Contrefaçon d’application mobile : La Poste condamnée

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Contrefaçon d’application mobile : La Poste condamnée
Ce point juridique est utile ?

Le groupe La Poste a écopé d’une condamnation de près de 150 000 euros pour contrefaçon d’une « brique logicielle » de la société LUNDI MATIN utilisée pour concevoir l’application mobile « Genius App ».

Contrefaçon par l’application « Genius »

Il était  établi que l’application « Genius » mise en ligne sur le PlayStore de Google utilisait, à tout le moins jusqu’au 13 décembre 2017, le logiciel RoverCash de la société LUNDI MATIN, peu important la version de ce dernier ou même la version de « Genius App ».

Peu important par ailleurs que la reproduction du logiciel RoverCash s’effectue directement au sein du code source de « Genius » ou par simple appel de sa bibliothèque, via du code source original créé spécialement par la défenderesse pour utiliser celle-ci, cette dernière option, qui ne vise qu’à alléger le code de l’application, ayant pour résultat une nécessaire exécution du logiciel RoverCash, laquelle exécution constitue une contrefaçon dès lors qu’elle est effectuée sans l’autorisation de son auteur en application de l’article L. 122-6 1° du code de la propriété intellectuelle qui dispose que :

« Sous réserve des dispositions de l’article L. 122-6-1, le droit d’exploitation appartenant à l’auteur d’un logiciel comprend le droit d’effectuer et d’autoriser : 1° La reproduction permanente ou provisoire d’un logiciel en tout ou partie par tout moyen et sous toute forme. Dans la mesure où le chargement, l’affichage, l’exécution, la transmission ou le stockage de ce logiciel nécessitent une reproduction, ces actes ne sont possibles qu’avec l’autorisation de l’auteur ; 2° La traduction, l’adaptation, l’arrangement ou toute autre modification d’un logiciel et la reproduction du logiciel en résultant ; (…) ».

Exception légale de l’article L. 122-6-1 I du CPI

Il a été jugé que La Poste était malvenue à invoquer l’exception légale prévue à l’article L. 122-6-1 I du code de la propriété intellectuelle aux termes duquel « la reproduction d’un logiciel n’est pas soumise à l’autorisation de son auteur lorsqu’une telle reproduction est nécessaire pour permettre l’utilisation du logiciel conformément à sa destination, par la personne ayant le droit de l’utiliser, y compris pour corriger les erreurs », alors qu’elle était justement dépourvue d’un tel droit a minima depuis la résiliation du contrat.

En conséquence, la société LA POSTE s’est rendue coupable de contrefaçon de logiciel pour avoir sans droit, rendu et maintenu accessible au public, à tout le moins au-delà du 6 octobre 2017, une version de son application « Genius » exécutant le logiciel RoverCash de la société LUNDI MATIN.

Par ailleurs, aucune disposition du droit national relative à la contrefaçon ne dispose expressément que cette dernière peut être invoquée uniquement dans le cas où les parties ne sont pas liées par un contrat.

Dès lors, l’atteinte résultant du manquement à une clause contractuelle relative à l’exploitation d’un droit de propriété intellectuelle, y compris celui d’un auteur d’un programme d’ordinateur, peut ouvrir droit, sous réserve que le manquement reproché s’analyse en une absence de consentement du titulaire de droits ce qui relève d’une appréciation in concreto du contrat en cause, au bénéfice de l’action en contrefaçon à l’encontre du cocontractant.

Responsabilité contractuelle ou délictuelle

En vertu des principes de non-option (ou non-cumul) de responsabilité et de respect des prévisions contractuelles et de la force obligatoire du contrat, la responsabilité délictuelle doit en principe être écartée au profit de la responsabilité contractuelle lorsque les parties sont liées par un contrat valable et que le dommage résulte de l’inexécution ou de la mauvaise exécution d’une obligation du contrat.

Toutefois, dans un arrêt du 18 décembre 2019, la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que « La directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle, et la directive 2009/24/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur, doivent être interprétées en ce sens que la violation d’une clause d’un contrat de licence d’un programme d’ordinateur, portant sur des droits de propriété intellectuelle du titulaire des droits d’auteur de ce programme, relève de la notion d’« atteinte aux droits de propriété intellectuelle », au sens de la directive 2004/48, et que, par conséquent, ledit titulaire doit pouvoir bénéficier des garanties prévues par cette dernière directive, indépendamment du régime de responsabilité applicable selon le droit national » (CJUE, 18 décembre 2019, aff. C- 666/18, IT Development SAS vs Free Mobile SAS).

Dans cette même décision, la CJUE a en outre rappelé que : « Aux termes de son article 2, paragraphe 1, la directive 2004/48 s’applique à « toute atteinte aux droits de propriété intellectuelle ». Il ressort du libellé de cette disposition, en particulier de l’adjectif « toute », que cette directive doit être interprétée en ce sens qu’elle couvre également les atteintes qui résultent du manquement à une clause contractuelle relative à l’exploitation d’un droit de propriété intellectuelle, y compris celui d’un auteur d’un programme d’ordinateur ».

En l’espèce, la société LA POSTE n’était pas en droit, contractuellement, d’utiliser la « brique technique RoverCash Framework » lors de la mise en ligne en mode test de l’application « Genius » et de procéder à celle-ci comme elle l’a fait en avril 2017.

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REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS

3e chambre 3e section

06 Juillet 2021

N° RG 18/01602 – N° Portalis 352J-W-B7C-CMIX C

DEMANDERESSE La société LUNDI MATIN S.A.S. […]

représentée par Maître Martin LÉMERY de la SELEURL MARTIN LEMERY AVOCAT, avocats au barreau de PARIS, avocats postulant, vestiaire #P0051 et par Maître Bruno CARBONNIER de L’AARPI TOWERY, avocats au barreau de MONTPELLIER, avocats plaidant

DÉFENDERESSE

La société LA POSTE S.A. […]

représentée par Maître Bertrand POTOT de la SELAS DS AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #T0007

Expéditions exécutoires délivrées le : Page 1

Décision du 06 Juillet 2021 3e chambre 3e section N° RG 18/01602 – N° Portalis 352J-W-B7C-CMIXC

COMPOSITION DU TRIBUNAL Carine GILLET, Vice-Présidente Laurence BASTERREIX, Vice-Présidente Elise MELLIER, Juge

assisté de Lorine MILLE, Greffière

DÉBATS A l’audience du 20 mai 2021 tenue en audience publique, avis a été donné aux conseils des parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 06 juillet 2021.

JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe Contradictoire En premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

La société LUNDI MATIN se présente comme une société éditrice de logiciels et d’applications mobiles de gestion.

