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COUR D’APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE – SECTION A
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ARRÊT DU : 26 AVRIL 2023
PRUD’HOMMES
N° RG 20/03063 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LU5G
S.A.S. GIRONDINS EXPRESSIONS
c/
Monsieur [R] [T]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 juillet 2020 (R.G. n°F18/01390) par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d’appel du 14 août 2020,
APPELANTE :
SAS Girondins Expressions, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 2]
N° SIRET : 505 025 908
représentée par Me Philippe LECONTE de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX, assistée de Me Laure DANIEL substituant Me Laurent CARRIE de la SCP DEPREZ, GUIGNOT & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS
INTIMÉ :
Monsieur [R] [T]
né le 23 Février 1981 à [Localité 4] de nationalité Française Profession : Journaliste, demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Jérôme DIROU, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 27 février 2023 en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente
Madame Sylvie Tronche, conseillère
Madame Bénédicte Lamarque, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
***
EXPOSE DU LITIGE
Monsieur [R] [T], né en 1981, a été engagé en qualité de journaliste reporter- rédacteur- présentateur par la SAS Girondins Expressions, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er janvier 2012, avec reprise d’ancienneté au 18 août 2008.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des journalistes.
Soutenant connaître des difficultés économiques, la société Girondins Expressions a engagé une procédure de licenciement économique à l’égard de M. [T].
Par lettre datée du 2 juillet 2018, M. [T] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 12 juillet 2018.
Aucune solution de reclassement n’a été proposée au salarié.
M. [T] a ensuite été licencié pour motif économique par lettre datée du 6 août 2018 contenant une proposition d’un congé de reclassement, acceptée par le salarié le 10 août 2018. Le contrat de M. [T] a pris fin au terme du congé de reclassement, le 16 décembre 2018.
A la date du licenciement, M. [T] avait une ancienneté de 9 ans et 11 mois et la société occupait à titre habituel moins de onze salariés.
Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant paiement de diverses indemnités, dont une réparation pour préjudice moral et des rappels de salaires, M. [T] a saisi le 14 septembre 2018 le conseil de prud’hommes de Bordeaux qui, par jugement rendu le 10 juillet 2020, a :
– dit que le licenciement de M. [T] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– condamné la société Girondins Expressions à verser à M. [T] les sommes suivantes :
* 32.330 euros soit 10 mois de salaire à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 16.165 euros au titre de l’indemnisation du préjudice moral soit 5 mois de salaires bruts,
* 2.920 euros soit 5 jours de congés non pris,
– rappelé que l’exécution provisoire est de droit, conformément aux dispositions de l’article R. 1454-28 du code du travail, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois, cette moyenne étant de 3.233 euros,
– condamné la société Girondins Expressions à payer à M. [T] la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeté les autres demandes, plus amples ou contraires,
– condamné la société Girondins Expressions aux dépens.
Par déclaration du 14 août 2020, la société Girondins Expressions a relevé appel de cette décision, notifiée le 13 juillet 2020.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 10 août 2022, la société Girondins Expressions demande à la cour de :
– dire l’appel principal de la société Girondins Expressions recevable et le déclarer bien fondé,
– rejeter l’appel incident de M. [T],
– infirmer le jugement rendu le 20 juillet 2020 par le conseil de prud’hommes de Bordeaux en ce qu’il a condamné la société à lui verser les sommes suivantes
* 32.330 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et
sérieuse,
* 16.165 euros au titre de l’indemnisation du préjudice moral,
* 2.920 euros au titre des cinq jours de congés payés non pris,
Et statuant à nouveau,
– débouter M. [T] de l’intégralité de ses demandes,
– le débouter de son appel incident,
– ordonner à M. [T] le remboursement à la société Girondins Expressions de la somme nette de 2.160,47 euros qu’il a perçue au titre de l’exécution provisoire du jugement infirmé,
– condamner M. [T] au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– le condamner au paiement des dépens.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 4 février 2021, M. [T] demande à la cour de’:
– débouter la société Girondins Expressions de son appel,
– faire droit à l’appel incident de M. [T] sur les dommages et intérêts et la prescription et infirmer le jugement,
– juger du non-respect de l’obligation de reclassement par confirmation,
– juger du non-respect de l’obligation de communication des postes par infirmation,
– juger du non-respect de l’ordre des licenciements par infirmation,
– juger de l’absence de cause économique du licenciement par infirmation,
– juger du non-respect de l’obligation de procédure d’information du comité de
groupe de M6 par infirmation,
– juger de l’irrégularité du dispositif d’accompagnement proposé par infirmation,
Plus généralement,
– juger que le licenciement pour cause économique de M. [T] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Sur les congés-payés,
– juger que la prescription de trois ans ne commence à courir qu’à compter du
licenciement, date de la connaissance pour M. [T] de son droit à paiement de la sixième semaine,
– condamner la société Girondins Expressions à payer au requérant les sommes suivantes :
* 15 mois bruts de salaire : 48.495 euros,
* 5 mois bruts de salaire en réparation du préjudice moral : 16.165 euros,
* la somme correspondant aux 5 jours de congés payés non pris et non
rémunérés par an, de 2012 à 2018, soit 30 jours : 4.380 euros,
– condamner la société Girondins Expressions à payer au requérant 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de l’instance.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 13 février 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 27 février 2023.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ainsi qu’à la décision déférée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Le licenciement
Aux termes de l’ article L 1233-4 dfu code du travail, le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles situés sur le territoire national dans l’ entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’ entreprise fait partie et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. Le reclassement du salarié s’effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente. À défaut et sous réserve de l’accord exprés du salarié, le reclassement s’effectue sur un emploi d’une catégorie inférieure.
