Contrefaçon : 12 janvier 2024 Cour d’appel de Paris RG n° 22/16673

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Contrefaçon : 12 janvier 2024 Cour d’appel de Paris RG n° 22/16673
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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 2

ARRÊT DU 12 JANVIER 2024

(n°4, 12 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : n° RG 22/16673 – n° Portalis 35L7-V-B7G-CGOST

Décision déférée à la Cour : ordonnance de référé du 20 septembre 2022 – Tribunal Judiciaire de PARIS – RG n°22/55128

APPELANTES

Société MYLAN IRELAND LIMITED, société de droit irlandais, agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 6]

IRLANDE

S.A.S.U. VIATRIS SANTE, agissant en la personne de son président domicilié en cette qualité au siège social situé

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentées par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocat au barreau de PARIS, toque K 111

Assistées de Me Denis SCHERTENLEIB plaidant pour la SAS SCHERTENLEIB AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque A 948

INTIMEES

Société MERCK SHARP & DOHME LLC, société de droit américain, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé

[Adresse 8]

[Adresse 8]

[Adresse 8]

[Localité 7]

ETATS-UNIS D’AMERIQUE

S.A.S. MSD FRANCE, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé

[Adresse 2]

[Localité 4]

Immatriculée au rcs de Nanterre sous le numéro 417 890 589

Représentées par Me Matthieu BOCCON-GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque C 2477

Assistées de Me Laëtitia BENARD plaidant pour ALLEN & OVERY LLP, avocate au barreau de PARIS, toque J 022, Me Charles TUFFREAU, avocat au barreau de PARIS, toque J 022

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 19 octobre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Véronique RENARD, Présidente

Mme Laurence LEHMANN, Conseillère

Mme Agnès MARCADE, Conseillère

qui en ont délibéré

Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile

Greffière lors des débats : Mme Carole TREJAUT

ARRET :

Contradictoire

Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

Signé par Mme Véronique RENARD, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Vu l’ordonnance de référé rendue contradictoirement le 20 septembre 2022 par le tribunal judiciaire de Paris,

Vu l’appel interjeté le 11 octobre 2022 par la société Mylan Ireland Limited et la société Viatris Santé,

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 17 octobre 2023 par la société Mylan Ireland Limited et la société Viatris Santé, appelantes,

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 16 octobre 2023 par la société Merck Sharp & Dohme Llc et la société MSD France, intimées,

Vu l’ordonnance de clôture rendue 19 octobre 2023.

SUR CE, LA COUR,

La société américaine Merck Sharp & Dohme Llc (ci-après Merck), régie selon les lois de l’état du New Jersey, est une filiale du laboratoire pharmaceutique américain Merck & Co., Inc. titulaire des droits de propriété intellectuelle du groupe.

La société MSD France (ci-après MSD) est la filiale de la société Merck & Co. Inc. en charge de la commercialisation des spécialités pharmaceutiques du groupe sur le territoire français.

La société de droit irlandais Mylan Ireland Limited (ci-après Mylan) est une filiale du groupe Mylan spécialisé dans le développement et la vente de médicaments génériques.

La société Viatris Santé est la filiale française du groupe Mylan.

La société Merck est titulaire du brevet européen désignant la France EP 1 412 357 (EP 357), déposé le 5 juillet 2002, ayant pour titre « Beta-amino-tétrahydroimidazo (1,2-a) pyrazines et Beta-amino-tétrahydrotrioazolo (4,3-a) pyrazines utilisées en tant qu’inhibiteurs de la dipeptidyl peptidase dans le traitement ou la prévention du diabète ».

Le brevet EP 357 est issu d’une demande internationale n° 03/004498 également déposée le 5 juillet 2002, sous priorité de la demande US n° 20010303474P du 6 juillet 2001. La publication de la délivrance du brevet EP 357 est intervenue le 22 mars 2006.

Le brevet EP 357 couvre des composés inhibiteurs de l’enzyme dipeptidyl peptidase-IV, ainsi que des compositions pharmaceutiques contenant ces composés, utiles dans le traitement et la prévention de maladies dans lesquelles l’enzyme dipeptidyl peptidase-IV est impliquée, telles que le diabète et en particulier le diabète de type 2.

