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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
17e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 15 FÉVRIER 2023
N° RG 21/00410
N° Portalis DBV3-V-B7F-UJTE
AFFAIRE :
[L] [S]
C/
Société [E]
…
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 décembre 2020 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT
N° Section : E
N° RG : F19/01411
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Sophie MISIRACA
Me Catheline MODAT
Me Sophie CORMARY
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUINZE FÉVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur [L] [S]
né le 22 septembre 1963 à [Localité 9] (77)
de nationalité française
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentant : Me Sophie MISIRACA, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2347
APPELANT
****************
Société [E] prise en la personne de Me [P] [B] [E], liquidateur judiciaire de la société INITIATIVES SANTÉ
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentant : Me Catheline MODAT de l’AARPI Studio Avocats, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R115
Société AJRS prise en la personne de Me Thibault Martinat, administrateur judiciaire de la société INITIATIVES SANTÉ
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représentant : Me Catheline MODAT de l’AARPI Studio Avocats, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R115
Association UNEDIC, délegation AGS CGEA IDFO
[Adresse 1]
[Localité 8]
Représentant : Me Sophie CORMARY de la SCP HADENGUE & ASSOCIES, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 98, substitué à l’audience par Me Catherine BAUDAT, avocat au barreau de Versailles
INTIMÉES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 14 décembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Aurélie PRACHE, Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Président,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [S] a été engagé en qualité de journaliste rédacteur, sans contrat de travail écrit, à compter du 2 mai 2006 par la société Initiatives Santé.
Cette société, spécialisée dans la presse du secteur médical, appliquait la convention collective nationale des journalistes, et son effectif était, au jour de la rupture, de plus de 10 salariés.
En avril 2018, la société John Libbey Eurotext a acquis la société Initiatives Santé.
Par jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 8 août 2018, la société Initiatives Santé a été placée en redressement judiciaire.
Par lettre du 1er octobre 2018, le salarié a pris l’initiative de la rupture de son contrat de travail dans le cadre de la clause de cession prévue à l’article L. 7112-5 du code du travail, dans les termes suivants:
« Le 24 avril 2018, Initiatives Santé, l’entreprise propriétaire des titres de L’Infirmière Magazine, L’Infirmière Libérale magazine, Objectifs Soins et Management, espaceinfirmier.fr et Clinic, au sein de laquelle j’exerce mon activité de rédacteur journaliste et photographe depuis le 1er mai 2006, a été cédée à la société John Libbey Eurotext. Dans ce cadre, je vous informe de ma décision de faire valoir mon droit à quitter l’entreprise au titre de la clause de cession prévue par l’article L.7112-5 du Code du travail ».
Le contrat de travail a pris fin le 31 octobre 2018 à l’issue d’un préavis d’un mois.
Par courrier du 22 octobre 2018, la société Initiatives Santé a informé le salarié qu’elle s’est opposée à la mise en ‘uvre de la clause de cession en raison de ses très importantes difficultés économiques et financières et des garanties qu’elle devait apporter au tribunal de commerce dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire.
Le 28 octobre 2019, M. [S] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt afin que la société lui remette une attestation destinée à Pôle emploi mentionnant la clause de cession des journalistes, obtenir le paiement d’une indemnité légale de licenciement et la réparation du préjudice subi à raison des manquements de son ancien employeur à ses obligations légales.
Par jugement du 31 juillet 2019, le tribunal de commerce de Nanterre a prononcé la résolution du plan de redressement et placé la société Initiatives Santé en liquidation judiciaire, Me [E] étant désigné en qualité de liquidateur.
Le conseil de prud’hommes a ouvert un nouveau dossier sous le n° RG 19/01411 pour convoquer les parties devant le Bureau de jugement, en raison de la liquidation judiciaire de la société.
Par jugement du 6 novembre 2019, le tribunal de commerce de Nanterre a arrêté un plan de cession des actifs de la société Initiatives Santé à la société Health Initiative.
Par jugement du 17 décembre 2020, le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt (section encadrement) a :
– dit que M. [S] ne pouvait pas se prévaloir de la clause de cession des journalistes prévue à l’article L. 7112-5 du code du travail,
– débouté M. [S] de l’ensemble de ses demandes,
– débouté la société Initiatives Santé de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration adressée au greffe le 8 février 2021, M. [S] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 11 octobre 2022.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 12 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [S] demande à la cour de :
– le dire recevable et bien fondé en son appel,
– infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
– dire qu’il, journaliste professionnel, avait le droit de se prévaloir de la clause de cession de l’article L.7112-5 1° du code du travail,
– fixer la créance de M. [S] au passif de la société Initiatives Santé aux sommes suivantes :
. 5 866,17 euros à titre d’indemnité légale de licenciement en application de l’article L.7112-3 du code du travail,
. 3 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi à raison des manquements de l’employeur à ses obligations légales,
– condamner la société Initiatives Santé à lui payer 2 000 euros à titre d’indemnité de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonner à société [E] en la personne de Me [B] [E] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Initiatives Santé ou à société AJRS en la personne de Me [Y] ès qualités d’administrateur judiciaire de la société Initiatives Santé, de lui remettre une attestation d’employeur destinée à Pôle emploi mentionnant une rupture au 1er octobre 2019, pour « autre motif », « clause de cession du journaliste ‘ article L.7112-5 1° du code du travail », sous astreinte de 200 euros par jour, passés 8 jours de la signification du jugement,
– déclarer l’arrêt à intervenir opposable l’Unedic, délégation régionale AGS-CGEA IDF Ouest, qui sera tenue à garantie dans les limites des articles L.3253-6 et suivants, et D.3253-5 du code du travail,
– débouter société [E] en la personne de Me [B] [E] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Initiatives Santé et la société AJRS en la personne de Me [Y] ès qualités d’administrateur judiciaire de la société Initiatives Santé de toutes leurs demandes,
– dire que les dépens d’instance seront inscrits au passif de la société Initiatives Santé.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 2 août 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la Selarl [E], prise en la personne de Me [P] [E], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Initiatives Santé, demande à la cour de :
– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt le 17 décembre 2020, en ce qu’il a : . jugé que M. [S] n’était pas en droit de faire valoir la clause de cession des journalistes ; . rejeté les demandes subséquentes de M. [S],
y ajoutant,
– mettre hors de cause la société AJRS,
– condamner M. [S] au paiement de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [S] aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 2 août 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société AJRS, prise en la personne de Me [J] [Y], en sa qualité d’administrateur judiciaire de la société Initiatives santé, demande à la cour de :
à titre principal,
– mettre la société AJRS hors de cause de la présente instance et action,
à titre subsidiaire,
– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Boulogne Billancourt le 17 décembre 2020, en ce qu’il a :
. jugé que M. [S] n’était pas en droit de faire valoir la clause de cession des journalistes,
. rejeté les demandes subséquentes de Monsieur [S],
y ajoutant,
– condamner M. [S] au paiement de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Monsieur [S] aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 6 juillet 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles l’association Unedic, délégation AGS CGEA Île-de-France Ouest, demande à la cour de :
– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes en toutes ses dispositions,
– débouter M. [S] de l’ensemble de ses demandes,
subsidiairement,
– juger que M. [S] ayant manifesté seul sa volonté de rompre son contrat de travail durant la période d’observation, l’AGS est bien fondé à contester sa garantie au titre de indemnités de rupture et autres dommages-intérêts fixés au passif de la société Initiatives Santé,
en conséquence,
– mettre hors de cause l’AGS CGEA IDF Ouest,
en tout état de cause,
– mettre hors de cause l’AGS s’agissant des frais irrépétibles de la procédure,
– juger que la demande qui tend à assortir les intérêts au taux légal ne saurait prospérer postérieurement à l’ouverture de la procédure collective en vertu des dispositions de l’article L. 622-28 du code du commerce,
– fixer l’éventuelle créance allouée au salarié au passif de la société,
– juger que le CGEA, en sa qualité de représentant de l’AGS, ne devra procéder à l’avance des créances visées aux articles L. 3253-6, L. 3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L. 3253-15, L. 3253-19 à 21 et L. 3253-17 du code du travail,
– juger que l’obligation du CGEA de faire l’avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s’exécuter que sur présentation d’un relevé par le Mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l’absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement.
MOTIFS
Sur la demande de mise hors de cause de la société AJRS
La société AJRS sollicite à juste titre sa mise hors de cause, sa mission ayant pris fin le 6 mars 2020, à l’issue de l’exécution du plan de cession prononcé le 6 novembre 2019 par le tribunal de commerce de Nanterre.
En application des articles L. 622-11 et L. 641-10 du code de commerce, il convient donc d’y faire droit ainsi qu’il sera dit au dispositif.
