Contrefaçon de jeux vidéo : un contenu manifestement illicite pour les hébergeurs ?

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Contrefaçon de jeux vidéo : un contenu manifestement illicite pour les hébergeurs ?
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En ne procédant pas au retrait de contrefaçons de jeux vidéo et contrefaçon des marques de la société Nintendo ou en ne les rendant pas accessibles alors qu’elle avait connaissance des faits et circonstances faisant apparaître leur caractère manifestement illicite, la société DSTORAGE a engagé sa responsabilité en application de l’article 6-I-2 de la LCEN.

Responsabilité de la société DSTORAGE

La société DSTORAGE, qui offre un service de stockage de données, a la qualité d’hébergeur, de sorte que sa responsabilité est régie par l’article 6-I1-2 de la LCEN qui dispose que « Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère manifestement illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible ».

Notification de contenus illicites régulière

Conformément à l’article 6-I-5 de cette loi, dans sa version en vigueur en janvier 2018, « La connaissance des faits litigieux est présumée acquise par les personnes lorsqu’il leur est notifié les éléments suivants :

— la date de la notification ;

— si le notifiant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ; si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l’organe qui la représente légalement ;

— les nom et domicile du destinataire ou, s’il s’agit d’une personne morale, sa dénomination et son siège social ;

— la description des faits litigieux et leur localisation précise ;

— les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits ;

— la copie de la correspondance adressée à l’auteur ou à l’éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l’auteur ou l’éditeur n’a pu être contacté ».

Contenu illicite et contrefaçon

Cependant, si les contenus dont il est allégué qu’ils portent atteinte aux droits de propriété intellectuelle ne peuvent être systématiquement considérés comme ayant un caractère manifestement illicite du fait de la complexité des règles gouvernant ce type de propriété, notamment en matière de droit d’auteur, ils ne peuvent pour autant être exclus par principe du domaine de la responsabilité des hébergeurs si les ayants droit justifient suffisamment de cette illicéité manifeste ou de faits et circonstances faisant apparaître celle-ci, en portant à la connaissance des hébergeurs les droits qu’ils estiment bafoués.

La connaissance que peuvent avoir les hébergeurs de contenus de leur illicéité manifeste est quant à elle présumée dès lors qu’une notification respectant les conditions posées par l’article 6-I-5 de la LCEN leur a été adressée, une telle notification ne pouvant, au regard des mentions devant obligatoirement y figurer (description du contenu litigieux et motifs légaux, notamment), être interprétée comme nécessitant une décision de justice préalable.

Outils d’alerte des hébergeurs

Par ailleurs, la mise en place par la société DSTORAGE d’une procédure contractuelle de retrait des contenus, optionnelle, n’est pas de nature à lui permettre de se soustraire au régime de la responsabilité des hébergeurs de contenus tel que défini dans l’article 6 de la loi LCEN.  

Notification validée

En l’occurrence, les sociétés Nintendo ont, dans leurs notifications à l’hébergeur, indiqué que « tous les Jeux Vidéo Nintendo et Consoles de jeux Nintendo sont protégés par des droits d’auteur. Les droits d’auteur sur les Jeux Vidéo Nintendo appartiennent soit exclusivement à NCL, soit ils sont codétenus par NCL et les sociétés Pokémon » et que « La reproduction et la mise à disposition du public des Jeux Vidéo Nintendo sans l’autorisation de NCL et des sociétés POKEMON sont constitutives de contrefaçon des DPIs de NCL et, le cas échéant, des sociétés POKEMON, ainsi que de plusieurs infractions pénales prévues par le Code de la propriété intellectuelle (ci-après « CPI »), en ce compris notamment la contrefaçon de logiciels et de droits d’auteur (article L. 335-2 et 3 du CPI) ».

Or, elles ne justifiaient cependant pas de leur titularité de droits d’auteur, en particulier de la présomption de titularité dont elles entendent bénéficier en tant que personnes morales, ni de l’éligibilité des jeux vidéo Nintendo à la protection par le droit d’auteur, se limitant à en affirmer le principe, ni de ce que les fichiers téléchargeables et stockés sur le site lfichier.com exploité par la défenderesse constituaient la contrefaçon des jeux vidéo sur lesquels elles revendiquent la protection par le droit d’auteur (ce n’est que dans leurs conclusions au fond que les demanderesses ont caractérisé l’originalité des jeux vidéo en cause, les rendant selon elles éligibles à la protection par le droit d’auteur).

Faute pour les demanderesses d’avoir communiqué à la société DSTORAGE les éléments et pièces établissant la titularité de leurs droits d’auteur, ainsi que la violation de ceux-ci, elles n’ont pas suffisamment établi les faits et circonstances faisant apparaître le caractère manifestement illicite des contenus dont elles demandaient le retrait en raison de la violation de leurs droits d’auteur.

En revanche, les demanderesses ont indiqué que les marques « Nintendo », « Nintendo DS», « Mario Kart », « Pokémon Moon», «Pokémon Sun», « Pokémon Ultra Moon », « Pokémon Ultrasun », « Splatoon », « Super Mario Odyssey » et « The Legend of Zelda Breath of the Wild » dont est titulaire la société NCL, désignées par leur numéro d’enregistrement, étaient reproduites dans des liens permettant de télécharger des fichiers dont il n’est pas contesté qu’ils contiennent des jeux vidéo, et ce sans l’autorisation de leur titulaire. Le caractère contrefaisant de certains de ces liens était au demeurant manifeste et l’hébergeur a engagé sa responsabilité en ne procédant pas au retrait des liens en cause à brefs délais.

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS

3e chambre 3e section

25 mai 2021

N° RG 18/07397 – N° Portalis 352J- W-B7C-CNE6Y

N° MINUTE : 3 Assignation du 24 mai 2018

DEMANDERESSES

La société NINTENDO CO., LTD. 11-1 Hokotate-cho,

Kamitoba, Minami-ku

[…]

La société THE POKEMON COMPANY Roppongi Hills Mori Tower 8F

6-10-1 Roppongi, Minato-ku

[…]

La société CREATURES F Iidabashi Ground Bloom 23F 2-10-2 Fujimi Chiyoda-ku 102-0071 TOKYO (JAPON)

La société D E F Carrot Tower 22F

4-1-1 Taisid, Scetagaya-Ku 154-0004 TOKYO (JAPON)

représentées par Maître Y Z du LLP ALLEN & OVERY LLP, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #J0022

Décision du 25 Mai 2021 3e chambre 3e section N° RG 18/07397 – N° Portalis 352J- W-B7C-CNE6Y

DÉFENDERESSE

La société DSTORAGE S.A.S.

9 Les Grands Prés, La Chapelle-aux-Bois 88240 FRANCE

représentée par Maître Ronan HARDOUIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #RO296

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Carine GILLET, Vice-Présidente

Laurence BASTERREIX, Vice-Présidente

Elise MELLIER, Juge

assisté de Lorine MILLE, Greffière

DÉBATS

A l’audience du 31 mars 2021, tenue en audience publique avis a été donné aux conseils des parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 25 mai 2021.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe

Contradictoire En premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

La société japonaise Nintendo Co, Ltd (ci-après la société « NCL ») fabrique et commercialise, dans de nombreux pays à travers le monde, dont la France, des consoles de jeux, notamment les consoles Nintendo DS, Nintendo DS Lite, […], […], […], […], […], et des jeux vidéo, notamment « The Legend of Zelda : Breath of the Wild », « Splatoon 2 », « Super Mario Odyssey », « […] », « […] », «Pokémon Sun» « Pokémon Moon», « Pokémon Ultra Sun» et « Pokémon Ultra Moon ».

La société NCL revendique être, avec les sociétés japonaises The

Pokémon Company, Creatures F. et D E F., co-titulaire de droits d’auteur sur les jeux vidéo Pokémon.

