Contrefaçon : 17 octobre 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 20/05136

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Contrefaçon : 17 octobre 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 20/05136
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COUR D’APPEL DE BORDEAUX

1ère CHAMBRE CIVILE

————————–

ARRÊT DU : 17 OCTOBRE 2023

PP

N° RG 20/05136 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-L27J

Syndicat professionnel LE CONSEIL DES GRANDS CRUS CLASSES 1855

c/

S.A.S. AL CONCEPT

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 03 novembre 2020 par le Tribunal Judiciaire de BORDEAUX (chambre : 1, RG : 19/04799) suivant déclaration d’appel du 21 décembre 2020

APPELANT :

Syndicat professionnel LE CONSEIL DES GRANDS CRUS CLASSES 1855, agissant en la personne de son Président en exercice, M. [N] [G], domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 1]

représenté par Maître Hélène POULOU, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

S.A.S. AL CONCEPT, prise en la personne de son Président, M. [B] [T], domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 2]

représentée par Maître SOUDAN substituant Maître Marie-Christine RIBEIRO de la SELARL CMC AVOCATS, avocats postulants au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Denis MAZELLA de la SELARL AQUITAINE AVOCATS, avocat plaidant au barreau de BAYONNE

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été examinée le 05 septembre 2023 en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Paule POIREL, Président

Mme Bérengère VALLEE, Conseiller

M. Emmanuel BREARD, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Véronique SAIGE

Le rapport oral de l’affaire a été fait à l’audience avant les plaidoiries.

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

La SAS Al Concept, propriétaire d’un site internet ‘art&luxe1855.com’ commercialisant des chemises de luxe en séries limitées, a déposé le 27 mars 2018 la demande de marque française semi-figurative suivante n°4440948, en classe 18, 25 et 35 :

Le Conseil des Grands Crus Classés 1855, ci après ‘le Conseil’, est un syndicat professionnel créé en 2004 entre le ‘Conseil des Grands Crus Classés du Médoc’ et le ‘Conseil des Grands Crus de Sauternes et Barsac classés en 1855’, qui a notamment pour objet d’assurer ‘l’illustration du classement de 1855 et la défense contre toute atteinte pouvant être portée, par toute personne ou entité, aux mentions traditionnelles (ou aux dénominations les évoquant) associées aux vins bénéficiant du classement et la poursuite de tels actes en justice’ (article 2-1 des statuts).

Le classement 1855 des vins bordelais est la première classification officielle des vins de [Localité 3] établie à l’occasion de l’exposition universelle de [Localité 5] de 1855 à la demande de [O] [S]. La chambre de commerce de [Localité 3] a ainsi fait établir une classification des vins en cinq crus.

Par courrier du 22 juin 2018, la SAS Al Concept a été mise en demeure de procéder notamment au retrait de la demande de marque, de cesser toute utilisation de la marque litigieuse et d’abandonner son nom de domaine.

La SAS Al Concept a, en suivant, modifié son site internet, y ayant retiré toutes mentions relatives à l’univers viticole.

Par exploit d’huissier en date du 14 mai 2019, le Conseil des Grands Crus Classés 1855 a fait assigner la SAS Al Concept devant le tribunal de grande instance de Bordeaux, au visa des dispositions :

-de l’article 13 du décret du 19 août 2021 portant application des dispositions de l’article L 214-1 du code de la consommation aux vins, aux vins mousseux et aux eaux de vie,

-du règlement CE du N° 1308/2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles,

-du règlement CE n° 607/2009 de la commission du 14 juillet 2009 fixant certaines modalités d’application du règlement CE 479/2008 du conseil concernant les appellations d’origine protégées et les indications géographiques protégées, les mentions traditionnelles, l’étiquetage et la présentation de certains produits du secteur viticole de certaines dispositions,

afin que soit constatée que la fabrication et la commercialisation de chemises sous la marque ‘ART&LUX 1855 MILLESIME’ ou les services faisant référence à la mention ‘1855″ a porté atteinte à la mention traditionnelle ‘1855″ et aux appellations d’origine classées en 1855 et, en conséquence, que soit ordonnée l’annulation de la marque ‘ART&LUX 1855 MILLESIME’ n°4440948 déposée le 27 mars 2018 en classe 18,25 et 35 pour l’intégralité des services visés, que soit prononcée, en raison de la contrefaçon ou d’agissements de nature à engager la responsabilité civile de la société Al Concept, l’interdiction à l’encontre de cette société, directement ou indirectement, de fabriquer ou faire fabriquer, de promouvoir et vendre des chemises ou tout autre service sous cette marque, sous astreinte, et que soit ordonnées la confiscation et la destruction des dits produits ainsi que la publication du jugement à intervenir.

Par jugement du 3 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

– débouté le Conseil des Grands Crus Classés en 1855 de toutes ses demandes,

– condamné le Conseil des Grands Crus Classés en 1855 à payer à la SAS Al Concept la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné le Conseil des Grands Crus Classés en 1855 aux dépens.

Le Conseil des Grands Crus Classés en 1855 a relevé appel de ce jugement en toutes ses dispositions, par déclaration électronique en date du 21 décembre 2020 et, par conclusions déposées le 30 juillet 2021, il demande à la cour de:

Infirmer le jugement déféré en ce qu’il a :

– débouté le Conseil des Grands Crus Classés en 1855 de toutes ses demandes,

– condamné le Conseil des Grands Crus Classés en 1855 à payer à la SAS Al Concept la somme de 4000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné le Conseil des Grands Crus Classés en 1855 aux dépens.

Statuant de nouveau :

I. Sur la nullité de la marque détenue par la Sas Al Concept du fait de sa déceptivité,

Au visa des dispositions de l’article 711-3 c ancien du code de la propriété intellectuelle dans sa version en vigueur à a date des faits,

– ordonner l’annulation de la marque française n° 4440948 déposée le 27 mars 2018 en classe 18, 25 et 35, pour l’intégralité des produits et services visés ;

– ordonner la transcription par l’Institut National de la Propriété Industrielle au Registre

National des Marques de la décision à intervenir sur réquisition de Monsieur le greffier en chef de la cour.

