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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
6e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 20 SEPTEMBRE 2016
R.G. N° 15/05389
AFFAIRE :
[R] [U]
C/
SAS MONDADORI MAGAZINES FRANCE
SYNDICAT NATIONAL DES JOURNALISTES
Sur le contredit formé à l’encontre d’un Jugement rendu le 16 Novembre 2015 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT
Section : Industrie
N° RG : 14/01369
Copies exécutoires délivrées à :
Me Delphine MOLLANGER
Me Rémi DUPIRE
Copies certifiées conformes délivrées à :
[R] [U]
SAS MONDADORI MAGAZINES FRANCE
SYNDICAT NATIONAL DES JOURNALISTES
le :
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE VINGT SEPTEMBRE DEUX MILLE SEIZE,
La cour d’appel de VERSAILLES, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Madame [R] [U]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Delphine MOLLANGER, avocat au barreau de PARIS
DEMANDERESSE AU CONTREDIT
****************
SAS MONDADORI MAGAZINES FRANCE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Rémi DUPIRE, avocat au barreau de PARIS
DEFENDERESSE AU CONTREDIT
****************
SYNDICAT NATIONAL DES JOURNALISTES
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par Me Delphine MOLLANGER, avocat au barreau de PARIS
PARTIE INTERVENANTE
****************
Composition de la cour :
L’affaire a été débattue en audience publique le 14 Juin 2016, devant la cour composée de :
Madame Catherine BÉZIO, président,
Madame Sylvie FÉTIZON, conseiller,
Madame Sylvie BORREL-ABENSUR, conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Sabine MARÉVILLE,
FAITS ET PROCEDURE
Statuant sur le contredit formé par Mme [U], à la suite du jugement en date du 16 novembre 2015 par lequel le conseil de prud’hommes de BOULOGNE BILLLANCOURT l’a déboutée de toutes ses demandes dirigées contre la société MONDADORI MAGAZINES FRANCE, au motif qu’elle ne démontrait pas remplir les conditions de l’article L 7111-3 du code du travail relatif au statut de journaliste dont elle revendiquait le bénéfice, et ne rapportait pas la preuve de sa qualité de salarié;
Vu les conclusions remises et soutenues à l’audience du 14 juin 2016 par Mme [U], qui sollicite l’infirmation du jugement entrepris et prie la cour de requalifier la relation contractuelle de prestations de services sous le statut d’auto-entrepreneur en contrat à durée indéterminée à compter du 1er mars 2009, de déclarer le Conseil compétent et au cas d’évocation sollicitée :
– à titre principal, de prononcer la résiliation du contrat de travail la liant à la société MONDADORI MAGAZINES FRANCE aux torts de cette dernière et de condamner celle-ci à lui payer, en conséquence, sur la base d’un salaire mensuel de 1590 € brut, les salaires et congés payés afférents à compter de décembre 2013 jusqu’au prononcé de la résiliation, outre la somme de 5000 € en vertu des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– à titre subsidiaire, de qualifier la rupture du contrat de travail en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de condamner la société à lui payer en tout état de cause, avec le bénéfice de la capitalisation, les sommes suivantes:
– 5 419,40 € à titre de rappel de salaire du 13ème mois jamais perçu,
– 7 005,60 € à titre de rappel de congés payés,
– 9 540 € à titre d’indemnité pour travail dissimulé,
– 3 180 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis (2 mois), outre celle de 318 € au titre de congés payés afférents,
– 6 360 € à titre d’indemnité légale de licenciement à titre principal, au cas où serait reconnu son statut de journaliste professionnelle, avec application de la convention collective des journalistes,
– 3 975 € à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement à titre subsidiaire, dans le cas contraire, avec application de la convention collective des employés des éditeurs de presse magazine,
– 15 900 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 22 000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et privation du bénéfice de l’allocation chômage,
avec remise des bulletins de paye du 1er mars 2009 au 1er novembre 2013, et des documents de fin de contrat, conformes à l’arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter de l’arrêt à intervenir.
