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Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 5
ARRET DU 03 MAI 2018
(n° , pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 16/11692
Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Septembre 2016 -Conseil de prud’hommes – Formation de départage de PARIS – RG n° 13/13952
APPELANTE
Madame [X] [N]-[W]
[Adresse 1]
[Localité 1] / FRANCE
Représentée par Me Frédéric CHHUM, avocat au barreau de PARIS, toque : A0929
INTIMEE
SA FRANCE TELEVISIONS
[Adresse 2]
[Localité 2]
Représentée par Me Marc BORTEN, avocat au barreau de PARIS, toque : R271
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 Mars 2018, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Emmanuelle BESSONE, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Marie-Bernard BRETON, président
Isabelle MONTAGNE, conseiller
Emmanuelle BESSONE, conseiller
Greffier, lors des débats : Monsieur Philippe ANDRIANASOLO
ARRET :
-contradictoire
-par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Marie-Bernard BRETON, président et par Monsieur Philippe ANDRIANASOLO, greffier présent lors du prononcé.
EXPOSE DU LITIGE
Mme [X] [N]-[W] a été employée à compter du 26 janvier 1993, par la société RFO MARTINIQUE, d’abord en qualité de journaliste pigiste, puis dans le cadre de contrats à durée déterminée successifs en qualité de rédacteur reporteur, puis à compter du 23 mars 1999, dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée avec effet au 1er janvier 1998, en qualité de journaliste spécialisée.
Elle a occupé différents postes, et en dernier lieu celui de responsable d’édition.
Le 18 juin 2013, elle a été convoquée à un entretien préalable au licenciement fixé au 09 juillet 2013, auquel elle ne s’est pas rendue.
Le 18 juillet 2013, Mme [N] [W] a été licenciée pour faute grave.
Le 13 septembre 2013, Mme [N]-[W] a saisi le Conseil de prud’hommes de Paris afin de voir annuler son licenciement, et condamner la société FRANCE TELEVISIONS à lui payer un rappel de salaires outre congés payés afférents, un rappel d’heures supplémentaires, des dommages-intérêts pour harcèlement moral, des indemnités de rupture outre des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement du 1er septembre 2016, le conseil de prud’hommes de Paris statuant en formation de départage, a débouté Madame [N]-[W] de l’intégralité de ses demandes.
Par déclaration électronique du 20 septembre 2016, Mme [N] [W] a interjeté appel de cette décision qui lui été notifiée le 05 septembre 2016.
Par conclusions récapitulatives notifiées par RPVA le 05 décembre 2017, Mme [X] [N] [W] sollicite l’infirmation du jugement, et demande à la cour :
– à titre principal, de dire son licenciement nul, comme motivé par une dénonciation de harcèlement moral,
– de condamner la société FRANCE TELEVISIONS à lui payer les sommes suivantes :
* 14.615,71 euros bruts à titre d’indemnité conventionnelle de préavis,
‘ 1.461,57 euros bruts au titre des congés payés afférents,
‘ 99.435,58 euros bruts à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
‘ 282.518 euros bruts à titre de rappel de salaire du 18 juillet 2013 au 08 juin 2018,
‘ 28.251,18 euros à titre de congés payés afférents,
‘ 16.808 euros bruts à titre congés payés afférents,
‘ 100.000 euros à titre de dommages-intérêts du fait du caractère illicite du licenciement nul,
– subsidiairement, de déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– de condamner en conséquence la société FRANCE TELEVISIONS à lui payer les sommes suivantes :
‘ 14.615,71 euros bruts à titre d’indemnité de préavis,
‘ 1.461,57 euros bruts au titre des congés payés sur préavis,
‘ 99.435,58 euros bruts à titre d’indemnité de licenciement,’ 100.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– à titre infiniment subsidiaire, de dire et juger que son licenciement ne repose pas sur une faute grave car elle a été convoquée à un entretien préalable 25 jours après les faits litigieux et sans mise à pied conservatoire,
– de condamner en ce cas la société FRANCE TELEVISIONS à lui payer les sommes suivantes :
‘ 14.615,71 euros bruts à titre d’indemnité de préavis,
‘ 1.461,57 euros bruts au titre des congés payés sur préavis,
‘ 99.435,58 euros bruts à titre d’indemnité de licenciement,
– dans tous les cas, de condamner FRANCE TELEVISIONS à lui payer les sommes suivantes :
‘ 20.000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à son obligation de sécurité de résultat ;
‘ 30.000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral
‘ 5.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– d’ordonner la remise des bulletins de salaire, du certificat de travail et de l’attestation Pôle Emploi rectifiés sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
– de condamner FRANCE TELEVISIONS aux dépens.
