Contrat d’édition : 23 mars 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/00838

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Contrat d’édition : 23 mars 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/00838
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N° RG 21/00838 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IWIW

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 23 MARS 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE ROUEN du 01 Février 2021

APPELANT :

Monsieur [H] [U]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représenté par Me Philippe DUBOS de la SCP DUBOS, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

S.A.S. SFR DISTRIBUTION

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Caroline BRET de l’AARPI BGL AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Jérôme BENETEAU, avocat au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 18 Janvier 2023 sans opposition des parties devant Madame DE BRIER, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame DE BRIER, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

M. GUYOT, Greffier

DEBATS :

A l’audience publique du 18 Janvier 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 23 Mars 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 23 Mars 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

FAITS ET PROCÉDURE

M. [H] [U] a été engagé par la SAS SFR Distribution à compter du 28 juin 2012 en qualité de vendeur, d’abord dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée, puis, à partir du 15 septembre 2015, dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée.

Par courrier remis en mains propres du 9 octobre 2018, M. [U] a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable fixé au 19 octobre 2018.

Par lettre recommandée du 7 novembre 2018, l’employeur a notifié à M. [U] son licenciement pour cause réelle et sérieuse, en ces termes :

‘Suite à l’entretien préalable …, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour cause réelle et sérieuse au regard des raisons exposées lors de cet entretien et que nous vous rappelons ci-après.

1. Renvoi à la concurrence

En votre qualité de Conseiller de vente, vous avez notamment en charge, dans le respect de la politique commerciale de l’entreprise de :

– Réaliser les objectifs commerciaux qui vous sont fixés;

– Développer le chiffre d’affaires;

– Participer à la gestion courante du point de vente clans le respect des process de l’enseigne,

– Veiller à la satisfaction et à la fidélisation des clients.

De plus, nous vous rappelons que votre mission requiert au-delà de l’atteinte de vos objectifs de vente, de réaliser vos missions dans le strict respect des procédures internes.

Or il a été constaté qu’en date du 03 juillet 2018, un client mystère s’est présenté dans le magasin et a été pris en charge par vous. Celui-ci vous a fait part de sa volonté de résilier son abonnement et en réponse à cette demande, vous n’avez pas respecté les procédures qui pourtant s’imposaient à vous. En effet, vous l’avez incité à souscrire une offre auprès de nos concurrents. Ci-dessous le compte-rendu de l’auditeur:

« Visite du 03/07/2018 :

Je me présente à l’espace SFR et le vendeur ([H]) vient vers moi pour me demander l’objet de ma visite. Je lui explique que je souhaite résilier car je paye trop cher. Le vendeur me demande si je veux aller chez la concurrence car dans ce cas-là c’est le nouvel opérateur qui fait le nécessaire. Autrement, si je souhaite résilier il m’invite à contacter le 1023 ».

Face à une telle situation, il vous appartenait d’historiser la demande sur les outils prévus à cet effet, afin que le client puisse être recontacté parla cellule Anti-Churn et non de communiquer ce type d’informations.

Interrogé lors de l’entretien préalable, vous avez expliqué ce jour-là, être orienteur express, avoir connaissance de l’historisation FAST mais cependant ne pas avoir été formé sur cet outil et notamment sur le volet portant sur la résiliation et la lutte anti-churn.

Nous ne pouvons tolérer ces propos dans la mesure ou la procédure d’historisation FAST est disponible sur le portail SFR Distribution (Formation / Books Outils/ Books outils SFR ‘ / Module 5Bis) et ou vous n’avez pas respecté vos obligations de loyauté envers l’entreprise.