II. Sur les agissements fautifs liés à l’exploitation du sigle « 1855 » par la Sas Al Concept :

À titre principal, sur la contrefaçon des marques détenues par le Conseil,

au visa des dispositions des articles L 711-1 et suivants, L 713-3 et L 716-5 et L 716-4-11 du code de la propriété intellectuelle,

– condamner la Société Al Concept à payer au Conseil des Grands Crus Classés en

1855 la somme de 50 000€, du fait des actes de contrefaçon commis en fabriquant, commercialisant et promouvant des chemises sur mesure sous la marque ART&LUXE 1855 MILLESIME, ainsi que tout autre produit (autre qu’un vin en bénéficiant) ou service faisant référence à la marque «1855 »,

– interdire à la société Al Concept, directement ou indirectement, d’utiliser la marque 1855, et en conséquence de fabriquer, faire fabriquer, importer, détenir, promouvoir, offrir à la vente et vendre des chemises ainsi que tout autre produit (autre qu’un vin en bénéficiant) ou service faisant référence à la mention « 1855 » dans les trois (3) mois de la signification du jugement à intervenir et ce sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée et par jour de retard,

– ordonner la confiscation et la destruction de l’intégralité des chemises ainsi que de

tout autre produit (autre qu’un vin en bénéficiant) ou service faisant référence à la mention «1855» incriminés restant en stock, ainsi que de tous éventuels supports, documents commerciaux, promotionnels ou marketing sur lesquels serait reproduite la mention «1855», dans un délai de trois (3) mois à compter de la signification de la décision à intervenir et ce, sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée et par jour de retard,

– ordonner à la SAS Al Concept de procéder à la radiation du nom de domaine « artlux1855.com » contrefaisant les marques détenues par le Conseil des Grands Crus Classés en 1855, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard dans un délai de quinze (15) jours calendaires à compter de la signification du jugement à intervenir,

– ordonner la publication du dispositif de la décision à intervenir, dans les dix (10) jours de son prononcé, sur les sites internet www.art&lux1855.com pendant trois (3) mois ainsi que dans cinq (5) journaux ou magazines, professionnels ou grand public, nationaux ou locaux, français ou étrangers au choix du Conseil et ce aux frais avancés de la société Al Concept le coût de chaque publication ne pouvant excéder la somme de 4.000 euros.

À titre subsidiaire, sur les pratiques commerciales trompeuses commises par la SAS Al Concept, au visa des articles L121-1-1, L 120-1 et L 213-1 du code de la consommation et 1240 du code civil :

– condamner la Société Al Concept à payer au Conseil des Grands Crus classés en

1855 la somme de 50 000€, du fait des pratiques commerciales trompeuses commises par la SAS Al Concept,

– interdire à la société Al Concept, directement ou indirectement, d’utiliser la marque 1855, et en conséquence de fabriquer, faire fabriquer, importer, détenir, promouvoir, offrir à la vente et vendre des chemises ainsi que tout autre produit (autre qu’un vin en bénéficiant) ou service faisant référence à la mention « 1855 » dans les trois (3) mois de la signification du jugement à intervenir et ce sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée et par jour de retard,

– ordonner la confiscation et la destruction de l’intégralité des chemises ainsi que de tout autre produit (autre qu’un vin en bénéficiant) ou service faisant référence à la mention «1855» incriminés restant en stock, ainsi que de tous éventuels supports, documents commerciaux, promotionnels ou marketing sur lesquels serait reproduite la mention «1855», dans un délai de trois (3) mois à compter de la signification de la décision à intervenir et ce, sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée et par jour de retard,

– ordonner à la SAS Al Concept de procéder à la radiation du nom de domaine

«artlux1855.com » contrefaisant les marques détenues par le Conseil des Grands Crus Classés en 1855, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard dans un délai de quinze (15) jours calendaires à compter de la signification du jugement à intervenir.

A titre subsidiaire, sur les actes de parasitismes commis par la Sas Al Concept, au visa de l’article 1240 du code civil :

– condamner la Société Al Concept à payer au Conseil des grands Crus classés en 1855 la somme de 50 000€, du fait des pratiques commerciales trompeuses commises par la SAS Al Concept,

– interdire à la société Al Concept, directement ou indirectement, d’utiliser la marque 1855, et en conséquence de fabriquer, faire fabriquer, importer, détenir, promouvoir, offrir à la vente et vendre des chemises ainsi que tout autre produit (autre qu’un vin en bénéficiant) ou service faisant référence à la mention « 1855 » dans les trois (3) mois de la signification du jugement à intervenir et ce sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée et par jour de retard,

– ordonner la confiscation et la destruction de l’intégralité des chemises ainsi que de tout autre produit (autre qu’un vin en bénéficiant) ou service faisant référence à la mention «1855» incriminés restant en stock, ainsi que de tous éventuels supports, documents commerciaux, promotionnels ou marketing sur lesquels serait reproduite la mention « 1855», dans un délai de trois (3) mois à compter de la signification de la décision à intervenir et ce, sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée et par jour de retard,

– ordonner à la SAS Al Concept de procéder à la radiation du nom de domaine « artlux1855.com » contrefaisant les marques détenues par le Conseil des Grands Crus Classés en 1855, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard dans un délai de quinze (15) jours calendaires à compter de la signification du jugement à intervenir.

En tout état de cause :

– rejeter la demande de dommages et intérêts présentée par la société Al Concept sur le fondement de l’article 1240 du Code civil,

– autoriser le Conseil à leur seule discrétion, à publier le dispositif de la décision à intervenir sur son site Internet,

– condamner la société Al Concept, à payer au Conseil une somme de 10.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Al Concept aux entiers dépens.