Vu les écritures développées à la barre par le Syndicat National des Journalistes, qui sollicite la condamnation de la société MONDADORI MAGAZINES FRANCE à lui payer la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour l’atteinte portée aux intérêts collectifs de la profession de journaliste, outre celle de 1 500 € en vertu des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Vu les écritures développées à la barre par la société MONDADORI MAGAZINES FRANCE (ci- après la société MONDADORI) qui sollicite la confirmation du jugement entrepris, en soutenant que Mme [U] n’était pas salariée et, subsidiairement, demande à la cour de fixer son salaire mensuel à 1256 € brut et de débouter celle-ci , ainsi que le Syndicat National des Journalistes de toutes leurs demandes, tout en sollicitant la somme de 3000 € en vertu des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
SUR CE LA COUR
Considérant qu’il résulte des pièces et conclusions des parties qu’à compter du 1er mars 2009, Mme [U] a régulièrement collaboré en qualité de rédactrice de mode avec la société MONDADORI spécialisée dans le secteur de la presse magazine; que cette collaboration régulière de Mme [U] au magazine BIBA, édité par la société MONDADORI, a conduit cette dernière à lui confier la réalisation de pages de mode dans le magazine BIBA-consistant en des prestations de stylisme (sélection d’articles de mode et analyse des nouveautés mode et beauté, en collaboration avec un photographe et la rédactrice en chef du magazine BIBA), moyennant le paiement de factures émises par Mme [U] ;
qu’à compter de décembre 2013, la direction du magazine a cessé de fournir du travail à Mme [U],
que par lettre du 20 décembre 2013, cette dernière a écrit à la société MONDADORI pour faire valoir son statut de pigiste régulier et exprimer son souhait de poursuivre leur collaboration, ou à défaut de se voir allouer des indemnités de rupture, lettre qui n’a suscité aucune réponse de la société, conduisant Mme [U] à saisir le Conseil le 29 juillet 2014 ;
Sur le statut de journaliste et l’existence d’un contrat de travail liant les parties :
Considérant qu’en cause d’appel, Mme [U] maintient qu’elle remplit les conditions prévues par l’article L 7111-3 du code du travail relatif au statut de journaliste, qui laissent présumer l’existence d’un contrat de travail à durée indéterminée entre elle et la société, édictée par l’article L.7112-1 du code du travail, et ce malgré son immatriculation au registre du commerce ;
Qu’elle soutient que la société l’a invitée à adopter le statut d’auto-entrepreneur, c’est pourquoi elle s’est immatriculée au registre du commerce à compter du 18 février 2009, poursuivant sa collaboration jusqu’en décembre 2013, en établissant des factures pour la société MONDADORI pour toute la période ;
Qu’elle estime avoir travaillé comme rédactrice de mode dans un lien de subordination avec la société au sein d’un service organisé et sous les ordres de la rédactrice en chef mode du magazine BIBA, Mme [Q], qui lui donnait des directives ;
Considérant que la société MONDADORI conteste la qualité de journaliste professionnel et de salariée à Mme [U], en faisant valoir :
– qu’elle était immatriculée au registre du commerce, ce qui laisse présumer l’absence de salariat, comme le prévoit l’article L. 8221-6 du code du travail;
– qu’elle n’établit pas le caractère permanent de sa collaboration avec la société,
– qu’elle ne tirait pas l’essentiel de ses ressources de son activité, que dans son profil LINKEDIN elle ne se disait pas journaliste mais styliste, et n’a jamais été titulaire de la carte professionnelle de presse ;
***
Considérant que l’absence de détention de cette carte par Mme [U] ne fait nullement obstacle à la reconnaissance de la qualité de journaliste professionnel dont les conditions, définies à l’article L 7111-3 du code du travail, ne font aucune référence à cette carte ;
Considérant qu’aux termes de l’article L 7111-3 du code du travail, est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse, et qui en tire le principal de ses ressources ;
* Considérant que la collaboration régulière de Mme [U], pour la réalisation de pages de mode du magazine BIBA édité par la société MONDADORI, et ce pendant plus de 4 ans, est contestée par cette dernière, au motif que le montant de sa rémunération était variable selon les mois (entre le minimum de 300 € et le maximum de 1966 €), alors qu’il ressort du récapitulatif des factures émises (pièce produite par la société) que Mme [U] a travaillé tous les mois d’avril 2010 à novembre 2013, même si le montant de sa rémunération a pu varier selon les mois, étant précisé qu’elle percevait en moyenne environ 1000 € par mois lissé sur l’année, d’où une régularité de son travail et du montant de ses rémunérations pour chaque année ;
Qu’il y a donc lieu de considérer que l’activité de Mme [U] pour le compte de la société MONDADORI était régulière ;
Qu’il est établi, au vu du récapitulatif des factures émises par Mme [U], qu’elle était rémunérée par la société, peu importe selon quel mode, et qu’elle tirait de cette activité le principal de ses ressources, au regard dudit récapitulatif des factures, dont le montant moyen mensuel entre 2010 et 2013 était d’environ 1000 €/mois, et au regard de ses déclarations de revenus ; qu’en effet, Mme [U] a bien travaillé quatre années complètes sous le statut d’auto- entrepreneur entre 2010 et 2013, l’essentiel de ses revenus provenant de son travail pour la société MONDADORI, comme cela ressort des éléments suivants :
– pour l’année 2010, elle a déclaré environ 14 500 € net (soit 21 946 € bruts) en tant qu’auto-entrepreneur, dont 12 946 € pour la société MONDADORI (au vu des factures), ce qui représentait 89 % de son activité;
pour l’année 2011, elle a déclaré 16 853 € nets en tant qu’auto-entrepreneur, dont 11 613 € pour la société MONDADORI (au vu des factures), ce qui représentait 69% de son activité ;
– pour l’année 2012, elle a déclaré 14 274 € nets en tant qu’auto-entrepreneur, dont 10 403 € pour la société MONDADORI, ce qui représentait 73 % de son activité,
– pour l’année 2013, elle a déclaré 19 228 € en tant qu’auto-entrepreneur, dont 13 554 € pour la société MONDADORI, ce qui représentait 70 % de son activité ;
Qu’enfin, dans le cadre de son travail de styliste et rédactrice de mode au sein du magazine BIBA, Mme [U] effectuait un travail de journaliste,
qu’en effet, son activité de styliste/rédactrice de mode étant une activité d’information du public par le choix des vêtements et la prise des tendances de la mode ; qu’en effet, en sélectionnant un choix de produits, parmi les annonceurs donnés par la rédactrice en chef du magazine BIBA de la société MONDADORI (annonceurs étant les différentes marques de vêtements et accessoires de mode), et en apportant son savoir- faire pour les mettre en valeur au niveau visuel, tant en images qu’en commentaires, Mme [U] apportait une collaboration intellectuelle de nature journalistique à la réalisation du magazine ;
qu’ainsi, Mme [U] peut bénéficier du statut de journaliste, car elle exerçait son activité professionnelle de manière principale, régulière et rétribuée par sa collaboration au sein de la société MONDADORI, entreprise de presse produisant notamment le magazine périodique BIBA ;
* Qu’aux termes de l’article L 7112-1 du code du travail, «’toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail ; cette présomption subsiste quelque soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties’» ;
Qu’il revient donc à la société MONDADORI, contrairement à ce qu’elle soutient, de renverser cette présomption de salariat, spéciale à la profession de journaliste,
Considérant aussi que de manière générale l’existence d’un contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination de leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles la prestation de travail est effectuée ;
Qu’en l’espèce, il importe de rechercher si la société MONDADORI renverse la présomption de salariat, en apportant la preuve que Mme [U] ne travaillait pas dans les conditions d’un contrat salarié ;
***
Considérant que dans le contrat de travail, la relation de subordination, élément essentiel à prendre en compte, est caractérisée par le travail au sein d’un service organisé, selon des horaires imposés, sous l’autorité de l’employeur, qui donne des ordres et des directives, dont il contrôle l’exécution et sanctionne les manquements ;
