Your cart is currently empty!
13 avril 2023
Cour de cassation
Pourvoi n°
21-20.252
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 13 avril 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 292 F-D
Pourvoi n° X 21-20.252
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 13 AVRIL 2023
La société Sprd.net AG, société de droit allemand, dont le siège est [Adresse 4] (Allemagne), a formé le pourvoi n° X 21-20.252 contre l’arrêt rendu le 21 mai 2021 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 2), dans le litige l’opposant :
1°/ à la société Teezily, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à la société BTSG2, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 1], en la personne de M. [H] [J], prise en qualité de mandataire judiciaire à la procédure de sauvegarde de la société Teezily,
3°/ à la société BL & associés, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de M. [B] [E], prise en qualité d’administrateur à la procédure de sauvegarde de la société Teezily,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bessaud, conseiller référendaire, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société Sprd.net AG, de la SCP Marc Lévis, avocat des sociétés Teezily, BTSG2, ès qualités et BL & associés, ès qualités, après débats en l’audience publique du 28 février 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bessaud, conseiller référendaire rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Reprise d’instance
1. Il est donné acte à la société Sprd.net AG de sa reprise d’instance à l’égard de la société Teezily, de la société BTSG2, prise en la personne de M. [J], en qualité de mandataire judiciaire à la procédure de sauvegarde de la société Teezily et de la société BL & associés, prise en la personne de M. [E], en qualité d’administrateur à la procédure de sauvegarde de la société Teezily.
Faits et procédure
2. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 21 mai 2021) et les productions, la société Sprd.net AG (la société Sprd.net), société de droit allemand spécialisée dans le commerce de détail de vêtements et d’accessoires personnalisés à la demande par l’intermédiaire de sa plate-forme accessible notamment par le nom de domaine « www.spreadshirt.fr », est titulaire d’une marque semi-figurative de l’Union européenne n° 11543857, enregistrée notamment pour des produits vestimentaires relevant de la classe 25 et de deux marques verbales de l’Union européenne « Spreadshirt » n° 10419596 et internationale « Spreadshirt » n° 815351, enregistrées pour désigner des produits et services relevant des classes 25 ainsi que, s’agissant de la dernière, des classes 35 et 38.
3. La société Teezily a pour objet le commerce de détail de produits, de textiles et d’autres matières imprimés, par l’intermédiaire de son site internet « www.teezily.com ».
4. Soutenant que la société Teezily offrait à la vente une large gamme de vêtements et accessoires identiques à ceux commercialisés sur sa plate-forme « Spreadshirt » et reproduisait les marques « Spreadshirt », la société Sprd.net l’a assignée en contrefaçon de droits d’auteur et de marques, atteinte au droit sui generis de producteur de base de données et concurrence déloyale.
5. En défense, la société Teezily a invoqué l’exonération de sa responsabilité en sa qualité d’hébergeur de données.
6. La société Teezily ayant été placée en sauvegarde judiciaire le 13 décembre 2021, la société Sprd.net a mis en cause la société BTSG2, prise en la personne de M. [H] [J], et la société BL & associés, prise en la personne de M. [E], en leurs qualités respectives de mandataire judiciaire et d’administrateur à la procédure de sauvegarde de la société Teezily et a justifié de la déclaration de sa créance.
Sur le second moyen
7. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. La société Sprd.net fait grief à l’arrêt de dire que la société Teezily, en sa qualité d’hébergeur de données, bénéficie du régime d’exonération de responsabilité civile visé à l’article 6, I de la loi du 21 juin 2004 et de rejeter en conséquence ses demandes en contrefaçon de marques et droits d’auteur, en concurrence déloyale et parasitaire ainsi qu’au titre du dénigrement, alors « que l’exonération de responsabilité prévue par l’article 6, I, 2° de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), au bénéfice des hébergeurs de données, ne s’applique pas lorsque le prestataire de services a joué un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des données transmises ou stockées sur sa plate-forme ; que tel est le cas lorsqu’il a prêté une assistance visant à optimiser la présentation ou la promotion des offres à la vente ; qu’en affirmant que la circonstance que le site de la société Teezily offrait au créateur “un support technique pour “créer [son] design en un clic””, publiait des articles concernant des astuces par pays pour “aider le créateur dans la préparation d’une campagne”, mettait “à la disposition des créateurs un service logistique de fabrication et de livraison des produits avec pour corollaire l’autorisation donnée par le créateur à la société Teezily de reproduire son oeuvre, et pour l’acheteur les garanties y afférentes” ne suffisait pas à caractériser le rôle actif de la société Teezily, la cour d’appel a violé l’article 6, I, 2° de la de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 (LCEN). »
Réponse de la Cour
Vu l’article 6, I, 2° de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 :
9. Aux termes de ce texte, les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible.
10. Ces dispositions transposent en droit français l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »), que la Cour de justice de l’Union européenne interprète en ce sens que ne peut être qualifié d’hébergeur la personne physique ou morale qui assure, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services, lorsqu’elle joue un rôle actif lui permettant d’avoir une connaissance ou un contrôle des données stockées. Tel est le cas quand elle prête une assistance consistant notamment à optimiser la présentation des offres à la vente en cause ou à promouvoir celles-ci (CJUE, 12 juillet 2011, L’Oréal e.a./eBay international e.a. C324/09), les dérogations en matière de responsabilité prévues par cette directive ne couvrant que les cas où l’activité du prestataire de services dans le cadre de la société de l’information revêt un caractère « purement technique, automatique et passif », impliquant que ledit prestataire « n’a pas la connaissance ni le contrôle des informations transmises ou stockées » (CJUE, 23 mars 2010, Google France SARL, Google Inc. contre Louis Vuitton Malletier SA, point 113).
11. Pour retenir la qualité d’hébergeur de données de la société Teezily, au sens de l’article 6, I, 2° de la loi du 21 juin 2004, et, par conséquent, rejeter les demandes en contrefaçon et concurrence déloyale formées par la société Sprd.net, l’arrêt relève que le créateur met seul en ligne sa création sur le site de la société Teezily, en vue d’une impression sur un produit textile ou un autre support qu’il choisit, pendant une durée et à un prix qu’il fixe lui-même, moyennant un objectif de souscription qu’il détermine et qu’il peut organiser lui-même la promotion de son produit. Il retient que la circonstance que le site offre également au créateur un support technique pour « créer votre design en un clic », qu’il publie des articles concernant des astuces à caractère général par pays pour l’aider dans la préparation d’une campagne et mette à sa disposition un service logistique de fabrication et de livraison des produits avec pour corollaire l’autorisation donnée par le créateur à la société Teezily de reproduire son oeuvre, et pour l’acheteur les garanties y afférentes, ne suffit pas à caractériser le rôle actif de la société Teezily, de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des données relatives aux créations mises en ligne sur le site et au contenu de la « description de la campagne » qui les accompagne. Il en déduit que le rôle exercé par la société Teezily est neutre, en ce que son comportement est purement technique, automatique et passif, impliquant l’absence de connaissance ou de contrôle des données qu’elle stocke.
12. En statuant ainsi, au regard de la seule mise en ligne des propositions de création, alors qu’elle avait relevé que la société Teezily offrait au créateur un service logistique de fabrication et livraison des produits en contrepartie de l’autorisation de reproduction de son oeuvre et à l’acheteur les garanties y afférentes, ce dont il s’inférait que cette société n’occupait pas une position neutre entre le client vendeur concerné et les acheteurs potentiels mais avait un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des données relatives à ces offres, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.
Et sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
13. La société Sprd.net fait le même grief à l’arrêt, alors « qu’il est interdit au juge de dénaturer les écrits qui lui sont soumis ; que le juge viole ce principe non seulement lorsqu’il méconnaît le sens clair et précis d’un écrit, mais aussi lorsqu’il a tenu pour inexistante une pièce régulièrement versée aux débats ; qu’en l’espèce, pour justifier du rôle actif de la société Teezily au moyen de l’assistance offerte pour optimiser la présentation et la promotion des offres à la vente, la société Sprd.net avait produit aux débats un procès-verbal de constat d’huissier daté du 19 juin 2017, reproduisant des captures d’écran en couleur du site internet de la société Teezily et mentionnant expressément le nom de cette dernière, desquelles il ressortait une sélection de produits explicitement mis en avant au sein de rubriques spécifiques intitulées “nos coups de coeur” ou encore “les incontournables” ; qu’en affirmant “qu’aucun élément ne venait conforter l’allégation de l’appelante selon laquelle la plate-forme teezily.com offr[ait] une assistance aux créateurs pour optimiser les ventes” et que les rubriques invoquées par l’exposante n’étaient pas corroborées par “la reproduction dans les écritures de l’appelante d’une copie d’écran de mauvaise qualité sans mention du nom de la société intimée et non datée”, la cour d’appel a dénaturé, par omission, le procès-verbal d’huissier du 19 juin 2017 produit par l’exposante, en violation du principe suivant lequel il est interdit au juge de dénaturer les écrits qui lui sont soumis. »