Sur la qualité de journaliste
Le salarié fait valoir qu’il avait bien la qualité de journaliste et pouvait donc, de ce fait, se prévaloir des dispositions de l’article L. 7112-5 du code du travail, et n’était pas pigiste occasionnel comme l’ont soutenu les liquidateur et administrateur judiciaire devant le conseil de prud’hommes pour s’opposer au paiement de l’indemnité de licenciement, sans critiquer alors sa qualité de journaliste, qui ne lui a jamais été déniée par ses employeurs successifs, y compris lorsqu’il s’est prévalu de l’article L. 7112-5 dans le cadre de laquelle la société n’a pas contesté sa qualité de journaliste ni son droit issu de l’article précité. Or, en application du principe de l’estoppel, une partie ne peut agir en contradiction avec ses déclarations et comportements antérieurs et sont donc irrecevables à soutenir pour la première fois devant le conseil de prud’hommes qu’il n’avait pas le droit d’exercer la clause de cession des journalistes professionnels. Il ajoute que l’irrégularité de la collaboration est inopérante sur la qualité de journaliste professionnel et qu’il justifie d’une activité principale, régulière et rétribuée de journaliste pour plusieurs entreprises de presse dont il tire le principal de ses ressources.
Le liquidateur, qui ne réplique pas sur le moyen tiré de l’estoppel invoqué par M. [S], objecte que le pigiste occasionnel ne bénéficie pas du statut de journaliste professionnel, peu important l’établissement de bulletins de paie rendu nécessaire par l’obligation faite à l’entreprise de presse de prélever diverses cotisations liées au statut de journaliste (Soc. 28 juin 2018, n°16-27544), qu’en l’espèce il résulte des pièces produites que le salarié n’effectuait que des piges occasionnelles, le tableau qu’il produit étant erroné, et était pigiste de la même façon dans d’autres organes de presse, ses revenus au titre des piges ne constituant pas une source de revenus habituelle.
L’AGS, qui s’en rapporte en fait aux explications du liquidateur, rappelle que la détention de la carte professionnelle ne confère pas en elle-même le statut de journaliste professionnel, seuls comptant les critères énoncés par l’article L. 7111-3 du code du travail, le statut de pigiste posant la question de la relation contractuelle entre la publication qui recourt à ses services et l’intéressé, étant précisé que pour établir l’existence d’un lien contractuel la jurisprudence apprécie la régularité de la collaboration.
**
Selon l’article L.7112-5 du code du travail, ‘Si la rupture du contrat de travail survient à l’initiative du journaliste professionnel, les dispositions des articles L. 7112-3 et L. 7112-4 sont applicables, lorsque cette rupture est motivée par l’une des circonstances suivantes :
1° Cession du journal ou du périodique ;
2° Cessation de la publication du journal ou périodique pour quelque cause que ce soit ;
3° Changement notable dans le caractère ou l’orientation du journal ou périodique si ce changement crée, pour le salarié, une situation de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation ou, d’une manière générale, à ses intérêts moraux. Dans ces cas, le salarié qui rompt le contrat n’est pas tenu d’observer la durée du préavis prévue à l’article L. 7112-2.’
Il résulte de l’article L. 7112-5 précité qu’en cas de rupture du contrat de travail à l’initiative du journaliste professionnel, celui-ci a droit à l’indemnité de rupture prévue par les articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du code du travail lorsque la rupture est motivée par la cession du journal ou du périodique.
La possibilité de se prévaloir de ce que l’on désigne par « clause de cession » et par « clause de conscience » pour prétendre à une indemnité quand on a pris l’initiative de la rupture n’est offerte qu’à un journaliste professionnel, tel que défini à l’article l’article L. 7111-3 du code du travail qui dispose que « Est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources.