La société NCL est par ailleurs titulaire des marques suivantes :

— la marque figurative de l’Union européenne n°3388477 enregistrée le 3 août 2005 notamment en classe 9 pour les « programmes téléchargeables » ; « jeux vidéo pour consommateurs » ; « programmes informatiques et autres programmes de jeux vidéo de consommation » ; « programmes téléchargeables et autres programmes pour ordinateurs personnels et autres ordinateurs » et « programmes informatiques et programmes de jeux portables avec un écran à cristaux liquides » :

Nintendo

— la marque figurative de l’Union européenne n°4112272 enregistrée le 22 septembre 2006 notamment en classe 9 pour les « jeux vidéo pour consommateurs » ; « programmes informatiques » ; « programmes de jeux vidéo de c0nsommal:on » et « programmes de jeux portables avec écrans à cristaux liquides » :

NINTENDËDS

— la marque verbale de l’Union européenne n°155135 « SUPER MARIO » enregistrée le 6 juillet 1999 notamment en classe 9 pour les « programmes pour appareils de jeux vidéo grand public » et « autres programmes pour ordinateurs » ; « cartes ROM, cartouches ROM, CD-ROM, DVD-ROM et autres programmes de stockage de supports pour appareils de jeux vidéo grand public » ; « programmes informatiques téléchargeables » ; _ « autres – programmes -pour ordinateurs » et « fichiers d’images téléchargeables » ;

— la marque figurative de l’Union européenne n°15148976 enregistrée le 4 août 2016 notamment en classe 9 pour les « programmes pour appareils de jeux vidéo de consommation » ; _ « programmes téléchargeables ou installables et données supplémentaires pour appareils de jeux vidéo de consommation » ; _ « programmes informatiques » et « programmes de jeux pour ordinateurs » :

— la marque figurative de l’Union européenne n°15148919 enregistrée le 29 juillet 2016 notamment en classe 9 pour les « programmes pour appareils de jeux vidéo de consommation » ; _ « programmes téléchargeables ou installables et données supplémentaires pour appareils de jeux vidéo de consommation » ; _ « programmes informatiques » et « programmes de jeux pour ordinateurs » :

— la marque verbale internationale désignant l’Union européenne n°1333221 « THE LEGEND OF ZELDA BREATH OF THE WILD » enregistrée le 17 août 2016 notamment en classe 9 pour les « Programmes pour appareils de jeux vidéo grand public » ; « supports électroniques de stockage comportant des programmes enregistrés pour appareils de jeux vidéo grand public » ; « programmes téléchargeables ou installables et données supplémentaires pour appareils de jeux vidéo grand” public » ; – « programmes informatiques » ; « programmes téléchargeables ou installables et données supplémentaires pour ordinateur » et « fichiers d’images téléchargeables » et « publications électroniques téléchargeables » ;

— la marque internationale désignant l’Union européenne n°1365208 « SUPER MARIO ODYSSEY » enregistrée le ler mars 2017 notamment en classe 9 pour les « Programmes pour appareils de jeux vidéo grand public » ; « supports électroniques de stockage comportant des programmes enregistrés pour appareils de jeux vidéo grand public » ; « programmes téléchargeables ou installables et données supplémentaires pour appareils de jeux vidéo grand public » ; « programmes informatiques » ; « programmes téléchargeables ou installables et données supplémentaires pour ordinateur » ; « fichiers d’images téléchargeables » et « publications électroniques téléchargeables » ;

— la marque verbale de l’Union européenne n°479931 « MARIO KART » enregistrée le 24 février 2000 notamment en classe 9 pour les « programmes informatiques » et « jeux » ;

— la marque verbale de l’Union européenne n° 13202841 « SPLATOON » enregistrée le 14 janvier 2015 notamment en classe 9 pour les «programmes pour appareils de jeux vidéo de consommation » ; « supports de stockage contenant des programmes pour appareils de jeux vidéo de consommation » ; « programmes pour appareils de jeux portables à écrans à cristaux liquides » ; « supports de stockage contenant des programmes pour appareils de jeux portables à affichages à cristaux liquides » ; _ « programmes téléchargeables ou installables et données supplémentaires pour appareils de jeux vidéo de consommation » ; _ « programmes téléchargeables ou installables et données supplémentaires pour appareils de jeux portables à écran à cristaux liquides » ; « programmes téléchargeables ou installables et données supplémentaires pour ordinateurs » ; « ordinateurs » ; « programmes informatiques » ; « programmateurs d’ordinateurs téléchargeables » et «supports de stockage contenant des programmes pour ordinateurs » ;

— la marque verbale de l’Union européenne n° 17429424 « Pokémon Ultra Sun » enregistrée le 2 mars 2018 notamment en classe 9 pour les « programmes pour appareils de jeux vidéo de consommation » ; « programmes téléchargeables ou installables et données supplémentaires pour appareils de jeux vidéo de consommation » ; « programmes pour appareils de jeux électroniques portables » ; « programmes téléchargeables ou installables et données supplémentaires pour ordinateurs » et « appareils de jeux vidéo de consommation » ;

 la marque verbale de l’Union européenne n° 17429457 « Pokémon Ultra Moon » enregistrée le 2 mars 2018 notamment en classe 9 pour les « programmes pour appareils de jeux vidéo de consommation » ; « programmes téléchargeables ou installables et données supplémentaires pour appareils de jeux vidéo de consommation » ; « programmes pour appareils de jeux électroniques portables » ; « programmes téléchargeables ou installables et données supplémentaires pour ordinateurs » et « appareils de jeux vidéo de consommation » ;

La SAS DSTORAGE, créée en 2009, propose des services d’hébergement et d’infrastructures techniques, ainsi qu’un service de stockage de données en ligne à travers le site internet l fichier.com. Elle expose que son modèle d’affaire est basé sur une offre dite « Freemium » qui consiste à fournir de manière gratuite une grande partie des services dégradés afin que l’utilisateur les teste avant de souscrire. Ainsi, un utilisateur peut stocker de manière gratuite des fichiers sur les serveurs lfichier.com pour une durée de stockage limitée. Pour que le stockage devienne permanent, l’utilisateur doit souscrire à une offre payante. La société DSTORAGE indique que ce service offre des garanties de sécurité d’accès, d’intégrité des données stockées et des possibilités de transfert de contenus volumineux non permises par les messageries électroniques dont la capacité d’envoi est limitée. Pour ce faire, l’internaute se voit remettre, pour chaque contenu déposé, un lien hypertexte sécurisé lui permettant d’accéder au contenu et éventuellement d’en permettre l’accès aux personnes de son choix. La société DSTORAGE propose également à ses clients de permettre l’accès aux contenus stockés sur ses serveurs depuis un site internet tiers ouvert au public, l’utilisateur pouvant alors communiquer le lien de téléchargement depuis une platefonne publique et sans restriction d’accès.

Les sociétés NCL, The Pokémon Company, Creatures F. et D E F. exposent adresser régulièrement à la société DSTORAGE des notifications relatives à des copies illicites de jeux vidéo qu’elles identifient comme étant hébergées sur ses serveurs. Ainsi, par lettre recommandée avec accusé de réception du 22 janvier 2018, elles ont notifié, par l’intermédiaire de leur conseil, à la société DSTORAGE l’existence de liens permettant le téléchargement de copies non autorisées de leurs jeux « […] », « Pokémon Sun » et « Pokémon Moon ».

La société DSTORAGE a indiqué par courriel du 22 janvier 2018 que les demanderesses avaient le choix entre engager une procédure en justice aux fins d’obtention d’une ordonnance constatant le caractère manifestement illicite des contenus visés ou suivre la procédure contractuelle offerte par la société DSTORAGE lui permettant de se prémunir contre toute demande de retrait abusif et pouvant, sous certaines conditions, permettre l’accès à son « Takedown tool » (outil de retrait).