La société Al Concept, dans ses dernières conclusions en date du 21 septembre 2021, demande à la cour de :

Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions en ce qu’il a :

-débouté le Conseil des Grands Crus Classés 1855 de toutes ses demandes,

-condamné le Conseil des Grands Crus Classés 1855 à payer à la SAS Al Concept la somme de 4.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné le Conseil des Grands Crus Classés 1855 aux dépens,

En tout état de cause :

– débouter le Conseil des Grands Crus Classés 1855 de l’ensemble de ses demandes fondées sur la contrefaçon de la marque 1855,

– juger que l’exploitation de la marque « ART & LUX 1855 MILLESIME Fabriqué en France’ n’est pas constitutive de parasitisme.

– juger que la commercialisation de chemises sous la marque « ART & LUX 1855 MILLESIME Fabriqué en France » n’est pas de nature à créer un risque de confusion dans l’esprit des consommateurs sur l’origine des produits et sur leurs qualités,

– juger que l’exploitation de la marque « ART & LUX 1855 MILLESIME Fabriqué en France » n’est pas constitutive d’une pratique commerciale trompeuse.

– juger que l’exploitation de la marque « ART & LUX 1855 MILLESIME Fabriqué en France » n’est pas constitutive d’une évocation illicite d’AOC.

– juger que la marque semi-figurative « ART & LUX 1855 MILLESIME Fabriqué en France » n’est pas de nature à tromper le consommateur sur l’ancienneté de la marque,

– juger que la marque semi-figurative «ART & LUX 1855 MILLESIME – fabriqué en France » n’a pas un caractère déceptif,

– débouter le Conseil des Grands Crus Classés en 1855 de sa demande visant à voir annuler la marque,

Y ajoutant :

– condamner le Conseil des Grands Crus Classés 1855 à payer à la SAS Al Concept une somme de 50.000 euros en réparation de son entier préjudice,

– condamner le Conseil des Grands Crus Classés 1855 à payer à la SAS Al Concept au paiement une indemnité de 6.000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens d’appel.

L’affaire a été fixée à l’audience collégiale du 5 septembre 2023.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 22 août 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Le Conseil des Grands Crus Classés en 1855 se prévalait en première instance d’une protection au titre de la mention traditionnelle ‘Crus Classés 1855″ par le droit de l’union européenne, d’une atteinte à une marque de renommée et d’un signe notoire protégé ‘1855″, le protégeant contre tout usage illicite, y compris pour des produits qui ne seraient pas d’origine viticole ou agricole.

Il a été débouté de ses demandes, les premiers juges ayant exclu qu’il puisse se prévaloir de la protection attachée aux marques traditionnelles sur un seul des termes de la marque traditionnelle ‘Crus Classés 1855″ dépassant qui plus est le principe de spécialité, mais également d’une protection du signe notoire ‘1855″ ou de la marque de renommée à défaut pour la mention ‘1855″ d’avoir été enregistrée en tant que marque.

Devant la cour, le conseil des grands crus classés en 1855 conteste la décision entreprise qui l’a débouté de toutes ses demandes après avoir relevé que le conseil ne se prévalait pas d’une protection du sigle ‘1855″ en tant que marque et écarté toute protection au titre des mentions traditionnelles ou de la notoriété attachée au seul sigle ‘1855″, mais il abandonne expressément toute revendication de protection du sigle ‘1855″ en tant que mention traditionnelle.

Il se prévaut désormais devant la cour d’un enregistrement des marques :

– françaises ‘1855″ n° 053385423 (classes 1 à 45) et n° 95600218 (classes 33,39 et 42) déposées le 12 octobre 2005,

– communautaires ‘1855″ n° 005496898 (classes 16, 35 et 43) et n° 000814160 (classes 33, 39 et 42) déposées le 24 novembre 2006 ;

Il conclut à la réformation du jugement entrepris et au premier chef à l’annulation de la marque litigieuse pour déceptivité ainsi qu’à la protection de la marque ‘1855″ mais également de la marque de renommée ‘1855″, au titre des agissements de la société Al Concept constitutifs d’une contrefaçon et, subsidiairement, au titre d’agissements engageant sa responsabilité civile, que ce soit au titre des pratiques commerciales déloyales ou trompeuses et, subsidiairement, au titre du parasitisme.

I – Sur la nullité de la marque ‘ART & LUX 1855 MILLESIME’ en raison de son caractère déceptif (article L 711-1 à L 711-4 et L 714-3 du CPI) :

Pour solliciter la nullité de la marque commercialisée par la société Al Concept en raison de sa déceptivité, le conseil fait valoir à la fois que les conditions d’utilisation de la mention ‘MILLESIME 1855″ sont de nature à inciter le consommateur à croire que les produits vendus par la marque Al Concept sont l’émanation des grands crus classés en 1855 et qu’ils bénéficient d’une plus value à ce titre du fait d’un lien économique entre la marque litigieuse et les châteaux protégés par la marque ‘1855″, de nature à tromper le consommateur sur l’origine et la qualité des produits et que la présentation de la marque déposée qui met particulièrement en exergue l’année 1855 au centre d’un carré en caractères plus épais et de taille supérieure aux termes qui l’accompagnent est particulièrement trompeuse en ce sens qu’elle laisse penser au consommateur qu’ Al Concept est une manufacture française existant depuis 1855, le tout participant d’une présentation de nature à induire le consommateur en erreur justifiant l’annulation de la marque.

La société Al Concept conteste au contraire que par sa présentation mettant particulièrement en exergue la mention 1855 associée au mot MILLESIME, qui est l’élément central de la marque, celle-ci soit de nature à tromper le consommateur moyen sur l’ancienneté de la fabrication et partant, sur la qualité du produit qu’il achète, alors que les références aux lieu et à la date de fabrication qui constituent des éléments accessoires de la marque n’en sont pas l’élément visuel principal. Elle observe encore que les produits commercialisés sous la marque litigieuse (chemises) sont sans lien avec le vin, de sorte que la marque n’est pas davantage de nature à entraîner une confusion dans l’esprit du public sur la nature du produit acquis ou sur sa provenance.