Elle expose avoir proposé gratuitement de 2007 à 2010 le premier ERP (« Enterprise Ressource Planning ») Open Source en France, sous l’appellation de « LMB » (pour « Lundi Matin Business »), lequel a été adopté par plus de 40 000 entreprises utilisatrices ; elle a ensuite lancé en 2010 une version payante en mode SaaS de ce logiciel permettant selon elle aux entreprises de gérer leur catalogue produit, leurs stocks, leurs ventes, leurs achats, leur trésorerie et la relation avec les clients.

La société LUNDI MATIN expose également avoir commercialisé à compter du 21 février 2015 un logiciel de caisse « RoverCash », disponible sur tablettes et smartphones.

Le Groupe LA POSTE (ci-après la société « LA POSTE ») expose pour sa part avoir adopté à compter de 2012 une stratégie de développement des services dans le secteur du commerce et du e-commerce et s’être dans ce cadre rapproché de la société LUNDI MATIN afin d’envisager, en s’appuyant sur les solutions proposées par cette dernière, le développement d’une application de caisse utilisable sur tablette et smartphone avec un site web de gestion.

Plusieurs contrats à durée limitée ont alors été signés, au gré de l’évolution des contours de la solution souhaitée par la société LA POSTE et baptisée « Genius » : le premier les 13 et 20 février 2015 visant à un test (proof of concept) ; un deuxième en date des 23 et 30 septembre 2015 aux fins de « prestation de développement à fin d’interconnecter les solutions LMB et RoverCash avec un Front Office Commerçants » ; un troisième contrat « de prestation de développements d’adaptation des solutions LMB, Infra LM et RoverCash et prestations associées » a été conclu les 26 avril et 30 mai 2016 ; enfin, un quatrième et dernier contrat a été signé les 14 et 25 novembre 2016, intitulé contrat de « prestations de développement d’adaptation des solutions LMB, Infra LM et RoverCash et d’Infogérance », arrivé à échéance le 6 avril 2017.

Considérant que la mise en ligne, le 3 avril 2017, de l’application « Genius » sur la plate-forme de téléchargement PlayStore de Google était constitutive de contrefaçon de ses droits portant sur les logiciels LMB et RoverCash, et alors que la société LA POSTE l’avait informée de sa volonté de s’émanciper des applications de la société LUNDI MATIN, cette dernière, considérant que les négociations en cours pour la signature d’un cinquième contrat n’étaient pas susceptibles d’aboutir, a mis un terme à sa collaboration avec la société LA POSTE à compter du 6 octobre 2017.

Par acte extrajudiciaire du 6 février 2018, la société LUNDI MATIN a fait assigner la société LA POSTE devant ce tribunal, à titre principal en contrefaçon de logiciel et à titre subsidiaire en violation de ses obligations contractuelles.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives et responsives n° 4 signifiées par voie électronique le 9 décembre 2020, la société LUNDI MATIN demande au tribunal de :

Vu les articles L. 112-2, L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle, Vu l’article L. 122-6 du code de la propriété intellectuelle, Vu les articles L. 331-1-3 et L. 331-1-4 du code de la propriété intellectuelle, Vu l’article L. 335-5 du code de la propriété intellectuelle, Vu les articles 1103, 1104, 1234, 1231-6 (al. 2), 1344-1 du code civil, Vu les anciens articles 1134, 1147 du code civil, Vu l’article 1240 du code civil, Vu les pièces versées au débat par les parties,

1. Sur la contrefaçon

– DIRE ET JUGER que la concluante est bien fondée à engager la responsabilité de LA POSTE sur le fondement du livre I du code de la propriété intellectuelle ;

En conséquence, – REJETER l’irrecevabilité soulevée par la société LA POSTE ;

A TITRE PRINCIPAL, – DIRE ET JUGER que le Logiciel Rovercash (pièce n°13) de la société LUNDI MATIN est protégé par le droit d’auteur et que LUNDI MATIN est fondée à demander le bénéfice de cette protection ; – DIRE ET JUGER qu’en reproduisant le Logiciel Rovercash de la société LUNDI MATIN au-delà des limites fixées dans les contrats liant les parties et en le mettant sur le marché à titre onéreux ou gratuit, la société LA POSTE a commis des actes de contrefaçon des droits d’auteur de la société LUNDI MATIN ;

En conséquence, – CONDAMNER la société LA POSTE à payer à la société LUNDI MATIN la somme de quatorze millions cent quatre-vingt-quatre mille (14 184 000) euros au titre du préjudice patrimonial ; – CONDAMNER la société LA POSTE à payer à la société LUNDI MATIN la somme d’un million quatre-cent dix-huit mille et quatre cents (1 418 400) euros au titre du préjudice moral ; – CONDAMNER la société LA POSTE à cesser ses actes illicites et à empêcher l’utilisation des applications de GENIUS déjà téléchargées et exploitant le Logiciel, sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard ;

A TITRE SUBSIDIAIRE, – DIRE ET JUGER qu’en utilisant le Logiciel Rovercash de la société LUNDI MATIN au-delà des limites fixées dans les contrats liant les parties, la société LA POSTE a violé son obligation contractuelle de respect du périmètre d’utilisation du Logiciel Rovercash ;

En conséquence, – CONDAMNER la société LA POSTE à payer à la société LUNDI MATIN la somme de quatorze millions cent quatre-vingt-quatre mille (14 184 000) euros au titre du préjudice patrimonial ; – CONDAMNER la société LA POSTE à payer à la société LUNDI MATIN la somme d’un million quatre-cent dix-huit mille et quatre cents (1 418 400) euros au titre du préjudice moral ; – CONDAMNER la société LA POSTE à cesser ses actes illicites, sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard ;

2. Sur la concurrence déloyale et parasitaire – CONSTATER que la société LA POSTE a eu un comportement déloyal et parasitaire en détournant et en s’appropriant les investissements, les efforts et le savoir-faire de la société LUNDI MATIN ;

En conséquence,

– CONDAMNER la société LA POSTE à verser la somme provisionnelle de deux millions trois cent soixante-douze et cent cinquante-cinq (2 372 155) euros à titre de dommages et intérêts en réparation globale du préjudice subi ;

– INTERDIRE à la société LA POSTE de poursuivre la commercialisation de produits ou services mettant en œuvre le savoir- faire de la société LUNDI MATIN sous astreinte de 1 000 euros par produit ou service commercialisé ;

– ORDONNER la publication du jugement à intervenir, aux frais avancés de la société LA POSTE, dans deux journaux ou revues, au choix de la société LUNDI MATIN, sans que le coût unitaire de ces publications ne puisse être supérieur à la somme de 5 000 euros Hors Taxes et ce dans le mois de la signification du jugement sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