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 30 janvier 2018, les sociétés NCL, The Pokémon Company, Creatures F. et D E F. ont maintenu, de nouveau par l’intermédiaire de leur conseil, leur demande de retrait des liens dirigeant vers des copies non autorisées de leurs jeux vidéo.

Elles ont également porté à la connaissance de la défenderesse des liens menant vers des copies non autorisées des jeux vidéo « The Legend of Zelda : Breath of the Wild », « Super Mario Odyssey », « […] », « Splatoon 2 », « Pokémon Ultra Sun » et « Pokémon Ultra Moon », et la société DSTORAGE a maintenu sa position par courriel du 30 janvier 2018 au motif que les contenus violant la propriété intellectuelle n’entrent pas dans le périmètre des contenus manifestement illicites.

Les liens litigieux étant toujours disponibles sur le site l fichier.com, les sociétés NCL, The Pokémon Company, Creatures F. et D E F. ont, par acte du 24 mai 2018, assigné la société DSTORAGE devant ce tribunal afin que soit établie sa responsabilité en tant qu’hébergeur de contenus.

Dans leurs conclusions n°5 notifiées par voie électronique le 18 février 2021, les sociétés NCL, The Pokémon Company, Creatures F. et D E F. demandent au tribunal, au visa de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, des articles 1240 du code civil, L. 335-2, L. 335-3, L.713-2, L. 713-3 et L. 716-1 du code de la propriété intellectuelle, 699 et 700 du code de procédure civile, L. 331-1-2 du code de la propriété intellectuelle, de :

— Recevoir l’intégralité des demandes, moyens et prétentions des sociétés Nintendo Co., Ltd., The Pokémon Company, Creatures F. et D E F. ;

— Constater que la société Dstorage a été dûment informée par les sociétés Nintendo Co., Ltd., The Pokémon Company, Creatures F. et D E F. de la présence de contenus illicites hébergés sur son site Internet https://1 fichier.com ;

— Constater que la société Dstorage n’a pas procédé promptement au retrait des contenus illicites portés à sa connaissance par les sociétés Nintendo Co., Ltd., The Pokémon Company, Creatures F. et D E F. et qu’elle ne peut donc se prévaloir de la limitation de responsabilité prévue à l’article 6-I-2 de la LCEN ;

— Dire et Juger qu’en ne tenant pas compte des mises en demeure et des signalements de contenus illicites adressés par les sociétés Nintendo Co., Ltd., The Pokémon Company, Creatures F. et D E F., ainsi que les informations portées à son attention dans l’assignation, les conclusions et les pièces, la société Dstorage, engage ainsi sa responsabilité sur le fondement de l’article 6-1-2 de la LCEN ;

— Dire et Juger que pour les mêmes raisons, la société Dstorage a commis une faute, ou à tout le moins une grave négligence fautive, engageant sa responsabilité civile délictuelle sur le fondement des dispositions de l’article 1240 du code civil ;

— Dire et Juger que la société Dstorage voit en conséquence sa responsabilité engagée dans les termes du droit commun de la contrefaçon des marques suivantes dont est titulaire la société Nintendo Co, Ltd. : marque de l’Union européenne n° 3388477 « Nintendo », marque de l’Union européenne n° 4112272 « Nintendo DS », marque de l’Union européenne n°155135 « Super Mario », marque de l’Union européenne n° 15148976 « PoKéMoN SUN», marque de l’Union européenne n° 15148919 « PoKéMoN MOON », marque internationale désignant l’Union européenne n° 1333221 « The Legend of Zelda : Breath of the Wild», marque internationale désignant l’Union européenne n° 1635208 « Super Mario Odyssey », marque de l’Union européenne n° 479931 « Mario Kart », marque de l’Union européenne

n° 13202841 « Splatoon », marque de l’Union européenne n° 17429424 « Pokémon Ultra Sun », marque de l’Union européenne n° 17429457 « Pokémon Ultra Moon » ;

— Dire et Juger que la société Dstorage voit en conséquence sa responsabilité engagée dans les termes du droit commun de la contrefaçon des droits d’auteur sur les jeux vidéo « […] », « Pokémon Sun », « Pokémon Moon », « The Legend of Zelda : Breath of the Wild », « Super Mario Odyssey », « Mario Kart 8 », « Splatoon 2 », « Pokémon Ultra Sun » et « Pokémon Ultra Moon» appartenant aux sociétés Nintendo Co., Lid., The Pokémon Company, Creatures F. et D E F. ;

En conséquence,

— Enjoindre la société Dstorage de retirer de son site Internet https://l fichier.com ou de bloquer l’accès aux contenus listés dans la présente assignation, et ce dans le délai de 48 heures à compter de la signification de la présente décision, sous astreinte de 1 000 (mille) euros par jour et par infraction à compter de 48 heures suivant la signification du jugement ;

— Dire que le tribunal sera compétent pour statuer, s’il y a lieu, sur la liquidation des astreintes qu’il a fixées ;

— Condamner la société Dstorage à payer aux sociétés Nintendo Co., Ltd., The Pokémon Company,

Creatures F. et D E F. la somme cumulée de 1 368 500 (un million trois-cent-soixante-huit mille cinq cents) euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes illicites perpétrés par Dstorage ;

— Subsidiairement, ordonner à la société Dstorage sous astreinte de 10 000 (dix mille) euros par jour de retard après une période de huit jours suivant la signification du jugement à intervenir, de communiquer tous documents ou informations permettant d’apprécier le nombre exact de téléchargements des fichiers notifiés par la société Nintendo Co., Lid. à la date du jugement à intervenir.

— Condamner la société Dstorage à payer à la société Nintendo Co., Ltd. la somme de 150 000 (cent cinquante mille) euros en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon de marques ;

— Ordonner à la société Dstorage de payer à la société Nintendo Co., Lid., la somme de 50 000 (cinquante mille) curos en réparation du préjudice subi du fait des atteintes à sa réputation ;

— Ordonner à la société Dstorage de fournir, sous astreinte de 10 000 (dix mille) euros par jour de retard après une période de quinze jours à partir de la date de signification du jugement à intervenir, les documents suivants, dont l’authenticité et la confonmité devra être certifiée par l’expert-comptable ou le commissaire aux comptes de Dstorage :

— Tout document attestant du nombre de fichiers téléchargés par les utilisateurs par lien litigieux notifié et identifié sur le site http:// l fichier.com ;

— Tout document attestant de l’identité des utilisateurs du site http://1 fichier.com ayant téléchargé les contenus litigieux ;

— Ordonner à Dstorage de publier dans son intégralité et à ses frais le jugement à intervenir, dans un délai de 24 heures à compter du prononcé du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 000 (cent mille) euros par jour de retard, sous la forme d’un document au format PDF reproduisant l’intégralité du jugement et accessible à partir d’un lien hypertexte apparent situé sur la page d’accueil du site internet https://lfichier.com/, quelle que soit sa version linguistique, le lien étant formulé de la manière suivante :

« PUBLICATION JUDICIAIRE :

Dstorage a été condamnée par le Tribunal de Grande Instance de Paris pour avoir porté atteinte à la propriété intellectuelle de Nintendo. » En tout état de cause,

— Condamner la société Dstorage à payer aux sociétés Nintendo Co., Lid., The Pokémon Company, Creatures F. et D E F. la somme de 400 000 (quatre cent mille) euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

— Condamner la société Dstorage aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Y Z selon les termes de l’article 699 du code de procédure civile, en ce y compris le remboursement des frais relatifs à l’expertise qui sera ordonnée par le tribunal ;

— Prononcer l’exécution provisoire du jugement à intervenir.