Qu’au vu des courriels échangés entre Mme [U] et Mme [Y], rédactrice mode qui coordonnait le travail des assistantes stylistes, il apparaît que contrairement aux allégations de la société, Mme [U] devait répondre rapidement aux demandes de la rédaction du magazine BIBA dans un délai contraint et sous certaines conditions et/ou ordres :
– dans deux courriels du 16 avril 2012, Mme [Y] lui demande de lui faire des propositions pour les pages de septembre/octobre, et ce «’pour ce soir grand max’» ;
– dans un autre courriel du même jour, elle lui demande de prioriser certains annonceurs sur une liste jointe, ce qui s’apparente à une directive à suivre, le choix des produits de marques à mettre dans le magazine n’étant donc pas libre ;
– dans un courriel du 25 avril 2012, elle lui donne les thèmes et la manière de procéder pour les numéros de septembre et octobre ;
– dans un courriel du 28 juin 2012, elle lui donne les thèmes des numéros de novembre à février, en précisant «’à faire avant le 15 juillet’» ;
– dans un courriel du 7 novembre 2012, elle lui demande de passer monter la page avant la fin de semaine ;
– dans un courriel du 10 avril 2013, Mme [Y] lui dit: « faudrait faire princesse TAM TAM pour juillet. Comment porter le maillot peut- être’ Commence à enquêter’».
– dans un courriel non daté, elle demande à Mme [U] de faire les packshots le 1er mars avec la photographe, de rendre les légendes avant le 2 mars, de faire piquer les vêtements les 7 et 8 mars, pour que tout soit prêt pour les dernières photos ;
– dans un courriel du 9 septembre 2013, Mme [I], responsable du casting et de la production de la société MONDADORI, lui demande de venir à BIBA le lendemain matin pour des casting ;
Qu’au vu des plannings des séances de photos envoyés en juillet/août 2012, d’une dizaine de courriels (pièces 21-1 à 38) adressés à Mme [U] courant 2012/2013 par Mme [I], responsable du casting et de la production, il apparaît que Mme [U] recevait «’la feuille de route’» page créateur avec le détail des horaires à respecter ;
Que dans un courriel du 23 mai 2012, Mme [Y] lui adresse le planning des séances de photos où elle doit être présente ;
Qu’ainsi elle se trouvait intégrée dans le service mode de la rédaction du magazine BIBA, en collaboration avec des salariés de la société et d’autres collaborateurs extérieurs, sans réelle autonomie ;
Qu’il ressort aussi de l’attestation de Mme [A], photographe salariée de la société MONDADORI de 2007 à 2014, les thèmes de mode étaient imposés aux rédactrices mode (Mme [Y] et Mmes [U] et [P]) par la rédactrice en chef (Mme [Q]) et les directrices de rédaction ; qu’elle précise que Mme [U] était dans les locaux ‘shopping mode’ quasiment tous les jours, pour ranger et préparer des shoppping qui devaient être validés par la directrice de rédaction, et qu’elle subissait des changements de dernière minute et devait se rendre disponible ;
Que Mme [U] n’était donc par libre de ses horaires, ni autonome dans son activité ;
Que la présence régulière de Mme [U] dans les locaux de la société est confirmée par M. [J], rédacteur en chef adjoint du magazine BIBA de 2010 à 2013, qui fait état de la présence de cette dernière aux réunions préparatoires à la réalisation des sujets qui lui étaient confiés ;
Que dans son attestation, M. [V], salarié et représentant du personnel au sein de la société MONDADORI, indique que depuis le printemps 2011, les représentants du personnel ont remarqué qu’au sein du service mode de plusieurs magazines féminins, la société faisait travailler sous le statut d’auto-entrepreneur, soit à temps plein soit à temps partiel, des personnes qui faisaient le même travail que les journalistes salariés de la société, précisant que Mme [U] effectuait pour BIBA le même travail que Mme [Y], rédactrice de mode et salariée de la société ;
Que dans son attestation, Mme [E], journaliste, indique aussi qu’entre fin 2010 et l’automne 2013, elle a croisé régulièrement Mme [U] au sein des locaux de la rédaction de BIBA, cette dernière semblant intégrée à cette rédaction et remplir les mêmes fonctions que Mme [Y] ;