Elle fait valoir que dans un protocole d’accord du 8 décembre 2012, l’employeur a reconnu qu’elle avait été victime de harcèlement moral.
S’agissant du harcèlement moral dont elle dit avoir été victime, elle présente les faits suivants :
– en mars 2009 son agression par Mme [Z] [Y] journaliste sur le parking de l’entreprise, et l’absence de toute enquête, mesure ou sanction de l’employeur à la suite de ces faits, et ce malgré les protestations des syndicats
– le reproche injustifié qui lui a été adressé en mars 2009, lui imputant la non-diffusion du journal du 16 mars 2009, alors qu’elle se trouvait bien à son poste de travail à l’heure de lancement du journal, ce que la direction a finalement reconnu,
– sa dénonciation d’un harcèlement moral le 23 juin 2009, et notamment des mesures vexatoires et humiliantes dont elle était l’objet, du fait qu’elle était cantonnée au journal de 13 heures, et exclue des opérations importantes, de la plainte déposée contre elle par FRANCE TELEVISIONS en juin 2009, suivie d’un désistement devant le tribunal correctionnel de Fort-de-France,
– son état dépressif majeur, constaté par le docteur [K], et qui a entraîné une prolongation de son arrêt de travail du 01.09.2010 au 28.02.2011,
– son agression par M. [V], rédacteur en chef de Martinique 1ère, le 02 décembre 2011, reconnue comme accident du travail, mais qui n’a entraîné aucun soutien de la part de la société FRANCE TELEVISIONS,
– sa grève de la faim de cinq jours, en décembre 2012, pour dénoncer le harcèlement moral dont elle était victime,
– la signature le 08 décembre 2012, en présence de l’inspecteur du travail, d’un protocole d’accord entre l’employeur et la salariée, reconnaissant le harcèlement moral, mais non exécuté s’agissant du réexamen de son déroulement de carrière.
– la remise de fiches de paie erronée et incompréhensibles
– des retenues sur salaire injustifiées, depuis janvier 2013, dont la régularisation n’a été faite que le 12 juin 2013, par le versement d’un acompte de 4.000 euros.
Elle affirme que le 24 mai 2013, elle s’est rendue dans l’entreprise pour avoir des explications sur les erreurs qui affectaient ses bulletins de paie, que tant le directeur que Mme [A] administratrice régionale, ont refusé de prendre ses réclamations en compte, qu’elle s’est énervée et a renversé quelques objets, et qu’elle a fait l’objet d’un rappel à la loi pour ces dégradations légères.
Elle considère que les faits reprochés ne peuvent être constitutifs d’une faute grave dès lors qu’elle a réagi avec énervement, compte tenu de l’état de santé qui était le sien, au comportement indifférent et provoquant de la direction à son égard, et que l’employeur n’a pas engagé la procédure de licenciement à bref délai, et ne l’a pas mise à pied.
Par conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 19 janvier 2018, la société FRANCE TELEVISIONS sollicite la confirmation du jugement entrepris, et la condamnation de Mme [N] [W] à lui payer la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, et à supporter les dépens.
Elle fait valoir que le licenciement n’est pas motivé par une dénonciation de harcèlement moral, mais par des faits de violence et de dégradations, commis le 24 mai 2013 dans le bureau du directeur, où elle s’était imposée par la force.
Elle conteste par ailleurs tout harcèlement, rappelant que celui-ci a déjà été écarté par la cour d’appel de Fort-de-France dans un arrêt du 03 mai 2007 qui a confirmé le jugement du conseil de prud’hommes de Fort-de-France du 24 février 2005 l’ayant déboutée de ses demandes pour harcèlement moral et discrimination, et que tous les faits antérieurs au 03 mai 2007 ne peuvent plus être invoqués, se heurtant à l’autorité de la chose jugée.
Elle affirme que Mme [N] [W] a développé au cours de sa carrière, une stratégie de victimisation, faite de “coups de force”, de dénonciations multiples et artificielles, et qu’elle n’établit aucun fait de nature à laisser présumer l’existence d’un harcèlement moral.
