Contrats de licence et de synchronisation : Demande d’arrêt de l’exécution provisoire rejetée

·

·

Contrats de licence et de synchronisation : Demande d’arrêt de l’exécution provisoire rejetée
Je soutiens LegalPlanet avec 5 ⭐

La SARLU Kwaidan a demandé l’arrêt de l’exécution provisoire d’une décision de restitution des masters des titres de l’album “Getalife”, arguant que cela entraînerait des conséquences excessives pour elle. Cependant, le tribunal a jugé que la SARLU Kwaidan n’avait pas prouvé que ces conséquences étaient manifestement excessives. Par conséquent, la demande a été rejetée. De plus, les demandes de Mme [Y] concernant l’exécution des condamnations prononcées et les dommages et intérêts pour procédure abusive ont également été rejetées. La SARLU Kwaidan a été condamnée aux dépens et à verser 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Copies exécutoires République française

délivrées aux parties le : Au nom du peuple français

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 5

ORDONNANCE DU 16 JANVIER 2024

(n° /2024)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/12600 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CIAAZ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Mai 2023 du TJ de PARIS – RG n° 20/09854

Nature de la décision : Contradictoire

NOUS, Aurore DOCQUINCOURT, Conseillère, agissant par délégation du Premier Président de cette Cour, assistée de Cécilie MARTEL, Greffière.

Vu l’assignation en référé délivrée à la requête de :

DEMANDEUR

S.A.R.L.U. KWAIDAN

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Delphine LEFAUCHEUX de la SELARL KOHN ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0233

à

DÉFENDEUR

Madame [I] [Y]

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Pierre LAUTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : B0925

Et après avoir appelé les parties lors des débats de l’audience publique du 14 Novembre 2023 :

Par jugement du 31 mai 2023, le Tribunal judiciaire de Paris a notamment :

– ordonné à la société Kwaidan de communiquer à Mme [I] [Y] les relevés année par année de l’exploitation et de l’édition des titres de l’album “I U Need” ainsi que les contrats de licence et de synchronisation y afférents,

– prononcé la résiliation du contrat de cession et d’édition d’oeuvre musicale du 12 septembre 2006,

– prononcé la résiliation du contrat de cession du droit d’adaptation audiovisuelle du 1er octobre 2006,

– prononcé la résiliation du contrat d’enregistrement exclusif du 19 avril 2007,

– ordonné à la société Kwaidan de restituer à Mme [I] [Y] les masters des titres de l’album “Getalife”,

– ordonné à la société Kwaidan, venant aux droits de la société The Perfect Kiss, de communiquer à Mme [I] [Y] les relevés année par année de l’exploitation et de l’édition du titre “Keep on going” et des titres de l’album “Getalife” ainsi que les contrats de licence et de synchronisation y afférents,

– condamné la société Kwaidan, venant aux droits de la société The Perfect Kiss, à payer à Mme [I] [Y] les redevances dues sur la base des relevés année par année de l’exploitation et de l’édition du titre “Keep on going” et des titres de l’album “Getalife” dont la communication est ordonnée,

– condamné la société Kwaidan, venant aux droits de la société The Perfect Kiss, à payer à Mme [I] [Y] la somme de 1000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

– condamné la société Kwaidan, venant aux droits de la société The Perfect Kiss, à payer à Mme [I] [Y] la somme de 1000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel,

– condamné la société Kwaidan aux dépens,

– condamné la société Kwaidan à payer à Mme [I] [Y] la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– rappelé que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire.

Par déclaration du 27 juillet 2023, la SARLU Kwaidan a interjeté appel de cette décision.

Par acte d’huissier du 14 août 2023, la SARLU Kwaidan a fait assigner Mme [I] [Y] en référé devant le premier président de cette cour aux fins de voir , au visa des articles 514-3 et 514-6 du code de procédure civile :

– juger qu’il existe un moyen sérieux d’annulation ou de réformation du jugement du Tribunal judiciaire de Paris du 31 mai 2023 (RG n°20/09854) notamment pour les chefs de jugement critiqués objet de la demande d’arrêt de l’exécution provisoire tels que visés au dispositif, et que l’exécution provisoire de ceux-ci aurait des conséquences manifestement excessives,

– en conséquence, ordonner l’arrêt de l’exécution provisoire du jugement rendu le 31 mai 2023 par la 3ème section de la 3ème chambre du Tribunal judiciaire de Paris(RG n°20/09854) :

– en ce qu’il a prononcé la résiliation du contrat d’enregistrement exclusif du 19 avril 2007,

– en ce qu’il a ordonné à la société Kwaidan de restituer à Mme [I] [Y] les masters des titres de l’album “Getalife”,

jusqu’à l’issue de la procédure d’appel en cours,

– en tout état de cause, condamner Mme [I] [Y] à payer à la société Kwaidan la somme de 3500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

L’affaire a été plaidée à l’audience du 14 novembre 2023.

Par des conclusions en réponse n°2 soutenues oralement à l’audience, la SARLU Kwaidan maintient l’intégralité des demandes formées dans son acte introductif d’instance et sollicite que Mme [I] [Y] soit déboutée de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

Par des conclusions n°3 soutenues oralement à l’audience, Mme [I] [Y] sollicite du premier président, au visa des articles 514-3, 700 et 768 du code de procédure civile, L. 211-4, L.212-3-1 et L. 212-13 du code de la propriété intellectuelle, 1189 et 1229 du code civil, qu’il :

– déboute la société Kwaidan de l’ensemble de ses demandes,

– déclare que la société Kwaidan n’a pas exécuté l’ensemble de ses condamnations prononcées par le jugement (communication des relevés année par année de l’exploitation et de l’édition des titres de l’album “I U Need”, ainsi que les contrats de licence et de synchronisation y afférents ; restitutions des masters des titres de l’album “Getalife” ; communication des relevés année par année de l’exploitation et de l’édition du titre “Keep on going” et des titres de l’album “Getalife”, ainsi que les contrats de licence et de synchronisation y afférents ; paiement des redevances dues sur la base des relevés année par année de l’exploitation et de l’édition du titre “Keep on going” et des titres de l’album “Getalife” dont la communication est ordonnée) à l’exception du règlement de l’article 700 du code de procédure civile et du paiement des dédommagements au titre des préjudices matériel et moral,

– condamne la société Kwaidan à verser à Mme [I] [Y] la somme de 5000 euros au titre de la procédure abusive,

– condamne la société Kwaidan à verser à Mme [I] [Y] la somme de 5500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamne la société Kwaidan aux dépens.

Il sera renvoyé aux écritures échangées entre les parties pour un exposé exhaustif de leurs moyens et prétentions, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la demande d’arrêt de l’exécution provisoire formée par la SARLU Kwaidan

Selon l’article 514-3 du code de procédure civile, “en cas d’appel, le premier président peut être saisi afin d’arrêter l’exécution provisoire de la décision lorsqu’il existe un moyen sérieux d’annulation ou de réformation et que l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives.

La demande de la partie qui a comparu en première instance sans faire valoir d’observations sur l’exécution provisoire n’est recevable que si, outre l’existence d’un moyen sérieux d’annulation ou de réformation, l’exécution provisoire risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la décision de première instance”.

* Sur la recevabilité de la demande

Dans ses conclusions de première instance, la SARLU Kwaidan sollicitait de voir “écarter l’exécution provisoire de droit incompatible avec la nature de l’affaire et susceptible d’entraîner des circonstances manifestement excessives”.

Il convient dès lors de juger que la SARLU Kwaidan avait bien fait valoir des observations sur l’exécution provisoire en première instance au sens de l’article 514-3 alinéa 2 précité, de sorte que sa demande est recevable.

* Sur les conséquences manifestement excessives

La SARLU Kwaidan fait valoir que l’exécution provisoire de la mesure de restitution des masters des titres de l’album “Getalife” emporterait des conséquences manifestement excessives pour elle, car elle permettrait à Mme [Y] de faire “presser” des supports phonographiques (vinyles notamment) alors qu’elle ne dispose pas des droits de producteur de phonogramme sur ces enregistrements et n’a pas l’autorisation de la société Kwaidan pour une telle exploitation. Elle ajoute qu’eu égard à la nationalité grecque de Mme [Y] et au caractère international de ses activités de DJ, elle a “tout lieu de craindre” qu’une telle exploitation contrefaisante puisse intervenir à l’étranger sans le contrôle et à l’insu de la société Kwaidan, lui occasionnant un préjudice irréversible. Elle soutient que Mme [Y] a d’ores et déjà fait des démarches auprès de plateformes de streaming et de téléchargement de musique en se présentant comme le producteur des enregistrements de l’album “Getalife”, alors que le jugement entrepris ne lui accorde en aucun cas cette qualité.

Toutefois, la seule production en pièce 30 d’une capture d’écran d’un site non identifié sur lequel Mme [I] [Y] apparaît en qualité de “productrice” de l’album “Getalife” ne saurait suffire à démontrer qu’elle se serait présentée comme telle auprès des plateformes de streaming et de téléchargement de musique. La mise en demeure adressée le 4 août 2023 par le conseil de la société Kwaidan à Mme [Y] d’avoir à cesser toute reproduction, mise à la disposition du public par la vente, l’échange ou le louage ou communication au public de ses phonogrammes ne saurait suffire à établir que cette dernière aurait procédé à l’exploitation des enregistrements de l’album “Getalife”, qui n’est avéré par aucune pièce produite. Par ailleurs, les seuls faits que Mme [Y] soit de nationalité grecque ou exerce des activités internationales ne permettent nullement de démontrer qu’elle a ou qu’elle va s’adonner à une “activité contrefaisante” au détriment de la société Kwaidan.

La société Kwaidan fait encore valoir que l’exécution provisoire de la résiliation du contrat d’enregistrement exclusif du 19 avril 2007 prononcée par le premier juge conduirait à l’arrêt total de l’exploitation tant pour la société Kwaidan, qui selon l’interprétation de Mme [Y] ne disposerait plus de la cession de ses droits voisins d’artiste interprète du fait de cette résiliation, que pour Mme [Y] qui ne disposerait pas selon la société Kwaidan des droits de producteur de phonogramme lui permettant de procéder à la commercialisation des enregistrements. Cela engendrerait une perte irréversible de chiffre d’affaires pour la société Kwaidan pendant toute la procédure d’appel.

Or, il résulte des pièces produites que les droits contractuels de 8% de Mme [Y] sur les ventes digitales de l’album Getalife pour la période 2016-2022 lui ont rapporté la somme totale de 14,52 euros, ce qui fait un total de ventes digitales de 181,50 euros sur la période, de sorte que la perte de chiffres d’affaires prévisionnelle s’avère minime, surtout si on la rapporte au chiffre d’affaires de la SARLU Kwaidan qui s’élevait à 90.328 euros en 2019 et 77.822 euros en 2020 (année de pandémie), les comptes n’étant plus accessibles depuis cette date au public.

Enfin, la société Kwaidan fait valoir qu’une “telle interdiction d’exploitation nuirait incontestablement à sa réputation et la discréditerait aux yeux du public”.

Toutefois, elle ne rapporte nullement la preuve de ce qu’elle avance, et ce d’autant moins que la publication du jugement n’a pas été ordonnée par le premier juge.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la société Kwaidan échoue à rapporter la preuve des circonstances manifestement excessives qu’entraînerait pour elle l’exécution du jugement entrepris.

En conséquence, il convient de rejeter la demande d’arrêt de l’exécution provisoire, sans qu’il y ait lieu d’examiner les moyens sérieux d’annulation ou de réformation du jugement entrepris, dès lors que ces deux conditions sont cumulatives.

Sur les demandes de Mme [Y]

* La “déclaration” que la SARLU Kwaidan n’a pas exécuté l’ensemble des condamnations prononcées par le jugement entrepris

Il n’appartient pas au premier président, saisi d’une demande principale d’arrêt de l’exécution provisoire, de se prononcer sur l’exécution par l’appelante de tout ou partie du jugement entrepris. En conséquence, il ne sera pas fait droit à la demande.

* Les dommages et intérêts pour procédure abusive

L’abus du droit d’ester en justice suppose que la partie ait agi avec mauvaise foi, malice ou erreur grossière équipollente au dol. La simple erreur d’une partie sur la portée de ses droits ne peut suffire à caractériser cet abus.

En l’espèce, il n’est pas démontré que la SARLU Kwaidan aurait agi avec mauvaise foi, malice ou erreur grossière équipollente au dol.

En conséquence, il convient de débouter Mme [Y] de sa demande de dommages et intérêts.

Sur les demandes accessoires

La SARLU Kwaidan, partie perdante à titre principal, sera condamnée aux dépens.

Elle sera en outre condamnée au paiement de la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Déboutons la SARLU Kwaidan de sa demande d’arrêt de l’exécution provisoire,

Déboutons Mme [I] [Y] de ses demandes reconventionnelles,

Condamnons la SARLU Kwaidan à payer à Mme [I] [Y] la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamnons la SARLU Kwaidan aux dépens.

ORDONNANCE rendue par Mme Aurore DOCQUINCOURT, Conseillère, assistée de Mme Cécilie MARTEL, greffière présente lors de la mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

La Greffière, La Conseillère

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x