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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 12
ARRÊT DU 30 Juin 2011
(n° , 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S 10/05831 LMD
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 24 Juin 2010 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de CRETEIL RG n° 10/00131CR
APPELANTES
SARL SEDIH
[Adresse 5]
[Localité 4]
représentée par Me Tatiana RICHAUD, avocat au barreau de VERSAILLES, toque : 307
SA SOGEC EUROPE
[Adresse 5]
[Localité 4]
représentée par Me Tatiana RICHAUD, avocat au barreau de VERSAILLES, toque : 307
INTIMES
Monsieur [C] [J]
[Adresse 2]
[Localité 7]
comparant en personne, assisté de Me Claude KATZ, avocat au barreau de PARIS, toque : D 1423
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DU VAL DE MARNE (CPAM 94)
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Mme [B] en vertu d’un pouvoir général
Monsieur le Directeur de la mission nationale de contrôle et d’audit des organismes de sécurité sociale
[Adresse 3]
[Localité 4]
Régulièrement avisé – non représenté.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 25 Mai 2011, en audience publique, les parties représentées et assistée ne s’y étant pas opposées, devant Monsieur Louis-Marie DABOSVILLE, Conseiller, chargé d’instruire l’affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Jeannine DEPOMMIER, Président
Monsieur Louis-Marie DABOSVILLE, Conseiller
Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller
Greffier : Mme Michèle SAGUI, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Jeannine DEPOMMIER, Président et par Madame Michèle SAGUI, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Il sera rappelé que :
M. [J], salarié depuis le 1er octobre 1990 des sociétés Sedih et Sogec -sociétés de presse et d’édition dont les dirigeants sont [I] [G] et [E] [U] en qualité de pigiste, puis de rédacteur en chef adjoint à dater du 1er août 1994, et enfin de rédacteur en chef depuis le 1er septembre 1999, a été mis en arrêt de travail du 14 septembre au 10 octobre 2007, après avoir été hospitalisé du 4 au 14 septembre à l’hôpital [8] pour un infarctus du Myocarde.
M. [J] a fait, le 14 octobre 2007, une déclaration d’accident du travail à ce titre.
Cette déclaration s’est dans un premier temps heurtée à un refus de prise en charge de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Val de Marne-la Caisse- refus infirmé par la Commission de Recours Amiable par une décision du 24 juillet 2007.
Le 18 décembre 2008 M. [J] a fait l’objet d’un licenciement de la part des sociétés Sedih et Sogec pour cause d’inaptitude physique.
Le 15 novembre 2010 le Conseil de Prud’hommes(CPH) de Paris a condamné les sociétés Sedih et Sogec à verser à M. [J] diverses sommes au titre de son licenciement et également à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral lié à un comportement agressif et vexatoire.
Appel a été interjeté de ces condamnations par l’employeur.
Le 12 janvier 2009, M. [J] a saisi la Caisse d’une demande de faute inexcusable et, la réunion de conciliation du 17 décembre 2009 n’ayant pas abouti, l’intéressé a, par lettre du 26 janvier 2010, saisi le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de Créteil.
Par jugement du 24 juin 2010 le tribunal a :
-dit le recours recevable contre les deux employeurs de M. [J], les sociétés Sedih et Sogec
-dit que les sociétés Sedih et Sogec ont commis une faute inexcusable lors de l’accident du travail survenu le 4 septembre 2007,
-accordé à M. [J] la majoration de la rente fixée à son taux maximum,
-débouté M. [J] de sa demande de provision,
-avant dire droit sur le préjudice de M. [J] ordonné une expertise, confiée au Dr [X].
Par déclaration du 2 juillet 2010 les sociétés Sedih et Sogec ont interjeté appel de cette décision.