La société fait valoir qu ‘elle a cessé son activité dès lors qu’elle n’opère plus que des rediffusions d’émissions antérieurement réalisées ne nécessitant plus de personnel, qu’elle a interrogé la directrice des ressources humaines adjointe du groupe M6 par mail du 5 juillet 2018 et lui a transmis le curriculum vitae des salariés concernés par le licenciement économique, que par message du 18 juillet 2017, le groupe M6 lui a adressé deux offres (chargé de production technique et coordinateur réseau Fun radio et RTL 2 ) qui ne correspondaient pas au profil de M. [T] et ne relevaient pas de sa catégorie professionnelle, que les pièces 22 et 23 adverses sont indifférentes parce que ne faisant état que du nombre d’offres d’emploi publiées par M6 sans démontrer que des offres de journaliste permanent étaient disponibles, que la pièce 22 datant du mois d’avril 2019 est postérieure à la date du licenciement ; que M. [Y] a été embauché en avril 2019 par la société FC les Girondins de Bordeaux et non par elle ; qu’une proposition de reclassement a été faite à M. [V] et pas à M. [T] qui avait fait savoir qu’il n’était pas mobile, cet emploi à durée déterminée se situant en région parisienne.
M. [T] fait état de ce qu’aucun effort de formation ou d’adaptation n’a été réalisé pour le reclasser, que les quelques messages électroniques échangés avec le groupe M6 sont succincts, que les deux offres visées dans le mail du 18 juillet 2018 ne lui ont pas été proposés, que les Girondins de Bordeaux ont engagé M. [Y], pigiste à la société Girondins expressions, qu’une activité de réalisation de vidéos et reportages a été maintenue au sein des Girondins de Bordeaux.
L’ employeur doit exécuter son obligation de reclassement de manière complète et loyale.
La cour constate que :
– en réponse au mail transmis par la société appelante au groupe M6 ( la qualité de directrice des ressources humaines de la destinataire étant établie par son curriculum vitae), cette dernière a, par mail du 18 juillet 2018, répondu qu’elle bloquait deux postes de chargé de production technique et de coordinateur réseau ;
– aucune pièce n’établit que ces postes ne correspondaient pas au profil ou à la classification du poste de M. [T] ; ils auraient dûs lui être proposés;
– la directrice des ressources humaines ajoutait être dans l’attente d’une éventuelle validation d’autres postes (un contrat de travail à durée indéterminée de chargé de communication chez M6 Publicité et un contrat de travail à durée déterminée de RR4) et interrogeait la société sur la mobilité des salariés à reclasser soit à [Localité 3] soit en région;
– la société n’a pas interrogé le groupe M6 pour s’enquérir des deux postes éventuellement validés;
– aucun message de réponse à la question de mobilité n’est versé par la partie appelante qui ne peut aujourd’hui exciper du refus de mobilité de M. [T] pour justifier l’absence de proposition du poste ensuite attribué à M. [V].
Au vu de ces seuls éléments caractérisant l’absence de recherche complète et loyale d’un poste de reclassement, la cour considère que le licenciement pour motif économique de M. [T] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
M. [T] fait valoir qu’il n’a pas retrouvé d’emploi et a créé une activité d’auto entrepreneur dans le domaine du bricolage pour particulier dont il ne retire aucune rémunération. Il demande à ce titre à la cour de porter le montant des dommages et intérêts à hauteur de 15 mois de salaire brut.