Pour rappel, les clauses de votre contrat de travail prévoient:

– « Dans ce cadre et en toutes circonstances, [H] [U] devra notamment faire preuve d’une parfaite courtoisie vis-ci-vis de la clientèle et apporter une attention toute particulière a sa réception et à la qualité du service rendu. ”

– « [H] [U] s’engage à exécuter loyalement et de bonne foi son contrat de travail, en adoptant un comportement professionnel vis-à-vis des autres collaborateurs de la Société, de ses interlocuteurs extérieurs et des clients, favorisant les relations de travail et la bonne marche de l’entreprise. ”

– « Compte tenu de ses fonctions, [H] [U] est tenu-e à une obligation particulière de probité et s’interdit tout acte ou comportement exclusivement dicté par un intérêt financier personnel et/ou de nature à préjudicier aux intérêts de la Société. »

Un tel comportement est inopportun et pleinement contraire au professionnalisme nécessaire à l’exercice de vos fonctions. De plus, ces faits portent atteinte à l’image de notre entreprise. Or, vous n’êtes pas sans savoir que depuis plusieurs années nous insistons sur l’importance de la qualité de service, qui constitue un élément essentiel de différenciation et de pérennisation de notre entreprise. Cette qualité de service est aussi bien une question de savoir-faire vis-à-vis de notre clientèle que de savoir-être de la part de tous les collaborateurs.

2. Autres faits reprochés

En date du 4 octobre 2018, nous avons été alertés par notre service Audit interne d’un non-respect de procédure vous concernant, portant sur la reprise mobile et sur l’utilisation non-conforme de remises commerciales.

a. Reprises mobile frauduleuses

Rappel procédure reprise mobile

Conformément à la procédure de reprise mobile en vigueur au sein de notre entreprise et disponible sur l’intranet, la reprise mobile permet au client d’échanger son ancien mobile contre un bon d’achat en fonction de la valeur dudit mobile. La reprise mobile dépend de l’état du mobile ainsi que la grille d’argus des mobiles fixée chaque mois et consultable sur l’intranet.

Toujours au regard de cette même procédure, vous vous devez de respecter les étapes suivantes dans le cadre d’une reprise mobile :

– Diagnostic du produit,

– Saisie sur le logiciel VS des informations relatives au produit repris ainsi qu’aux coordonnées du client,

– Édition du bon de cession et signature du client,

– Enregistrement du bon d’achat en caisse en scannant le code de barre présent sur le bon de cession édité,

– Facturation sur Ophény

– Envoi du produit chez notre prestataire.

En effet, l’expertise du produit est une étape fondamentale car une mauvaise évaluation de l’état du produit constitue une perte financière pour l’entreprise.

La copie de la pièce d’identité et le bon de cession doivent être archivés pendant 6 mois en magasin. L’expédition des produits repris doit se faire au minimum une fois par semaine : les produits valorisés doivent être envoyés sous 7 jours.

La reprise est conforme si :

– les produits sont réceptionnés dans le délai imparti

– la référence et l’IMEI du produit repris correspond à celui du déclaré

Le bon d’achat est émis depuis le logiciel EZY et doit être impérativement utilisé le jour même de la reprise. Il se déduit automatiquement de la facture d’achat du client.

Nous vous rappelons qu’il est explicitement inscrit sur le bon de cession que le client bénéficiant d’une reprise mobile doit impérativement être le propriétaire légitime du produit.

1er dossier

Or, en date du 23 mars 2017, vous vous êtes auto facturé une enceinte power ainsi qu’une micro sd (Facture n° 10182017002384).

Sur la facture figure également la reprise d’un mobile, comportant l’IMEI n°357287056205836, pour un montant de 0€, ainsi qu’une remise supplémentaire (ou « bonus ») d’un montant de 90€ lié à la reprise d’un mobile Nokia Lumia 520. Soit une remise totale de 90€ sur la facture.

Or, après investigation il apparaît que le mobile utilisé pour la reprise mobile correspond à un mobile appartenant à un client, Monsieur [L] [S], venu en boutique en date du 11/07/2014, pour un dépôt SAV.

Mobile revenu en boutique, suite à retour SAV HG pour casse en date du 30/07/2014.

2nd dossier

En date du 20 novembre 2017, vous vous êtes auto facturé, à nouveau, un mobile de type Huawei blanc coque bleu/nuit / sup voiture, ainsi qu’un apple airpods (Facture n°10182017009246).

Sur la facture figure la reprise d’un mobile, comportant l’IMEI n°356376084211360, pour un montant de 0€, ainsi qu’une remise supplémentaire (ou « bonus ») d’un montant de 150€ lié à la reprise d’un mobile rattaché au contrat ISP – Utilisateur LEBEAU. Soit une remise totale de 150€.

3ème dossier

Enfin, en date du 16 avril 2018, vous vous êtes auto facturé un casque Beats, ainsi qu’un câble combo samsung (Facture n°10182018002811).

Sur la facture figure la reprise d’un mobile, comportant l’IMEI n°358461060026616, pour un montant de 0€, ainsi qu’une remise supplémentaire (ou « bonus ”) d’un montant de 100€ lié à la reprise d’un mobile SFR Startrail 6 noir, appartenant à Monsieur [N] [J]. Soit une remise totale de 100€.

Pour rappel, la procédure précise que les actes de souscriptions et facturations ne doivent pas être initiés par un vendeur pour son propre compte.

Notre entreprise met en place de manière régulière des offres de « bonus » liées à des reprises mobiles, afin de fidéliser nos clients, offres consistant en une réduction supplémentaire venant s’ajouter à la reprise mobile.

Vous avez donc effectué des reprises mobiles pour bénéficier de remises sur l’achat d’accessoires et mobile, alors que vous n’y étiez pas autorisé.

A cet égard, l’article V.1 du code de bonne conduite annexé au règlement intérieur précise:

« Tant en point de vente, qu’en agence qu’au siège, un/une salarié-e ne peut initier lui-même/elle-même une opération pour son propre compte et ce quelle qu’en soit la nature. Cette opération doit être effectuée par un/une collègue après validation du manager, et ce, qu’elle concerne toute souscription d’abonnement, le bénéfice d’une remise quelle qu’en soit la nature notamment remise sur accessoire ou utilisation de carré rouge ».

De plus, nous vous rappelons que l’article V.2.3 du Règlement intérieur précise que « un/une salarié-e ne devra pas utiliser son expertise métier dans le but volontaire de contourner l’esprit des procédures, règlements, consignes laissant apparaître une faille, un oubli, une absence expresse de signalement d’une situation afin d’en tirer un profit personnel ou d’en faire bénéficier son entourage.

Cette attitude aura notamment pour conséquence de porte atteinte à l’image de l’entreprise, de générer un manque à gagner pour celle-ci, de remettre en cause l’équité lors de challenge, de renier les valeurs de l’entreprise ”.

b. Utilisation non-conforme de remises commerciales

Nous vous rappelons que la procédure en vigueur concernant les remises commerciales prévoit différents types de remises devant être effectuées selon le cas qui se présente à vous :

Alignement concurrence : ce type de remise peut être utilisé pour aligner le prix d’un mobile après accord du Chef des Vente, à la suite d’un relevé de prix effectué chez les concurrents. L’alignement permet une remise jusqu’à 10€ pour les offres Starter et 20€ pour les offres Power et plus. Mais surtout, il faut spécifier le nom de l’enseigner concurrente dans le commentaire.

Geste commercial : type de remise autorisé par le Responsable de point de vente jusqu’à 20€, et au-delà avec l’accord de votre Chef des Ventes. Il nécessite d’en préciser la cause de manière explicite dans le champ prévu à cet effet.

Opérations Commerciales : les modalités de ces opérations sont indiquées dans le « Mémo ODR et Rabais ». A titre d’exemple, sont concernées les remises de -10% sur les accessoires lors de la vente d’un mobile, si le CA accessoires du ticket tous modèles confondus est > ou = à 100€.

De plus, cette même procédure indique que pour les souscriptions aux offres mobiles Starter, La Carte ou achat d’accessoires seuls, aucun gestion commercial n’est possible.

De même dans le cadre d’un geste commercial sur un accessoire, ce dernier est possible seulement si une offre mobile Power ou une offre Fixe figure sur la facture.

Le service Audit interne, nous a alerté sur l’utilisation importante de remises commerciales que vous avez accordés et même pire auto-accordé sur la période mars 2017 à juillet 2018.