Selon les dispositions de l’article L 714-3 du code de la propriété intellectuelle dans sa version en vigueur jusqu’au 15 décembre 2019 applicable au présent litige, est déclaré nul par décision de justice l’enregistrement d’une marque qui n’est pas conforme aux dispositions des articles L. 711-1 à L. 711-4.

Selon les dispositions de l’article L 711-3 c, dans sa version en vigueur jusqu’au 15 décembre 2019, ne peut être adopté comme marque ou élément de marque, un signe de nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service.

Le public de référence est ici constitué par le consommateur moyen final dudit produit.

En l’espèce, la société Al Concept commercialise sous la marque semi-figurative ‘ART & LUX 1855 MILLESIME – Fabriqué en France’, en classe 25, des chemises.

La mention 1855 fait ici incontestablement référence à une date dès lors qu’elle est associée au mot MILLESIME et renvoie en ce sens à l’univers du vin et des grands crus classés. Complétée par les mentions ART&LUX, de même que celle de la fabrication en France, la marque déposée par la société Al Concept évoque pour le consommateur d’attention moyenne qui achète ces chemises numérotées de 1 à 100, à la fois l’ancienneté, la provenance et la qualité du produit, peu important en l’espèce que s’agissant de l’ancienneté, la mention 1855 ne soit pas précédée de la mention ‘depuis’.

Ces mentions sont contenues dans un carré de couleur rouge de sorte que cette présentation évoque pour le même consommateur moyen une étiquette et renvoie dès lors également aux étiquettes des grands crus et aux châteaux dont ils proviennent et sous lesquels ils sont commercialisés.

Elle est ainsi de nature à induire la croyance chez le consommateur moyen à un produit d’exception, dont la marque existe depuis 1855, susceptible de constituer un produit dérivé ou une émanation des crus classés en 1855 et à faire croire en conséquence à un lien économique entre les deux marques.

Et il s’agit bien d’une croyance erronée concernant tant la qualité, que la provenance des chemises commercialisées sous sa marque dès lors que la société Al Concept ne conteste pas que sa marque n’existe que depuis 2009, qu’elle n’a aucune relation de provenance avec l’univers des vins d’exception millésimés, ni avec les crus classés en 1855.

Si la société Al Concept observe justement que l’année 1855 présente également une relation avec le monde de la haute couture puisqu’à l’occasion de l’exposition universelle de 1855 [O] [S] avait également présenté au monde la machine à coudre Singer, fleuron de l’industrie française, qui y a d’ailleurs remporté le premier prix, l’importance visuelle de la mention ‘1855″ immédiatement associée à la mention ‘MILLESIME’, toutes deux contenues dans une étiquette, oriente pourtant naturellement le même consommateur moyennement attentif à associer ces deux mentions, c’est à dire à relier la première à l’univers du vin et non pas à celui de la haute couture et ce quand bien même des chemises seraient commercialisées sous la marque.

La marque en litige revêt bien ici un caractère déceptif, ne remplissant pas son office d’identification des produits qu’elle désigne, en sorte que la nullité en sera prononcée, le jugement entrepris étant infirmé en ce qu’il a débouté le Conseil de sa demande de ce chef.

La nullité de la marque revêtant un effet absolu, il sera procédé à sa transcription par l’Institut National de la Propriété Industrielle au Registre National des marques comme il sera dit au dispositif.

II – Sur les agissements fautifs reprochés à la société Al Concept

Le conseil reproche à la société Al Concept une contrefaçon de marque détenue par le conseil, à titre subsidiaire un préjudice résultant de pratiques commerciales trompeuses et, à titre infiniment plus subsidiaire, un acte de parasitisme.

A- Sur la contrefaçon de marques détenues par le conseil (articles L 713-5 et L 713-3 du CPI) :

Alors que le tribunal avait rejeté l’action en contrefaçon dirigée contre la société Al Concept au titre de l’atteinte à la marque de renommée ‘1855″ au motif que le Conseil ne justifiait pas avoir déposé la mention ‘1855″ en tant que marque, celui-ci agit désormais en contrefaçon à l’encontre de la société Al Concept sur le fondement des dispositions de l’article L 713-3 du code de la propriété intellectuelle, au titre de la protection de la marque ‘1855″ mais également sur le fondement des dispositions de l’article L 713-5, au titre de la protection de la marque de renommée, sans que ce dernier fondement ait un caractère subsidiaire, justifiant avoir déposé la marque 1855 avant le dépôt par la société Al Concept de la marque litigieuse, précisément en classe 1 à 45, incluant notamment les classes 18, 25 ‘Vêtements’ et 35 dans lesquelles la société Al Concept a elle même déposé sa marque.

1) sur la contrefaçon par imitation (article L 713-3 du code de la propriété intellectuelle):

Selon l’article L 713-3, dans sa rédaction applicable au présent litige, sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public :

a) la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l’enregistrement ;

b) l’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement.

Au terme de son action en contrefaçon, le Conseil soutient que :

– la marque ‘ART & LUX 1855 MILLESIME’ telle qu’elle a été déposée par la société Al Concept, utilise le sigle ‘1855″ appartenant au conseil des Grands Crus Classés 1855 à l’intérieur de la marque déposée ;

– il est propriétaire :

-des marques françaises ‘1855″ n° 053385423 (classes 1 à 45) et n° 95600218 (classes 33,39 et 42) déposées le 12 octobre 2005,

-des marques communautaires ‘1855″ n° 005496898 (classes 16, 35 et 43) et n° 000814160 (classes 33, 39 et 42) déposées le 24 novembre 2006 ;

– la marque déposée par la société Al Concept sous le n° 4440948 en classe 18, 25 et 35, postérieurement au dépôt des marques lui appartenant, le 27 mars 2018, alors que notamment le Conseil justifie commercialiser des articles de type tabliers portant la mention 1855, constitue une reproduction ou l’imitation ou l’usage d’une marque imitée pour des produits ou services similaires à ceux visés dans l’enregistrement ;

– la marque litigieuse met particulièrement en évidence le sigle ‘1855″, ce qui constitue une imitation à la fois visuelle, sonore et intellectuelle du sigle 1855,

– la société Al Concept a inscrit l’ensemble de sa stratégie de marketing dans le domaine du vin et du luxe par l’emploi des termes ‘ART et LUX’, faisant référence aux châteaux qui bénéficient de ces classements et ‘MILLESIME’, fortement associé à l’univers du vin,

– elle fait référence à la particulière qualité des chemises labellisées ‘Origine France Garantie’, à une sélection de tissus haut de gamme au tombé parfait,

– initialement le site de la société faisait une référence expresse par ‘ART & LUX 1855″ aux amateurs d’art ou amoureux des grands vins de [Localité 3].