Dans leurs dernières conclusions déposées au greffe le 25 mai 2011et soutenues oralement à l’audience par leur conseil, les sociétés Sedih et Sogec demandent à la Cour de :
-infirmer le jugement,
Statuant à nouveau :
-in limine litis dire l’action pour faute inexcusable irrecevable à l’encontre tant de la société Sogec que de la société Sedih,
-dire inopposable à l’employeur la décision de reconnaissance de l’accident du travail de M. [J],
-dire que cet accident ne peut relever de cette qualification,
-rejeter la demande pour faute inexcusable et les demandes y afférentes,
-ordonner le remboursement par la Caisse des cotisations versées à ce titre,
-condamner M. [J] à payer la somme de 10 000 € pour procédure abusive,
-et celle de 7000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,
-condamner de ce dernier chef la Caisse à payer la somme de 5000 €,
Subsidiairement,
-ordonner une expertise médicale aux fins de déterminer s’il existait un état antérieur de la victime.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe le 25 mai 2011 et soutenues oralement à l’audience par son conseil, M. [J] demande à la Cour de :
-confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
Vu le rapport du Dr [X],
-condamner solidairement les sociétés Sedih et Sogec à payer ‘à titre de dommages-intérêts’ les sommes de :
-souffrances subies : 45 000 €
-préjudice d’agrément : 20 000 €
-préjudice esthétique : 3 000 €
-préjudice professionnel :1 328 404, 30 €
Condamner solidairement les sociétés Sedih et Sogec à payer la somme de 5000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe le 18 mai 2011 et soutenues oralement à l’audience par son représentant, la Caisse demande à la Cour de :
-confirmer le jugement,
-lui donner acte de ses réserves sur les demandes d’indemnisation des préjudices subis,
-dire que les préjudices autres que ceux visés à l’article L 452-3 du Code de la Sécurité Sociale resteront à la charge de l’employeur.
Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d’autre pour un plus ample exposé des moyens et arguments proposés par les parties au soutien de leurs prétentions ;
SUR QUOI LA COUR :
Considérant que les sociétés Sedih et Sogec ont adressé à la Cour, le 25 mai 2011, une note en délibéré qui ne leur avait pas été réclamée ; que ce document, qui viole le principe du contradictoire, est écarté des débats ;
Considérant que le même principe s’applique à la note en délibéré adressée également le 25 mai 2011 par M. [J] ;
Considérant qu’il est rappelé que ce type de procédé est d’autant moins admissible que les parties ont disposé des délais raisonnables pour conclure et lire leurs conclusions respectives, et que, la procédure étant orale, ils ont pu encore le faire à l’audience ;
Sur l’irrecevabilité,
Considérant que les sociétés Sedih et Sogec soutiennent que les diverses déclarations effectuées tant par M.[J] que par la Caisse ont été adressées à un seul de ces deux employeurs, par des notifications communes ; que l’une et l’autre de ces sociétés doivent être mises hors cause ;
Mais considérant que ces deux entreprises ont conjointement utilisé les services de M.[J], qu’elles ont la même adresse, et ont comparu ensemble devant les juridictions concernées, représentées par le même conseil ; qu’elles ne justifient en conséquence d’aucun grief résultant de ces notifications ;
Sur l’accident du travail,
Considérant que les sociétés Sedih et Sogec contestent la qualification donnée à l’accident survenu, et, de même, la régularité de la procédure diligentée par la Caisse ;
Considérant cependant que la présente procédure concerne l’appel d’un jugement précis, qui n’a pas statué sur cette question, et dont il n’est pas argué qu’il en était saisi ;
Considérant en outre que la décision de la CRA du 24 juillet 2007 a, selon les écritures mêmes des appelantes, été notifiée à celles-ci qui précisent du reste : ‘le 25 juillet 2007 l’employeur reçoit de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie des conclusions aux termes desquelles elle indique que M. [J] a ‘obtenu gain de cause’ et que ‘l’affaire est devenue sans objet’ ; que ces mêmes écritures exposent en effet que, devant le refus initial de la Caisse, M. [J] avait saisi le TASS, procédure à laquelle étaient parties les sociétés Sedih et Sogec , qui mentionnent avoir été avisées de la radiation de l’affaire le 29 août 2009 ;