Le brevet est composé d’une partie descriptive et de 30 revendications.

L’ordonnance déférée a fait une présentation exacte et objective du brevet qui n’est pas discutée par les parties que la cour adopte.

Ce brevet a expiré le 5 juillet 2022.

Le 23 mars 2007, une première autorisation de mise sur le marché (AMM) avec pour seul principe actif le phosphate monohydraté de sitagliptine (sitagliptine) a été accordée au sein de l’Union européenne sous le n° EU/1/07/383/001. La spécialité pharmaceutique couvrant la sitagliptine est commercialisée sous la dénomination Januvia®.

Le 27 août 2007, cette AMM a donné lieu au dépôt d’une demande de CCP qui n’a été délivré à la société Merck par l’INPI que le 26 septembre 2016.

Ce CCP n°07C0041 (CCP 041) devait initialement expirer le 23 mars 2022 et a été prorogé de 6 mois au regard des études pédiatriques menées sur la sitagliptine. Il a ainsi expiré le 23 septembre 2022.

Le 8 avril 2008, une seconde AMM pour un produit ‘objet de ce brevet’ a été accordée au sein de l’Union européenne, sous le n° EU/1/08/455/01, et ce, pour la combinaison de phosphate monohydraté de sitagliptine et de chlorydrate de metformine. La spécialité pharmaceutique correspondant à cette AMM est commercialisée sous la dénomination Janumet®.

Le 20 août 2008, cette AMM a donné lieu au dépôt de la demande de CCP qui a été délivré à la société Merck par l’INPI le 17 décembre 2010, soit antérieurement au CCP 041.

Ce CCP n°08C0033 (CCP 033) est venu à expiration le 8 avril 2023.

Le 16 février 2022, la société de droit irlandais Mylan Ireland Limited a obtenu la délivrance de deux AMM en France pour les spécialités « Sitagliptine/ chlorhydrate de Metformine Mylan 50 mg/850 mg, comprimé pelliculé » et « Sitagliptine/chlorhydrate de Metformine Mylan 50 mg/1000 mg, comprimé pelliculé ». La société Viatris Santé est désignée comme étant l’exploitante de ces spécialités génériques en France.

Par une lettre du 29 avril 2022, le Comité économique des produits de santé a informé la société MSD France de ce que la société Viatris Santé avait sollicité la délivrance d’un prix pour ces spécialités génériques ainsi que leur inscription sur la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables aux assurés sociaux et sur la liste des spécialités pharmaceutiques agréées à l’usage des collectivités et des services publics.

Le 24 mai 2022, les conseils de la société MSD ont mis en demeure les sociétés Mylan et Viatris de ne pas mettre sur le marché des produits génériques qui porteraient atteinte aux CCP 033 et 041 toujours en vigueur.

Le 10 juin 2022, la société Viatris Santé a répondu en ces termes : « Nous confirmons que, tant que le CCP français relatif à la sitagliptine sera en vigueur, nous n’avons pas l’intention de lancer de produit contenant de la sitagliptine ou une combinaison de sitagliptine et de metformine en France avant l’expiration du CCP sur le mono produit en septembre 2022. Nous considérons que le CCP français de combinaison couvrant la sitagliptine et la metformine qui expire en avril 2023 est nul à tout le moins au vu de l’article 3(c) du Règlement CCP. En outre, nous notons que le Tribunal fédéral des brevets a jugé en juin 2021 que le CCP allemand de combinaison couvrant la sitagliptine et la metformine était nul sur ce fondement ».

C’est dans ce contexte que les sociétés Merck et MSD ont fait citer les sociétés Mylan et Viatris devant le magistrat délégataire du président du tribunal judiciaire de Paris siégeant à l’audience du 20 juillet 2022, aux fins d’obtenir l’interdiction de la commercialisation de la spécialité Sitagliptine/ chlorhydrate de Metformine Mylan, et ce jusqu’à l’expiration du CCP 033, soit le 8 avril 2023.

