa carence dans l’administration de la preuve. Elle considère que la communication de tels documents, pour plusieurs soumis au secret des affaires, suppose que soit démontrée une contrefaçon vraisemblable, alors qu’elle détient des droits antérieurs à ceux du demandeur sur l’usage des signes litigieux.
Réponse du tribunal

Selon l’article L.713-1 du code de la propriété intellectuelle, l’enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque pour les produits ou services qu’il a désignés.Ce droit s’exerce sans préjudice des droits acquis par les tiers avant la date de dépôt ou la date de priorité de cette marque.

En vertu de l’article L.713-2 du même code de la propriété intellectuelle, est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l’usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :1° D’un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;
2° D’un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s’il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d’association du signe avec la marque.

L’article L.713-3-1 du même code précise que sont notamment interdits, en application des articles L.713-2 et L.713-3, les actes ou usages suivants :1° L’apposition du signe sur les produits ou sur leur conditionnement ;
2° L’offre des produits, leur mise sur le marché ou leur détention à ces fins sous le signe, ou l’offre ou la fourniture des services sous le signe;
3° L’importation ou l’exportation des produits sous le signe ;
4° L’usage du signe comme nom commercial ou dénomination sociale ou comme partie d’un nom commercial ou d’une dénomination sociale;
5° L’usage du signe dans les papiers d’affaires et la publicité ;
6° L’usage du signe dans des publicités comparatives en violation des dispositions des articles L.122-1 à L.122-7 du code de la consommation;
7° La suppression ou la modification d’une marque régulièrement apposée.
Ces actes et usages sont interdits même s’ils sont accompagnés de mots tels que : “formule, façon, système, imitation, genre, méthode”.

Aux termes de l’article L.716-4 du même code, l’atteinte portée au droit du titulaire de la marque constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur. Par ailleurs, constitue une atteinte aux droits attachés à la marque la violation des interdictions prévues aux articles L.713-2, L.713-3-3 et au deuxième alinéa de l’article L.713-4 du code de la propriété intellectuelle.
En application de l’article L.716-4-9 du même code, le tribunal peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l’origine et les réseaux de distribution des produits argués de contrefaçon qui portent atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de produits argués de contrefaçon ou qui fournit des services utilisés dans de prétendues activités de contrefaçon ou encore qui a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces produits ou la fourniture de ces services.
En l’espèce, le domaine national de [Localité 2] a demandé à la société Yagi Tsusho de justifier de la réalité de la mention “made in France” (“fabriqué en France”) présente sur ses produits. La défenderesse a indiqué en réponse le nom de la maroquinerie du Tarn avec laquelle elle collabore. C’est pourquoi, le demandeur a ensuite formulé une sommation d’avoir à communiquer le catalogue des articles fabriqués par cette maroquinerie, les visuels, prix et références de chaque article issu de leur collaboration, le visuel du marquage de ces articles, le nombre de produits fabriqués et vendus et le chiffre d’affaires réalisé. Cette demande avait pour objet de déterminer la consistance et l’étendue de la contrefaçon. Elle est restée sans effet.
Néanmoins, la société Yagi Tsusho démontre qu’elle a acquis, le 31 août 2009, les marques :- verbale française “[Localité 2]” n° 3536468, déposée le 9 novembre 2007 pour des produits en classes 13, 18 et 25
– verbale internationale, désignant l’Union européenne, “[Localité 2]” n°947360, déposée le 19 novembre 2007 pour des produits en classes 13, 18 et 25
– verbale japonaise “[Localité 2] sellier” n° T5072632, déposée le 24 août 2007 pour des produits et services en classes 9, 18 et 25
– verbale internationale, désignant l’Union européenne “[Localité 2] sellier”, déposée le 13 novembre 2007 pour des produits en classes 18 et 25 (ses pièces 6 à 11 et 13).

La société Yagi Tsusho établit, de ce fait, disposer de droits antérieurs à ceux du domaine national de [Localité 2] sur les signes litigieux. Dès lors, elle ne fait que continuer l’exploitation de signes qu’elle a acquis et qui avaient été déposés antérieurement aux dépôts des marques invoquées par le domaine national de [Localité 2].
De plus, ce dernier s’appuie sur des captures d’écran insérées dans ses conclusions, dont l’authenticité par ailleurs contestée par la société Yagi Tsusho importe peu, car faisant état de ventes de produits litigieux sur des sites à destination d’un public japonais. Le demandeur n’établit pas de vente sur le territoire français, non plus que les produits présentés sur les captures d’écran qu’il invoque puissent faire l’objet de livraison en France. Or, les seules marques invoquées au soutien de ses demandes sont des marques françaises, protégeant les droits du domaine uniquement sur le territoire national. Les éventuels actes de commercialisation sur le territoire japonais ne peuvent aboutir à aucune condamnation pour contrefaçon d’une marque française.
Ce dernier n’établit donc pas la vraisemblance des actes de contrefaçon allégués et ne peut donc prétendre à la communication de pièces réclamées.
3 – Sur la demande subsidiaire en interdiction