Considérant en conséquence que les sociétés Sedih et Sogec sont irrecevables à prétendre exercer un recours qu’elles ont elles-mêmes négligé lorsqu’il leur était ouvert ;
Considérant qu’il en découle que le débat sur les circonstances de l’accident, ses origines, sa qualification au titre d’un accident du travail et son opposabilité est sans objet ;
Que, de même, il ne sera pas ‘pris acte’ du recours intenté devant le tribunal du contentieux de l’incapacité, qui ne concerne nullement la présente procédure ;
Sur la faute inexcusable,
Considérant qu’en vertu du contrat de travail le liant à son salarié l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat notamment en ce qui concerne les accidents du travail ; que le manquement à cette obligation de sécurité a le caractère d’une faute inexcusable au sens de l’article L.452-1 du Code de la Sécurité Sociale lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ; qu’il appartient à la victime invoquant la faute inexcusable de l’employeur de prouver que celui-ci , qui avait ou devait avoir conscience du danger auquel elle était exposée, n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ;
Considérant que M. [J] soutient que son accident dont il a du faire lui-même la déclaration après avoir vainement présenté cette demande à son employeur le 30 septembre précédent, trouve son origine et ses causes dans la surcharge de travail ‘phénoménale’ qui lui était imposée principalement dans l’année précédant cet infarctus, du en outre à des conditions relationnelles plus que déplorables inhérentes au harcèlement dont il était l’objet de la part de ses employeurs, lesquels n’hésitaient pas à le traiter avec mépris et grossièreté ; que, de fait, cet accident a été déclenché par le climat particulièrement odieux d’une réunion de travail à laquelle il a assisté le matin des faits ;
Considérant que les sociétés Sedih et Sogec dénient ces critiques qu’elles jugent incohérentes, injustifiées, et abusives ; qu’elles mentionnent que M. [J] n’en a pas fait état après son infarctus, insistant même pour revenir travailler ; que la prétendue mauvaise ambiance au travail repose sur des attestations de personnes qui avaient quitté l’entreprise avant 2005 et ne concernent pas M. [J] personnellement, lors que d’autres salariés témoignent en sens contraire; que de même la surcharge de travail alléguée par M. [J] résulte d’une découverte récente de l’intéressé, lequel imputait à l’origine l’infarctus à une violente dispute lors de la réunion du 4 septembre, puis a invoqué un phénomène d’harcèlement devant le Conseil de prud’hommes-sans justifier de l’un ou l’autre de ces griefs ;
Considérant ainsi que les sociétés Sedih et Sogec contestent la présentation des faits par M. [J] s’agissant du départ en 2006 d’une Mme [Y], pigiste, dont le non remplacement aurait pesé sur la charge de l’intéressé, à qui il n’a en fait jamais été réclamé d’augmenter sa production après que l’employeur ait, à juste titre, exigé à cette époque que le budget correspondant revienne à des coûts raisonnables ; que de même la réduction du nombre de signes procède d’une volonté d’alléger les rédactions des articles ; que les chiffres présentés sur ces éléments par M. [J] à partir de ses propres déclarations et d’un constat d’huissier non contradictoire ne sont pas recevables, notamment du fait qu’ils incluent des articles livrés clés en main à la rédaction ;
Considérant que les appelantes expliquent en conséquence l’accident par l’existence d’une pathologie évoluant pour son propre compte, dont M. [J] leur avait de surcroît dissimulé l’existence et l’ampleur ;
Considérant cependant que s’il appartient à l’employeur, dans le cadre de sa mission de bonne gérance de son entreprise, de veiller à la maîtrise permanente des coûts en procédant aux ajustements nécessaires tant sur le plan matériel qu’au niveau du personnel, il lui importe tout autant de contrôler la mise en application de ces dispositions en tenant compte du respect du aux personnes concernées par ces choix et, de manière générale, de s’assurer que la politique de gestion des ressources humaines est à la hauteur de l’enjeu contenu dans ces termes ;