L’ordonnance de référé du 20 septembre 2022, dont appel, a :

– dit dépourvus de sérieux les moyens de défense aux fins de nullité manifeste du brevet EP 1 412 357 et du certificat complémentaire de protection n°08C0033 dont est titulaire la société Merck Sharp & Dohme Llc,

– constaté que le médicament générique « Sitagliptine/ chlorhydrate de Metformine Mylan 50 mg/850 mg, comprimé pelliculé » et « Sitagliptine/chlorhydrate de Metformine Mylan 50 mg/1000 mg, comprimé pelliculé » constitue une contrefaçon vraisemblable du certificat complémentaire de protection n°08C0033, laquelle engage la responsabilité civile de droit commun des sociétés défenderesses à l’égard de la société MSD France,

En conséquence :

– ordonné aux sociétés Mylan Ireland et Viatris Santé de cesser immédiatement toute offre en vente, importation, transbordement, fabrication, utilisation, détention aux fins précitées, en France, des combinaisons sitagliptine / metformine reproduisant le CCP 033 et ce, sous astreinte provisoire de 1 000 euros par infraction constatée (c’est à dire par boîte de comprimés), l’astreinte prenant effet à l’expiration du 3ème jour suivant la signification de la présente ordonnance et courant jusqu’à l’expiration du certificat complémentaire de protection n° 033, soit jusqu’au 8 avril 2023 inclus,

– réservé au juge des référés la liquidation de cette astreinte,

– dit n’y avoir lieu à référé sur le surplus des demandes,

– condamné les sociétés Mylan Ireland et Viatris Santé à payer à la société Merck Sharp & Dohme Llc la somme de 30 000 euros chacune et la même somme à la société MSD France, soit la somme globale de 120 000 euros, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné les sociétés Mylan Ireland et Viatris Santé aux dépens et a autorisé Maître Laetitia Bénard à recouvrer directement ceux dont elle aurait fait l’avance sans avoir reçu provision conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

– rappelé que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit et ne peut être écartée.

Les sociétés Mylan et Viatris sollicitent de la cour l’infirmation de l’ordonnance sauf en ce qu’elle a dit n’y avoir lieu à référé sur le surplus des demandes et statuant à nouveau :

A titre principal :

– juger qu’il existe des contestations sérieuses sur la validité et la contrefaçon du CCP opposé n° 08C0033,

– débouter les sociétés Merck Sharp & Dohme Llc et MSD France de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.

– condamner in solidum les sociétés Merck Sharp & Dohme Llc et MSD France à payer 1 242 143 euros aux sociétés Viatris Santé et Mylan Ireland Limited à titre de provision sur dommages et intérêts pour l’exécution de la mesure d’interdiction.

– condamner in solidum les sociétés Merck Sharp & Dohme Llc et MSD France à payer 150 000 euros aux sociétés Viatris Santé et Mylan Ireland Limited au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

condamner in solidum les sociétés Merck Sharp & Dohme Llc et MSD France aux entiers dépens.

A titre subsidiaire :

– rouvrir les débats et donner pour instruction aux parties de soumettre chacune un projet de question préjudicielle à la CJUE.

Les sociétés Merck et MSD sollicitent de la cour de :

– confirmer l’ordonnance en toutes ses dispositions,

– débouter les sociétés Mylan Ireland Limited et Viatris Santé de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

– condamner les sociétés Mylan Ireland Limited et Viatris Santé à leur payer la somme de 150 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner les sociétés Mylan Ireland Limited et Viatris Santé aux entiers dépens avec possibilité de les recouvrer dans les conditions prévues par l’article 699 du Code de procédure civile.

Le débat se présente devant la cour dans les mêmes termes qu’en première instance sauf à observer que le CCP opposé 033 a expiré depuis le 8 avril 2022 et qu’il est en outre demandé par les sociétés appelantes la condamnation des sociétés intimées à leur payer la somme de 1 242 143 euros à titre de provision sur dommages et intérêts pour l’exécution de la mesure d’interdiction. 