A ce titre, vous avez attribué pas moins de 180 gestes commerciaux sur le magasin de [Localité 3] [Localité 4] depuis janvier 2018, pour un montant de 2777 euros, se décomposant comme suit:

– 44 remises pour alignement concurrence dont 4 sans mention de l’enseigne concurrence

– 136 gestes commercials dont 33 (soit 1/4) à 50% ou plus de taux de remise

– 4 factures accessoires seuls avec geste commercial (démarche proscrite par la procédure)

Cela révèle une utilisation abusive des remises avec 33 gestes commerciales permettant une réduction de plus de 50% du prix de l’accessoire, dont 17 produits remisés au-delà de 80%.

Pire encore, il a été détecté des remises que vous vous êtes appliqués sur l’ensemble des contrats frauduleux en reprise mobile.

L’ensemble de ces faits inacceptables prouvent votre incapacité à respecter votre contrat de travail de façon loyale et rendent incompatibles la poursuite d’une relation de travail.

Eu égard à l’ensemble des éléments sus~énoncés et au préjudice ainsi causé à l’entreprise, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour cause réelle et sérieuse [‘].

M. [U] a saisi le conseil de prud’hommes de Rouen par requête du 30 juillet 2019 d’une demande de requalification des contrats à durée déterminée conclus en contrat à durée indéterminée et en contestation de son licenciement.

Par jugement du 1er février 2021, le conseil de prud’hommes a :

– jugé que la demande de requalification était prescrite, et a en conséquence débouté M. [U] ses demandes afférentes,

– débouté M. [U] ainsi que la société de leurs demandes respectives formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– a laissé à M. [U] la charge des dépens de l’instance.

M. [U] a formé appel le 25 février 2021, en visant chaque disposition du jugement.

L’ordonnance de clôture de la procédure a été prononcée le 15 décembre 2022.

PRÉTENTIONS DES PARTIES 

Par conclusions remises le 20 mai 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, M. [U] demande à la cour de réformer le jugement et de condamner la société à lui payer :

13 572,15 euros à titre de dommages et intérêts,

2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

les intérêts de droit à compter de la saisine du conseil de prud’hommes,

ainsi qu’à supporter les dépens.

Par conclusions remises le 21 juillet 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la société demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a estimé que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, et en tout état de cause de :

– rejeter les prétentions indemnitaires de M. [U] ;

– condamner M. [U] à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner M. [U] aux entiers dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il est relevé que bien qu’ayant formé appel à l’encontre du jugement en ce qu’il a jugé que la demande de requalification était prescrite, l’a en conséquence débouté de ses demandes afférentes, M. [U] ne formule devant la cour aucune demande de requalification et de développe aucun moyen à l’appui d’une telle demande.

L’appel sur ce point n’étant pas soutenu, il convient de confirmer le jugement de ces chefs.

I. Sur le licenciement

1. sur la prescription des faits fautifs

M. [U] soutient en premier lieu que les faits reprochés sont prescrits. D’une part, il estime que l’employeur avait connaissance dès le 3 juillet 2018, date de la procédure de contrôle interne par « client mystère », du prétendu « renvoi à la concurrence » qui lui est reproché. D’autre part, il fait valoir qu’il n’a jamais dissimulé les faits de reprises mobiles frauduleuses et d’utilisation de remises commerciales, soutient que l’employeur en avait connaissance, notamment par son responsable d’agence, et estime que ce dernier ne peut retenir la date du 4 octobre 2018 comme date de connaissance des faits, cette date ne correspondant qu’à la date à laquelle un rapport interne a été adressé par un responsable de SFR à un autre responsable et qu’un audit interne ne présente pas les conditions d’impartialité exigées par la Cour de cassation pour justifier un report de la date marquant le point de départ du délai de prescription.

La société SFR Distribution conteste toute prescription, en faisant valoir que ce n’est qu’à la date du 4 octobre 2018 qu’elle a eu connaissance des manquements commis par M. [U], cette date correspondant à celle à laquelle un courriel d’alerte a été adressé par le service d’audit interne à la direction des ressources humaines pour l’informer du non-respect des procédures internes « reprise mobile » et « remises commerciales », accompagné du rapport d’audit. Elle précise que le rapport d’audit interne repose sur des éléments concrets et objectifs, et se trouve donc dépourvu de toute partialité. En tout état de cause, elle soutient que les griefs énoncés dans la lettre de licenciement, qui relèvent tous du même comportement fautif, à savoir la méconnaissance des procédures internes, doivent tous être pris en considération ; que dans les deux mois précédant l’engagement de la procédure de licenciement, M. [U] a réalisé deux remises commerciales abusives. Elle en déduit que c’est à tort que le conseil de prud’hommes a jugé prescrit les faits de renvoi à la concurrence du 3 juillet 2018.