A cet égard, la société FRANCE TELEVISIONS précise :
-que “l’agression” de mars 2009, dont se plaint Mme [N] [W] constitue en réalité une altercation entre deux salariées dans un contexte de conflit social étranger à l’entreprise,
– que la demande d’explication adressée à l’appelante en mars 2009 suite à la non-diffusion d’un journal télévisé était parfaitement légitime, puisqu’elle avait pour origine un incident dont elle avait la responsabilité, et que cette demande appelait des explications en réponse, mais non pas l’instrumentalisation qu’en a fait la salariée qui a immédiatement commencé une grève de la fin
– que dans son courrier du 20 mai 2009, l’inspection du travail a seulement repris les doléances de Mme [N]-[W], sans se prononcer sur leur bien-fondé,
– qu’aucun lien n’est démontré entre l’état dépressif de celle-ci et ses conditions de travail,
– que suite à l’altercation qu’elle a eue avec son rédacteur en chef M. [V], qu’aucun élément du dossier ne permet de qualifier d’agression, la société a rencontré l’ensemble des membres de la rédaction ainsi que les deux protagonistes, et a pris les mesures propres à préserver les intérêts de chacun,
– que le fait que Mme [N] [W] se déclare à nouveau en grève de la faim en décembre 2012 ne saurait caractériser un acte de harcèlement moral,
– qu’elle n’a signé un protocole d’accord “de fin de grève” avec la salariée en décembre 2012, que pour parvenir à la cessation de cette grève de la faim,
– que les retenues sur salaires ont été opérées pour des raisons précises et objectives.
La clôture de l’instruction a été fixée au 07 février 2018, et l’audience de plaidoirie au 08 mars 2018.
MOTIFS DE LA DECISION
– Sur la demande de nullité du licenciement, et les demandes afférentes au harcèlement moral
Par application de l’article L1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
La lettre de licenciement n’est motivée ni par des faits de harcèlement moral, ni par une dénonciation tels faits de la part de la salariée.
Il convient toutefois de déterminer si Mme [N]-[W] a subi au sein de l’entreprise, avant d’être licenciée, des faits de harcèlement moral.
En application de l’article L1154-1 du code du travail, le salarié qui se plaint de harcèlement moral doit établir des faits permettant de présumer l’existence de celui-ci.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement, et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le 08 décembre 2012, la direction de la chaîne Martinique Première (représentée par M. [O] directeur régional, Mme [A] administratrice régionale, et M. [P] directeur des rédactions de France Télévisions) et Mme [N] [W], assistée de M. [S] responsable de la CGT Martinique, M. [E] délégué syndical et M. [G] délégué syndical CGT/CSA, ont signé en présence de l’inspecteur du travail, un document intitulé “Protocole d’accord” qui mentionnait :
” Article 1 :
Depuis le 03 décembre 2012, Mme [X] [N] responsable d’édition à Martinique Première, observe une grève de la faim “pour dénoncer le harcèlement moral qu’elle subissait depuis 20 ans comme le prouvent de nombreux documents, courriers, fiches de paie……Ce harcèlement a eu des conséquences sur sa santé, sur sa famille, sur le déroulement de sa carrière. En réponse, la Direction s’engage à faire cesser ces nombreux faits qui ne doivent plus se reproduire. Elle s’engage à réexaminer le déroulement de carrière de Mme [X] [N].
Article 2 :
Mme [X] [N] arrête sa grève de la faim, à compter de la signature de l’accord.”
Toutefois, ce protocole d’accord signé pour mettre un terme à la grève de la faim commencée par la salariée le 03 décembre 2012, ne fait que reprendre les allégations de la salariée relatives à l’existence d’un harcèlement moral depuis plus de 20 ans sans que l’on puisse en déduire une reconnaissance quelconque de l’existence de tel fait par l’employeur, et ce d’autant que la cour d’appel de Fort de France a jugé de manière définitive que l’employeur n’avait commis aucun fait de harcèlement moral antérieurement au 3 mai 2007 ; ce protocole ne faisant état d’aucun faits objectifs qui seraient constitutifs de harcèlement moral, ses termes ne lient pas la cour dans son appréciation des éléments qui lui sont présentés.
