Contrefaçon : 16 janvier 2024 Tribunal judiciaire de Paris RG n° 23/54112

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Contrefaçon : 16 janvier 2024 Tribunal judiciaire de Paris RG n° 23/54112
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TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

N° RG 23/54112 – N° Portalis 352J-W-B7H-CZTPY

N° : 1/MM

Assignation du :
09 Mai 2023

[1]

[1] 3 Copies exécutoires
délivrées le:

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 16 janvier 2024

par Irène BENAC, Vice-Présidente au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier.
DEMANDEUR

Monsieur [O] [A]
[Adresse 4]
[Localité 1]

représenté par Me Laurent SCHRAMECK, avocat au barreau de PARIS – #C1107

DEFENDEURS

S.A.S. CINEFRANCE STUDIOS
[Adresse 2]
[Localité 5]

représentée par Maître Benoît GOULESQUE MONAUX de la SELAS SELAS VALSAMIDIS AMSALLEM JONATH FLAICHER et ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS – #J0010

Monsieur [X] [D]
[Adresse 6]
[Localité 3]

représenté par Me Roland LIENHARDT, avocat au barreau de PARIS – #E0974

DÉBATS

A l’audience du 12 Décembre 2023, tenue publiquement, présidée par Irène BENAC, Vice-Présidente, assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier,

Nous, Président,

Après avoir entendu les conseils des parties,

Exposé du litige

M. [O] [A] (dit [K] [S]) est co-auteur avec M. [X] [D] (dit [Y] [R]) d’une œuvre musicale déposée à la SACEM le 30 juin 1997 intitulée Le crime. M. [D] en est également auteur, arrangeur et s’en dit producteur.
Les droits d’exploitation de ce titre ont été cédés à la société Universal music publishing et à la société Della Java, éditeurs.

La SAS Cinefrance est productrice du film de [B] [P] sorti en septembre 2021 intitulé Barbaque. Elle a demandé à la société Universal music publishing l’autorisation d’utiliser l’œuvre Le crime pour le générique de fin du film. Cette autorisation a été donnée par les deux auteurs à leur éditeur le 18 décembre 2020.
La société Cinefrance studios a conclu deux accords de cession des droits : l’un avec la société Universal music publishing du 3 janvier 2022 en qualité d’éditeur et l’autre avec la société Democrat D, en qualité de producteur phonographique et d’interprète, le 22 décembre 2021.
Le titre a été utilisé comme prévu mais sans aucun crédit au générique.
Les demandes de rectification et réparation de M. [A] et celles de son conseil étant restées sans effet, par actes du 9 mai 2023, M. [A] a fait assigner la SAS Cinefrance et M. [D], en sa qualité de coauteur, au visa des articles 835 du code de procédure civile, L.11l-1, L. 121-1, L.212-1 et L. 212-2 du code de la propriété intellectuelle.Il demande au juge des référés de :

– ordonner à la société Cinefrance studios d’insérer ou de faire insérer par tout diffuseur et par tout moyen au générique de fin du film Barbaque sur tout support de diffusion la mention des crédits suivants : “LE CRIME ([O] [A] / [X] [D]) Universal music publishing MGB France, Fair and square, Della java avec l’autorisation d’Universal music publishing MGB France (interprétation [O] [A])”, sous astreinte ;
– condamner la société Cinefrance studios à lui payer des provisions de 10.000 euros à valoir sur son préjudice subi au titre de l’atteinte à son droit moral d’auteur et 6.000 euros au titre de l’atteinte à son droit voisin d’interprète ;
– condamner la société Cinefrance studios aux dépens dont distraction au profit de Me Laurent Schrameck et à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il fait valoir que :- les deux auteurs ont donné l’accord pour synchroniser le générique de fin du film Barbaque avec leur titre Le crime, qui a été utilisé et n’est pas cité ;
– cette omission caractérise un trouble manifestement illicite qui perdure depuis la sortie du film le 27 octobre 2021 ;
– il est seul interprète du titre utilisé dans le film, ce n’est pas le groupe Democrat D, qui a enregistré une autre version ;
– après 7 mois de relances à la société Universal music publishing, et une lettre d’excuse de la société Cinefrance studios en janvier 2023, il ne s’est rien passé, ce qui a rendu le procès nécessaire ;
– son droit moral d’auteur et son droit voisin d’artiste interprète ont été violés ;
– la facture du laboratoire Color du 20 avril 2023 ne prouve pas que les mentions ont été dûment ajoutées au générique, notamment dans les versions accessibles en VOD ;
– le préjudice est important, le film ayant fait 240000 entrées et ce chiffre pouvant être triplé avec le VOD.