Sur le cadre procédural de l’instance

La cour observe que même si les articles 834 et 835 du code de procédure sont mentionnés au visa du dispositif des conclusions des sociétés Merck et MSD, l’action en interdiction provisoire causée par des actes de contrefaçon vraisemblable est fondée sur l’article L. 615-3 du code de la propriété intellectuelle également visé, sur lequel la motivation des dites conclusions s’appuient et sur lequel l’ordonnance de référé entreprise s’est fondée.

C’est ainsi que le bien-fondé des mesures d’interdiction prononcées sera examiné par la cour au regard de l’article L. 615-3 du code de la propriété intellectuelle.

L’article L.615-3 du code de la propriété intellectuelle dispose que :

” Toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l’encontre du prétendu contrefacteur ou des intermédiaires dont il utilise les services, toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d’actes argués de contrefaçon. (…) Saisie en référé ou sur requête, la juridiction ne peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable qu’il est porté atteinte à ses droits ou qu’une telle atteinte est imminente (‘) ».

La directive européenne 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, à la lumière de laquelle l’article L 615-3 susvisé doit être interprété, énonce en son considérant n°22 de l’exposé des motifs que « il est également indispensable de prévoir des mesures provisoires permettant de faire cesser immédiatement l’atteinte sans attendre une décision au fond dans le respect des droits de la défense, en veillant à la proportionnalité des mesures provisoires en fonction des spécificités de chaque cas d’espèce, et en prévoyant les garanties nécessaires pour couvrir les frais et dommages occasionnés à la partie défenderesse par une demande injustifiée. Ces mesures sont notamment justifiées lorsque tout retard serait de nature à causer un préjudice irréparable au titulaire d’un droit de propriété intellectuelle ».

Au regard de ces dispositions, il appartient au juge des référés, et partant à la cour, d’apprécier la proportion entre les mesures sollicitées et l’atteinte alléguée par le demandeur et, au vu des risques encourus de part et d’autre, de décider ou non d’interdire la commercialisation du produit incriminé.

Pour ce faire, il doit évaluer le caractère sérieux de la contestation qui est soulevée quant à la validité du titre opposé.

En l’espèce, les sociétés Mylan et Viatris contestent la validité du CCP 033 opposé au regard d’une part de l’article 3 a) et d’autre part de l’article 3 c) du Règlement CE n°469/2009 du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009 et également en conséquence de la nullité vraisemblable du brevet de base EP 357 pour défaut d’activité inventive.

La cour doit dès lors examiner ces contestations élevées à l’encontre du CCP 033 qui était en vigueur au jour de l’ordonnance entreprise.

Sur la contestation de la validité du CCP 033 émise par les sociétés Mylan et Viatris

Le CCP 033, délivré le 17 décembre 2010, est régi par le Règlement CE n°469/2009 du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009 concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments qui dispose en son article 3 :

« Le certificat est délivré, si, dans l’État membre où est présentée la demande visée à l’article 7 et à la date de cette demande :

a) le produit est protégé par un brevet de base en vigueur,

b) le produit, en tant que médicament, a obtenu une autorisation de mise sur le marché en cours de validité conformément à la directive 2001/83/CE ou à la directive 2001/82/CE suivant les cas ;

c) le produit n’a pas déjà fait l’objet d’un certificat ;

d) l’autorisation mentionnée au point b) est la première autorisation de mise sur le marché du produit, en tant que médicament ».

Préalablement, l’article 1er du Règlement précise, sous l’intitulé ‘Définitions’ :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

a) « médicament » : toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ou, ainsi toute substance ou composition pouvant être administrée à l’homme ou à l’animal en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, de corriger ou de modifier des fonctions organiques chez l’homme ou l’animal ;

b) « produit » : le principe actif ou la composition de principes actifs d’un médicament ;

c) « brevet de base »: un brevet qui protège un produit en tant que tel, un procédé d’obtention d’un produit ou une application d’un produit et qui est désigné par son titulaire aux fins procédure d’obtention d’un certificat ;

d) « certificat » le certificat complémentaire de protection ».