Considérant qu’un employeur ne peut ignorer ou s’affranchir des données médicales afférentes au stress au travail et ses conséquences parfois dramatiques pour les salariés qui en sont victimes-pas plus que ne devraient être négligés les aspects positifs d’un travail assumé dans des conditions valorisantes ;
Considérant que M. [J] cite des extraits d’un opuscule émanant de [I] [G] expliquant qu’il soupçonnait ‘des gens ..de vouloir s’engraisser sur le compte de ma société’ et précisant que, avant l’arrivée de [E] [U], 45 personnes travaillaient dans l’entreprise mais que suite à des licenciements et à une révision des tâches ‘nous n’avons plus que 9 salariés et la qualité du travail est bien meilleure’ ; considérant que ces propos impliquent, soit qu’il soit justifié d’une gabegie managériale antérieure nécessitant un tel traitement, soit d’une volonté de réaliser un productivisme avéré ;
Considérant qu’il n’est pas discutable que les dirigeants des sociétés Sedih et Sogec ont placé ces objectifs de rentabilité au coeur de leur processus de direction, et, notamment, en 2006, avec le but affiché de réduire le poids financier de la pratique de la pige ;
Considérant que cette décision, compréhensible en soi, impliquait cependant que, d’une part elle n’entraîne pas pour les autres salariés une charge qui, de ce fait, leur serait transférée, avec pour corollaire d’assumer seuls les conséquences de cette économie, ce au delà de leurs propres capacités de travail ; et que, d’autre part, elle s’accompagne d’une politique visant à accompagner et respecter ces mêmes salariés à qui un effort accru était demandé ;
Considérant que M. [J] soutient qu’il a été victime de ce processus et contraint d’assumer une charge de travail de soixante dix heures par semaine, lors même qu’en 2005 déjà il assumait le travail de trois personnes suite à la politique de réduction des coûts ;
Considérant que force est de constater que le non remplacement de Mme [Y], fut-ce en améliorant la production demandée, avait nécessairement un impact, sauf à juger que les sociétés Sedih et Sogec avaient auparavant toléré de rémunérer une pigiste improductive ;
Considérant que le constat d’huissier établi par Me [V] le 10 septembre 2009 -acte dont il doit être rappelé qu’il ne repose pas sur le principe du contradictoire puisqu’il requiert les constatations d’éléments de fait par un officier ministériel assermenté- effectué à la demande de M. [J] a mis en évidence une augmentation de 41,3 % de la production de l’intéressé sur les six numéros mensuels précédant son infarctus ;
Considérant que les sociétés Sedih et Sogec contestent ces chiffres au motif qu’ils incluent des articles formels-33 % de la production- et des numéros des mois de janvier et février qui sont en réalité rédigés en novembre et décembre de l’année précédente, ce qui réduirait de près de 45 % les chiffres avancés ; qu’ils mentionnent qu’en tout état de cause ce prétendu surcroît de travail n’a jamais été imposé à M. [J] par l’employeur ;
Considérant cependant que le décalage de numéros s’effectue en continu de sorte que M. [J] est fondé à répliquer que, de même, les numéros postérieurs à août 2006, bien que rédigés à cette période, ne sont pas comptabilisés ; que, d’autre part, s’agissant de données visant à comparer l’augmentation de la charge de travail d’une année sur l’autre, les numéros ‘formels ‘sont censés être déjà inclus dans les statistiques précédentes ;
Considérant ensuite que les chiffres produits par M. [J] et allégués comme étant ceux que l’entreprise a produit devant le Conseil de prud’hommes -ce qui n’apparaît pas discuté ni argué de faux-démontrent que les données relevées par Me [V] sont exactes et que par ailleurs, sur la période de septembre 2005 à août 2006 la production de M. [J] avoisine 100 feuillets par mois, puis 129 entre août 2006 et août 2007, lors que, selon certains syndicats de journalistes, la moyenne devrait se situer entre 30 et 43 feuillets par mois ;
Considérant en tout état de cause que l’accroissement du travail de M. [J] est patent sur les années précédant son accident ;
Considérant qu’il est soutenu que l’intéressé ne s’y est pas opposé, bien que cette charge ne lui ait pas été réclamée et que, tout au contraire, il lui ait été demandé de réduire sa production; qu’en outre la volonté de M. [J] de reprendre ses activités après son infarctus n’est manifestement pas compatible avec la situation qu’il décrit ;