Il en déduit que la société Al Concept s’est livrée au sens de l’article L 713-3 à une reproduction, imitation ou à l’usage d’une marque imitée ou reproduite pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement, soit à une contrefaçon.

C’est cependant à bon droit que la société Al Concept fait valoir que l’appréciation du risque de confusion entre deux signes en matière de contrefaçon de marque par imitation ne peut se faire que de manière globale en tenant compte de tous les facteurs pertinents de l’espèce et du degré de similitude existant non seulement entre les signes en conflit, plutôt qu’au regard des différences de détail susceptibles d’échapper au consommateur moyen, mais également, au regard du principe de spécialité, entre les produits ou services concernés.

En effet, en l’absence d’une double identité entre les signes, d’une part, et les produits et services concernés, d’autre part, il ne peut y avoir atteinte au droit du titulaire d’une marque par imitation que s’il y a risque de confusion dans l’esprit du public entre des produits et signes similaires, les similitudes dégagées pouvant être phonétiques, visuelles ou intellectuelles, notamment par analogie ou par contraste.

Le public pertinent est le public destinataire du produit ou service concerné, soit un consommateur qui n’est pas particulièrement attentif et qui n’a pas devant lui en même temps les signes en conflit.

En l’espèce, les marques dont la protection est sollicitée sont les marques verbales françaises ‘1855″, déposées le 12 octobre 2005 par le conseil n° 053385423 en classe (1à 45) et n° 95600218 en classes (33, 39 et 42) ainsi que les marques communautaires ‘1855″ déposées le 24 novembre 2006, n° 005496898″ en classes (16,35 et 43) et n° 000814160 en classes (33, 39 et 42).

Dans la marque litigieuse semi figurative, déposée le 27 mars 2018, n° 4440948 (classes 18, 25 et 35), la mention 1855 se retrouve au centre de la marque à la fois visuelle et verbale ‘ART &LUX 1855 MILLESIME- Fabriqué en France’ dans un cadre rouge au dessous de la mention ART & LUX et au dessus de la mention MILLESIME de la sorte :

Certes, la marque litigieuse n’est pas identique à la marque ‘1855″, dès lors qu’existent des ajouts, mais elle inclut, dans un agencement particulier évoquant une étiquette de vin, la mention proéminente en gros caractères gras, ‘1855″, laquelle, associée à la mention MILLESIME, évoque, ainsi qu’il a été sus retenu, à la fois une date et l’univers des vins de prestige. D’autre part, la mention 1855, telle qu’elle est figurée ne fait pas visuellement corps avec l’ensemble dont elle se détache, attirant très nettement l’attention du consommateur.

Il a été sus retenu que les deux marques avaient été déposées notamment dans la même classe 25 ‘Vêtements’. Cependant, les chemises qui sont commercialisées sous la marque litigieuse ne constituent pas des articles identiques aux tabliers qui sont commercialisés sous la marque ‘1855″ et il ne s’agit pas non plus d’articles similaires dès lors qu’ils n’ont pas la même fonction, ni utilisation, l’un ayant une fonction strictement vestimentaire (la chemise), tandis que l’autre est un équipement de travail, accessoire technique ou professionnel réservé à la cuisine, aux vins ou aux travaux de manipulation de denrées alimentaires, destiné à protéger ou revêtu pour des motifs d’hygiène (le tablier). Ils ne sont pas davantage concurrents, ni complémentaires. Dès lors, en l’absence de toute similitude entre les produits ou services commercialisés sous les deux marques, le Conseil ne saurait prétendre à la protection de sa marque sur le fondement de la contrefaçon par imitation.

Le conseil sera débouté de toutes ses demandes au titre de la contrefaçon de marque, par ajout au jugement entrepris.

2) sur la contrefaçon de marque de renommée (article L 713-5 du code de la propriété intellectuelle) :

Selon l’article L 713-5 du code de la propriété intellectuelle, la reproduction ou l’imitation d’une marque jouissant d’une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l’enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur si elle est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cette reproduction ou imitation constitue une exploitation injustifiée de cette dernière.

La protection de la marque de renommée en ce qu’elle permet d’échapper au principe de spécialité impose que soit caractérisée une atteinte à cette marque, c’est à dire que l’usage de la marque postérieure tire indûment profit, sans juste motif, du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, ou lui porte un préjudice.

Dès lors que le Conseil est finalement débouté de sa demande de protection de sa marque en l’absence de similitudes entre les produits commercialisés sous les marques en litige, l’intérêt d’invoquer la contrefaçon de marque de renommée est patent, lui permettant d’échapper au principe de spécialité.

Cette protection de la marque de renommée suppose l’enregistrement de la mention à protéger en tant que marque et le Conseil avait été là aussi débouté de son action devant les premiers juges à défaut de s’être prévalu de l’enregistrement de la mention 1855 en tant que marque, ce qui est fait devant la cour.

Il incombe au premier chef au Conseil de justifier que la mention ‘1855″ constitue une marque de renommée et les éléments qu’il produit doivent également permettre de caractériser et de mesurer l’atteinte effective à la marque de renommée.