En outre, Mme [N]-[W] ne peut plus se prévaloir de faits antérieurs au 03 mai 2007, date de l’arrêt par lequel la cour d’appel de Fort-de-France a confirmé le jugement prud’homal ayant l’ayant déboutée de ses demandes fondées sur un harcèlement moral.
S’agissant des faits postérieurs au 03 mai 2007, l’appelante évoque en premier lieu un “agression” dont elle aurait été victime en mars 2009 sur le parking de l’entreprise, de la part d’une autre salariée Mme [Z] [Y], et qui n’aurait été suivie d’aucune mesure de sanction de la part de la direction à l’encontre de celle-ci.
Toutefois, ni teneur ni la date des faits allégués ne sont précisées. Ces faits n’ont donné lieu à aucune plainte ni à aucune poursuite pénale. Aucun témoignage relatif à une agression ou même à une simple altercation n’est versé aux débats.
La seule mention dans une motion du comité d’établissement selon laquelle “la déléguée syndicale [X] [N] a été agressée sur le parking par [Z] [Y]” ne permet pas d’établir que l’altercation qui aurait eu lieu entre les deux femmes constituait une “agression”.
L’existence d’un contentieux entre les deux salariées est établie par un article de la revue “Antilla” produit par Mme [N]-[W] dont il ressort que les émissions sur le premier anniversaire de la mort d’Aimé Césaire avaient été confiées à Mme [Y], et que l’appelante s’y était publiquement opposée au motif que Mme [Y] n’était pas d’origine antillaise. Elle avait à cette fin écrit une lettre ouverte à M. [Z] rédacteur en chef adjoint, qui avait donné lieu à une ouverture d’information judiciaire contre elle en 2010, dans le cadre de laquelle elle avait été convoquée aux fins de mise en examen.
L’absence de preuve d’une quelconque agression, et l’existence du contentieux ainsi noué, justifiaient de la part de la direction, l’absence de sanction à l’encontre des deux salariées.
Le 17 mars 2009, la rédactrice en chef TV de RFO Martinique demandait à Mme [N]-[W] des explications sur le fait que l’édition du journal télévisé Martinique-Guadeloupe n’avait pas eu lieu. Cette demande reposait sur un certain nombre d’éléments factuels expliqués dans le courrier. Elle provoquait de la part de Mme [N]-[W], une grève de la faim.
Le 26 mars 2009, suite aux explications apportées par Mme [N]-[W], le directeur régional lui écrivait “après analyse des explications détaillées que vous m’avez fournies et l’instruction que j’ai menée (…) Il ressort que vous étiez effectivement à votre poste de travail à 13H00 pour assurer le lancement de l’édition et que la procédure a donc été respectée”. Le fait pour l’employeur de demander, dans des termes mesurés des explications à un salarié, sur une défaillance relevant de sa compétence et en s’appuyant sur des éléments objectifs, relève du pouvoir de direction de l’entreprise.
Le 05 décembre 2011, Mme [N]-[W] déposait plainte au commissariat de Fort de France, et indiquait que le 02 décembre 2011 vers 09H30 – 10H00, elle avait eu une altercation avec M. [W] [V], rédacteur en chef, que celui-ci avait fait un bond pour se mettre devant elle, son buste touchant sa poitrine, vociférant, la main devant son visage comme pour la frapper, qu’il disait “tu te tais, tu te tais, je suis le rédacteur chef”, qu’il était très agressif et violent, qu’au moment où il a levé la main pour la frapper son collègue [N] [J] était intervenu en écartant M. [V], qu’elle avait eu très peur et avait reculée pour ne pas être frappée, qu’elle s’était crispée et avait eu la sensation de suffoquer, que les journalistes présents avaient quitté la rédaction et refusé de travailler, qu’il y avait eu un débrayage, et qu’il n’y avait pas eu de journal télévisé à 13H00, que deux collègues présents avaient pleuré, choqués par la scène.
Le déroulement des faits tel que relaté par Mme [N]-[W] n’est pas étayé par d’autre pièce du dossier que sa plainte devant les services de police.
A la suite des faits, M. [O] directeur régional, a entendu chacun des deux protagonistes, a rencontré l’ensemble des membres de la rédaction en présence de la secrétaire et d’un membre du CHSCT afin de recueillir des informations sur les faits, a mis la question à l’ordre du jour d’une réunion extraordinaire du CHSCT, et a pris dans l’attente, la décision de confier à M. [V] une mission ponctuelle lui évitant le contact direct avec Mme [N]-[W].