Au regard de l’article 3 a) du Règlement CE n°469/2009

Les sociétés Mylan et Viatris contestent que la combinaison de sitagliptine et de metformine puisse constituer une combinaison de principe actif constituant un « produit » protégé par le brevet de base.

Elles soutiennent que le test en deux volets préconisé par la décision Teva /Gilead de la CJUE (25 juillet 2018 C-121/17) doit s’appliquer quand bien même le produit serait explicitement mentionné dans les revendications. Elles prétendent que la décision postérieure de la CJUE rendue dans l’affaire Royal Pharma (30 avril 2020 C-650/17) ne permet pas de contredire cette nécessité, les procédures n’étant pas transposables.

Les sociétés Merck et MSD considèrent que le test préconisé par la décision Gilead n’est imposé que lorsque les produits en combinaison ne sont « pas explicitement mentionné(s) dans les revendications ». Elles opposent que les revendications du brevet EP 357 mentionnent explicitement le produit de combinaison de sitagliptine et de metformine, de sorte que la condition posée par l’article 3(a) du Règlement est immédiatement satisfaite.

La cour rappelle que la grande chambre de la CJUE dans l’affaire Teva/Gilead, le 25 juillet 2018, a dit pour droit :

« L’article 3, sous a), du règlement (CE) n°469/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 6 mai 2009, concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments, doit être interprété en ce sens qu’un produit composé de plusieurs principes actifs ayant un effet combiné est « protégé par un brevet de base en vigueur », au sens de cette disposition, dès lors que la combinaison des principes actifs qui le composent, même si elle n’est pas explicitement mentionnée dans les revendications du brevet de base, est nécessairement et spécifiquement visée dans ces revendications. À cette fin, du point de vue de l’homme du métier et sur la base de l’état de la technique à la date de dépôt ou de priorité du brevet de base :

– la combinaison de ces principes actifs doit relever nécessairement, à la lumière de la description et des dessins de ce brevet, de l’invention couverte par celui-ci et

– chacun desdits principes actifs doit être spécifiquement identifiable, à la lumière de l’ensemble des éléments divulgués par ledit brevet. ». (Surligné par la cour)

La 4ème chambre de la CJUE dans l’affaire Royal Pharma le 30 avril 2020 a précisé, au paragraphe 37 de la décision, le sens de la décision de Gilead en indiquant :

« Aux fins de vérifier si un produit donné est protégé par un brevet de base en vigueur, au sens de l’article 3, sous a), du règlement no 469/2009, il convient de vérifier, lorsque ce produit n’est pas explicitement mentionné dans les revendications de ce brevet, si ledit produit est nécessairement et spécifiquement visé dans l’une de ces revendications. À cette fin, deux conditions cumulatives doivent être remplies. D’une part, le produit doit nécessairement relever, pour l’homme du métier, à la lumière de la description et des dessins du brevet de base, de l’invention couverte par ce brevet. D’autre part, l’homme du métier doit être en mesure d’identifier ce produit de façon spécifique à la lumière de l’ensemble des éléments divulgués par ledit brevet, et sur la base de l’état de la technique à la date de dépôt ou de priorité du même brevet. ».

Ceci rappelé, la cour renvoie expressément à la présentation complète et exacte du brevet EP 357 effectuée par le premier juge (page 12 à 18 de l’ordonnance) qu’elle adopte.

Elle rappelle simplement qu’il n’est pas contesté que le brevet EP 357 couvre notamment de nouveaux antidiabétiques tétrahydrotriazolopyrazine ‘-amino-substitués, auxquels appartient la sitagliptine ou un sel pharmaceutiquement acceptable de celle-ci.

La sitagliptine dont la structure 2D se présente comme suit :

est expressément visée dans la revendication 15, en 7ème position, parmi d’autres composés possibles, puis à nouveau, en 4ème position dans la revendication 26.

Elle est à nouveau, cette fois seule mentionnée, dans la revendication 28 dépendante de la revendication 26.

Le produit sitagliptine seul a permis la délivrance du CCP 041 dont la validité n’est pas ici contestée.