– ORDONNER à la société LA POSTE, aux frais de cette dernière, de publier, sur le haut de la première page de son site Internet accessible à l’adresse www.laposte.fr, le jugement à intervenir dans son intégralité en police Arial 12 minimum, et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard, passé le délai de deux (2) jours à compter de la signification du jugement à intervenir et pour une durée de publication d’un mois ;

3. Sur le règlement des factures impayées

– CONSTATER que LA POSTE reconnaît devoir la somme de deux cent trente-six mille sept cent soixante-neuf euros et dix-huit centimes (236 769,18) TTC au titre de factures impayées (i.e. factures n°Oa629, Oa630, Oa631, Oa632, Oa633 ; pièce n°10) ;

– CONSTATER que cette créance est liquide, certaine et exigible ;

– CONDAMNER la société LA POSTE à payer à la société LUNDI MATIN les factures non réglées pour un montant total de deux cent trente-six mille sept cent soixante-neuf euros et dix-huit centimes (236 769,18) TTC augmenté des pénalités de retard contractuelles et des intérêts légaux à la date de l’exigibilité de chaque facture ;

– CONDAMNER la société LA POSTE à payer à la société LUNDI MATIN la somme de cinquante mille (50 000) euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et exécution de mauvaise foi des contrats liant les parties ;

4. Sur le remboursement des frais exposés

– CONDAMNER la société LA POSTE à verser à la société concluante la somme totale de 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– CONDAMNER la société LA POSTE aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Martin LEMERY ;

5. Sur l’exécution provisoire

– ORDONNER l’exécution provisoire du jugement ;

– SE DÉCLARER compétent pour liquider les astreintes prononcées ;

6. Sur les demandes reconventionnelles adverses

– CONSTATER que la société LUNDI MATIN n’a commis aucune faute ;

En conséquence,

 – REJETER toutes les demandes de la société LA POSTE.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives en réplique n° 4 signifiées par voie électronique le 4 mars 2021, la société LA POSTE demande au tribunal de :

Vu l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, Vu les articles 6, 9 et 117 du code procédure civile, Vu l’article 1104, 1112 et 1240 du code civil, Vu l’article 1347 et 1348 du code civil, Vu les articles L. 122-6 et suivants du code de la propriété intellectuelle,

— JUGER LA POSTE recevable et bien fondée en ses demandes ;

Y faisant droit,

A titre principal,

– DIRE et JUGER que le présent litige n’est pas un litige de contrefaçon mais un litige commercial portant sur l’étendue des droits dont disposait LA POSTE en vertu des contrats conclus entre les parties ;

En conséquence, – DIRE et JUGER la société LUNDI MATIN irrecevable en son action ;

A titre subsidiaire, – DIRE et JUGER que le programme sur lequel la société LUNDI MATIN revendique un droit de propriété intellectuelle n’est pas protégeable au titre du droit d’auteur relatif au logiciel ; – DIRE et JUGER que LUNDI MATIN ne rapporte nullement la preuve de l’originalité du programme sur lequel LUNDI MATIN revendique un droit de propriété intellectuelle, condition nécessaire à l’exercice de l’action en contrefaçon ;

En conséquence, – DÉBOUTER LUNDI MATIN de l’ensemble de ses demandes ;

A titre infiniment subsidiaire, – DIRE et JUGER que LUNDI MATIN ne démontre pas l’existence des prétendus emprunts constitutifs d’actes de contrefaçon allégués ;

En tout état de cause, – JUGER que LUNDI MATIN ne rapporte pas la preuve de la violation du contrat par LA POSTE ; – JUGER que LUNDI MATIN ne rapporte pas la preuve d’agissements constitutifs de concurrence déloyale par LA POSTE ;

En conséquence, – DÉBOUTER LUNDI MATIN de l’ensemble de ses demandes ;

A titre reconventionnel et en toutes hypothèses, – JUGER que l’intrusion sur le site « JIRA » à la requête de LUNDI MATIN est fautive ; – JUGER que cette intrusion et la copie du code source de l’application Genius appartenant à LA POSTE lui a causé un préjudice moral ;

En conséquence, – CONDAMNER LUNDI MATIN à payer à LA POSTE la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ; – JUGER que la rupture des pourparlers par LUNDI MATIN a été fautive ; En conséquence, – CONDAMNER LUNDI MATIN à payer à LA POSTE la somme de 1 477 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier, commercial et économique ; – CONDAMNER LUNDI MATIN à payer à LA POSTE la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d’image ; – ORDONNER la compensation de cette somme à due concurrence avec la somme de 236 769,18 euros TTC que LA POSTE reste devoir à LUNDI MATIN ; – CONDAMNER LUNDI MATIN à payer à LA POSTE la somme de 25 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ; – CONDAMNER LUNDI MATIN aux entiers dépens de l’instance qui pourront être recouvrés par la SELAS DS AVOCATS, représentée par Maître Bertrand POTOT, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

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La clôture a été prononcée le 11 mars 2021 et l’affaire a été plaidée le 20 mai 2021.

Pour un exposé complet de l’argumentation des parties, il est, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoyé à leurs dernières conclusions précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre principal, sur la contrefaçon de droits d’auteur ^

La société LUNDI MATIN soutient que son logiciel RoverCash est suffisamment identifié, original et éligible à la protection du droit d’auteur. Elle considère d’ailleurs que l’intérêt constant de la société LA POSTE pour son logiciel tout au long de leurs relations d’affaires et en particulier à travers la tentative par la défenderesse d’acheter le code source dudit logiciel témoignent de l’originalité de celui-ci, et que, dès lors, l’argumentation contradictoire de son adversaire relève de l’estoppel devant conduire à l’irrecevabilité de ses demandes tendant tout à la fois à voir dénier toute originalité au logiciel et à lui voir pourtant reconnaître une licence d’utilisation. La demanderesse considère ainsi pour l’essentiel que, le logiciel n’ayant fait l’objet selon elle d’aucune licence ou cession de droits, sa reproduction et son exploitation par la société LA POSTE au sein de l’application « Genius » au moins jusqu’au 20 mars 2019, sans son accord et sans faire référence à son nom, alors que le logiciel occupe une place prépondérante au sein de « Genius », sont contrefaisantes.

Elle s’estime à ce sujet bien fondée à agir en responsabilité délictuelle et non contractuelle à titre principal, au visa des articles L. 122-6 et L. 122-6-1 du code de la propriété intellectuelle.