Il en ressort que la direction a pris des mesures adaptées à la situation, sur la base des éléments qu’elle s’est efforcée de rassembler de façon objective.
Mme [N] [W] reproche à l’employeur de lui avoir adressé un certain nombre de bulletins de paie “de plusieurs pages, erronés et incompréhensibles”. Toutefois, elle n’indique pas en quoi ce fiches de paie seraient erronées. La plupart d’entre elles sont anciennes puisqu’elles datent de 2002, 2003, et 2010.
Le 26 novembre 2012 Mme [N]-[W] rencontrait M. [O] directeur régional, pour se plaindre de ce que son bulletin de paie d’octobre 2012 était long et incompréhensible. Le lendemain, M. [O] directeur régional lui répondait par courrier que cela était la conséquence de la mise en paie du nouvel avenant journalisme, prenant en compte le nouveau positionnement de l’ensemble des collaborateurs journalistes de France Télévisions, et qu’au mois de novembre, sa fiche de paie serait rétablie selon ses modalités habituelles.
Il doit être constaté que le bulletin de salaire du mois de novembre 2012 comprend deux pages, et qu’il est clair. Il comporte une déduction de 1.138,94 euros au titre d’une saisie sur salaire.
Estimant toutefois la réponse de la direction insatisfaisante, Mme [N] [W] se mettait en grève de la faim à compter du 3 décembre 2012. Le 05 décembre 2012, l’employeur payait la consultation d’un médecin qui était venu visiter de nuit la salariée.
A compter du 12 décembre 2012, elle était à nouveau placée en arrêt maladie, celui-ci étant prolongé plusieurs fois.
Fin avril 2013, elle appelait l’entreprise pour s’étonner du montant de son salaire du mois d’avril 2013 (soit 190,39 euros). Elle soutient qu’il n’a pas été répondu à sa demande.
Toutefois, dans un mail du 27 mai 2013, Mme [A] administratrice régionale expliquait qu’après trois mois d’arrêt maladie, soit au 12 mars 2013, Mme [N] [W] avait épuisé ses droit à un maintien de salaire à 100%, et qu’en conséquence son salaire d’avril 2013 avait été réduit de moitié et amputé des indemnités journalières de la sécurité sociale. En avaient également été déduits un trop-perçu sur salaire du 13 au 31 mars 2013 qui avait été versé à 100% à tort, le remboursement d’un acompte de 500 euros qui lui avait été versé le 28 janvier 2013, et une saisie sur salaire de 80,68 euros. Mme [A] indique qu’elle avait appelé Mme [N] [W] le 03 mai 2013 pour lui indiquer qu’un courrier lui avait été adressé qu’elle devait remettre à son médecin traitant, afin qu’il entre en contact avec le docteur [R], médecin conseil de France Télévisions, afin que celui-ci indique s’il reconnaissait ou pas la longue maladie, et que Mme [N] [W] lui répondait qu’elle n’avait pas reçu ce courrier, mais qu’elle avait été verbalement informée par la sécurité sociale que celle-ci reconnaissait la maladie de longue durée. Mme [A] indique qu’elle l’invitait alors à se procurer au plus vite une notification de cette décision afin que celle-ci soit prise en compte dans le système de paie, que partant en congé le soir même pour une semaine, elle prévenait ses collaboratrices que ce document devait arriver, et qu’en ce cas, il devait être transmis sans délai au service paie, mais que Mme [N] [W] ne se manifestait pas auprès de l’entreprise avant le 24 mai 2013.
Le SMS adressé par M. [O] à Mme [N] [W] le 28 mai 2013, dont l’appelante produit la transcription par huissier, ne vient en rien infirmer cette version des faits puisque le directeur lui indiquait à cette date dans son message : “Bonjour [X], Je t’informe que le Dr [R] a confirmé ce jour l’affection de longue durée au vu des éléments fournis. Conséquence : la régularisation en paie pour la période allant du 1er janvier au 31 mai se fera sur la paie de juin compte tenu des nombreux calculs à faire. Je te tiens au courant de la suite. Cordialement. [Q] [O]”.
Mme [N] [W] lui répondait : “Merci pour l’info Je préférerais une régularisation immédiate compte tenu de mes responsabilités pour mon fils en pleine période d’examens en France. Merci de me faire savoir. Désespérant !”