Que la société ne contredit pas le fait que Mme [U] travaillait régulièrement dans les locaux de la société, grâce à un badge, avec les moyens de la société (mise à disposition de matériel, travail avec une photographe, salariée de la société, ou d’autres personnels);
Que Mme [U] allègue que les prix étaient fixés par la société ;
Que sur ce point, la société ne produit aucun tarif contractuel écrit, qui aurait pu être négocié par avance dans le cadre d’un contrat de services, lui- même inexistant, la tarification apparaissant variable, au vu des factures;
Que la circonstance, invoquée par la société MONDADORI, selon laquelle Mme [U] ne disposait ni d’un bureau propre, ni d’une adresse mail au sein de la société MONDADORI, est peu importante, dans la mesure où en réalité, Mme [U] travaillait bien régulièrement dans un bureau partagé avec des salariés de la société et qu’elle effectuait un travail similaire à certaines salariées comme Mme [Y] ;
Que Mme [U] établit aussi qu’elle représentait régulièrement la société MONDADORI auprès des tiers, comme cela ressort du programme du voyage de presse en ISLANDE en février 2013 où son nom est mentionné au titre du magazine BIBA ;
que la société admet que Mme [U] pouvait ponctuellement participer à des voyages de presse, en cas d’indisponibilité de salariés de BIBA, mais que sa présence n’était pas obligatoire, alors qu’il ressort des courriels des 30 mars 2012 et 31 octobre 2013 émanant de Mme [Y] qu’il est demandé à Mme [U] de représenter le plus possible le magazine au point presse des représentants des marques de vêtements et accessoires, selon un planning joint;
Que dans un courriel du 25 juin 2012, Mme [Y] invite de manière appuyée Mme [U] à assister au dîner [P] [G] (‘faut que tu y sois on peut pas’);
Considérant qu’en définitive Mme [U] était intégrée au sein d’un service organisé, la rédaction du service mode du magazine BIBA, et devait suivre des directives et des horaires, ce qui limitait son autonomie ; qu’elle travaillait régulièrement avec Mme [Y] qui était rédactrice de mode et salariée de la société, en effectuant un travail similaire à cette dernière, laquelle lui retransmettait à elle et à ses autres collègues les ordres de la rédactrice en chef, au vu des courriels produits ;
Qu’au vu de l’ensemble de ces éléments caractérisant une relation de subordination, la relation de travail entre Mme [U] et la société MONDADORI sera donc requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er mars 2009, de sorte que le Conseil, qui était compétent pour juger de la demande de résiliation, sera infirmé ;
Qu’ainsi la Cour accueille le contredit de Mme [U], et décide d’évoquer le litige, pour ne pas retarder l’issue du procès engagé depuis plus de deux ans ;
Sur la demande de résiliation du contrat et les indemnités de rupture :
Considérant que Mme [U] soutient que la société MONDADORI a cessé de lui fournir du travail à compter de décembre 2013, sans procéder à son licenciement, et estime donc que la rupture du contrat de travail est imputable à la société ;
Considérant que le pigiste régulier, comme Mme [U], n’est, certes, pas fondé -en raison de son statut de pigiste- à exiger de son employeur la fourniture d’un volume constant de travail ; que, cependant, son employeur est tenu de lui fournir du travail ;
Or, considérant qu’en l’espèce la société MONDADORI a non seulement cessé de fournir du travail à Mme [U] dans la rubrique mode au sein du magazine BIBA, mais ne lui a pas non plus proposé d’autre contribution à ses publications ; qu’en l’absence de toute proposition de sa part tendant à poursuivre leur collaboration, comme elle y était tenue en vertu de son obligation de fournir du travail, la société a commis un manquement qui avait pour effet de rendre impossible la poursuite du contrat ; qu’en conséquence, la résiliation contractuelle, sollicitée par Mme [U], est justifiée à la date du 1er décembre 2013 et produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
°