Ainsi que le tribunal l’observait à juste titre, le Conseil, tout en agissant sur le terrain de la contrefaçon de la marque de renommée, invoque tout à la fois la marque notoire. Or, les premiers juges ont exactement relevé que pour bénéficier de la protection élargie de la marque notoire, la notion de public auquel il est fait référence est appréciée de manière plus stricte que pour la marque de renommée laquelle se contente de la référence à la connaisance de la marque par ‘une partie significative du public concerné par les produits et services couverts par elle’, au contraire du régime de protection de la marque notoire qui se réfère à une connaissance par une large fraction du public composé de l’ensemble des consommateurs, le grand public, et non des seuls consommateurs concernés par les produits ou services qu’elle désigne.

L’action étant engagée sur l’article L 713-5 du code la propriété intellectuelle visant la contrefaçon de marque de renommée, ainsi qu’il résulte du dispositif des dernières conclusions du conseil, il suffit en conséquence pour le conseil d’établir la connaissance de la marque ‘1855″ par une partie significative du public concerné par les produits ou services couverts par elles.

En l’espèce, s’agissant des seuls produits ou services couverts par la marque dont le conseil se prévaut, vins et tabliers, ils ne recouvrent pas des publics différents tant les tabliers vendus sous la marque sont intimement liés à la dégustation de ces crus classés dont le conseil assure à la fois la promotion et la défense. Le public concerné par ces produits et services est en conséquence identique.

Le conseil produit de nombreux articles de presse publiés dans des revues spécialisées (revue des vins de France, Magasine [O] [S] ) mais pas uniquement (Le Figaro, Le Point, Sud Ouest…), des revues françaises ou étrangères (Huffington Post, Washington Post) mais également des films évoquant le prestige des crus classés du bordelais et la classification de [O] [S].

Ces productions (ses pièces 12 à 33) ne sont cependant pas toutes pertinentes à défaut pour certaines d’entre elles d’être datées ou d’être parues postérieurement au dépôt de la marque litigieuse par la société Al Concept le 27 mars 2018 (ses pièces 12, 13, 14, 15 à 18, 21,22, 25, 29, 30), dont notamment le dictionnaire amoureux du vin de [F] [M] dont la date d’édition est inconnue (pièce13), la référence à une bande dessinée dans un article postérieur à mars 2018 (pièce 12), ou l’article daté de décembre 2019 faisant référence à l’affiche créée par [N] [V] (pièce 14).

Le conseil produit également des articles qui font référence à ce classement de 1855, publiés antérieurement au dépôt de la marque litigieuse, soit :

-un article publié dans la revue Express tendance en décembre 2015 intitulé 1855 : [Localité 3], les vins premiers de la France (pièce 19),

-un article du Huffington Post de mai 2013 intitulé Vin: 1855 un classement pour l’éternité(pièce 20),

-un article de l’agence France Presse sorti pour le 150ème anniversaire des grands crus classés (pièce 23),

– un article de la revue [O] [S] concernant ‘le classement des vins de [Localité 3]’ en 1855 daté de juin 2009 (pièce 24),

-un article du site Decanteur.com daté de janvier 2010 paru en langue anglaise dont le titre est ‘1855 AND ALL THAT’ (pièce 26),

-un article en langue anglaise du magasine ‘Wine Expo online’ paru en juillet 2015, évoquant [Localité 3] et la 13 ème Vinexpo de 2005 ainsi que le 150ème anniversaire de la classification 1855 de [Localité 3]’ (pièce 27),

-un article en anglais de la revue ForbesLife paru en juin 2015, intitulé ‘Top [Localité 3] Wines, Ultimate Luxuries As Well As Good Value Producers, And The 1855 Classification (pièce 28),

-un article de Télé Loisirs d’octobre de 2013, retraçant à la page ‘Découverte’, ‘la petite Histoire des vins de [Localité 3]’ citant notamment [O] [S] et l’exposition universelle de 1855 et introduisant l’émission ‘l’ombre d’un doute’ diffusée sur France 3 et consacrée à la découverte de [Localité 3] et de sa prestigieuse région viticole, dans laquelle l’animateur part à la découverte de [Localité 3] et de sa région et au travers elle, à la découverte des grands châteaux du Médoc. Il résulte de cette pièce que cette émission a recueilli 2 435 000 spectateurs soit 10% de part d’audience (pièce 31),

-un article de la revue Le Soir de décembre 2015 évoquant les nombreux grands crus ayant inspiré des films célèbres tels [Adresse 4], cru supérieur 1855, ayant fait plusieurs apparitions dans des films de [J] (pièce 32).

Il s’y ajoute, la production d’un article du Figaro de juillet 2015, dans lequel est envisagé un classement au patrimoine de l’humanité du classement de 1855 établi à la demande de [O] [S] en vue de l’exposition universelle de 1855 (pièce 33).

En revanche, le courrier du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, en date du 23 novembre 2020, confirmant l’accompagnement par le Conseil des Grands Crus Classés de ses membres ‘dans l’oenotourisme’ et l’implication du Conseil dans les travaux de l’OMT, mentionnant expressément le soutien du chef de mission à la demande d’affiliation à l’organisation mondiale du tourisme du Conseil des Grands Crus Classés en 1855, n’apparaît pas pertinent dès lors qu’il est également postérieur au dépôt de la marque litigieuse.

La diversité de provenance de ces articles, ne concernant pas uniquement des revues spécialisées, leur parution y compris en anglais ainsi que la parution d’une émission de télévision sur une chaîne publique, davantage accès sur la découverte des terroirs français, atteste certes d’un rayonnement des grands crus classés en 1855 en France comme à l’international mais aucun des éléments produits ne permet d’affirmer, en dehors de tout élément permettant de déterminer les parts de marchés détenues par la marque, l’intensité de son usage, l’ampleur de la promotion des marques et des investissements réalisés par le Conseil pour sa promotion, ou de toute étude, audit ou sondage d’opinion permettant de mesurer la connaissance effective de la marque auprès d’une partie significative du public concerné par les produits ou services couverts par la marque, que la marque ‘1855″ constitue une marque de renommée au sens des dispositions susvisées méritant protection à ce titre.

Etant ainsi insuffisamment établie l’atteinte à une marque de renommée, le jugement entrepris est confirmé en ce qu’il a débouté le conseil de sa demande au titre de la contrefaçon de marque de renommée et de ses demandes y afférentes.