Dans ses conclusions aux fins de transmission de question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne notifiées par voice électronique le 22 février 2021, la société DSTORAGE demande au tribunal, au visa de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, des articles 11 et 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, de l’article 14 de la directive 2000/3 1/CE, et de l’article 6 de la loi n°575-2004 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, de :

— Transmettre à la Cour de justice de l’Union européenne la question préjudicielle suivante, relative à la conformité des articles 6.1-2 et 6.1-5 de la loi n°575-2004 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique à l’article 14 de la directive 2000/31/CE, aux articles 11 et 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et à l’article 17 de la directive 2019/790/CE :

«Au regard notamment des articles 11 (liberté d’expression et d’information), 16 (liberté d’entreprise) de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne :

1. La directive 2019/790/CE est-elle applicable à une activité qui consiste à fournir de l’espace de stockage permettant à tout un chacun d’héberger en ligne, gratuitement ou sur abonnement payant, des fichiers pouvant avoir n’importe quel contenu accessible, selon la seule volonté du fournisseur de contenu, par lui seul, par une communauté d’internautes qu’il délimite ou par le truchement de différents sites internet 

2. En cas de réponse négative, le régime de responsabilité des cyberlockers est-il régi par l’article 14 de la directive 2000/31/CE   3. En cas de réponse positive, cette disposition se distingue-t-elle des mécanismes de l’article 17 de la directive 2019/790/CE, la première conditionnant la responsabilité de l’hébergeur à la connaissance du caractère illicite d’un contenu alors que la seconde permet d’obliger un hébergeur à retirer un contenu sur la seule foi d’une présomption de connaissance 

4. En tout état de cause, la loi d’un état membre qui dispose qu’un hébergeur est présumé avoir connaissance du caractère litigieux d’un contenu qui lui est notifié par un titulaire de droits est-elle contraire au régime de responsabilité prévu par l’article 14 de la directive 2000/31/CE qui conditionne l’engagement des hébergeurs à la connaissance du caractère illicite du contenu 

5. En cas de réponse négative, la jurisprudence qui interprète la loi française comme permettant d’engager la responsabilité d’un hébergeur sur la seule base d’une présomption de connaissance du caractère litigieux est-elle contraire au droit de l’Union Européenne   »

— Surseoir à statuer jusqu’au rendu de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne.

Dans ses conclusions au fond n°7 notifiées par voie électronique le 24 février 2021, la société DSTORAGE demande au tribunal, au visa de l’article 6 de la LCEN, de la directive e-commerce du 8 juin 2000, de la décision 2004-496 DC du Conseil constitutionnel du 10 juin 2004 et de l’article 700 du code de procédure civile, de :

— confirmer que la société DSTORAGE est bien un hébergeur au sens de l’article 6-I-2 de la LCEN ;

— constater que la société DSTORAGE met en place une politique de retrait conforme à ses obligations d’hébergeur et aux lois en vigueur ; – dire et juger que les notifications fournies par la société NINTENDO ne permettent pas à la société DSTORAGE de disposer d’une connaissance de l’illicéité alléguée ;

— dire et juger que les conditions de mise en jeu de sa responsabilité ne sont donc pas réunies ;

— dire et juger qu’en de telles circonstances, la société DSTORAGE n’était pas tenue de retirer les contenus notifiés ;

En conséquence :

— rejeter les demandes de dommages et intérêts formulées par la société NINTENDO à l’encontre de la société DSTORAGE ;

— condamner la société NINTENDO à 20.000 euros au titre du préjudice moral subi par M. X, président de la société DSTORAGE, au titre de l’action manifestement abusive introduite par la société NINTENDO ;

— condamner la société NINTENDO à payer à la société DSTORAGE le somme de 400.000 (quatre cent mille) euros (montant calqué sur le montant réclamé par la société NINTENDO dans ses écritures n°4) en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner la société NINTENDO aux entiers dépens,

En tout état de cause,

— ne pas prononcer l’exécution provisoire.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 23 janvier 2020 et l’affaire fixée pour être plaidée le 14 mai 2020. Compte tenu de la situation sanitaire en France à compter du 17 mars 2020, l’audience de plaidoirie a été reportée au 17 septembre 2020. Le 3 août 2020, il a été fait droit à la demande de révocation de l’ordonnance de clôture formée par le conseil de la société DSTORAGE afin de lui permettre de conclure à nouveau sur la question prioritaire de constitutionnalité qu’il avait soulevée par conclusions du 25 octobre 2019 et l’affaire a été renvoyée à la mise en état. Par ordonnance du 12 février 2021, le juge de la mise en état a refusé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation et la procédure a été clôturée à nouveau le 25 février 2021 et l’affaire fixée pour être plaidée au 31 mars 2021.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est fait référence aux écritures précitées des parties, pour l’exposé de leurs prétentions respectives et les moyens qui y ont été développés.

MOTIFS DE LA DECISION

I- Sur la demande de transmission de questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne

La société DSTORAGE demande au tribunal de transmettre cinq questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne, celles-ci concernant l’application du droit de l’Union européenne dès lors que l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (ci-après « la LCEN »), invoqué en la cause, est issu de la transposition de l’article 14 de la directive 2000/31/CE et visant également l’application des articles 11, 16 et 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Elle souligne que la question du retrait des contenus illicites intéresse l’ensemble des pays membres et que les questions dont elle demande la transmission présentent par conséquent un intérêt pour l’application uniforme du droit de l’Union européenne. Elle ajoute que la directive 2019/790/CE fait peser sur les hébergeurs la charge de la preuve que les mesures mises en place les ont conduit à considérer que le contenu était bien licite et qu’il ne peut être exigé une telle preuve sous l’empire de la directive 2000/3 1/CE. Or, c’est exactement le mécanisme de responsabilité que les demanderesses souhaitent lui voir appliquer dans le présent litige, pendant devant le tribunal de céans depuis 2018, alors que seule la directive 2000/3 1/CE peut trouver à s’appliquer. Elle rappelle que si la Cour de justice de l’Union européenne a eu à plusieurs reprises l’occasion de se prononcer sur l’article 14 de la directive 2000/3 1/CE, tout comme sur les articles 11, 16 et 49 de la Charte des droits fondamentaux, elle n’a jamais clarifié ce qu’il faut entendre par « connaissance effective » au sens de l’article 14 précité, ni statué sur la capacité d’une simple notification, non assortie d’une décision de justice, à assurer cette connaissance effective en matière de droit d’auteur.

Elle en déduit que la présente affaire présente une question d’interprétation nouvelle et sérieuse, non résolue par la jurisprudence existante de la Cour de justice de l’Union européenne, et invoque un risque d’inconventionnalité si le tribunal venait à suivre l’argumentation des demanderesses.

Les demanderesses n’ont pas conclu en réponse sur cette demande de transmission de questions préjudicielles mais ont, par courrier du 24 février 2021 transmis par voie électronique, sollicité le rejet des conclusions de la société DTSORAGE qu’elles considèrent tardives pour avoir été notifiées le 22 février 2021 alors que la clôture de la procédure devait intervenir, comme annoncé aux parties par le juge de la mise en état, le 25 février 2021, et que le calendrier fixé par celui-ci ne prévoyait pas la possibilité de signifier d’autres conclusions qu’en réponse au fond après rejet de la demande de la défenderesse de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité par ordonnance du 12 février 2021.

Sur ce,

L’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne dispose que « La Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel :

a) sur l’interprétation des traités,

b) sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union.

Lorsqu’une telle question est soulevée devant une juridiction d’un des Etats membres, cette juridiction peut, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question. (…) »

Par ailleurs, il résulte de l’article 15 du code de procédure civile que « Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense ».

Enfin, conformément à l’article 16 du même code, « Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoquées ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.

Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ».