En réponse au moyen de nullité du procès-verbal de constat d’huissier opposé par la défenderesse, elle réfute toute usurpation d’identité par l’huissier ou accès illicite à l’espace privé JIRA, et soutient qu’aucune autorisation judiciaire n’était nécessaire. Au demeurant, la matérialité de la contrefaçon est reconnue par la défenderesse elle-même (aveu judiciaire), indépendamment du procès-verbal de constat. En réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi, elle sollicite, outre une mesure d’interdiction et arguant du manque d’éléments que la défenderesse se refuse à lui communiquer, la somme forfaitaire, basée sur 10 000 licences au prix unitaire de 720 euros sur un peu moins de deux ans, de 141 840 000 euros au titre de son préjudice patrimonial, et 1 418 400 euros au titre de son préjudice moral (soit 10 % du préjudice patrimonial).

La société LA POSTE soulève en premier lieu l’irrecevabilité de la demanderesse en application du principe du non-cumul de responsabilité, au motif que le litige soumis au tribunal n’est pas un litige de contrefaçon relevant de la responsabilité délictuelle, mais un litige commercial portant sur l’étendue des droits dont disposait la défenderesse en vertu des contrats conclus entre les parties.

A titre subsidiaire, elle conclut à l’irrecevabilité ou à tout le moins au rejet des prétentions de la demanderesse en raison de l’absence d’identification de l’œuvre revendiquée et du périmètre des droits invoqués, arguant que la description insuffisamment précise et la terminologie fluctuante employée par la société LUNDI MATIN l’empêcherait de déterminer le programme objet du litige, en particulier sa version, et a fortiori ce qui aurait été reproduit et/ou utilisé prétendument sans autorisation.

L’originalité n’est en outre aucunement démontrée, s’agissant d’un programme mettant en œuvre des éléments logiques contraints. A titre infiniment subsidiaire, la société LA POSTE soutient que la preuve de la matérialité de la contrefaçon par reproduction n’est pas rapportée. En particulier, le fait que la demanderesse lui ait signifié une sommation de communiquer est selon elle la preuve de son incapacité à rapporter la preuve du comportement prétendument fautif qu’elle lui impute.

Le procès-verbal de constat établi le 9 novembre 2017 est nul, l’huissier ayant opéré des constatations dans un espace collaboratif privé auquel il a accédé sans autorisation judiciaire, en utilisant les identifiants personnels du gérant de la société LUNDI MATIN qui n’était plus autorisé à en faire usage, et en étant assisté d’un tiers non indépendant de la partie requérante. En tout état de cause, le constat du 9 novembre 2017 ne prouve ni la contrefaçon, ni l’exécution fautive du contrat dès lors que seules figurent dans ce constat des classes et librairies « RoverCash », ce qui est normal puisqu’il a été réalisé à un moment où la société LA POSTE était autorisée à utiliser la brique technique « RoverCash Framework ». En dernier lieu, la version de « Génius App » accessible via le PlayStore est la version dite 2.6.3.5, qui ne correspond pas à celle objet du constat (version 2.6.3.0). En toute hypothèse, en matière de logiciel, la reproduction d’un logiciel n’est pas soumise à l’autorisation de son auteur lorsqu’une telle reproduction est nécessaire pour permettre l’utilisation du logiciel conformément à sa destination.

SUR CE

Sur la recevabilité des demandes

Régime de responsabilité applicable

En vertu des principes de non-option (ou non-cumul) de responsabilité et de respect des prévisions contractuelles et de la force obligatoire du contrat, la responsabilité délictuelle doit en principe être écartée au profit de la responsabilité contractuelle lorsque les parties sont liées par un contrat valable et que le dommage résulte de l’inexécution ou de la mauvaise exécution d’une obligation du contrat.

Toutefois, dans un arrêt du 18 décembre 2019, la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que « La directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle, et la directive 2009/24/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur, doivent être interprétées en ce sens que la violation d’une clause d’un contrat de licence d’un programme d’ordinateur, portant sur des droits de propriété intellectuelle du titulaire des droits d’auteur de ce programme, relève de la notion d’« atteinte aux droits de propriété intellectuelle », au sens de la directive 2004/48, et que, par conséquent, ledit titulaire doit pouvoir bénéficier des garanties prévues par cette dernière directive, indépendamment du régime de responsabilité applicable selon le droit national » (CJUE, 18 décembre 2019, aff. C- 666/18, IT Development SAS vs Free Mobile SAS).

Dans cette même décision, la CJUE a en outre rappelé que : « Aux termes de son article 2, paragraphe 1, la directive 2004/48 s’applique à « toute atteinte aux droits de propriété intellectuelle ». Il ressort du libellé de cette disposition, en particulier de l’adjectif « toute », que cette directive doit être interprétée en ce sens qu’elle couvre également les atteintes qui résultent du manquement à une clause contractuelle relative à l’exploitation d’un droit de propriété intellectuelle, y compris celui d’un auteur d’un programme d’ordinateur ».

Par ailleurs, aucune disposition du droit national relative à la contrefaçon ne dispose expressément que cette dernière peut être invoquée uniquement dans le cas où les parties ne sont pas liées par un contrat.

Dès lors, l’atteinte résultant du manquement à une clause contractuelle relative à l’exploitation d’un droit de propriété intellectuelle, y compris celui d’un auteur d’un programme d’ordinateur, peut ouvrir droit, sous réserve que le manquement reproché s’analyse en une absence de consentement du titulaire de droits ce qui relève d’une appréciation in concreto du contrat en cause, au bénéfice de l’action en contrefaçon à l’encontre du cocontractant.

En l’espèce, la société LA POSTE soutient qu’elle était en droit, contractuellement, d’utiliser la « brique technique RoverCash Framework » lors de la mise en ligne en mode test de l’application « Genius » et de procéder à celle-ci comme elle l’a fait en avril 2017.

Outre que M. X s’étonnait par courriel du 3 avril 2017 ne pas avoir été avisé de cette mise en ligne, annoncée en janvier précédent pour avril sans date précise (pièce 30A La Poste) et en discutait immédiatement les conditions financières et la mention « powered by Rover Cash » (pièce 6 La Poste), il ne peut qu’être relevé que le contrat des 14 et 25 novembre 2016 (pièce 9a LM) prévoyait en clause 20 de ses conditions particulières, stipulées prévaloir sur les conditions générales du groupe LA POSTE, que les codes sources du logiciel RoverCash restaient la propriété de la société LUNDI MATIN, que la société LA POSTE s’engageait à ne pas les exploiter sans son consentement et que l’utilisation du logiciel RoverCash était soumis à « un droit d’usage (licence) convenu entre les parties ».