Aux termes de l’article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance.

Ces dispositions ne font pas obstacle à la prise en considération de faits antérieurs à deux mois dès lors que le comportement du salarié s’est poursuivi ou s’est réitéré dans ce délai et s’il s’agit de faits de même nature.

Le délai court du jour où l’employeur a eu connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés.

C’est à l’employeur de prouver qu’il a eu connaissance des faits fautifs dans les deux mois précédant l’engagement de la procédure disciplinaire.

En l’espèce, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, évoque différents faits reprochés, dont le(s) plus récent(s) date(nt) du mois de juillet 2018, à savoir une utilisation abusive des remises commerciales. Ainsi, cette lettre précise que le service audit interne l’a alertée à propos de remises commerciales non conformes accordées pendant la période de mars 2017 à juillet 2018. Elle ne fait pas état d’une persistance du comportement fautif du salarié au-delà de cette période. C’est donc à tort que la société SFR Distribution se prévaut de deux remises commerciales abusives du 1er septembre 2018, nullement évoquées dans la lettre de licenciement.

Mais par ailleurs, l’employeur produit un courriel du 4 octobre 2018 émanant de M. [I], du service « audit » de la société, adressé à Mme [T], « RH Commerce », rédigé en ces termes : « Je vous alerte sur 3 reprises mobiles réalisées par le conseiller [H] [U] à titre personnel [‘].

Par ailleurs, nous avons relevé une utilisation abusive des remises commerciales [‘].

Je vous prie de trouver en PJ le rapport Fraude et le détail des remises co. […] »

Par la production du courriel ci-dessus évoqué, l’employeur établit qu’il n’a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés à M. [U] que le 4 octobre 2018, soit dans le délai de deux mois de l’engagement de la procédure de licenciement, ce qui se déduit également du fait que le salarié se trouvait en contact direct avec le client sans intervention de l’employeur, aucun élément ne permettant de le contredire. En effet, il n’est notamment pas établi que le responsable de l’agence dans laquelle travaillait M. [U] était averti des pratiques du salarié et le seul fait de ne pas dissimuler ses agissements n’implique pas que l’employeur en avait connaissance.

La prescription n’est donc pas acquise, tant en ce qui concerne les faits de renvoi à la concurrence que les faits de reprises mobiles frauduleuses ou de remises commerciales abusives, qui relèvent tous – à les supposer établis – d’un comportement déloyal et donc d’une même nature de faits.

Il est précisé à cet égard que ce courriel et le rapport annexé, qui reprend de simples données objectives tirées des facturations et historiques des appareils repris, ne comporte aucun élément permet de douter de son caractère impartial. Le seul fait qu’il émane d’un service de la société ne peut suffire à le rendre, si ce n’est illégal, à tout le moins inopposable au salarié, ou dénué de force probante.

2. Sur le bien fondé du licenciement

M. [U] estime que le stratagème employé par la société SFR Distribution d’envoyer anonymement des contrôleurs se faisant passer pour des clients est contraire au principe d’exécution de bonne foi du contrat de travail, donc illégal ; que les constatations qui en résultent ne peuvent être invoquées devant le juge et n’ont aucune force probante.

Il ajoute que le salarié ne peut pas être sanctionné pour ne pas avoir respecté des consignes malhonnêtes, en l’occurrence édictées pour empêcher les clients de résilier les contrats.

Il soutient que l’employeur n’a pas formé les salariés sur la procédure à suivre et la lutte « anti-churn ».