La question posée à la cour est celle du « produit » constitué par la sitagliptine ou ses sels pharmaceutiquement acceptables en combinaison avec le composé metformine.

Or, la revendication indépendante 25 se lit comme suit :

(1) un composé selon l’une quelconque des revendications 1 à 15 ou un sel pharmaceutiquement acceptable de celui-ci,

(2) un ou plusieurs composés choisis dans le groupe constitué de :

(a) d’autres inhibiteurs de la dipeptidyl peptidase IV (DP-IV) ;

(b) des anticorps de l’insuline choisis dans le groupe constitué de (i) des agonistes à PPAR’, d’autres ligands à PPAR, des doubles agonistes à PPAR’/’ et des agonistes à PPAR’, (ii) des biguanides et (iii) des inhibiteurs de la protéine tyrosine phosphatase 1B (PTP-1B) ;

(c) l’insuline ou des mimétiques de l’insuline ;

(d) des sulfonylurées ou d’autres sécrétagogues de l’insuline ;

(e) des inhibiteurs de l”-glucosidase ;

(f) des agonistes au récepteur du glucagon ;

(g) le GLP-1, des mimétiques du GLP-1 et des agonistes au récepteur du GLP-1 ;

(h) le GIP, des mimétiques du GIP et des agonistes au récepteur du GIP ;

(i) le PACAP, des mimétiques du PACAP et des agonistes au récepteur 3 du PACAP ;

(j) des agents abaissant le cholestérol choisis dans le groupe constitué de (i) des inhibiteurs de la HMG-CoA réductase, (ii) des agents séquestrant, (iii) l’alcool de nicotinyle, l’acide nicotinique ou un sel de celui-ci, (iv) des agonistes à PPAR’, (v) des doubles agonistes à PPAR’/’, (vi) des inhibiteurs de l’absorption du cholestérol, (vii) des inhibiteurs de l’acyl CoA cholestérol acyltranférase et (viii) des antioxydants ;

(k) des agonistes à PPAR’ ;

(l) des composés anti-obésité ;

(m) un inhibiteur du transporteur de l’acide biliaire iléal ; et

(n) des agents anti-inflammatoires ; et

(3) un transporteur pharmaceutiquement acceptable ».

Il est acquis que la sitagliptine peut être le premier de ces composés.

En ce qui concerne le deuxième composé, la revendication 25 indique qu’il peut consister en un anticorps de l’insuline tel qu’un biguanide.

La partie descriptive du brevet énonce en son point [0004] que s’agissant des deux biguanides préconisés, la phenformine et la metformine, la metformine est le composé préféré de cette classe :

[0004] « [‘] les biguanides augmentant la sensibilité à l’insuline aboutissent à quelques corrections de l’hyperglycémie. Cependant, les deux biguanides, phenformine et metformine, peuvent induire une acidose lactique et des nausées/diarrhée. La metformine a moins d’effets secondaire que la phenformine et elle est souvent prescrite pour le traitement du diabète de type 2 ».

La metformine est d’ailleurs le seul composé de l’art antérieur identifié comme communément prescrit pour le traitement du diabète de type 2.

La revendication 25 couvre ainsi clairement la combinaison de sitagliptine et de metformine.

En outre et en tout état de cause, l’association de sitagliptine et de metformine est expressément visée par la revendication 30, dépendante de la revendication 25, qui se lit : « 30. Composition pharmaceutique telle que revendiquée selon la revendication 25, comprenant un composé selon l’une quelconque des revendications 1 à 15 ou un sel pharmaceutiquement acceptable de celui-ci, la metformine et un transporteur pharmaceutiquement acceptable ».

A la lecture des arrêts Gilead et Roylaty Pharma, il apparait que le test en deux étapes préconisé afin de déterminer si le produit est protégé par un brevet de base en vigueur, au sens de l’article 3 sous a) du règlement n°469/2009, n’est nécessaire que lorsque ce produit n’est pas explicitement mentionné dans les revendications du brevet de base. Il en résulte que la CJUE n’impose pas que la combinaison revendiquée figure dans une seule revendication citant expressément tous les composés de la combinaison.