En l’espèce, la société DSTORAGE a évoqué pour la première fois et de façon succincte la possibilité de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne dans ses conclusions au fond n°3 signifiées le 29 mai 2019, puis dans ses conclusions au fond n°4 du 25 octobre 2019 et n°5 du 16 septembre 2020, sans toutefois formuler de demande à ce titre dans le dispositif de ses écritures. Le 31 octobre 2019, elle a, par conclusions distinctes, formulé une demande de transmission de question prioritaire de constitutionnalité. Une première ordonnance de clôture est intervenue le 23 janvier 2020, révoquée le 3 août 2020 afin de permettre à la société DSTORAGE de conclure à nouveau sur sa demande de transmission de question prioritaire de constitutionnalité, ce qu’elle a fait les 16 septembre 2020 puis le 7 janvier 2021, le juge de la mise en état ayant rejeté cette demande par ordonnance du 12 février 2021. Dans ses conclusions au fond n°6 notifiées le 3 février 202 1, la société DSTORAGE ne faisait plus référence à la transmission d’une question préjudicielle, pas plus que dans ses conclusions au fond n°7 notifiées par voie électronique le 18 février 2021 et ce n’est que le 22 février 2021, alors que le juge de la mise en état avait indiqué aux parties dès le 7 janvier 2021 que la clôture interviendrait le 25 février 202 1, que la défenderesse a saisi pour la première fois le tribunal d’une demande de transmission de questions préjudicielles. Il résulte donc de cette chronologie que la défenderesse a envisagé dès ses conclusions du 29 mai 2019 la possibilité de solliciter la transmission de questions préjudicielles mais qu’elle ne l’a cependant fait que trois jours avant la date annoncée pour le prononcé d’une seconde ordonnance de clôture un peu moins de deux ans plus tard et après le rejet de sa demande de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les mêmes dispositions de la loi LCEN, applicables au présent litige. La signification tardive de ces nouvelles conclusions ne permettait pas aux demanderesses de répliquer utilement et d’organiser leur défense au regard des nouveaux points de droit développés par la société DSTORAGE et seront par conséquent rejetées.

II- Sur la responsabilité de la société DSTORAGE

Les sociétés NCL, The Pokémon Company, Creatures F. et D E F. soutiennent que le site internet https://1 fichier.com est connu comme l’hébergeur le plus utilisé par les pirates français, en particulier en ce qui concerne l’hébergement de copies non autorisées de jeux vidéo et que quasiment tous les sites de piratage indexent ou indexaient des liens dirigeant vers lfichier.com. Elles exposent que la société DSTORAGE a fait l’objet de plusieurs procédures judiciaires en France et à l’étranger en raison des contenus illicites hébergés sur son site internet, et notamment des jeux vidéo. Son président, et administrateur du site lfichier.com, fait actuellement l’objet de poursuites pénales devant le tribunal correctionnel de Nancy, qui font suite aux plaintes d’une dizaine de sociétés titulaires de droits et d’organismes de gestion collective, la décision ayant été mise en délibéré au 23 avril 202 1.

Les demanderesses font valoir que la société DSTORAGE offre aux utilisateurs du site https://l fichier.com des services de stockage et de partage et héberge sur ses serveurs et met à disposition des tiers des reproductions intégrales des jeux vidéo Nintendo sans l’autorisation des demanderesses, commettant à la fois des actes de reproduction et de communication au public de copies non autorisées de jeux vidéo Nintendo, comme établi dans les constats d’huissier versés aux débats. Elles ont recensé en pages 22 à 28 de leurs conclusions les fichiers litigieux.

Elles exposent que les marques dont est titulaire la société NCL sont reproduites dans le nom des fichiers téléchargés grâce aux liens hébergés par la société DSTORAGE et dans les fichiers téléchargés eux-mêmes, c’est-à-dire les copies non autorisées des jeux vidéo Nintendo. La reproduction à l’identique ainsi que l’usage des marques de la société NCL, afin d’identifier des produits identiques illicites, sur un site exploité commercialement, portent ainsi atteinte à la distinctivité de ces marques et constituent des actes de contrefaçon.

Par ailleurs, les demanderesses soutiennent exploiter commercialement sous leurs noms les jeux vidéo Nintendo et, en l’absence de revendication d’un tiers, elles entendent bénéficier, à l’égard des tiers contrefacteurs, de la présomption de titularité de droits d’auteur sur ces œuvres. Elles explicitent les caractéristiques justifiant selon elles de l’originalité de chacun des jeux vidéos en cause.

D’après elles, la défenderesse avait parfaitement connaissance du caractère illicite des contenus qui lui avaient été notifiés ou du moins de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère, du fait des notifications en date des 22 et 30 janvier 2018, lesquelles contenaient toutes les informations requises par la LCEN afin de lui permettre d’être informée des droits des demanderesses et des atteintes dénoncées. Le caractère manifestement illicite des contenus notifiés ne fait aucun doute tant les titres des fichiers parlent d’eux-mêmes, de même que les liens indexés sur les sites de piratage, puisqu’ils incluent les titres de jeux litigieux et indiquent souvent que ces jeux sont des copies pouvant être téléchargées gratuitement.

Le refus de déférer à leurs demandes leur apparaît d’autant plus incohérent que, par le passé, la défenderesse a déjà retiré des copies non autorisées de jeux vidéo Nintendo à la suite de notifications qu’elles avaient envoyées.

Elles en déduisent que la société DSTORAGE a engagé sa responsabilité en tant qu’hébergeur.

La société DSTORAGE oppose pour l’essentiel que la procédure de notification prévue par l’article 6-1-5 de la LCEN ne permet pas de dénoncer une atteinte à la propriété intellectuelle, dès lors que les contenus désignés comme violant des droits de propriété intellectuelle ne peuvent être considérés comme manifestement illicites et qu’une notification ne peut donc contraindre un hébergeur à les retirer. Il s’agit d’une particularité de la loi française et, contrairement à la loi américaine, l’envoi d’une notification n’implique pas un retrait de droit du contenu dénoncé. Cette vision de la procédure de retrait qui s’est répandue contra legem permet ainsi d’asseoir la position dominante des GAFAM qui se contentent parfaitement de l’application à l’international de leur droit national. Elle souligne que cette méthode est peu efficace dès lors qu’elle permet seulement de postuler au retrait d’un contenu sans empêcher la réitération de sa mise en ligne, possibilité pourtant offerte par l’article 6-I-8 de la LCEN dès lors que l’autorité judiciaire s’est préalablement prononcée sur l’illicéité.

Elle rappelle qu’elle propose aux ayants droit, dès lors qu’ils en acceptent le principe et la responsabilité en découlant par contrat, une interface de retrait en ligne, accessible depuis n’importe quel navigateur internet permettant d’obtenir une retrait des contenus efficace, rapide, et gratuit, qui lui permet de se prémunir contre un retrait abusif mais que les demanderesses refusent d’utiliser depuis 2016.

Par ailleurs, la société DSTORAGE fait valoir que les notifications envoyées par les sociétés en demande ne répondent pas aux conditions énoncées par l’article 6-I-5 de la LCEN, étant incomplètes quant à l’identité du notifiant et en l’absence de justification de contact avec l’éditeur du contenu. La charge de la preuve de l’illicéité des contenus dénoncés incombe donc aux demanderesses qui échouent dans cette démonstration, les conditions permettant de caractériser une contrefaçon de marques n’ayant pas été respectées (preuve de l’usage dans la vie des affaires et d’une atteinte à une fonction essentielle de la marque) et l’atteinte aux droits d’auteur revendiqués n’étant pas rapportée (absence de démonstration de l’originalité et de la matérialité de la violation dans les notifications adressées par les demanderesses). Par conséquent, la responsabilité des actes de contrefaçon dont les demanderesses s’estiment victimes ne peut être imputée à la société DSTORAGE.

Sur ce,

Il n’est pas contesté que la société DSTORAGE, qui offre un service de stockage de données, a la qualité d’hébergeur, de sorte que sa responsabilité est régie par l’article 6-I1-2 de la LCEN qui dispose que « Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère manifestement illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible ».