Le correspondant, qu’il travaille sur le territoire français ou à l’étranger, est un journaliste professionnel s’il perçoit des rémunérations fixes et remplit les conditions prévues au premier alinéa. »
Au terme de l’article L. 7111-4 du Code du travail, « Sont assimilés aux journalistes professionnels les collaborateurs directs de la rédaction, rédacteurs-traducteurs, sténographes-rédacteurs, rédacteurs-réviseurs, reporters-dessinateurs, reporters-photographes, à l’exclusion des agents de publicité et de tous ceux qui n’apportent,à un titre quelconque, qu’une collaboration occasionnelle. »
D’une part, la qualité de journaliste professionnel s’acquiert au regard des ressources que l’intéressé tire principalement de l’exercice de la profession de journaliste sans se limiter à celles provenant de l’entreprise de presse, publication ou agence de presse à laquelle il collabore, et, d’autre part, lorsqu’est établie l’activité principale, régulière et rétribuée du journaliste tirant le principal de ses ressources de cette activité, c’est à l’entreprise de presse de combattre la présomption d’existence d’un contrat de travail en résultant (Soc., 14 mai 2014, pourvoi n°13-11.379).
Enfin, il sera rappelé que l’estoppel sanctionne le comportement procédural d’une partie lorsqu’il est constitutif d’un changement de position, en droit, de nature à induire son adversaire en erreur sur ses intentions (Civ1., 3 février 2010, pourvoi n°08-21.288, bull. n°25).
Au cas présent, il ressort de la lettre en date du 22 octobre 2018 de l’employeur que ce dernier a reconnu le droit de M. [S] issu de l’article L. 7112-5 du code de travail, ne s’opposant à la mise en oeuvre de la clause de cession qu’au regard des ‘conséquences financières qui en découlent pour l’entreprise (qui) conduiraient à une augmentation du passif qui remet en cause les possibilités de redressement de la société’, l’employeur ajoutant que ‘la mise en oeuvre de la clause prive la société du droit de se prévaloir des dispositions légales sur le redressement judiciaire qui lui permettrait pourtant de maintenir son activité.’
Cette lettre a été analysée ainsi par l’inspecteur du travail qui indique dans une lettre du 25 octobre 2018 adressée à l’employeur que ‘sous réserve de l’appréciation souveraine des juges, aucune disposition ne vient limiter l’application de ces dispositions en cas de difficultés économiques.’
Il en résulte que, n’ayant jamais dénié à M. [S] le droit de ce dernier de se prévaloir de la clause de cession qui n’est offerte qu’aux journalistes professionnels, l’employeur est mal fondé à lui dénier dans le cadre du présent litige le statut de journaliste professionnel, la mention ‘journaliste pigiste’ figurant d’ailleurs sur le certificat d’employeur établi régulièrement par la société, y compris le certificat du 7 janvier 2019 signé par le nouveau président, M. [D], et qui mentionne la qualité de ‘journaliste photographe’.
Il résulte en outre des pièces produites par M. [S] que celui-ci a tiré de son activité de journaliste l’essentiel de ses ressources pendant toute sa période d’emploi (2006 à 2018) par la société Initiatives Santé, et que cette dernière n’apporte aucun élément de nature à combattre utilement la présomption d’existence d’un contrat de travail en résultant, de sorte qu’elle a fait de ce salarié, même rémunéré à la pige, un collaborateur régulier auquel doit être reconnu le statut de journaliste professionnel.
Sans que puisse toutefois être invoqué le principe de l’estoppel, qui concerne le seul comportement procédural, contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges dans leurs motifs, M. [S] pouvait en conséquence se prévaloir de la qualité de journaliste professionnel et revendiquer la mise en oeuvre de la clause de cession prévue par l’article L. 7112-5 du code du travail.
Sur la mise en oeuvre de la clause de cession prévue par l’article L. 7112-5 du code du travail
Les intimées, qui se bornent à objecter que M. [S] ne peut se prévaloir du statut de journaliste lui offrant la possibilité de mise en oeuvre de la clause de cession, ne formulent aucun moyen s’opposant au paiement de l’indemnité de licenciement prévue par l’article L. 7112-3 du code du travail.
Subsidiairement, l’AGS expose toutefois que sa garantie ne peut pas être mise en oeuvre, s’agissant d’une rupture intervenue à l’initiative de la salariée par lettre du 29 octobre 2018 durant la période d’observation ordonnée par le tribunal de commerce, et, en tout état de cause, que sa garantie, qui ne peut être que subsidiaire, est plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié à l’un des trois plafonds définis à l’article D. 3253-5 du code du travail.
**
La résiliation du contrat de travail motivée par la cession du journal ou du périodique, prévue par l’article L. 761-7 1° du code du travail (devenu L. L.7112-5), n’intervient qu’à la condition que l’intention du salarié de mettre fin pour cette raison à la relation de travail soit claire et non équivoque. (Soc., 15 mars 2006, pourvoi n° 03-45.875, Bull. 2006, V, n°112)
Si cette rupture prend la forme d’une démission, les juges du fond apprécient souverainement la sincérité de sa motivation.