L’offre commerciale LUNDI MATIN (pièce 9c LM), partie intégrante du contrat en annexe 4 et non contredite par les autres pièces contractuelles, limitait par ailleurs les licences consenties à 500 « instances », entendues comme entreprises utilisatrices, dans le cadre d’un déploiement sous forme d’un seul PoC, soit une mise en situation réelle auprès de clients testeurs sélectionnés, et non une mise en production générale auprès du grand public.

Ce contrat est arrivé à son terme le 6 avril 2017, et si la société LUNDI MATIN a poursuivi ses travaux jusqu’à l’expiration du préavis notifié par elle comme fixée au 6 novembre 2017, l’exploitation d’une version de « Genius » intégrant l’exécution du logiciel RoverCash apparaît, au vu des différents échanges de courriels qui ont suivi la mise en production du 4 avril 2017, avoir été conditionnée à la régularisation d’un nouveau contrat et notamment au paiement de licences additionnelles au vu du nombre d’instances déployées hors périmètre du PoC (notamment pièces 7 à 21, 36 et 37 La Poste).

Il ressort de cette analyse des termes contractuels que la mise en production sur la plate-forme PlayStore de Google d’une version de « Genius » intégrant RoverCash n’était pas incluse dans les actes d’exploitation auxquels avait consentis la société LUNDI MATIN.

En conséquence, la société LUNDI MATIN est recevable à agir sur le terrain de la responsabilité extra-contractuelle en contrefaçon.

Sur le périmètre des droits revendiqués

La société LA POSTE soutient subsidiairement que l’œuvre revendiquée, à savoir le logiciel allégué contrefait, ne serait pas suffisamment identifiée, l’empêchant de déterminer le programme objet de la réclamation et la version de celui-ci telle qu’opposée, et a fortiori ce qui aurait été reproduit et/ou utilisé prétendument sans autorisation.

Toutefois, la défenderesse ne peut sérieusement prétendre ne pas avoir été en mesure d’identifier l’œuvre alléguée contrefaite comme étant le logiciel RoverCash, alors même qu’il était, dès l’assignation, clairement fait état d’actes de contrefaçon de cet unique logiciel dont les codes sources étaient communiqués (pièce 13 LM), en sa version 2.5.4. Elle a du reste été parfaitement à même de répondre aux arguments adverses.

Au demeurant, s’il est exact que ledit logiciel RoverCash a continué d’évoluer depuis cette dernière version, pour intégrer notamment de nouvelles fonctionnalités, et si ce constat est susceptible d’avoir une incidence sur la matérialité des actes de contrefaçon reprochés, il est en revanche sans conséquence sur la recevabilité des demandes de la société LUNDI MATIN.

Les fins de non-recevoir soulevées par la société LA POSTE seront donc rejetées.

Sur l’originalité

Aux termes de l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial. L’originalité de l’œuvre, qu’il appartient à celui invoquant la protection de caractériser, suppose qu’elle soit issue d’un travail libre et créatif et résulte de choix arbitraires révélant la personnalité de son auteur. Une combinaison d’éléments connus n’est pas a priori exclue de la protection du droit d’auteur, sous réserve qu’elle soit suffisamment précise pour que le monopole sollicité ne soit pas étendu à un genre insusceptible d’appropriation.

Le droit de l’article susmentionné est conféré, selon l’article L. 112-1 du même code, à l’auteur de toute œuvre de l’esprit, quels qu’en soit le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination, en ce inclus, aux termes de l’article L. 112-2 13°, les logiciels et le matériel de conception préparatoire.

Par ailleurs, la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que « L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 91/250/CEE du Conseil, du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur, doit être interprété en ce sens que ni la fonctionnalité d’un programme d’ordinateur ni le langage de programmation et le format de fichiers de données utilisés dans le cadre d’un programme d’ordinateur pour exploiter certaines de ses fonctions ne constituent une forme d’expression de ce programme et ne sont, à ce titre, protégés par le droit d’auteur sur les programmes d’ordinateur au sens de cette directive » (CJUE, 2 mai 2012, aff. C- 406/10, SAS).

Ainsi, la protection spécifique prévue par la directive 91/250/CEE, telle que consolidée par la directive 2009/24/CE, n’est acquise qu’au programme au sens strict et au matériel de conception préparatoire, tandis que la documentation, le langage de programmation, les formats de fichiers ou encore l’interface graphique peuvent néanmoins être protégées au titre du droit d’auteur.

En l’espèce, la société LUNDI MATIN revendique un logiciel couvrant les fonctionnalités essentielles demandées par les commerçants, notamment Click-and-collect, Store-to-Web, Mode Kiosque, Traçabilité par numéro de série ou numéro de lot, et offrant une ergonomie du catalogue produits. Elle expose avoir, pour développer son logiciel, adopté une approche « Bottom-up » inédite permettant un paramétrage sur mesure afin d’obtenir l’ergonomie souhaitée, la structure flexible obtenue permettant au commerçant de personnaliser à sa convenance sa propre interface de visualisation.

Si les fonctionnalités et l’ergonomie ci-dessus revendiquées ne peuvent donner lieu à protection au titre du droit d’auteur, pas plus que l’algorithme, entendu comme une simple succession d’opérations ne traduisant qu’un énoncé logique de fonctionnalités, il en va cependant différemment de l’infrastructure (« framework ») adoptée, laquelle a, selon la demanderesse, été conçue pour permettre un ajout de fonctionnalités sans avoir à modifier l’architecture logicielle.

Au-delà du choix des fonctionnalités intégrées à son logiciel, la société LUNDI MATIN considère comme originaux les choix opérés par elle, exprimés dans le code source dudit logiciel, quant à la nomenclature de ses tables (nommage des noms de fichiers, des classes abstraites ou des noms de fonctions, commençant tous par LM ou LMB), mais également quant aux fonctions spécifiques qu’elle dit avoir développées autour d’un unique attribut (« hashMap »), à rebours des choix de conception classique en Java, et en opérant des regroupements dans certaines tables en utilisant le format JSON, ou encore quant à l’intégration à son logiciel d’un connecteur spécialement conçu ou d’un éditeur de requêtes SQL s’appuyant sur la classe « SearchEngine ».

La société LA POSTE soutient que les caractéristiques ainsi revendiquées ne constituent pas une forme d’expression du programme en cause, et ont de surcroît été contraintes par les fonctions requises ; toutefois, quand bien même les informations appelées sont nécessaires à l’obtention du résultat requêté (exemple du nom de la taxe / assiette / formule de calcul pour calculer la taxe due), rien n’imposait de regrouper l’ensemble de ces informations au sein d’un unique fichier JSON, comme a choisi de le faire la société LUNDI MATIN ; et dès lors que le choix de stocker beaucoup d’informations dans la table « Article » a justement fait l’objet d’une formalisation par le logiciel, il ne peut être soutenu que cette conception relèverait seulement du domaine de l’idée.