Conformément à l’article 6-I-5 de cette loi, dans sa version en vigueur en janvier 2018, « La connaissance des faits litigieux est présumée acquise par les personnes désignées au 2 lorsqu’il leur est notifié les éléments suivants :

— la date de la notification ;

— si le notifiant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ; si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l’organe qui la représente légalement ;

— les nom et domicile du destinataire ou, s’il s’agit d’une personne morale, sa dénomination et son siège social ;

— la description des faits litigieux et leur localisation précise ;

— les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits ;

— la copie de la correspondance adressée à l’auteur ou à l’éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l’auteur ou l’éditeur n’a pu être contacté ».

La société DSTORAGE, se référant à la décision 2004-496 du Conseil Constitutionnel du 10 juin 2004 ayant statué sur la conformité à la Constitution de l’article 6 de la LCEN, à la jurisprudence française, aux communications du rapporteur spécial de l’Organisation des Nations Unies des 21 décembre 2005 et 16 mai 2011, aux travaux parlementaires ayant précédé l’adoption de la LCEN, à l’article 59 de la directive 2001/29/CE visant à harmoniser la législation des Etats membres en matière de droit d’auteur et de droits voisins dans la société de l’information, de l’article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle, de la position du syndicat de la magistrature du 6 juillet 2016 (mission d’information de la commission des lois du Sénat relative à la loi du 29 juillet 1881 et internet), de l’article 17 de la directive droit d’auteur sur le marché unique adoptée par le Parlement européen le 27 mars 2019 et de la décision 2020-801 du Conseil Constitutionnel du 18 juin 2020 ayant statué sur la conformité à la Constitution de la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, soutient que les contenus portant atteinte aux droits de propriété intellectuelle, dont l’appréciation du bien-fondé est parfois complexe, ne peuvent être considérés comme manifestement illicites, contrairement aux contenus les plus graves tels que la pédopornographie, l’apologie ou la provocation à des actes de terrorisme ou aux crimes contre l’humanité, l’incitation à la haine raciale, en raison de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre, du handicap ou religieuse, et qu’ils ne peuvent de ce fait être dénoncés par voie de simple notification à un hébergeur de contenus, une décision de justice devant intervenir au préalable et apprécier leur caractère illicite.

Cependant, si les contenus dont il est allégué qu’ils portent atteinte aux droits de propriété intellectuelle ne peuvent être systématiquement considérés comme ayant un caractère manifestement illicite du fait de la complexité des règles gouvernant ce type de propriété, notamment en matière de droit d’auteur, ils ne peuvent pour autant être exclus par principe du domaine de la responsabilité des hébergeurs si les ayants droit justifient suffisamment de cette illicéité manifeste ou de faits et circonstances faisant apparaître celle-ci, en portant à la connaissance des hébergeurs les droits qu’ils estiment bafoués. La connaissance que peuvent avoir les hébergeurs de contenus de leur illicéité manifeste est quant à elle présumée dès lors qu’une notification respectant les conditions posées par l’article 6-I-5 de la LCEN leur a été adressée, une telle notification ne pouvant, au regard des mentions devant obligatoirement y figurer (description du contenu litigieux et motifs légaux, notamment), être interprétée comme nécessitant une décision de justice préalable.

Par ailleurs, la mise en place par la société DSTORAGE d’une procédure contractuelle de retrait des contenus, optionnelle, n’est pas de nature à lui permettre de se soustraire au régime de la responsabilité des hébergeurs de contenus tel que défini dans l’article 6 de la loi LCEN et sur la base duquel les demanderesses fondent leur action dans la présente procédure.

Enfin, si le tribunal doit apprécier le bien-fondé de la présente action, il ne lui appartient pas de porter un jugement sur le choix procédural des demanderesses au regard de l’efficacité du retrait des contenus dont l’illicéité manifeste est alléguée et de la possibilité que des contenus similaires soient de nouveau mis en ligne à l’avenir.

Il est donc nécessaire, au cas présent, d’examiner si les deux notifications adressées par les demanderesses sont conformes aux dispositions de l’article 6-I-5, le fait que la société DSTORAGE n’a pas procédé au retrait des données demandé ou n’en a pas rendu l’accès impossible n’étant pas discuté.

— caractère incomplet des notifications

La société DSTORAGE invoque le caractère flou de la désignation du notifiant, les notifications en cause n’ayant pas été adressées par les demanderesses elles-mêmes mais par des sociétés tierces, EEUROPE .de, Sonopress GmbH, Mbargo, qui ne justifient pas disposer d’un mandat pour ce faire. Toutefois, les notifications des 22 et 30 janvier 2018 (pièces 25 et 27 NINTENDO) ont été adressées par lettre recommandée avec accusé de réception et par courriel directement par le conseil des sociétés demanderesses et non par des sociétés dont l’activité est consacrée à la notification en masse de demandes de retrait de contenus illicites et comportent, conformément aux dispositions de l’article 6-1-5 de la LCEN, les mentions de la forme sociale et de la dénomination sociale des personnes morales procédant à la notification ainsi que de l’adresse électronique de leur conseil.

Par ailleurs, la société DSTORAGE fait valoir que les demanderesses n’ont pas justifié dans leurs notifications de ce que l’auteur ou l’éditeur n’a pu être contacté. Cependant, ces notifications indiquent toutes deux que « En outre, les personnes ayant mis en ligne les contenus litigieux ne sont pas identifiées sur votre site internet « » et, faute d’identification possible, il ne peut être reproché aux demanderesses de ne pas indiquer les raisons pour lesquelles l’auteur ou l’éditeur des contenus litigieux n’a pu être contacté, celles-ci apparaissant évidentes, ni d’avoir envoyé leur demande de retrait à l’hébergeur de contenus sans avoir obtenu au préalable une réponse de l’auteur ou de l’éditeur.

La société DSTORAGE sera donc déboutée de ses demandes tenant au caractère incomplet des notifications des 22 et 30 janvier 2018.

— démonstration de l’illicéité des contenus dénoncés

Les demanderesses ont, dans leurs notifications des 22 et 30 janvier 2018, indiqué que « tous les Jeux Vidéo Nintendo et Consoles de jeux Nintendo sont protégés par des droits d’auteur. Les droits d’auteur sur les Jeux Vidéo Nintendo appartiennent soit exclusivement à NCL, soit ils sont codétenus par NCL et les sociétés Pokémon » et que « La reproduction et la mise à disposition du public des Jeux Vidéo Nintendo sans l’autorisation de NCL et des sociétés POKEMON sont constitutives de contrefaçon des DPIs de NCL et, le cas échéant, des sociétés POKEMON, ainsi que de plusieurs infractions pénales prévues par le Code de la propriété intellectuelle (ci-après « CPI »), en ce compris notamment la contrefaçon de logiciels et de droits d’auteur (article L. 335-2 et 3 du CPI) ». Elles ne justifiaient cependant pas de leur titularité de droits d’auteur, en particulier de la présomption de titularité dont elles entendent bénéficier en tant que personnes morales, ni de l’éligibilité des jeux vidéos Nintendo à la protection par le droit d’auteur, se limitant à en affirmer le principe, ni de ce que les fichiers téléchargeables et stockés sur le site lfichier.com exploité par la défenderesse constituaient la contrefaçon des jeux vidéos sur lesquels elles revendiquent la protection par le droit d’auteur. Ce n’est que dans leurs conclusions au fond n°4 notifiées par voie électronique le 7 novembre 2020 que les demanderesses ont caractérisé l’originalité des jeux vidéos en cause, les rendant selon elles éligibles à la protection par le droit d’auteur, et les procès-verbaux de constat d’huissier relatifs au contenu litigieux des fichiers téléchargeables soit n’ont pas été communiqués à l’appui des notifications des 22 et 30 janvier 2018 (pièce 30 Nintendo, constat du 18 janvier 2018), soit ont été établis postérieurement à ces notifications (pièces 29, 54c et 54d Nintendo, constats des 14 et 16 février 2018, des 29 mai et 1er juin 2019 et des ler et 2 octobre 2019). Faute pour les demanderesses d’avoir communiqué à la société DSTORAGE les éléments et pièces établissant la titularité de leurs droits d’auteur, ainsi que la violation de ceux-ci, elles n’ont pas suffisamment établi les faits et circonstances faisant apparaître le caractère manifestement illicite des contenus dont elles demandaient le retrait en raison de la violation de leurs droits d’auteur.