Considérant que Mme [U] entend, à titre principal, bénéficier d’un rappel de salaire, depuis que la société a cessé de lui fournir du travail en décembre 2013 jusqu’au prononcé du présent arrêt ;
Mais considérant que pour être fondée en cette demande, elle doit démontrer que durant toute cette période, elle est demeurée à disposition de la société, ce qu’elle ne démontre pas, ne produisant pas sa déclaration de revenus pour l’année 2014; que Mme [U] justifie seulement de bulletins de salaire en tant que pigiste de la société HFA entre mars 2015 et avril 2016; qu’il n’ y a pas lieu en conséquence à rappel de salaire et donc à faire droit à sa demande principale ;
Considérant qu’en revanche, Mme [U] est bien fondée en sa demande subsidiaire tendant à obtenir le paiement d’indemnités de rupture, dont le montant, en lui-même, est contesté, la société soutenant que le salaire mensuel de référence à prendre en compte serait de 1256 € brut (moyenne des rémunérations des 12 derniers mois), alors que Mme [U] se base sur un salaire de 1590 € brut ;
Considérant que pour fixer ce montant, Mme [U] intègre valablement dans la moyenne des rémunérations des 12 derniers mois le 13ème mois, prévu par la convention collective des journalistes, qu’elle aurait perçue si elle avait bénéficié du statut de journaliste salarié ;
Que sur la base d’un salaire mensuel brut de référence fixé à 1590 € brut, il sera donc alloué à Mme [U] les sommes suivantes au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse :
– 5 501,80 € brut à titre de rappel de salaire pour le 13ème mois jamais perçu, de mars 2009 à novembre 2013, outre la somme de 550,18 € brut au titre des congés payés afférents,
– 3 180 € brut à titre d’indemnité de préavis de 2 mois, outre la somme de 318 € brut au titre des congés payés afférents,
– 7 005,60 € brut au titre des congés payés,
– 7 950 € brut à titre d’indemnité de licenciement, sur la base d’une ancienneté de 4,67 années,
ces sommes portant intérêts au taux légal à compter de la lettre de la société indiquant avoir reçu sa convocation en bureau de conciliation (vu l’absence d’accusé de réception de sa convocation), soit le 2 octobre 2014,
-13 000 € à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, en considération de son ancienneté limitée à environ 4 ans et demi et du fait qu’elle a pu retrouver un travail dès mars 2015, cette somme portant intérêts au taux légal à compter du présent arrêt;
Que la Cour accorde à Mme [U] le bénéfice de la capitalisation des intérêts sollicitée ;
Sur le travail dissimulé et les demandes en dommages et intérêts:
*Sur le travail dissimulé:
Considérant que l’allocation de l’indemnité de travail dissimulé prévue par les articles L 8223-1 et 8221-5 du code du travail, suppose que soit établie à la charge de l’employeur l’intention de dissimuler un emploi salarié, intention qui ne peut se déduire du seul recours à un contrat inapproprié et de l’inscription corrélative de Mme [U] au registre du commerce avec le statut d’auto-entrepreneur ;
Que Mme [U] sera donc déboutée de sa demande de ce chef ;
*Sur l’exécution déloyale du contrat de travail et la privation du bénéfice de l’allocation chômage:
Considérant qu’au soutien de sa demande en paiement de dommages et intérêts Mme [U] fait valoir que la société MONDADORI a manqué à son obligation d’exécuter de bonne foi le contrat de travail, en lui imposant un statut précaire et inapproprié, qui l’a obligée à payer des charges sociales ;
Que cette demande ne saurait prospérer, le préjudice lié à la requalification de la relation de travail et à la perte de son travail ayant été déjà indemnisé par les indemnités allouées, et notamment par l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Que s’agissant de la demande liée à la privation d’indemnités de chômage, liée au statut inapproprié d’auto entrepreneur, il s’agit en revanche d’un préjudice distinct, qu’il y a lieu d’indemniser à hauteur de 5000 €, dans la mesure où Mme [U] a retrouvé un emploi en 2015 ;
Qu’ainsi la société MONDADORI devra payer à Mme [U] la somme de 5000 € à titre de dommages et intérêts ;