Pour tenir compte de cette demande, et sans attendre la fin du mois de juin, l’employeur virait un acompte de 4.000 euros sur le compte de la salariée le 12 juin 2013.
Il résulte de ces éléments, que le montant du salaire d’avril 2013 s’expliquait par différentes causes dont la réalité n’est pas contestée, que la reconnaissance d’une longue maladie n’a été portée à la connaissance de l’employeur que le 28 mai 2013, et que lorsque Mme [N] [W] a sollicité un traitement plus rapide de son dossier compte tenu de sa situation personnelle, l’employeur a donné suite à cette demande en lui versant un acompte dont le montant était de nature à lui permettre d’y faire face.
Il convient de préciser que l’article VIII de la convention collective de la production audiovisuelle fixait à 90 jours la durée du maintien de salaire à 100% en cas d’arrêt maladie du salarié. L’accord d’entreprise France-Télévisions en date du 28 mai 2013, qui a porté la durée de maintien de salaire à 135 jours n’était pas applicable à Mme [N] [W] pour la période allant du 01.01.2013 au 28.05.2013.
Par ailleurs, si Mme [N] [W] a été reconnue pour la période allant du 22 avril 2010 au 23 mars 2013 comme atteinte d’une affection de longue durée au sens de l’article L324-1 du code de la sécurité sociale qui lui ouvrait droit au remboursement intégral des soins, elle n’était pas début mai 2013, en longue maladie reconnue au titre de ce nouvel arrêt de travail.
En résumé, si les faits présentés par Mme [N] [W], qui ne sont que partiellement établis, permettent pris dans leur ensemble de présumer l’existence d’un harcèlement moral, l’employeur justifie de ce que ces faits ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement, et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Il ressort en effet des circonstances de l’espèce que les réponses apportées par l’employeur aux manifestations de frustration exprimées par la salariée s’inscrivaient dans la nécessaire réaction à des comportements excessifs qui n’offraient aucune alternative apaisante sans que pour autant il puisse en ressortir la moindre volonté d’humiliation ou de dénigrement.
Le harcèlement n’étant pas établi, il convient de débouter Mme [N] [W] de ses demandes d’annulation du licenciement, de dommages-intérêts pour licenciement illicite, et de dommages-intérêts pour harcèlement moral.
– Sur le respect de l’obligation de sécurité
Par application de l’article L4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ainsi qu’il a été précédemment exposé, aucune agression n’est établie de la part de Mme [Y] en mars 2009.
L’altercation avec M. [V] de décembre 2011, a donné lieu de la part de la direction à une saisine du CHSCT et à des mesures d’organisation du service destinées à éviter les contacts entre M. [V] et Mme [N] [W].
Mme [N] [W] a été placée en arrêt maladie pour de longues périodes à de nombreuses reprises, pour un état dépressif profond médicalement constaté :
– du 28 juin 2010 au 31 août 2010, prolongé jusqu’au 28 février 2001 dans le cadre d’un congé de longue maladie
– du 11 décembre 2012 jusqu’au licenciement du 18 juillet 2013.
La salariée ne fait pas état d’actes de manquements de l’employeur à son obligation de sécurité, autres que les actes de harcèlement qu’elle lui imputait, et qui ne sont pas établis. Dès lors, son état dépressif qui faisait l’objet d’un suivi médical spécialisé depuis le début des années 2000 ne peut être imputé à l’employeur.
Les pièces du dossier ne révèlent pas que l’employeur ait à un quelconque moment depuis 2007, manqué de prendre en compte l’état de santé de Mme [N] [W] au cours de ses périodes de travail dans l’entreprise. Il doit être relevé que lorsqu’elle a entrepris sa deuxième grève de la faim en décembre 2012, il a payé une visite médicale de nuit à la salariée.
Il convient de débouter Mme [N] [W] de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité.
– Sur le bien-fondé du licenciement
La faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis.
La preuve de la faute grave incombe à l’employeur.
S’il ne retient pas la faute grave, il appartient au juge en application de l’article L1235-1 du code du travail, d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l’employeur, en formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, après avoir ordonné au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Si un doute subsiste, il profite au salarié.