Considérant que le silence du salarié, tributaire de son emploi, ne vaut pas approbation ; que si, dans un premier temps, les tâches de Mme [Y] ont été transférées à la compagne de M. [J], qui n’a pas donné satisfaction, elles ont du ensuite être assumées par M. [J], sans du reste lui générer un quelconque profit financier ; que, contrairement à ce qui est argué par les appelantes, M. [J] s’est plaint de cet accroissement de travail et du comportement de ses employeurs(‘je vous demanderai d’avoir désormais l’obligeance de bien vouloir me parler avec la politesse qui sied aux relations professionnelles’) dans un courrier du 29 septembre 2006, renouvelant le premier de ces griefs dans une lettre du 16 décembre suivant dans laquelle il réclamait une augmentation de son salaire ;
Considérant ensuite qu’il résulte des pièces produites par les appelantes (courrier du 22 septembre 2002) qu’il a été demandé à M. [J] de réduire le budget ‘piges’ ; qu’il apparaît peu crédible de prétendre ensuite ‘qu’il n’a jamais été demandé à M. [J] d’augmenter sa propre production pour remplacer les piges’, ou le travail de Mme [Y] : considérant en effet que si ce budget devait pour diverses raisons être réduit-notamment du fait qu’il était mal géré par M. [J] comme il l’est soutenu-il est néanmoins avéré que la production de ce dernier a augmenté, sans pour autant être remise en cause, ce qui implique que l’employeur a admis une telle inflation dès lors qu’elle ne lui coûtait pas ;
Considérant en conséquence que le moyen tiré de l’absence de demande de travail supplémentaire de la part de l’employeur n’est pas recevable, dans la mesure où le travail de Mme [Y] devait, en toute logique, être assumé ;
Considérant que le retour de M. [J] au travail ensuite de son accident ne constitue pas une incohérence, pas plus que son silence dans les semaines qui ont suivi son arrêt de travail: qu’il est rappelé que l’intéressé avait nécessité de gagner sa vie sans pouvoir nécessairement être en mesure d’entrer en conflit avec l’employeur ;
Considérant qu’il apparaît que les positions de principe de [I] [G] et [E] [U] rappelées plus haut ont eu un impact sur les relations avec les salariés ; que des attestations produites par M. [J] il résulte qu’ ‘ils exigeaient toujours plus, cela n’était jamais assez, ce qui fait que je devais travailler tard le soir et le week end de temps à autres.. C’était toujours ma faute..je ne savais pas m’organiser…je suis partie à la retraite…j’ai déclaré à M. [J] je pars parce que sans cela ils vont me tuer’ (Mme [T]) ; que M. [K] parle de [E] [U] ‘devenu très agressif, m’insultant et me menaçant de me casser la gueule’ ; que Mme [P], assistante de direction, déclare que durant l’été 2007 elle était ‘en surcharge de travail’, parle ‘de nombreuses heures supplémentaires non payées’ et d’avoir travaillé tard le soir, évoque ‘une pression psychologique énorme….la direction était constamment derrière moi…devant la surcharge de travail j’ai fait une dépression’ ;
Considérant que cette politique de surcharge, de pressions, ‘d’objectifs inatteignables’ est confirmée par les attestations de Mme [A] et de M. [L] ;
Considérant que ces pièces ne peuvent être écartées au motif que certaines émanent de collaborateurs qui avaient déjà quitté les sociétés en 2005, cette circonstance n’étant pas de nature à démontrer que, en quelques années, la vision des relations de travail des deux dirigeants concernés ait évolué et que l’ambiance dans les entreprises se soit améliorée, lors même que la volonté d’accroître la rentabilité était affichée ;
Considérant que si d’autres collaborateurs ont pu, comme en attestent les documents produits par les appelantes bénéficier d’une autre approche de ces relations, pour autant les faits mentionnés dans les documents analysés plus haut ne peuvent être négligés ;
Considérant qu’il découle de ce qui précède que les sociétés Sedih et Sogec n’ont pas utilement pris la mesure des conséquences de leur objectif de réduction des coûts en terme de facteurs de risque pour la santé de leurs employés et spécifiquement de M. [J], dont la position hiérarchique le mettait dans une situation délicate pour s’y opposer et dont l’absence de réaction ne peut valoir quittus de l’attitude des dirigeants de l’entreprise ; que l’obligation de sécurité pesant sur l’employeur ne peut être que générale et en conséquence ne peut exclure le cas, non exceptionnel, d’une réaction à la pression ressentie par le salarié ;