B) Sur les pratiques commerciales trompeuses et déloyales reprochées à la SAS Al Concept :

Le fait que les pratiques commerciales déloyales constituent une infraction pénale n’interdit pas de sanctionner ces pratiques sous le prisme de la responsabilité civile de l’article 1382 devenu 1240 du code civil dès lors qu’elles constituent un fait juridique caractérisant une faute civile et qu’est établie l’existence d’un dommage en lien de causalité avec cette faute.

Le Conseil invoque ici à faute, à l’encontre de la société Al Concept, tant une pratique déloyale qu’une pratique trompeuse.

Selon les dispositions de l’article L 121-1 du code de la consommation dans sa version applicable au pésent litige, ‘Les pratiques commerciales déloyales sont interdites.

Une pratique commerciale est déloyale lorsqu’elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu’elle altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service.

Le caractère déloyal d’une pratique commerciale visant une catégorie particulière de consommateurs ou un groupe de consommateurs vulnérables en raison d’une infirmité mentale ou physique, de leur âge ou de leur crédulité s’apprécie au regard de la capacité moyenne de discernement de la catégorie ou du groupe.

Constituent, en particulier, des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-2 à L. 121-4 et les pratiques commerciales agressives définies aux articles L. 121-6 et L. 121-7.’

Ainsi que le relevaient les premiers juges, selon les dispositions de l’article L 121-2 du code de la consommation, dans sa version applicable au pésent litige, ‘une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l’une des circonstances suivantes :

1° Lorsqu’elle crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial ou un autre signe distinctif d’un concurrent ;

2° Lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l’un ou plusieurs des éléments suivants :

a) L’existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service avec la circonstance qu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l’un ou plusieurs des éléments suivants :

a) L’existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service ;

b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l’usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service ;

c) Le prix ou le mode de calcul du prix, le caractère promotionnel du prix et les conditions de vente, de paiement et de livraison du bien ou du service ;

d) Le service après-vente, la nécessité d’un service, d’une pièce détachée, d’un remplacement ou d’une réparation ;

e) La portée des engagements de l’annonceur, la nature, le procédé ou le motif de la vente ou de la prestation de services ;

f) L’identité, les qualités, les aptitudes et les droits du professionnel ;

g) Le traitement des réclamations et les droits du consommateur ;

3° Lorsque la personne pour le compte de laquelle elle est mise en ‘uvre n’est pas clairement identifiable.’

En l’espèce les éléments invoqués au titre de la déceptivité de la marque tels qu’ils ont été sus retenus par la cour (risque de confusion sur l’origine de la marque et la qualité des produits par confusion sur l’ancienneté de la marque et sur le lien économique avec les châteaux bénéficiant du classement de 1855), sont également invoqués par le conseil au titre des pratiques commerciales trompeuses, à savoir, une présentation de la marque litigieuse de nature à induire en erreur le consommateur sur la provenance et la qualité des chemises vendues sous la marque (2°) et un risque de confusion avec la marque 1855 (1°).

Cependant, alors que la nullité pour déceptivité de la marque sanctionne la confusion que crée la marque sur un public de consommateurs moyens du fait de son seul contenu, la pratique commerciale trompeuse sanctionne des comportements ayant pour finalité la même tromperie du consommateur moyen, en sorte qu’elle suppose, ainsi que le relevaient justement les premiers juges, que soit mis en évidence des manoeuvres destinées à tromper le public pertinent sur les mêmes éléments caractérisant la déceptivité de la marque.

Ainsi, le juge de la déceptivité n’apprécie t-il que le ‘contenu’ de la marque là où le juge de la pratique commerciale trompeuse ou déloyale apprécie un ‘comportement’.

En outre, la pratique commerciale trompeuse ou déloyale nécessite que dans les deux cas la dite pratique soit de nature à altérer ou créer un risque d’altérer de manière substantielle le comportement économique du public pertinent le conduisant à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement.

Quant au dommage en résultant, dans le cas de pratiques commerciales déloyales ou trompeuses engageant la responsabilité civile du contrevenant, il ne peut s’agir que d’une modification substantielle du comportement commercial du consommateur de la marque subissant les dites pratiques, à son détriment ou au profit de la marque concurrente.

Le seul emploi de la mention protégée ‘1855″ dans la marque litigieuse n’est pas suffisant à caractériser une ‘pratique’ commerciale déloyale ou trompeuse, constitutive d’une faute mais il s’y ajoute ici une stratégie commerciale axée sur l’univers du vin et des grands crus classés 1855 et une habile référence à l’année 1855 en tant qu’elle a également vu l’avénement de la machine à coudre Singer.

Or, même à retenir que le risque de confusion créé par la marque sur un public pertinent, ainsi que la cour l’a relevé pour retenir le caractère déceptif de la marque litigieuse, résulte d’une pratique commerciale déloyale ou trompeuse, force est de constater que le dossier ne contient aucun élément de nature à établir que cette confusion à pu altérer d’une quelconque manière ou créer un risque d’altération, a fortiori de manière substantielle, le comportement commercial de ce consommateur au profit de la marque litigieuse ou au détriment de la marque 1855, alors que les deux marques ne recouvrent pas les mêmes produits ou services, le Conseil se contentant de rappeler la confusion entretenue par la marque litigieuse avec l’univers du vin et des châteaux ainsi que l’ancienneté de la marque et d’affirmer ‘qu’il existe un risque pour le consommateur de voir son comportement altéré’, ce qui est bien insuffisant pour caractériser une pratique commerciale déloyale ou trompeuse altérant ou risquant d’altérer de manière substantielle le comportement du consommateur de la marque ‘1855″, de nature à engager la responsabilité civile de la société Al Concept.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement qui a débouté le conseil de ses demandes au titre des pratiques commerciales trompeuses.