Moyens des parties

Le domaine national de [Localité 2] demande, à titre subsidiaire, au tribunal d’interdire à la société Yagi Tsusho d’utiliser la dénomination “[Localité 2]” et l’image du château de [Localité 2] pour commercialiser des articles de maroquinerie.
La société Yagi Tsusho conclut au rejet de cette demande qui ne serait motivée ni en droit, ni en fait, et sur laquelle le juge de la mise en état a déclaré le tribunal incompétent.
Réponse du tribunal

En vertu de l’article 768 alinéa 2 du code de procédure civile, les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. Les moyens qui n’auraient pas été formulés dans les conclusions précédentes doivent être présentés de manière formellement distincte. Le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.
En l’occurrence, le domaine national de [Localité 2] formule, dans le dispositif de ses conclusions une demande subsidiaire d’interdiction d’usage de la dénomination “[Localité 2]”et l’image du château de [Localité 2].
Toutefois, elle ne développe aucun moyen, ni en fait, ni en droit, dans la partie discussion de ses conclusions au soutien de cette demande subsidiaire, laquelle, faute de pouvoir être examinée par le tribunal, sera rejetée.
4 – Sur la demande reconventionnelle pour procédure abusive

Moyens des parties

La société Yagi Tsusho demande la condamnation du domaine national de [Localité 2] au paiement de 10 000 euros pour procédure abusive, estimant que son action vise à l’exproprier de l’usage d’une marque exploitée paisiblement de longue date dans une intention manifeste de lui nuire.
Le domaine national de [Localité 2] ne répond pas à cette demande.
Réponse du tribunal

L’article 1240 du code civil prévoit que tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
En application de l’article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.
Le droit d’agir en justice participe des libertés fondamentales de toute personne. Il dégénère en abus constitutif d’une faute au sens de l’article 1240 du code civil lorsqu’il est exercé en connaissance de l’absence totale de mérite de l’action engagée, ou par une légèreté inexcusable, obligeant l’autre partie à se défendre contre une action que rien ne justifie sinon la volonté d’obtenir ce que l’on sait indu, une intention de nuire, ou une indifférence totale aux conséquences de sa légèreté (en ce sens Cour de cassation, 3ème chambre civile, 10 octobre 2012, n° 11-15.473).
La seule circonstance que les demandes du domaine national de [Localité 2] soient rejetées n’est pas de nature à faire dégénérer son action en abus et la société Yagi Tsusho ne démontre aucune intention de nuire du domaine national de [Localité 2] ni aucun préjudice distinct des frais engagés pour sa défense, lesquels sont indemnisés au titre des frais non compris dans les dépens. Sa demande reconventionnelle sera donc rejetée.
5 – Sur les frais du procès et l’exécution provisoire

5.1 – S’agissant des frais du procès

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge de l’autre partie.
Selon l’article 699 du même code, les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l’avance sans avoir reçu provision.La partie contre laquelle le recouvrement est poursuivi peut toutefois déduire, par compensation légale, le montant de sa créance de dépens.

L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a lieu à condamnation.
Le domaine national de [Localité 2], partie perdante à l’instance, sera condamné aux dépens, avec distraction au profit de l’avocat de la société Yagi Tsusho.
Partie tenue aux dépens, le domaine national de [Localité 2] sera condamné à payer 16 000 euros à la société Yagi Tsusho à ce titre.5.2 – S’agissant de l’exécution provisoire

Aux termes de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.
L’exécution provisoire de droit n’a pas à être écartée en l’espèce.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

Déboute la société Yagi Tsusho de sa demande en déchéance des marques n° 3876290 et n° 3980815 ;

Déboute l’établissement public du domaine national de [Localité 2] de ses demandes principale en communication de pièces et subsidiaire en interdiction ;

Déboute la société Yagi Tsusho de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Condamne l’établissement public du domaine national de [Localité 2] aux dépens avec droit pour Maître Sophie Viaris de Lesegno, avocate au barreau de Paris, de recouvrer ceux dont elle a fait l’avance sans recevoir provision ;

Condamne l’établissement public du domaine national de [Localité 2] à payer à la société Tagi Tsusho 16 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 25 septembre 2024

La greffière Le président
Lorine Mille Jean-Christophe Gayet


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