Dans ses dernières conclusions du 12 décembre 2024 soutenues oralement, M. [D] demande au juge des référés de :- ordonner à la société Cinefrance studios d’insérer, ou de faire insérer par tout diffuseur et par tout moyen, au générique de fin du film Barbaque, sur tout support de diffusion du film, la mention suivante :
Musique additionnelle : LE CRIME
([O] [A] / [X] [D])”,
sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de l’ordonnance,
– condamner la société Cinefrance studios à lui payer des provisions de 10.000 euros à valoir sur son préjudice subi au titre de l’atteinte à son droit moral d’auteur, 6.000 euros au titre de l’atteinte à son droit voisin d’interprète et 10.000 euros au titre de l’atteinte à son droit voisin de producteur,
– condamner la société Cinefrance studios aux dépens dont distraction au profit de Me [H] [W] et à lui payer la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il fait valoir que :- il a toujours agi sous le nom [Y] [R] production mais à titre personnel en tant que personne physique avec un numéro Siret et non via une personne morale ;
– il est auteur et producteur du titre litigieux dont il n’a pas autorisé l’exploitation commerciale en tant que producteur ;
– le nom du producteur figure sur le master et il n’a jamais cédé ses droits de producteur ;
– la contrefaçon de son droit auteur et de son droit voisin de producteur est un trouble manifestement illicite à l’origine d’un dommage pour la réparation duquel il demande une provision.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 12 décembre 2024 et soutenues oralement, la société Cinefrance studio demande au juge des référés de réduire à de plus justes proportions les demandes indemnitaires formées par MM. [A] et [D] au titre de l’atteinte à leur droit moral d’auteur et d’artiste-interprète, les débouter de leurs autres demandes, les condamner in solidum aux dépens et à lui payer la somme de 2.000 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que :- dès avril 2023, elle a fait insérer au générique une mention respectant les droits moraux des auteurs ;
– les demandes de provision sur dommages et intérêts de M. [D] se heurtent à une contestation sérieuse dès lors qu’il existe une société [Y] [R] production qui est distincte ;
– les montants demandés sont disproportionnés, l’exploitation du film Barbaque étant déficitaire.

L’affaire a été plaidée à l’audience du 12 décembre 2023.
Motivation

Conformément à l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur l’œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial et l’article L. 121-1 du même code précise : “ L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre. Ce droit est attaché à sa personne”.Toute atteinte à ces droits est une contrefaçon et un délit (article L. 335-2 du code de la propriété intellectuelle).

En application des articles L. 212-2 et L. 212-3 du même code, l’artiste-interprète a également un droit moral au respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation et son autorisation est requise pour la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public.
L’article L.213-1 du même code dispose : “Le producteur de phonogrammes est la personne, physique ou morale, qui a l’initiative et la responsabilité de la première fixation d’une séquence de son. L’autorisation du producteur de phonogrammes est requise avant toute reproduction, mise à la disposition du public par la vente, l’échange ou le louage, ou communication au public de son phonogramme autres que celles mentionnées à l’article L. 214-1”.
La violation de ces droits est un délit (article L. 335-4 du code de la propriété intellectuelle).

Selon l’article 835, alinéa 1, anciennement 809, du code de procédure civile, “Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire”.