C ) Sur le parasitisme :

Après avoir justement rappelé que le parasitisme consistait pour une personne, physique ou morale à se placer dans le sillage d’autrui afin de tirer profit de son renom, de son travail ou de ses investissements, sans bourse délier, indépendamment de tout risque de confusion et qu’il s’agissait d’une pratique répréhensible sur le fondement de la responsabilité civile impliquant là encore la triple démonstration d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité entre eux, le tribunal a par des motifs pertinents que la cour fait siens justement relevé qu’il résultait des éléments du dossier que constituaient les mentions tout à fait éloquentes du site internet de la société Al Concept, que celle-ci avait incontestablement exploité le prestige attaché au classement de 1855, par l’usage du signe distinctif ‘1855″ pour promouvoir, dans son sillage, la vente de ses chemises sous la marque ‘ART&LUX 1855 MILLESIME’, ce dont il a pu retenir l’existence d’un acte de parasitisme.

La encore, la société Al Concept se défend en indiquant que la date de 1855 correspond également à celle de l’exposition universelle où la machine à coudre Singer présentée par [O] [S] à cette occasion a obtenu le premier prix , ce qu’elle n’aurait également pas manqué de mettre en avant sur son site, mais cela n’ôte en rien les très nombreuses références relevées par le tribunal à l’univers du vin et au classement des grands crus de 1855 que la société Al Concept n’a jamais contestées puisqu’elle en a au contraire retiré les mentions de son site.

Cependant, le fait que les mentions pouvant être qualifiées de fautives n’existent plus sur son site, la société Al Concept les ayant retirées à la première mise en demeure du Conseil en sorte que la présentation commerciale de la marque litigieuse ne comporte plus sur son site aucune référence à l’univers des vins de [Localité 3] et au classement de 1855, apparaît sans emport sur l’existence d’un acte de parasitisme, n’ayant d’incidence le cas échéant que sur la durée du comportement fautif et sur le préjudice susceptible d’en découler.

Le tribunal a toutefois pertinemment relevé, ce qu’aucun élément nouveau versé aux débats devant la cour ne permet de contredire, qu’en tout état de cause, il n’était nullement établi que l’usage du sigle 1855 dans les circonstances sus relevées ont entraîné une modification du comportement économique du consommateur de vins classés ou un risque de le faire, par dépréciation ou banalisation du signe distinctif et en conséquence un préjudice économique pour le conseil que celui-ci se contente d’affirmer sans produire le moindre élément pertinent à l’appui. Il est au surplus observé que les chemises commercialisées sous la marque litigieuse par la société Al Concept, sont des chemises de qualité, numérotées de1 à 100 et qu’au regard des éléments avancés par le Conseil lui même pour solliciter au titre des pratiques commerciales trompeuses une somme de 50 000 euros de dommages et intérêts, la société Al Concept n’aurait jamais commercialisé que 406 chemises à 104,23 euros sous cette marque.

Le jugement qui a débouté le Conseil de ses demandes au titre du parasitisme est en conséquence confirmé.

III – Sur la demande de dommages et intérêts de la société Al Concept

La société Al Concept sollicite reconventionnellement l’octroi d’une somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral et financier en raison des conséquences de la présente procédure sur son activité économique qu’elle aurait été en difficulté pour démarrer du fait de l’obligation dans laquelle elle s’est retrouvée, dès l’assignation du 14 mai 2019, de fermer son site internet ce qui l’a privée d’un outil pour promouvoir sa marque et a marqué l’arrêt des ventes de ses chemises, générant un stock d’anciens modèles qu’elle ne pourra écouler qu’au prix coûtant, en sorte que se poserait actuellement la question de la liquidation de la société.

Cependant, l’exercice du droit d’agir en justice ne dégénère en abus que lorsqu’il en est fait un usage de mauvaise foi, dans l’intention de nuire, voire avec une légèreté blâmable, ce qui ne saurait être le cas en l’espèce alors que le Conseil obtient gain de cause sur sa demande en nullité de la marque détenue par la société Al Concept et qu’au vu de ce qui a été sus retenu, la demande qui a été faite à cette société, par mise en demeure, de procéder au retrait de son site internet de toutes mentions afférentes à l’univers du vins et des grands crus classés en 1855 et l’assignation qui s’est ensuivie, ne sauraient revêtir aucun caractère fautif. Partant, la société Al Concept est mal venue à se plaindre de ce que la fermeture de son site internet en lien avec la présente procédure lui a occasionné un préjudice économique ou moral et en conséquence à solliciter de quelconques dommages et intérêts pour procédure abusive.

Elle sera en conséquence déboutée de cette demande par ajout au jugement entrepris.

Enfin, le Conseil sera autorisé à publier sur son site internet à sa seule discrétion le dispositif de la présente décision.

Au vu de l’issue du présent recours, le jugement entrepris est infirmé en ce qu’il a condamné le Conseil aux dépens de première instance lesquels seront mis à la charge de la société Al Concept, ainsi qu’à payer une somme de 4 000 euros à la société Al Concept au titre de ses frais irrépétibles de première instance, la société Al Concept étant pour les mêmes motifs condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel et à payer au Conseil une somme de 5 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour

Infirme partiellement le jugement entrepris

Statuant à nouveau du chef réformé :

Prononce l’annulation de la marque française semi-figurative n°4440948, déposée en classes 18, 25 et 35 le 27 mars 2018 par la société Al Concept.

Ordonne la transcription par l’Institut National de la Propriété Intellectuelle au Registre National des Marques de la présente décision sur réquisition du Greffier en Chef de la Cour.

Déboute la société Al Concept de sa demande au titre des frais irrépétibles de première instance.

Confirme le jugement entrepris pour le surplus de ses dispositions non contraires au présent arrêt et y ajoutant :

Déboute la société Al Concept de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive.

Autorise le Conseil des Grands Crus Classés en 1855 à publier à sa seule discrétion sur son site internet le dispositif de la présente décision.

Condamne la société Al Concept à payer au Conseil des Grands Crus Classés en 1855 une somme de 5 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d’appel.

Condamne la société Al Concept aux entiers dépens de première instance et

d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Madame Paule POIREL, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

 


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