M. [U] fait valoir que le règlement intérieur lui-même prévoit la possibilité pour un salarié de profiter des offres commerciales, en la conditionnant au seul accord du manager ; qu’il n’est pas précisé la forme particulière que devait prendre cet accord ; qu’en l’occurrence, il a profité d’offres promotionnelles avec l’accord verbal de son manager, comme il est d’usage. Il conteste avoir frauduleusement remis des appareils appartenant à des tiers.

La société SFR Distribution soutient que l’intervention d’un « client mystère » n’a pas pour vocation exclusive de contrôler l’activité des salariés mais participe à l’amélioration de la qualité de la prestation fournie au client, de sorte qu’elle est opposable aux salariés même s’ils n’ont pas été informés de la mise en ‘uvre d’un tel procédé. Elle ajoute que M. [U] est nécessairement informé de la possibilité d’un audit, mode de contrôle expressément prévu par le règlement intérieur ; que le procédé du client mystère n’est donc pas déloyal.

Elle conteste toute illégalité de la procédure applicable lorsqu’un client demande la résiliation de son contrat, dès lors que les consignes afférentes à la lutte « anti-churn » ne privent pas le client de son droit de résiliation mais encadrent simplement la procédure. Elle précise que M. [U], comme tous les conseillers de vente, connaissait la procédure consistant en l’historisation de la demande de résiliation sur l’outil interne prévu à cet effet (« FAST ») afin que celui-ci puisse être recontacté ultérieurement par la cellule « anti-churn » ; que cette procédure avait fait l’objet d’une note de service mise à jour le 29 septembre 2017 ; que M. [U] a reconnu lors de l’entretien préalable avoir connaissance de l’historisation « FAST », qui en outre est disponible et décrite sur le portail SFR Distribution ; que cette procédure simple et basique ne nécessitait pas de formation spécifique ; qu’en tout état de cause, la fidélisation des clients fait partie des fondamentaux du poste de conseiller de vente.

La société SFR Distribution fait en outre valoir que la procédure de reprise d’un mobile est encadrée, que le bon d’achat correspondant à la valeur de reprise du mobile doit être utilisé par le client le jour-même, qu’il doit être le propriétaire légitime du produit et que les actes de souscription et facturation ne doivent pas être initiés par un conseiller de vente pour son propre compte ; que la vente à soi-même est en outre prohibée par le code de bonne conduite annexé au règlement intérieur ; que cependant, M. [U], par trois fois, a procédé à des reprises de mobiles qui ne lui appartenaient pas, pour son propre compte.

Enfin, la société SFR Distribution soutient que M. [U], parfaitement informé de la procédure interne « remise commerciale » disponible notamment sur l’intranet du groupe, a abusé de cette faculté de remise, en les accordant pour un montant non négligeable de 2 777 euros entre le 2 janvier et le 1er septembre 2018 et en se les appliquant à lui-même à l’occasion des contrats de reprise mobiles. Elle estime que M. [U] ne rapporte pas la preuve de ses allégations relatives à un « usage » ou à un accord verbal du manager.

Elle considère que ces éléments mettent en évidence l’incapacité de M. [U] à respecter les procédures internes, cela justifiant le licenciement.

Sur le fondement de l’article L. 1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être motivé et justifié par une cause réelle et sérieuse.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les griefs articulés à l’encontre du salarié et les conséquences que l’employeur entend en tirer quant aux modalités de rupture. Il appartient néanmoins au juge de qualifier les faits invoqués.

Sur le fondement de l’article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Ainsi, l’administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux du licenciement n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, l’employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

Si un doute subsiste, il profite au salarié, en vertu de l’article L. 1235-1 précité, in fine.

En l’espèce, le règlement intérieur de la société prévoit, en page 24, que tant en point de vente qu’en agence ou au siège, un salarié ne peut initier lui-même une opération pour son propre compte, et ce quelle qu’en soit la nature ; que cette opération doit être effectuée par un collègue après validation du manager.

Or M. [U] ne conteste pas avoir procédé à la reprise, à son bénéfice, de trois téléphones mobiles en mars 2017, novembre 2017 et avril 2018. Le rapport de fraude présentant le détail des factures émises à ces occasions démontre que ces trois opérations ont procuré à M. [U] des « bonus reprise » de 89,98 euros, 150 euros et 100 euros qui lui ont permis d’acquérir à moindre coût une enceinte, une carte micro-SD, un téléphone Huawei, des airpods, un casque audio et un câble USB.