En l’espèce, chaque composé de la combinaison est individuellement et expressément visé par au moins une revendication du brevet de base, à savoir la revendication 15 pour la sitagliptine et la revendication 30 pour la metformine. La combinaison de ces principes actifs est également explicitement prévue par les revendications 25 et 30.

La cour observe que les arrêts Gilead et Royalty Pharma visaient au contraire des hypothèses où l’un des principes actifs de la combinaison n’était pas désigné par son nom chimique ou sa structure, de sorte que le test en deux étapes n’apparait pas nécessaire en l’espèce.

Ainsi, la combinaison des deux produits sitagliptine et metformine, produit du CCP litigieux, est explicitement mentionnée dans les revendications du brevet de base au sens des arrêts Gilead et Roylaty Pharma et dès lors, l’homme du métier, un pharmacologue spécialisé dans le traitement de l’hyperglycémie, pourra identifier cette combinaison tant par les revendications elles-mêmes du brevet que par la lecture de sa partie descriptive révélant la combinaison de ces deux principes actifs comme pertinente.

La contestation élevée par sociétés Mylan et Viatris sur le fondement de l’article 3 a) au regard notamment de la décision Teva/Gilead de la CJUE n’apparaît dès lors pas suffisamment sérieuse pour contester la protection du titre opposé, le CCP 033.

Au regard de l’article 3 c) du Règlement CE n°469/2009

Selon l’article 3 sous c) du Règlement, le CCP peut être délivré valablement si « le produit n’a pas déjà fait l’objet d’un certificat ».

La particularité de la présente procédure ayant conduit pour la France à la délivrance de deux CCP, le CCP 033 et le CCP 041 provient de ce que le CCP sollicité en premier (le CCP 041) a été délivré postérieurement au CCP sollicité en second (le CCP 033).

S’il n’est contesté par les parties qu’il peut exister un problème de validité du « second CCP » au regard du « premier CCP » en application de l’article 3 c) susvisé, elles diffèrent sur la détermination du premier et du second CCP.

Les sociétés Mylan et Viatris considèrent que le premier CCP au sens de l’article 3 c) doit être le CCP 041 demandé le 27 août 2007 et délivré le 26 septembre 2016 et non le CCP 033 demandé le 20 août 2008 et délivré le 17 décembre 2010.

Pour autant comme justement retenu par le premier juge et argué par les sociétés Mylan et Viatris, le texte est clair et n’appelle pas d’interprétation.

Il vise « un certificat » et non des demandes déposées ou en cours d’examen et dès lors un CCP délivré.

Or, le CCP 033 a été délivré avant le CCP 041 et ne peut ainsi être annulé du fait de la demande antérieure ayant conduit postérieurement à la délivrance du CCP 041.

La contestation fondée sur l’article 3 c) n’apparaît dès lors pas non plus suffisamment sérieuse pour contester la protection du titre, le CCP 033, opposé.

Au regard de la validité du brevet EP 357

En première instance, les sociétés Mylan et Viatris soutenaient que la validité du CCP 033 était contestable, car le brevet EP 357 était nul au motif que le contenu du brevet tel que délivré s’étendait au-delà du contenu de la demande telle que déposée, qu’il n’était pas inventif et qu’il était insuffisamment décrit.

Elles reprennent dans leurs dernières conclusions devant la cour le seul moyen de nullité du brevet au regard du défaut d’activité inventive.

Aux termes du paragraphe 1 de l’article 138 de la convention sur la délivrance de brevets européens signée à Munich le 5 octobre 1973, « Sous réserve des dispositions de l’article 139, le brevet européen ne peut être déclaré nul, avec effet pour un Etat contractant, que si :

a) l’objet du brevet européen n’est pas brevetable en vertu des articles 52 à 57 (‘.) ».

Selon l’article 56 de la même Convention « une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d’une manière évidente de l’état de la technique ».

L’homme du métier est ici un pharmacologue spécialisé dans le traitement de l’hyperglycémie.