Or, si, pris indépendamment, les choix ainsi opérés ne sont pas originaux en eux-mêmes, ils traduisent néanmoins, ainsi conjugués en une combinaison spécifique, des choix arbitraires, différents de ceux effectués par d’autres opérateurs du marché et allant au-delà de la mise en œuvre d’un simple savoir-faire technique ou de logiques automatiques et contraignantes.

Le logiciel RoverCash bénéficie en conséquence de la protection par le droit d’auteur, sans que ne puissent être considérées l’argumentation inopérante relative à l’estoppel, dont les conditions ne sont pas réunies et celle relative à l’obtention d’un crédit d’impôt recherche, qui est sans lien avec la caractérisation de l’originalité.

Sur la contrefaçon

Sur le procès-verbal de constat du 9 novembre 2017

Un procès-verbal de constat est un élément de nature probatoire, dont il appartient au tribunal, comme pour tout élément de preuve, d’évaluer non seulement sa valeur probante en tant que telle, mais également la façon dont il a été établi, en appréciant en particulier la loyauté de ses conditions d’obtention. Les preuves rapportées par un constat d’huissier doivent en effet avoir été obtenues loyalement.

En l’espèce, il n’est pas contesté que pour effectuer une copie des codes sources litigieux, l’huissier s’est introduit sur l’espace dénommé « JIRA », lequel est un espace de travail collaboratif et de stockage numérique privé permettant aux développeurs d’y déposer les codes qu’ils ont développés ; l’huissier instrumentaire a, pour ce faire, utilisé les identifiants de M. X, dirigeant de la société LUNDI MATIN. Or, s’il apparaît qu’à la date du 6 octobre 2017, le « canal de communication » entre les équipes des sociétés LA POSTE et LUNDI MATIN était bien JIRA (pièce 24 La Poste), donc que M. X disposait d’une autorisation d’accéder à cet espace d’échanges privatif et non que la société LA POSTE avait omis de désactiver ses identifiants comme elle le prétend, il n’en demeure pas moins que l’usage qui a été fait de ceux-ci, pour copier des codes sources seulement accessibles dans la sous-partie « Git » et non pour la résolution de difficultés techniques suite à ouverture de tickets d’incidents, révèle un procédé déloyal.

En conséquence, le procès-verbal de constat sera annulé en toute sa partie relative aux opérations réalisées à partir de JIRA, les codes source copiés par ce biais étant de ce fait rendus inexploitables ; en revanche, les constats relatés dans ce même procès-verbal à partir de sites internet publics en accès libre (site web de La Poste, PlayStore de Google) demeurent valables, la simple présence de M. X aux côtés de l’huissier, qui a seul réalisé les opérations de navigation et opéré les constats, n’étant pas de nature à entacher lesdits constats de partialité ou d’irrégularité.

Sur la matérialité de l’exploitation du logiciel RoverCash par l’application Genius

Le procès-verbal de constat du 9 novembre 2017 fait état de l’accessibilité au public, sur le PlayStore de Google de la version 2.6.3.5 de l’application « Genius App ».

En l’absence des codes sources de cette application, il n’est pas possible de procéder à une comparaison avec ceux de la version 2.5.4 du logiciel RoverCash. Toutefois, outre que la commercialisation de l’application « Genius » est largement établie (pièces 14-1 à 14-11 LM) et reconnue par la société LA POSTE, celle-ci verse elle-même aux débats : – un document intitulé « Evolution du nombre de clients ayant activé une version de l’application Genius utilisant des éléments de Lundi Matin », dans lequel il est distingué entre les versions 2.6.3.X ou inférieure utilisant des éléments Lundi Matin et les versions 2.6.4.X ou ultérieures, disponibles dès le 13 décembre 2017, « 100% La Poste, sans briques de tiers » (pièce 40 LA POSTE), – une attestation sur l’honneur de M. Y Z, gérant et directeur de projet de la société TAKIMA, aux termes de laquelle une nouvelle version de « Genius » totalement indépendante de RoverCash et expurgée de toute référence à ce logiciel a été livrée en production le 13 décembre 2017 (pièce 42 LA POSTE).

Au vu de ces éléments, il est établi que l’application « Genius » mise en ligne sur le PlayStore de Google utilisait, à tout le moins jusqu’au 13 décembre 2017, le logiciel RoverCash de la société LUNDI MATIN, peu important la version de ce dernier ou même la version de « Genius App », et peu important par ailleurs que la reproduction du logiciel RoverCash s’effectue directement au sein du code source de « Genius » ou par simple appel de sa bibliothèque, via du code source original créé spécialement par la défenderesse pour utiliser celle-ci, cette dernière option, qui ne vise qu’à alléger le code de l’application, ayant pour résultat une nécessaire exécution du logiciel RoverCash, laquelle exécution constitue une contrefaçon dès lors qu’elle est effectuée sans l’autorisation de son auteur en application de l’article L. 122-6 1° du code de la propriété intellectuelle qui dispose que : « Sous réserve des dispositions de l’article L. 122-6-1, le droit d’exploitation appartenant à l’auteur d’un logiciel comprend le droit d’effectuer et d’autoriser : 1° La reproduction permanente ou provisoire d’un logiciel en tout ou partie par tout moyen et sous toute forme. Dans la mesure où le chargement, l’affichage, l’exécution, la transmission ou le stockage de ce logiciel nécessitent une reproduction, ces actes ne sont possibles qu’avec l’autorisation de l’auteur ; 2° La traduction, l’adaptation, l’arrangement ou toute autre modification d’un logiciel et la reproduction du logiciel en résultant ; (…) ».

Or, il a été vu supra que la mise en production de la solution litigieuse a été effectuée en dehors du périmètre contractuellement prévu.

Et la défenderesse est malvenue à invoquer l’exception légale prévue à l’article L. 122-6-1 I du code de la propriété intellectuelle aux termes duquel « la reproduction d’un logiciel n’est pas soumise à l’autorisation de son auteur lorsqu’une telle reproduction est nécessaire pour permettre l’utilisation du logiciel conformément à sa destination, par la personne ayant le droit de l’utiliser, y compris pour corriger les erreurs », alors qu’elle était justement dépourvue d’un tel droit a minima depuis la résiliation du contrat.

En conséquence, la société LA POSTE s’est rendue coupable de contrefaçon de logiciel pour avoir sans droit, rendu et maintenu accessible au public, à tout le moins au-delà du 6 octobre 2017, une version de son application « Genius » exécutant le logiciel RoverCash de la société LUNDI MATIN.

En ce qui concerne le non-respect allégué de son droit de paternité, il apparaît que la société LUNDI MATIN a donné son accord le 5 avril 2017 (courriel de M. X, pièce 7B La Poste), soit la veille du terme du dernier contrat, pour que la mention « Powered by » ne figure pas « sur le logo/ page d’accueil de la solution Genius (…) mais [soit] reprise dans les mentions légales ou sur une page annexe du logiciel » et que, si la date à laquelle cette mention a été rendue effective n’est pas connue avec précision, la mention « powered by Lundi Matin

Business » a été mise en œuvre antérieurement au 20 août 2017 à tout le moins (pièce 20 La Poste), de sorte que l’atteinte au droit moral de la société LUNDI MATIN n’est pas caractérisée.

Sur les mesures réparatrices et indemnitaires

Le contrat du 25 novembre 2016, arrivé à échéance le 6 avril 2017, incluait 500 « instances » ou « clients », donc 500 licences RoverCash (pièce 9 LM).

M. X faisait état, au 18 avril 2017, de 754 instances en cours dont 197 en production (pièce 8A La Poste) ; il ressort toutefois des échanges entre les parties (notamment pièces 10, 37 et 38 La Poste) qu’elles s’étaient accordées pour que seules les instances actives (comptes clients effectivement utilisés au cours du dernier mois) soient décomptées au titre des licences, incluant l’hébergement.

Au 9 novembre 2017, la page d’accueil de l’application « Genius » mentionnait un nombre de téléchargements compris entre 500 et 10 000 (pièce 15 LM), ce chiffre passant à plus de 10 000 au 19 décembre 2017 selon la copie d’écran versée par la société LUNDI MATIN, sans qu’il soit cependant possible de distinguer à cette date entre les téléchargements d’une version incluant l’exécution de RoverCash et ceux effectués après le 13 décembre 2017, date à laquelle la nouvelle version de l’application « Genius » expurgée de RoverCash a été mise en production donc rendue disponible en remplacement de la version contrefaisante. Au-delà, il doit en premier lieu être relevé qu’un téléchargement ne signifie pas une utilisation effective, alors que seuls les comptes actifs devaient donner lieu à paiement d’une licence comme rappelé supra.

Surtout, les données communiquées par la société LA POSTE en pièce 40 font état à la date du 12 décembre 2017 d’un total de 397 comptes ayant activé une version contrefaisante (« clients inscrits et ayant activé une version 2.6.3.X ou inférieure de Genius, Exclut les comptes ouverts par La Poste et ses prestataires (ex. à des fins de test) »), mais dont seulement 202 correspondent à des utilisations effectives (« clients utilisateurs » ayant été au bout de la création d’un compte, de l’installation de l’application et de la saisie des données), une seule instance étant encore active au 30 mars 2018 et plus aucune à compter du 2 juillet 2018. Or, même si elles ne sont pas certifiées, ces données ne sont pour autant contredites par aucun élément de nature à mettre en doute leur sincérité, le courriel daté du 13 mars 2019 produit par la demanderesse et reçu de la société LA POSTE (pièce 31 LM), dans lequel elle informe ses destinataires que les versions « Genius App » 2.6.3 et antérieures cesseront d’être accessibles à compter du 20 mars 2019, étant, par son caractère générique et l’absence d’information relative aux destinataires, pouvant être des clients inactifs, insuffisant à établir que les applications téléchargées antérieurement à la mise en production le 13 décembre 2017 d’une version expurgée des composantes RoverCash auraient continué à être exploitées.

En ce qui concerne le prix unitaire par licence à appliquer, il sera retenu le prix public proposé par la société LUNDI MATIN, soit 60 euros par mois et par utilisateur, dès lors que le tarif unitaire de 11,39 euros mensuels invoqué par la société LA POSTE ne correspondait qu’à un environnement « Proof of concept », très différent d’un usage en production, qu’aucun contrat n’a été régularisé depuis cette mise en production et que la défenderesse s’est refusée à régler les factures afférentes éditées par la demanderesse à un prix inférieur pour la période courant du 6 avril au 6 octobre 2017. Il n’y a en outre pas lieu de distinguer entre comptes gratuits et payants, l’usage contrefaisant étant le même dans l’un et l’autre cas.

En définitive, les indemnisations suivantes seront retenues : – pour la période du 6 avril 2017 au 30 mars 2018, soit 12 mois : 12 x 202 x 60 = 145 440 euros, – pour la période du 31 mars 2018 au 2 juillet 2018, soit 3 mois : 3 x 1 x 60 = 180 euros, soit un total de 145 620 euros dus au titre du préjudice patrimonial subi par la société LUNDI MATIN.

Il n’y a en revanche pas lieu à prononcer une mesure d’interdiction, plus aucune version contrefaisante de l’application « Genius » n’apparaissant exploitée.

Aucune atteinte au droit moral de la société LUNDI MATIN n’ayant été retenue, il n’y a pas lieu à réparation à ce titre.

Subsidiairement, sur la violation contractuelle

La société LUNDI MATIN soutient à titre subsidiaire que la société LA POSTE a engagé sa responsabilité contractuelle compte tenu de la violation du strict périmètre d’utilisation prévu aux contrats, la défenderesse ayant exploité commercialement le logiciel RoverCash alors que seule la phase de test (PoC) avait été convenue. Elle sollicite son dédommagement à hauteur de 14 184 000 euros au titre de son préjudice patrimonial et 1 418 400 euros au titre de son préjudice moral.

La société LA POSTE conclut à l’absence de toute faute dans l’exécution des contrats.

Sur ce,

L’action en contrefaçon de logiciel de la société LUNDI MATIN ayant été accueillie, il n’y pas lieu de statuer sur sa demande formulée à titre subsidiaire.

Sur la fin des relations contractuelles entre les parties La société LUNDI MATIN considère que le comportement de la société LA POSTE tout au long de leurs relations d’affaires, à tout le moins depuis mai 2016, caractérise une mauvaise foi dans l’exécution des engagements contractuels, la défenderesse ayant cherché à l’évincer du projet tout en détournant son savoir-faire, ses efforts et ses investissements, ce qui constitue une concurrence particulièrement déloyale lui ouvrant droit à réparation distincte. Elle sollicite en conséquence une interdiction sous astreinte accompagnée d’une mesure de publication, ainsi que, à titre provisionnel, la somme de 2 372 155 euros, dans l’attente de la communication par la défenderesse des éléments comptables du projet GENIUS. Elle réclame par ailleurs le règlement de factures impayées dont la défenderesse lui est toujours redevable à hauteur de 236 769,18 euros, augmentés des intérêts légaux et pénalités de retard applicables, et, considérant que ce défaut de paiement l’a freinée dans son développement économique en entraînant notamment un durcissement de ses conditions d’accès au financement, elle sollicite réparation de ce préjudice distinct à hauteur de 5 000 euros.

La société LA POSTE réfute toute déloyauté et soutient au contraire que c’est la société LUNDI MATIN qui lui a causé un préjudice en rompant de manière brutale les pourparlers visant à la signature d’un nouveau contrat après que celui du 25 novembre 2016 soit arrivé à son terme, l’obligeant à recourir dans l’urgence à de nouveaux développements par un tiers prestataire et entraînant pour elle une importante perte de chiffre d’affaires. Elle sollicite en réparation la somme de 1 447 500 euros, outre un préjudice d’image de 100 000 euros, ainsi que la somme de 15 000 euros au titre du préjudice moral que lui a, selon elle, causé l’intrusion de M. X dans son espace collaboratif privé JIRA, ces sommes pouvant être en partie compensées avec la somme de 236 769,18 euros qu’elle ne conteste pas devoir encore à la société LUNDI MATIN.

Sur ce,

L’examen des pièces produites de part et d’autre, en particulier de la chronologie des relations contractuelles et des échanges de courriels entre elles, ne permet pas de retenir l’existence d’une faute imputable à l’une ou l’autre des parties. Ainsi, le fait pour la société LA POSTE de ne conclure que des contrats successifs d’une durée de six mois, correspondant à une volonté d’avancer étape par étape dans le projet mis en œuvre en fractionnant les engagements de dépenses correspondants, ne démontre pas en soi une quelconque mauvaise foi ni la volonté de détourner indûment les investissements de la société LUNDI MATIN, celle-ci ayant conclu des contrats onéreux en vue de la réalisation de prestations et la défenderesse ayant eu, suite à cessation des relations contractuelles, à investir dans de nouveaux développements informatiques pour remplacer le logiciel RoverCash ; la société LA POSTE était par ailleurs en droit de changer de stratégie et de vouloir s’émanciper d’une dépendance au logiciel RoverCash pour sa solution « Genius », sans que la société LUNDI MATIN ne puisse prétendre à un engagement dans la durée. Il lui appartenait en revanche d’acquitter les factures correspondant aux prestations effectivement exécutées par la demanderesse et non encore réglées, ce à quoi elle sera donc condamnée avec application des pénalités de retard contractuellement prévues, outre une indemnité pour résistance abusive de 12 000 euros, rien ne justifiant de la part de la société LA POSTE le non-paiement à due date de factures qu’elle reconnaît devoir, la prévention des difficultés de trésorerie des sous-traitants étant de surcroît une des conditions de la santé du tissu économique.

La société LUNDI MATIN n’a de son côté pas non plus fait preuve de mauvaise foi lorsque, prenant conscience de l’absence de relation pérenne à venir avec la défenderesse, elle a cherché à sécuriser les travaux qu’elle continuait d’exécuter sans contrat et, en l’absence de solution satisfaisante, a dénoncé sa collaboration avec un préavis de 3 mois, continuant même au-delà du 6 octobre 2017 à assurer un certain nombre de prestations d’assistance.

Enfin, s’il a été jugé que M. X n’avait pas à communiquer ses identifiants pour permettre à l’huissier d’accéder à l’espace JIRA et d’y effectuer une copie de codes source, il était pour autant licitement en possession de ces identifiants, non parce que la société LA POSTE avait omis de suspendre ses droits d’accès comme elle le soutient (ce qui au demeurant aurait été de son seul fait), mais parce que l’espace JIRA était le canal de communication retenu entre les parties pour l’usage de Slack au-delà du 6 octobre 2017. Dès lors, la responsabilité délictuelle de la société LUNDI MATIN ne sera pas engagée, d’autant qu’il n’est démontré aucun préjudice moral par la société LA POSTE, les faits reprochés étant restés confidentiels, à tout le moins non publics.

Tant la société LUNDI MATIN que la société LA POSTE seront donc déboutées de leurs demandes en indemnisation au titre de la rupture des pourparlers et la défenderesse sera condamnée à régler les sommes encore dues à la demanderesse au titre des prestations effectuées par elle et non encore réglées, soit la somme de 236 769,18 euros selon factures n°Oa629, Oa630, Oa631, Oa632 et Oa633 du 10 octobre 2017 (pièce 10 LM), ces sommes devant être augmentées des pénalités de retard contractuelles et des intérêts légaux à la date de l’exigibilité de chaque facture.

*

La défenderesse, qui succombe, supportera la charge des dépens et ses propres frais. Elle sera en outre condamnée à verser à la société LUNDI MATIN, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile, qu’il est équitable de fixer à la somme de 8 000 (huit mille) euros.

L’exécution provisoire étant justifiée au cas d’espèce et compatible avec la nature du litige, elle sera ordonnée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,

— DIT la société LUNDI MATIN recevable à agir en contrefaçon de logiciel et REJETTE les fins de non-recevoir soulevées par la société LA POSTE ;

— DIT que le logiciel RoverCash version 2.5.4 de la société LUNDI MATIN est protégé au titre du droit d’auteur ;

— DIT qu’en rendant accessible au public son application « Genius » dans une version exécutant le logiciel RoverCash de la société LUNDI MATIN, la société LA POSTE a commis des actes de contrefaçon de logiciel ;

— CONDAMNE la société LA POSTE à payer à la société LUNDI MATIN la somme de 145 620 euros en réparation de son préjudice patrimonial du fait des actes de contrefaçon ;

— DÉBOUTE la société LUNDI MATIN de ses demandes au titre de l’atteinte à son droit moral et en cessation d’exploitation ;

— CONDAMNE la société LA POSTE à payer à la société LUNDI MATIN la somme de 12 000 (douze mille) euros pour résistance abusive ;

— DÉBOUTE la société LUNDI MATIN de ses demandes en concurrence déloyale et parasitaire ;

— CONDAMNE la société LA POSTE à régler à la société LUNDI MATIN la somme de 236 769,18 euros (deux cent trente-six mille sept cent soixante-neuf euros et dix-huit centimes) TTC au titre des factures impayées, augmentée des pénalités de retard contractuelles et des intérêts légaux à la date de l’exigibilité de chaque facture ;

— DÉBOUTE la société LA POSTE de ses demandes reconventionnelles en responsabilité délictuelle ;

— CONDAMNE la société LA POSTE à verser à la société LUNDI MATIN la somme de 8 000 (huit mille) euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

— CONDAMNE la société LA POSTE aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Martin LEMERY ;

— ORDONNE l’exécution provisoire.

Fait et jugé à Paris, le 06 juillet 2021.

La Greffière La Présidente


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