En revanche, il résulte des notifications des 22 et 30 janvier 2018, notamment des tableaux annexés, que les demanderesses ont indiqué que les marques « Nintendo », « Nintendo DS», « Mario Kart », « Pokémon Moon», «Pokémon Sun», « Pokémon Ultra Moon », « Pokémon Ultrasun », « Splatoon », « Super Mario Odyssey » et « The Legend of Zelda Breath of the Wild » dont est titulaire la société NCL, désignées par leur numéro d’enregistrement, étaient reproduites dans des liens permettant de télécharger des fichiers dont il n’est pas contesté qu’ils contiennent des jeux vidéos, et ce sans l’autorisation de leur titulaire. Le caractère contrefaisant de certains de ces liens était au demeurant manifeste dès lors qu’ils comportaient, outre la reproduction des marques dont est titulaire la société NCL, des mentions telles que «spoofcd» (usurpé), ou «D frec download» (téléchargement gratuit de jeu). Ces notifications mentionnaient également les fondements légaux relatifs à la contrefaçon de marque justifiant du retrait des contenus litigieux ou de la mise en place de mesures les rendant inaccessibles. Dès lors, les demanderesses ont notifié à la société DSTORAGE la description des contenus litigieux, leur localisation précise sous la forme de liens et de l’adresse des fichiers, ainsi que les motifs légaux pour lesquels ces contenus litigieux devraient être retirés ou rendus inaccessibles, satisfaisant ainsi aux dispositions de l’article 6-I-5 de la LCEN.

La défenderesse ne conteste pas avoir été destinataire de ces notifications auxquelles elle a répondu par courriels des 22 et 30 janvier 2018, refusant de faire droit aux demandes de retrait (pièces 26 et 28 Nintendo). Elle avait donc connaissance de ce que des contenus manifestement illicites étaient stockés sur l fichier.com et n’a pas agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible. Dès lors que la présente action n’est pas fondée sur les dispositions relatives à la contrefaçon de marque mais sur le régime de responsabilité propre aux hébergeurs de contenus, la démonstration d’un usage dans la vie des affaires, par la société DSTORAGE, des marques dont la société NCL est titulaire, et de l’atteinte à la fonction de garantie d’origine de ces marques n’est pas nécessaire pour établir la responsabilité de la défenderesse, l’hébergeur de contenus engageant sa responsabilité civile délictuelle dès lors qu’il a commis une faute consistant à ne pas retirer promptement un contenu stocké qu’il sait manifestement illicite, plus particulièrement après avoir reçu une notification signalant ce contenu.

Par conséquent, en ne procédant pas au retrait des contenus ou en ne les rendant pas accessibles alors qu’elle avait connaissance des faits et circonstances faisant apparaître leur caractère manifestement illicite, la société DSTORAGE a engagé sa responsabilité en application de l’article 6-I-2 de la LCEN.

I11- Sur les mesures réparatrices

Les demanderesses sollicitent en réparation de leur préjudice la somme de 1 368 500 euros, sur la base du nombre de téléchargements réussis de jeux vidéos Nintendo sur le site lfichier.com, estimé à 170 000 sur la période allant du 7 juin 2017 au 15 février 2018 et du prix de vente moyen (hors taxes) pour les jeux vidéo Nintendo qui est de 40,80 euros, sur lequel les demanderesses réalisent une marge, dans la zonc Europe pour chacun des jeux vidéo Nintendo litigieux et pour la période comprise entre l’année financière 2017 et l’année financière 2019, qui n’est pas inférieure à 1000 yens, soit environ 8,05 euros. Subsidiairement, les demanderesses sollicitent du tribunal qu’il enjoigne à la société DSTORAGE, sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard passé un délai de huit jours suivant la signification du présent jugement, de communiquer tous documents ou informations permettant d’apprécier le nombre exact de téléchargements des fichiers notifiés par les demanderesses à la date du présent jugement.

Par ailleurs, la société NCL dit avoir subi une atteinte à l’image de ses marques du fait de leur reproduction par la défenderesse, dont elle sollicite la réparation à hauteur de 150 000 euros.

En outre la société NCL soutient avoir souffert d’une atteinte à sa réputation du fait de l’hébergement en ligne de copies de ses jeux vidéo par la société DSTORAGE dans la mesure où les jeux vidéo Nintendo authentiques ne peuvent être licitement téléchargés que sur la boutique en ligne Nintendo. Par conséquent, la défenderesse devra être condamnée au paiement d’une indemnité de 50 000 euros.

Enfin, les demanderesses sollicitent le retrait du site https:// 1 fichier.com ou le blocage de l’accès aux contenus litigieux, et ce dans le délai de 48 heures à compter de la signification de la présente décision, sous astreinte de 1 000 euros par jour et par infraction passé un délai de 48 heures suivant la signification du jugement ainsi que la publication du présent jugement.

La société DSTORAGE conteste le préjudice dans son principe, les demanderesses étant responsables du préjudice qu’elles subissent en refusant d’utiliser la solution technique qu’elle leur a proposée, disponible en ligne, 7)./7 et 24h/24, gratuite et qui leur aurait permis, sous réserve d’en assumer la responsabilité, de retirer les contenus, ainsi que dans son calcul, lequel ne repose selon elle sur aucune base factuelle et est erroné, en ce que les demanderesses considèrent que les téléchargements constatés auraient dû tous aboutir à un acte d’achat de la part des utilisateurs du service l fichier.com.

Sur ce,

La société DSTORAGE ayant commis une faute engageant sa responsabilité civile, la réparation des préjudices que les demanderesses disent avoir subi obéit aux règles de l’article 1240 du code civil et nécessite que soit rapportée la preuve desdits préjudices et l’existence d’un lien de causalité avec la faute commise par la défenderesse. Il ne peut donc être fait application ni des dispositions des articles L. 33 1-1-3 et L.716-4-10 du code de la propriété intellectuelle relatives à l’évaluation du préjudice résultant de la contrefaçon de droit d’auteur et de marque, ni de celles relatives au droit d’information qui ne pourraient s’appliquer que si la responsabilité de la société DSTORAGE était engagée au titre de la contrefaçon de droits de propriété intellectuelle.

En l’espèce, le non retrait des contenus litigieux a permis aux utilisateurs de procéder gratuitement à des téléchargements de jeux vidéos (pièces 54c et 54d Nintendo) qui ne sont disponibles en principe qu’à l’achat sur le site internet et la boutique en ligne Nintendo. Les demanderesses justifient de ce que la marge moyenne réalisée sur les jeux vidéos en cause est de 8,05 euros (pièce 51 Nintendo, attestation de Y. J, conseiller juridique sénior en charge des droits de propriété intellectuelle de la société Nintendo of Europe GmbH, filiale à 100% de la société NCL). Le nombre de téléchargements réalisés est évalué par les demanderesses à 170 000 entre le 7 juin 2017 et le 15 février 2018 (pièce 22 Nintendo, attestation d’Alexander BENESCH, conseiller juridique sénior en charge des droits de propriété intellectuelle) et, si la société DSTORAGE conteste cette évaluation, elle n’indique ni le nombre réel de téléchargements réalisés au moyen des liens litigieux, ni ne propose une autre méthode de calcul. Dès lors, les demanderesses ne pouvant, dans le cadre d’une action en responsabilité engagée sur le fondement des articles 6 de la LCEN cet 1240 du code civil, solliciter un droit d’information portant sur le nombre de téléchargements des fichiers objets des notifications des 22 et 30 janvier 2018, le tribunal tiendra pour acquis que la base de 170 000 téléchargements est exacte. Il ne peut cependant être considéré que l’ensemble des utilisateurs ayant procédé à un téléchargement grâce aux liens litigieux aurait acquis ces jeux sur la boutique en ligne Nintendo et le tribunal retiendra que 110 000 téléchargements ont ainsi été effectués.