La déclaration à la SACEM et les termes du contrat conclu le 3 janvier 2022 entre la société Cinefrance studios et la société Universal music publishing démontrent la qualité d’auteurs de l’œuvre Le crime de M. [A] et M. [D].
Il n’est pas discuté que le titre Le crime est le fond musical du générique de fin du film Barbaque alors qu’il y apparaît seulement (ainsi que sur la jaquette du DVD) “musique originale : [E] [Z]”, de sorte que le nom des auteurs n’y apparaît pas en violation de leur droit moral de paternité de l’œuvre.
L’obligation de la société Cinefrance studios de faire figurer au générique du film la mention de la diffusion de l’œuvre musicale Le crime avec l’indication de leurs auteurs n’est ni contestée, ni contestable, elle figure d’ailleurs en toutes lettres dans le contrat du 3 janvier 2022 précité.
Cette omission constitue une contrefaçon dont la nature et la durée caractérisent un trouble manifestement illicite dont il y a lieu d’ordonner la cessation en enjoignant au producteur du film d’insérer dans les crédits cités au générique de fin du film, la mention des auteurs de l’œuvre utilisée. Au regard de l’ancienneté de l’exploitation et de l’insuffisance des justifications par la société Cinefrance studios de la réalisation des diligences nécessaires et de leur efficacité, il y a lieu de prononcer une astreinte provisoire.
Le préjudice résultant de cette atteinte à leur droit de paternité pour la large diffusion du film Barbaque sur la période, au moins, du 27 septembre 2021 jusqu’au jour de l’audience – le demandeur ayant téléchargé en VOD une version du film pour le jour de l’audience dans laquelle le crédit n’apparaît pas – est à l’origine d’un préjudice pour les auteurs qui sera fixé, pour chacun d’eux à la somme de 5.000 euros.
En revanche, aucune pièce ne corrobore la qualité d’interprète de M. [A] et M. [D], ni la qualité de producteur de M. [D] (au sens de l’article L.213-1 du code de la propriété intellectuelle, sa qualité de producteur musical étant, elle, démontrée).Il est indiqué au contraire dans le contrat cité supra du 22 décembre 2021 que la société Democrat D est productrice et dans la déclaration SACEM précitée que le groupe Democrat D est interprète.

Dès lors les demandes sur les fondements des droits voisins d’artiste interprète et producteur sont rejetées comme insuffisamment démontrées.
La société Cinefrance studios, qui succombe, supportera les dépens de l’instance et l’équité justifie de la condamner à payer à M. [A] et M. [D], chacun, la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs

Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort ,

Ordonnons à la société Cinefrance studios d’insérer, ou de faire insérer par tout diffuseur et par tout moyen, au générique de fin du film Barbaque sur tous les supports de diffusion du film, la mention suivante:
“Musique additionnelle : LE CRIME
([O] [A] / [X] [D])”,
sous astreinte de 500 euros par infraction constatée dans un délai de 15 jours à compter de la signification de la présente ordonnance, astreinte qui courra pendant 150 jours ;

Condamnons la société Cinefrance studios à payer à M. [O] [A] la somme de 5.000 euros à valoir sur son préjudice subi au titre de l’atteinte à son droit moral d’auteur ;

Condamnons la société Cinefrance studios à payer à M. [X] [D] la somme de 5.000 euros à valoir sur son préjudice subi au titre de l’atteinte à son droit moral d’auteur ;

Rejetons les demandes de M. [O] [A] et M. [X] [D] fondées sur le droit voisin du droit d’auteur d’artiste-interprète ;

Rejetons les demandes de M. [X] [D] fondées sur le droit voisin du droit d’auteur du producteur ;

Condamnons la société Cinefrance studios aux dépens qui pourront être recouvrés directement par Me Roland Lienhardt et Me Laurent Schrameck conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

Condamnons la société Cinefrance studios à payer à M. [O] [A] et M. [X] [D], chacun, la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Fait à Paris le 16 janvier 2024

Le Greffier,Le Président,

Minas MAKRISIrène BENAC

 


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