Qu’elle devra aussi lui payer la somme de 4000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Que la société MONDADORI devra remettre à Mme [U] les documents obligatoires de fin de contrat, notamment des bulletins de paie, conformes au présent arrêt, sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter du délai d’un mois suivant la notification de l’arrêt, la Cour se réservant, le cas échéant, la faculté de liquider cette astreinte sur simple requête ;
Sur les demandes du Syndicat National des Journalistes (SNJ):
Considérant qu’aux termes de l’article L 2132-3 du code du travail, les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice concernant des faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent ;
Qu’en l’espèce, le SNJ, intervenant volontaire, soutient que le litige soulève une question de principe, à savoir le statut précaire des journalistes, contraints de fait de devenir auto- entrepreneur en raison des pratiques de certaines sociétés de presse, comme la société MONDADORI ;
Que, contrairement aux allégations de cette dernière, le SNJ est recevable à invoquer une mauvaise application de dispositions légales relatives au statut des journalistes pigistes, dans la mesure où il agit dans l’intérêt des salariés qu’il représente et défend au sein de la profession conformément à son statut ;
Que les pratiques de la société MONDADORI, qui n’a pas reconnu la qualité de salarié à Mme [U], s’inscrivent dans le contexte de précarisation dénoncé par le SNJ, ce qui justifie que soit allouée à ce dernier la somme de 3000€ à titre de dommages et intérêts pour atteinte aux intérêts de la profession de journaliste, outre celle de 1500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Que la société MONDADORI sera condamnée aux frais de contredit;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant contradictoirement, par arrêt mis à la disposition des parties au greffe :
Accueille le contredit,
Dit que Mme [U] était liée par un contrat de travail à la société MONDADORI MAGAZINES FRANCE et que le Conseil de Prud’hommes de BOULOGNE BILLANCOURT était compétent, et évoquant les demandes au fond,
Requalifie en contrat de travail à durée indéterminée la relation contractuelle conclue à compter du 1er mars 2009 entre la société MONDADORI MAGAZINES FRANCE et Mme [U], et prononce la résiliation de ce contrat ;
Condamne la société MONDADORI MAGAZINES FRANCE à payer à Mme [U], sur la base d’un salaire mensuel de 1590 € brut, les sommes suivantes:
– 5 501,80 € brut à titre de rappel de salaire pour le 13ème mois, de mars 2009 à novembre 2013, outre celle de 550,18 € brut au titre des congés payés afférents,
– 3 180 € brut à titre d’indemnité de préavis, outre celle de 318 € brut au titre des congés payés afférents,
– 7 005,60 € brut au titre du rappel de congés payés,
– 6 360 € brut à titre d’indemnité de licenciement,
ces sommes portant intérêts au taux légal à compter du 2 octobre 2014,
– 13 000 € à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour privation d’indemnités de chômage,
ces sommes portant intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Ordonne à la société MONDADORI MAGAZINES FRANCE de remettre à Mme [U] les documents de fin de contrat, et notamment des bulletins de salaire, conformes au présent arrêt, sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter du délai de 30 jours suivant la notification du présent arrêt, la Cour se réservant le cas échéant le droit de liquider l’astreinte ;
Ordonne la capitalisation des intérêts;
Condamne la société MONDADORI MAGAZINES FRANCE à payer à Mme [U] à la somme de 4000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société MONDADORI MAGAZINES FRANCE à payer au Syndicat National des Journalistes la somme de 3000 € à titre de dommages et intérêts pour atteinte aux intérêts de la profession de journaliste, outre celle de 1500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
Condamne la société MONDADORI MAGAZINES FRANCE aux frais de contredit ;
– arrêt prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
– signé par Sylvie BORREL-ABENSUR, conseiller en raison de l’empêchement de Catherine BÉZIO, président, et par madame Mélissa FABRE, greffier en pré-affectation, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER,P/Le PRESIDENT,