M. [U] ne conteste pas que ces mobiles ne lui appartenaient pas initialement. S’il allègue une possible erreur dans la transcription du numéro IMEI permettant d’identifier le téléphone mobile, il ne peut être retenu l’existence d’une erreur dès lors qu’il est procédé ainsi à trois reprises, étant considéré en outre que les numéros IMEI retranscrits correspondaient à chaque fois à des appareils usagés ou défectueux non récupérés par leurs propriétaires. A cet égard, M. [U] soutient que les éléments apportés par l’employeur ne sont pas suffisants pour établir qu’il n’était pas le propriétaire légitime des mobiles repris, mais force est de constater qu’il n’apporte aucune explication circonstanciée sur sa qualité de propriétaire légitime de ces trois téléphones, ni aucun élément de nature à étayer ses allégations et à contredire les éléments apportés par l’employeur.

Il est ainsi établi, outre le non-respect de la procédure prohibant toute opération pour son propre compte, un défaut de loyauté envers l’employeur par le détournement d’une procédure commerciale en s’appropriant des téléphones qui ne lui appartenaient pas pour bénéficier d’une remise.

Par ailleurs, M. [U] a violé l’interdiction contenue dans le règlement intérieur de procéder pour son propre compte à des remises commerciales, puisque les factures ci-dessus évoquées établissent que le salarié, non seulement a profité d’une remise mobile, mais s’est en outre auto-attribué des remises de 20 euros, 20 euros et 18,98 euros qu’il a lui-même intitulées « geste commercial ».

Les factures laissent certes apparaître la mention « accord rpv » signifiant accord du responsable du point de vente. Au regard des circonstances tenant au fait que le salarié se sert de téléphones de tiers, cette seule mention déclarative ne permet pas d’écarter le caractère abusif de la remise.

Surabondamment, le rapport établit enfin que M. [U] a procédé à de nombreuses autres remises commerciales au profit de clients entre janvier et juillet 2018 (sur environ 180 remises de janvier à début septembre 2018), ainsi qu’il résulte du listing annexé au rapport de fraude, dont une trentaine correspondant à 50 % au moins du prix TTC normal. L’importance de ces remises, par leur fréquence et leur montant, établit leur caractère abusif au demeurant non contesté par le salarié. Ce dernier se contente en effet d’indiquer que les factures produites par SFR mentionnent toutes « accord rpv », ce qui n’est vrai que pour les trois remises auto-attribuées, pour lesquelles les factures sont effectivement produites. Cette mention apparaît également sur le listing des remises litigieuses pour certaines remises accordées à des clients, mais non pour toutes les remises de 50 % et plus, ce qui contredit l’allégation du salarié.

Il se déduit de ce qui précède, sans qu’il soit nécessaire d’apprécier le grief relatif au « renvoi à la concurrence », qu’il est suffisamment établi que le salarié s’est montré déloyal vis-à-vis de son employeur, dans des conditions justifiant son licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Le conseil de prud’hommes ayant omis de statuer sur le licenciement dans le dispositif du jugement attaqué, il convient de le compléter et de débouter M. [U] de sa demande tendant à ce que son licenciement soit dit sans cause réelle et sérieuse et de sa demande indemnitaire afférente.

II – Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante pour l’essentiel, M. [U] est condamné aux entiers dépens, tant de première instance que d’appel.

Par suite, M. [U] est débouté de sa demande d’indemnité procédurale et condamné à payer à la société SFR Distribution la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant dans les limites de l’appel, publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Complète le jugement déféré ;

Dit que le licenciement de M. [U] repose sur une cause réelle et sérieuse,

Déboute M. [U] de sa demande de dommages et intérêts afférente,

Le confirme en ses dispositions le complétant,

Condamne M. [U] aux dépens, tant de première instance que d’appel,

Déboute M. [U] de sa demande d’indemnité procédurale,

Condamne M. [U] à payer à la société SFR Distribution la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La greffière La présidente

 


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