Considérant que dès lors que le débat sur la portée exacte de la réunion du 14 septembre 2007 et les propos qui y ont été échangés est sans réel intérêt dès lors que ces propos n’ont été que le déclencheur d’une crise cardiaque générée de longue date par le stress subi par M. [J] ;
Considérant également qu’il est argué que des problèmes d’ordre personnel et l’implication de M. [J] dans une société qu’il aurait créée ont participé à l’accroissement de ses charges ; que pour autant, le premier de ces éléments relève de la vie personnelle, et qu’il n’existe pas de données suffisantes sur ce second facteur-qui ne peut en tout état de cause exonérer l’employeur de ses propres fautes ;
Considérant que le moyen opposé par les sociétés Sedih et Sogec de ce qui-sans être qualifié comme tel dans leurs écritures-relève d’une faute inexcusable de la victime, laquelle aurait celé à l’employeur son état de santé, n’est pas fondé : qu’une telle faute s’entend d’une ‘faute volontaire du salarié, d’une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait du avoir conscience’ : qu’en l’espèce aucun élément du dossier ne vient corroborer une telle attitude ; qu’en effet il n’existe aucune preuve de ce que M. [J], à qui il est imputé, sur l’invocation des études classiques afférentes aux facteurs de risque, d’avoir négligé de mentionner le fait que, ayant une vie sédentaire, il fumait, avait un taux de cholestérol élevé-tous éléments non quantifiés-et était en surpoids-ce dernier élément, à le supposer démontré, étant lui-même évident-ait connu ces risques et n’en ait pas tenu compte ;
Considérant qu’il n’est, de fait, pas avéré que l’intéressé souffrait d’un grave problème cardiaque ni qu’il ait été médicalement suivi pour de tels problèmes, les sociétés Sedih et Sogec mentionnant elles-mêmes qu’il avait toujours été déclaré apte à son activité professionnelle dans le cadre des examens médicaux obligatoires prévus à l’article R 4624-18 du Code du travail, et que la médecine du travail n’avait délivré aucun signal d’alerte à l’employeur ;
Considérant en conséquence que la faute inexcusable est retenue ; que le jugement est confirmé ;
Sur les conséquences de la faute inexcusable
Considérant que le montant des indemnités auxquelles a légalement droit M. [J] du fait de son accident et du taux d’IPP de 80 % qui lui a été reconnu, de la procédure prud’homale et de diverses assurances ne le prive pas, comme s’en offusquent les appelantes, de celles découlant de la reconnaissance de leur faute inexcusable ;
Considérant qu’il est rappelé qu’il s’agit d’une procédure spécifique dans laquelle les sommes allouées sont avancées par la Caisse qui en récupère le montant auprès de l’employeur ; qu’en conséquence M. [J] ne peut demander la condamnation solidaire des sociétés Sedih et Sogec au paiement des sommes allouées au titre de la faute inexcusable ;
Considérant que M. [J] a été examiné par le Dr [X] ; qu’il mentionne renoncer expressément à un complément d’expertise quant aux préjudices induits par la décision du Conseil Constitutionnel du 18 juin 2010, ce en raison de sa ‘faible espérance de vie’ ; que cette décision rend sans objet les objections-du reste non fondées- de la Caisse sur l’éventuelle avance des indemnisations en résultant ;
Considérant que les conclusions du rapport ne sont pas discutées ;
Qu’il en découle que les souffrances subies par M. [J] sont importantes (6/7) ; que son insuffisance cardiaque le prive de toute reprise d’une activité professionnelle, que par ailleurs il peut encore se déplacer, avec difficulté, sur de courtes distances mais qu’il est à craindre que sa situation se dégrade et limite encore plus son autonomie physique ; qu’enfin une certaine prise de poids induit un préjudice esthétique(1,5/7) ;
Considérant que M. [J] n’est plus en état de voyager, de pratiquer quelque sport que ce soit, et notamment de se livrer à ses activités de plongée sous marine, et de ramassage de coquillages au titre desquelles il écrivait des articles et des ouvrages spécialisés ;
Considérant que l’importance des préjudices subis par M. [J] conduit à retenir les chiffres suivants :
-souffrances subies : 20 000 €
-préjudice d’agrément : 20 000 €
-préjudice esthétique : 1 000 €.