Par conséquent, la société DSTORAGE sera condamnée à payer la somme de 8,05 x 110 000, soit 885 500 euros, à la société NCL en réparation du préjudice commercial qu’elle a subi, les autres sociétés en demande ne commercialisant pas les jeux vidéo en cause.

De plus, le non retrait des liens d’accès aux fichiers hébergés sur le site l fichier.com reproduisant les marques dont est titulaire la société NCL a nécessairement porté atteinte aux droits qu’elle détient sur celles-ci, lui causant un préjudice qui, compte tenu du nombre de liens (plus de 200 selon conclusions des demanderesses, pages 22 à 28), et de la durée de leur maintien à la disposition du public, depuis le mois de janvier 2018 et jusqu’à ce jour, sera réparé à hauteur de la somme de 50 000 euros que la société DSTORAGE sera condamnée à payer à la société CL.

La société NCL, qui dit avoir également subi une atteinte à sa réputation du fait de l’hébergement en ligne de copies des jeux vidéo qu’elle commercialise, ne rapporte cependant pas la preuve du préjudice qu’elle allègue, les utilisateurs ayant eu recours aux liens d’accès litigieux ne pouvant se méprendre sur le fait qu’ils ne procédaient pas au téléchargement des jeux vidéo en cause depuis la boutique en ligne Nintendo ni que ceux-ci étaient mis à disposition avec le consentement de la société NCL.

Enfin, il sera fait droit à la demande de retrait des contenus litigieux, accessibles depuis les liens recensés dans les conclusions n°5 des demanderesses en pages 22 à 28, et de publication du présent jugement selon modalités figurant dans le dispositif ci-dessous.

IV- Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêt de la société DSTORAGE

La société DSTORAGE soutient que A X, en sa qualité de président, subit un préjudice moral important dû au stress généré par une assignation qui, à l’analyse, s’avère dilatoire. A l’aune des échanges préalables entre les parties au litige au cours desquels la société DSTORAGE n’a cessé d’orienter les demanderesses vers une solution technique conforme à l’article 6-1-5 de la LCEN, elle demande au tribunal de condamner également la société NCL à la réparation de ce préjudice moral à la hauteur de 20.000 euros.

Cependant, outre que la société DSTORAGE ne peut demander réparation du préjudice subi par une personne tierce à la présente procédure, le tribunal a fait droit en grande partie aux demandes formées par les sociétés NCL, The Pokémon Company, Creatures F. et D E F., de sorte que l’action qu’elles ont engagée ne peut être considérée comme dilatoire. La société DSTORAGE sera donc déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

V- Sur les autres demandes

Les demanderesses relèvent que la société DSTORAGE a utilisé tous les moyens procéduraux disponibles pour retarder la présente procédure, notamment en signifiant six jeux de conclusions, en soulevant des questions prioritaires de constitutionnalité et des questions préjudicielles, en demandant la réouverture des débats et en imputant indûment au juge de la mise en état un « déni de justice ». Ce comportement a nécessité une quantité de travail très importante de la part des demanderesses afin de faire valoir leurs droits. Elles sollicitent par conséquent la somme de 400 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et la condamnation de la société DSTORAGE aux dépens, en ce y compris le remboursement des frais relatifs à l’expertise qui sera ordonnée par le tribunal.

La société DSTORAGE demande au tribunal de condamner la société NINTENDO à lui payer la somme de 400.000 euros, montant qu’elle dit avoir calqué sur celui réclamé par les demanderesses dans leurs écritures, en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Sur ce,

La société DSTORAGE, qui succombe, supportera les dépens et ses propres frais. Maître Y Z sera autorisé à recouvrer directement ceux des dépens dont il a fait l’avance sans en avoir reçu provision, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, la partie tenue aux dépens ou à défaut, la partie perdante, est condamnée au paiement d’une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, en tenant compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée.

La société DSTORAGE sera condamnée à payer aux demanderesses la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’exécution provisoire apparaît nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire et sera donc ordonnée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement, par jugement contradictoire, mis à disposition au greffe et en premier ressort,

REJETTE les conclusions aux fins de transmission de questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne notifiées par la SAS DSTORAGE par voie électronique le 22 février 2021,

DIT que les sociétés Nintendo Co., Lid., The Pokémon Company, Creatures F. et D E F. ont valablement notifié les 22 et 30 janvier 2018 à la SAS DSTORAGE la présence sur son site internet https://lfichier.com de contenus manifestement illicites car portant atteinte aux droits dont la société Nintendo Co., Ltd. est titulaire sur les marques de l’Union européenne n°3388477, n°4112272, n°15148976, n°155135, n°15148919, n°479931, n°13202841, n°17429424 et n°17429457 et les marques internationales désignant l’Union européenne n°1333221 et n° 1365208,

DIT qu’en n’agissant pas promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible, la SAS DSTORAGE a engagé sa responsabilité civile en tant qu’hébergeur de contenus,

ORDONNE à la SAS DSTORAGE de retirer de son site internet https://1 fichier.com ou de bloquer l’accès aux contenus listés dans les tableaux figurant en pages 22 à 28 des conclusions n°5 des demanderesses, figurant en annexe du présent jugement et faisant partie de la minute de celui-ci, et ce dans le délai de 48 heures à compter de la signification de la présente décision, et ce sous astreinte de 1 000 euros par jour, l’astreinte courant sur six mois,

CONDAMNE la SAS DSTORAGE à payer à la société Nintendo Co., Lid la somme de 885 500 euros en réparation de son préjudice commercial et la somme de 50 000 euros en réparation de l’atteinte aux marques dont elle est titulaire,

DÉBOUTE la société Nintendo Co., Lid de sa demande en réparation du préjudice subi du fait des atteintes à sa réputation,

ORDONNE la publication de l’insertion suivante extraite du présent jugement :« Par décision en date du 25 mai 2021, le tribunal judiciaire de Paris a jugé que la société DSTORAGE , qui exploite le site internet lfichier.com, a engagé sa responsabilité en tant qu’hébergeur de contenus en ne procédant pas au retrait de contenus illicites malgré les notifications effectuées par les sociétés Nintendo Co., Ltd., The Pokémon Company, Creatures F. et D E F. et l’a condamnée à payer à la société NINTENDO Co Ltd, les sommes de 885500 euros et de 50000 euros en réparation de ses préjudices. »

DIT qu’il sera procédé à cette publication sur un espace égal à un quart de l’écran et en-dessus de la ligne de flottaison, sans mention ajoutée, en police de caractères « Times New Roman », de taille 12, droits, de couleur noire et sur fond blanc, pendant une durée de 60 jours, passé le délai de 48 heures à compter de la signification du présent jugement, le texte devant être précédé de la mention « COMMUNICATION JUDICIAIRE » en lettres capitales de taille 14, aux seuls frais de la SAS DSTORAGE, et ce, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard, l’astreinte courant sur une durée de deux mois ;

DIT que le tribunal se réservera la liquidation des astreintes, CONDAMNE la SAS DSTORAGE à payer aux sociétés Nintendo Co., Lid., The Pokémon Company, Creatures F. et D E F. la somme de 15 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la SAS DSTORAGE aux dépens, dont distraction au profit de Maître Y Z, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

ORDONNE l’exécution provisoire.

Fait et jugé à Paris le 25 mai 2021

La Greffière La Présidente


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