La lettre de licenciement du 18 juillet 2013 est ainsi motivée :
« (‘) Le 24 mai 2013, aux environs de 13 heures, vous avez fait irruption dans le bureau de M. [Q] [O] sans y être invitée et interrompu l’entretien qu’il accordait à Monsieur [M] [G], en sa qualité de délégué du personnel.
Devant votre insistance et votre détermination à ne pas quitter les lieux avant d’avoir été entendue, M. [O] a invité l’administratrice régionale, Mme [A] à l’assister au cours de cet entretien au cours duquel vous souhaitiez évoquer des réclamations de salaire.
Interrompant brusquement les explications qui vous ont été apportées concernant les procédures administratives à suivre, vous vous êtes violemment emportée et avez projeté à travers la salle plusieurs objets dont 2 chaises, un paper board, une cafetière et un plateau de verres qui se sont alors brisés au sol. Vous avez également jeté au sol plusieurs dossiers qui se trouvaient sur la table du directeur régional.
Ce dernier ayant échoué dans sa tentative de vous raisonner et constatant la menace que votre comportement impliquait pour leur sécurité, a alors invité Mme [A] à quitter les lieux puis alerté les pompiers et les services de police qui arrivaient peu après, et décidaient de vous entendre dans leurs locaux.
Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible (‘.) ».
Il résulte d’un rapport adressé par M. [O] au directeur du Réseau des Outremer de FRANCE TELEVISIONS le 27 mai 2013, d’une note à l’attention du personnel du 24 mai 2013, et d’un procès-verbal de constat d’huissier, que le 24 mai 2013 Mme [N] [W] s’est présentée à la direction de Martinique 1ère, et qu’elle s’est imposée dans le bureau du directeur régional alors qu’elle n’avait pas rendez-vous, pour réclamer le paiement intégral de son salaire, et que face aux réponses du directeur et de Mme [A] administratrice régionale qu’elle considérait comme insatisfaisantes, elle s’est emportée, jetant les chaises, les dossiers et la lampe de bureau, cassant une cafetière et des verres.
Me [Y] Huissier de justice, constatait à son arrivée, que Mme [N] [W] était encore présente assise à côté du bureau, et que malgré l’intervention de ses collègues et des policiers, elle refusait de partir tant qu’un chèque en complément de son salaire ne lui serait pas remis.
A la date du 24 mai 2013, aucune reconnaissance de l’état de longue maladie n’avait été porté à la connaissance de l’employeur, et Mme [N] [W] ayant atteint 90 jours d’arrêt maladie, l’employeur n’avait pas à cette date à lui payer un plein salaire au regard des dispositions conventionnelles alors applicables. Aucun manquement ne peut donc être reproché à FRANCE TELEVISIONS.
Les actes de destruction commis par Mme [N] [W] dans le bureau du directeur régional de Martinique Première, en présence de ce dernier, en ce qu’ils constituent une remise cause violente de l’autorité hiérarchique et des relations de travail dans l’entreprise, constituent une faute d’une gravité telle qu’elle ne permettait pas le maintien du contrat de travail.
Le fait que la convocation à l’entretien préalable ait été envoyée le 18 juin 2013 ne doit pas conduire à considérer que l’employeur n’a pas agi dans le bref délai inhérent à la faute grave, dans la mesure où d’une part la salariée était en arrêt maladie et absente de l’entreprise, et d’autre part que la société FRANCE TELEVISIONS a dû attendre de connaître la position de son médecin conseil pour pouvoir liquider les droits salariaux auquel elle prétendait.
La faute grave étant constituée, il convient de débouter Mme [N] [W] de ses demandes d’indemnités de préavis et de congés payés sur préavis, d’indemnité conventionnelle de licenciement, et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle sera également déboutée de sa demande de remise de documents de fin de contrat rectifiés.
Il convient donc de confirmer entièrement le jugement du conseil de prud’hommes de Paris.
– Sur les frais et dépens
Partie perdante, Mme [N] [W] devra supporter les dépens de première instance et d’appel.
Compte tenu des situations économiques respectives des parties, il convient de ne pas faire application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement :
– CONFIRME entièrement le jugement du conseil de prud’hommes de Paris du 1er septembre 2016 ;
– DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
– DIT N’Y AVOIR LIEU à l’application de l’article 700 du code de procédure civile;
– CONDAMNE Mme [N]-[W] aux dépens de première instance, et d’appel.
Le greffier Le président