Considérant que, s’agissant du préjudice professionnel, M. [J] argue de ce qu’il n’est plus en état d’exercer une activité professionnelle et se base sur un barème de capitalisation de droit commun ; mais, considérant il y a lieu de rappeler que sont couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale les postes de préjudice suivants :
……………………………………………………………………………..
les pertes de gains professionnels actuelles et futures (articles L 433-1 et L 434-2) ;
Considérant en conséquence que la demande formulée par M. [J] de ce chef n’est pas recevable, dès lors qu’elle est déjà indemnisée par l’attribution d’une rente majorée ; que si, dans le rapport d’expertise, M. [J] mentionnait une perte de chance d’accéder à d’importantes promotions dans le monde de la presse, cet argument n’est pas repris dans ses écritures afférentes au préjudice professionnel ;
Sur la demande de dommages-intérêts présentée par les sociétés Sedih et Sogec
Considérant que cette demande à hauteur de la somme de 10 000 € repose sur l’imputation que M. [J] a entendu user et abuser des possibilités de tirer profit de son accident par des prétentions ‘abusives et malhonnêtes’ procédant d’un comportement ‘gravement préjudiciable à l’employeur’ ;
Considérant qu’il a été dit plus haut que ces prétentions étaient justifiées ;
Considérant en conséquence que la demande de dommages-intérêts est rejetée ;
Considérant que l’équité commande de condamner les sociétés Sedih et Sogec à payer à M. [J] la somme de 5000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, les appelantes étant elles-mêmes, au vu de la solution donnée au litige, déboutées de leurs demandes sur ce même fondement ;
PAR CES MOTIFS
Ecarte des débats les notes en délibéré adressées par les sociétés Sedih et Sogec et par M. [J] le 25 mai 2011,
Dit l’appel recevable mais non fondé ;
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Evoquant sur les préjudices complémentaires en raison de la faute inexcusable de l’employeur ;
Fixe comme suit l’indemnisation des préjudices personnels subis par M. [J] :
-souffrances subies : 20 000 €
-préjudice d’agrément : 20 000 €
-préjudice esthétique : 1 000 €
Rappelle que ces sommes sont payées sous forme d’avance par la caisse primaire d’assurance maladie du Val de Marne qui en récupère le montant auprès des sociétés Sedih et Sogec ,
Condamne solidairement les sociétés Sedih et Sogec à payer à M [J] la somme de 5000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Rejette toutes autres demandes ;
Fixe le droit d’appel prévu par l’article R 144-10 alinéa 2 du code de la sécurité sociale à la charge des appelantes qui succombent au 10ème du montant mensuel du plafond prévu à l’article L241-3 du code de la sécurité sociale et condamne les sociétés Sedih et Sogec au paiement de ce droit ainsi fixé.
Le Greffier, Le Président,