Les sociétés Mylan et Viatris soutiennent pour contester l’activité inventive que l’effet thérapeutique de la sitagliptine ne serait ni démontré par le brevet, ni même plausible.

Ainsi, il s’agit d’une critique portant sur la sitagliptine elle-même et non sur la combinaison de produits, objet du CCP litigieux, et sur la validité de la revendication n°1 du brevet de base.

La cour rappelle que le brevet de base a été demandé le 6 juillet 2001 et qu’il est venu à expiration le 5 juillet 2022. Les sociétés Merck et MSD indiquent, sans être contredites sur ce point, qu’il n’a fait l’objet d’aucune procédure d’opposition, ni d’action en nullité.

Les sociétés appelantes elles-mêmes n’ont jamais auparavant contesté la validité du brevet et ont expressément reconnu la validité du CCP 041 délivré pour le seul principe actif de sitagliptine.

Sans directement critiquer l’ordonnance entreprise qui a retenu que la lecture de la partie descriptive et des revendications du brevet permet à l’homme du métier d’exécuter l’invention sans effort excessif, les sociétés Mylan et Viatris contestent que l’effet thérapeutique de la sitagliptine soit prouvé.

Pour autant, les paragraphes [0043] et suivants de la partie descriptive décrivent de manière détaillée le protocole de tests qui a été mis en ‘uvre pour mettre en évidence l’activité inhibitrice des composés revendiqués.

Les sociétés Mylan et Viatris ne démontrent aucunement en quoi l’homme du métier serait amené à croire que les tests n’auraient pas été effectués ou qu’ils n’auraient pas abouti aux résultats décrits.

Les sociétés Mylan et Viatris qui reprochent à la société Merck de n’apporter au débat aucun élément pour prouver un effet crédible de la sitagliptine à la date de priorité du brevet EP 357, opèrent ainsi un renversement de la charge de la preuve.

Il leurs appartient en effet de prouver l’absence d’effet thérapeutique qu’elles reprochent à l’invention et de justifier par des moyens sérieux que le brevet EP 357 délivré est manifestement nul.

Or cette preuve n’est pas apportée à suffisance et dès lors la contestation du CCP 033 reposant sur la nullité du brevet de base n’apparaît pas non plus suffisamment sérieuse pour remettre en cause la protection du titre.

La cour constate également que les sociétés Mylan et Viatris ne discutent pas le fait que la mise sur le marché des médicaments pour lesquels la société Mylan a obtenu, le 16 février 2022, deux AMM en France pour les spécialités « Sitagliptine/ chlorhydrate de Metformine Mylan 50 mg/850 mg, comprimé pelliculé » et « Sitagliptine/chlorhydrate de Metformine Mylan 50 mg/1000 mg, comprimé pelliculé » est constitutive de contrefaçon du CCP 033 jugé valable.

Ainsi, la cour confirme en toutes ses dispositions l’ordonnance de référés entreprise, et ce sans qu’il n’y ait lieu de faire droit à la demande subsidiaire des sociétés Mylan et Viatris de rouvrir les débats, une telle demande étant injustifiée.

Le sens de l’arrêt conduit également à rejeter la demande des sociétés Mylan et Viatris de voir condamner les sociétés intimées à leur verser à titre provisionnel la somme de 1 242 143 sur dommages et intérêts en réparation de l’exécution de la mesure d’interdiction.

Les sociétés Mylan et Viatris qui succombent seront en outre condamnées aux dépens d’appel et à verser, en équité, ensemble une somme totale de 60 000 euros aux sociétés Merck et MSD sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Rejette la demande provisionnelle des sociétés Mylan Ireland Limited et Viatris Santé de condamnation en dommages et intérêts pour exécution de la mesure d’interdiction,

Condamne la société Mylan Ireland Limited et la société Viatris Santé à payer ensemble aux sociétés Merck Sharp & Dohme Llc et MSD France la somme totale de 60 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif,

Condamne la société Mylan Ireland Limited et la société Viatris Santé aux dépens d’appel qui pourront être recouvrés dans les conditions prévues par l’article 699 du code de procédure civile.

La Greffière La Présidente

 


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