M. [T] demande par ailleurs paiement d’une somme de 16 165 euros au titre d’un préjudice moral en arguant de ce qu’il n’a connu les deux postes qui ne lui ont pas été présentés qu’en cours de procédure, que sa priorité de réembauchage n’a pas été respectée, qu’il a été la victime collatérale du rachat du club de football girondin.
La société répond que M. [T] ne justifie pas de son préjudice et ne peut, en tout état de cause, percevoir des dommages et intérêts supérieurs au maximum prévu par l’ article L.1235-3 du code du travail. Elle estime que ces dommages et intérêts réparent l’entier préjudice subi par le salarié qui ne peut obtenir deux fois la réparation du même préjudice.
En vertu du contrat de travail à durée indéterminée du 1er janvier 2012, l’ancienneté de M. [T] était reprise depuis le 18 août 2008. À la date de son licenciement, M. [T] avait une ancienneté de neuf ans et 11 mois.
M. [T] ne justifie pas de sa situation professionnelle actuelle mais verse des recherches d’emploi. Au regard de son ancienneté, de son salaire mensuel moyen et des dispositions de l’ article L 1235-3 du code du travail, la société sera condamnée à lui verser la somme de 27 000 euros. Le jugement sera réformé sur le quantum.
S’agissant du préjudice moral, M. [T] ne peut arguer du non respect de la priorité de réembauchage dès lors qu’il n’a pas sollicité auprès de l’employeur qui l’avait mentionnée dans la lettre de licenciement.
Cependant, M. [T] a subi un préjudice moral résultant de l’indifférence affichée de l’employeur tenu de rechercher un poste de reclassement d’un salarié ayant une ancienneté de près de 10 ans et d’un licenciement intervenu
de manière abrupte dans le cadre de la reprise du club de football girondin par un fonds américain.
À ce titre, la société sera condamnée à lui verser la somme de 6 600 euros au titre du préjudice moral.
Le jugement sera infirmé sur le quantum.
Les congés payés
Au visa de l’article 31 de la convention collective des journalistes ; M. [T] demande paiement de la somme de 4 380 euros au titre des congés payés non pris entre son embauche de 2012 et son licenciement( 5 jours x 6 années soit 30 jours ).
Il fait état de ce qu’il n’a bénéficié, chaque année, que de 25 jours de congés payés et qu’il n’a connu ses droits qu’en consultant son conseil.
La société fait valoir que M. [T] n’a pas pris ses congés de date à date et qu’en tout état de cause, la prescription triennale ne lui permettrait pas d’obtenir le paiement des congés payés sur la période antérieure au 16 décembre 2015.
Aux termes de l’article 31 de la convention collective des journalistes, les congés payés annuels des journalistes ayant effectivement travaillé durant toute la période légale de référence sont fixés à un mois de date à date auquel s’ajoute une semaine supplémentaire.
Il ne résulte pas de ces dispositions que le bénéfice de la semaine supplémentaire est soumis à la prise de congés non fractionnés et cette demande est fondée en son principe.
Elle est cependant soumise au délai de prescription triennale courant à compter de l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés auraient pu être pris soit au titre des années 2015, 2016 et 2017. Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné la société au paiement de la somme de 2 190 euros représentant 15 jours de salaire.
Au regard notamment des condamnations prononcées à son encontre, la société sera déboutée de sa demande de restitution des sommes versées à M. [T] en exécution du jugement.
Vu l’équité, la société sera condamnée à payer à M. [T] la somme complémentaire de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles engagés dans le cadre de la procédure d’appel.
Partie perdante, la société supportera les entiers dépens des procédures de première instance et d’appel.
*
PAR CES MOTIFS
la cour,
Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a :
-dit le licenciement de M. [T] dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
– condamné la société Girondins de Bordeaux à payer à M. [T] les sommes de 2 190 euros au titre des congés payés et 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
L’infirme pour le surplus,
statuant à nouveau,
Condamne la SAS Girondins Expressions à payer à M. [T] :
-la somme de 27 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-celle de 6 600 euros au titre du préjudice moral.
y ajoutant,
Déboute la société de sa demande de restitution de somme ;
Condamne la société Girondins Expressions à payer à M. [T] la somme complémentaire de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles engagés dans le cadre de la procédure d’appel,
Condamne la société Girondins Expressions aux entiers dépens des procédures de première instance et d’appel.
Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard