Contrefaçon de brevet par équivalence

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La contrefaçon par équivalence de moyens suppose que le moyen mis en application dans le dispositif argué de contrefaçon remplisse la même fonction que le moyen breveté.

C’est sans méconnaître les conséquences de ses constatations quant aux caractéristiques des dispositifs en présence que la cour d’appel, qui n’avait pas à suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a retenu que le moyen litigieux du dispositif « Easyclean » ne remplissait pas la double fonction de canalisation et de battage des grappes du moyen breveté et, en conséquence, écarté toute contrefaçon par équivalence.


 

COMM.

FB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 28 juin 2023

Rejet

M. VIGNEAU, président

Arrêt n° 482 F-D

Pourvoi n° J 22-10.124

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 28 JUIN 2023

1°/ La société Pellenc, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5],

2°/ la société Pellenc Languedoc Roussillon, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],

3°/ la société Pellenc Bordeaux Charentes, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4],

ont formé le pourvoi n° J 22-10.124 contre l’arrêt rendu le 1er octobre 2021 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 2), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Grégoire, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à la société Socomav, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],

défenderesses à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l’appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bessaud, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat des sociétés Pellenc, Pellenc Languedoc Roussillon et Pellenc Bordeaux Charentes, de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat des sociétés Grégoire et Socomav, après débats en l’audience publique du 16 mai 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bessaud, conseiller référendaire rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 1er octobre 2021), la société Pellenc, spécialisée dans le domaine des outils et machines destinés au marché viticole, est titulaire du brevet européen EP 2 030 514 (brevet EP 514), intitulé « égrappoir linéaire à mouvements oscillants alternatifs », déposé le 22 août 2008 et délivré le 12 octobre 2011, sous priorité de la demande de brevet français FR 0706084 déposée le 30 août 2007.

2. Les sociétés Pellenc Languedoc Roussillon (PLR) et Pellenc Bordeaux Charentes (PBC), filiales de la société Pellenc, distribuent des produits mettant en oeuvre le brevet EP 514.

3. La société Grégoire fabrique et commercialise également des machines pour le domaine viticole. Sa filiale, la société Socomav, est spécialisée dans la vente de machines agricoles d’occasion.

4. Soutenant que les sociétés Grégoire et Socomav fabriquaient et commercialisaient des machines intégrant la technologie d’égrappoir « Easyclean » reproduisant les revendications 1, 2, 3 et 4 de la partie française du brevet EP 514, les sociétés Pellenc, PLR et PBC (les sociétés Pellenc) ont assigné ces deux sociétés en contrefaçon.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Les sociétés Pellenc font grief à l’arrêt de rejeter leurs demandes en contrefaçon formées à l’encontre des sociétés Grégoire et Socomav, alors :

« 1°/ que la contrefaçon de brevet s’apprécie en fonction des ressemblances existantes entre le modèle breveté et celui argué de contrefaçon et non en fonction des différences qui peuvent les distinguer ; qu’en jugeant que la contrefaçon par équivalent n’était pas caractérisée, après avoir constaté que dans le brevet de la société Pellenc comme dans le dispositif Easyclean l’égrenage est au moins en partie réalisé par les mouvements de bras séparateurs, aux motifs inopérants tirés des différences existant entre les deux dispositifs, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles L. 613-2, L. 613-3 et L. 615-1 du code de la propriété intellectuelle ;

2°/ que la contrefaçon par équivalent est caractérisée lorsque des moyens différents remplissent la même fonction que ceux du brevet pour parvenir à un résultat identique ou semblable ; qu’en écartant l’existence d’une contrefaçon par équivalent, la cour d’appel a comparé l’ensemble des fonctions qu’elle a reconnues aux bras séparateurs dans le brevet de la société Pellenc avec l’ensemble des fonctions qu’elle reconnaissait aux bras séparateurs dans le dispositif Easyclean, mais n’a pas recherché si la fonction première qu’elle reconnaissait aux bras séparateurs dans le brevet de la société Pellenc, à savoir “la canalisation de la vendange” et l’égrenage réalisé par les mouvements de bras, n’était pas reprise dans le dispositif Easyclean, privant ainsi sa décision de base légale au regard des articles L. 613-2, L. 613-3 et L. 615-1 du code de la propriété intellectuelle. »

Réponse de la Cour

6. La contrefaçon par équivalence de moyens suppose que le moyen mis en application dans le dispositif argué de contrefaçon remplisse la même fonction que le moyen breveté.

7. Après avoir précisé que l’invention faisant l’objet du brevet EP 514 et le dispositif litigieux permettent de séparer les grains de raisin de la rafle après la vendange, l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que le moyen breveté, constitué de bras séparateurs superposés se déplaçant toujours dans un plan horizontal par rapport à la bande transporteuse, quelle que soit la position de la grappe, a pour fonction non seulement de canaliser la vendange sur la bande transporteuse mais, surtout, d’assurer un battage des grappes avec la même puissance en partie haute et en partie basse des ensembles de séparation, tandis que le dispositif « Easyclean », constitué de peignes munis de doigts séparateurs qui se déplacent dans un plan vertical transversal à celui de la bande transporteuse, a pour fonction de balayer les baies avec une « très légère vibration ». Il relève à cet effet que, dans le dispositif « Easyclean », la partie inférieure des doigts séparateurs vient battre les grappes de raisin suivant une orientation variable et que l’interaction entre l’extrémité inférieure libre des doigts séparateurs et le tapis de transport ajouré, du fait du mouvement de balayage des doigts séparateurs qui oscillent de part et d’autre d’une orientation verticale, assurent l’égrenage des grappes. Il en déduit que le moyen critiqué dans le dispositif « Easyclean » ne produit pas le même effet technique que le moyen revendiqué dans le brevet EP 514.

8. En cet état, c’est sans méconnaître les conséquences de ses constatations quant aux caractéristiques des dispositifs en présence que la cour d’appel, qui n’avait pas à suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a retenu que le moyen litigieux du dispositif « Easyclean » ne remplissait pas la double fonction de canalisation et de battage des grappes du moyen breveté et, en conséquence, écarté toute contrefaçon par équivalence.

9. Le moyen n’est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les sociétés Pellenc, Pellenc Languedoc Roussillon et Pellenc Bordeaux Charentes aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Pellenc, Pellenc Languedoc Roussillon et Pellenc Bordeaux Charentes et les condamne in solidum à payer aux sociétés Grégoire et Socomav la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit juin deux mille vingt-trois.