La demande du journaliste à bénéficier de la clause de cession n’est enfermée dans aucun délai (Soc., 15 novembre 1989, pourvoi n°86-42.742, Bull. 1989, V, n° 666). Ainsi, ‘ni la connaissance par le journaliste de la cession, fût-elle ancienne, du journal, ni l’application par les employeurs successifs de l’article L 122-12 du Code du travail dont les dispositions s’imposent aux parties, ne peuvent, à elles seules, priver le journaliste du droit qu’il tient des dispositions de l’article L 761-7 du Code du travail’ (arrêt précité), un délai de six mois entre la cession du journal et la résiliation étant à ce titre admis par la jurisprudence (cf. Soc., 10 mars 1998, pourvoi n° 95-43.795, Bull. 1998, V, n° 130)
Il suffit donc, pour que les dispositions de l’article L.7112-5 puissent être invoquées, que la résiliation du contrat de travail ait été motivée par l’une des circonstances qu’il énumère (Soc., 30 novembre 2004, pourvoi n° 02-42.437, Bull., 2004, V, n° 314 ; Soc., 14 décembre 2022, pourvoi n° 21-17.994, diffusé)
En l’espèce, d’abord, la cour a retenu précédemment que M. [S] exerçait une activité de journaliste au sein de la société Initiatives Santé et pouvait solliciter la mise en oeuvre de la clause de cession.
Ensuite, il ressort des pièces produites que la société Initiatives Santé a été acquise par un autre éditeur, la société John Libey Eurotext, en avril 2018. Suite à cette acquisition, un nouveau président a été désigné à la tête de la société Initiatives Santé, en la personne de M. [D].
Il ressort de la lettre que le salarié a adressée à l’employeur, le 1er octobre 2018, que la résiliation du contrat de travail dont il a pris l’initiative a été motivée par le fait que ‘la société Initiatives Santé, l’entreprise propriétaire des titres de L’Infirmière Magazine, L’Infirmière Libérale magazine, Objectifs Soins et Management, espaceinfirmier.fr et Clinic, au sein de laquelle (il) exerce (son) activité de rédacteur journaliste et photographe depuis le 1er mai 2006, a été cédée à la société John Libbey Eurotext’, dont il n’est pas contesté qu’il constitue le premier des motifs énoncés par l’article L. 7112-5 précité.
Sur ce point, il n’est pas davantage contesté que le salarié a eu connaissance de la modification de la structure du capital social de la société Initiatives Santé par le courriel des délégués du personnel du 7 mai 2018 retransmettant aux pigistes le courriel de M. [D] du 25 avril 2018 adressé à tous les collaborateurs de la société.
Il résulte de ces constatations que, de façon claire et non équivoque, M. [S] a sans ambiguïté, souhaité mettre fin le 1er octobre 2018 au contrat de travail de journaliste pigiste le liant à la société Initiatives Santé en raison de la cession du journal, prévue par les dispositions précitées.
Le salarié, qui établit ainsi un lien de causalité entre sa décision et la cession de l’entreprise intervenue six mois auparavant, pouvait valablement se prévaloir de la clause de cession et réclamer l’indemnité de licenciement à laquelle elle ouvre droit, sans que l’employeur ne puisse valablement lui opposer les conséquences financières de la mise en oeuvre de la clause, sur laquelle les textes précités ne prévoient pas d’incidence.
Par conséquent, il convient d’infirmer le jugement qui a retenu que M. [S] ne pouvait se prévaloir de la clause de cession des journalistes et l’a débouté de ses demandes afférentes.
Sur l’indemnité de licenciement prévue par l’article L. L. 7112-3 du code du travail
L’article L. 7112-3 du code du travail, applicable à l’article L. 7112-5 précité, précise que « Si l’employeur est à l’initiative de la rupture, le salarié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à la somme représentant un mois, par année ou fraction d’année de collaboration, des derniers appointements. Le maximum des mensualités est fixé à quinze. »
La cour ayant retenu que la rupture a été donnée par le salarié en application de la clause de cession, ce dernier est bien fondé à obtenir le paiement de l’indemnité de licenciement prévue par l’article L. 7112-3 précité, calculée sur les bases, non critiquées par les intimés, d’une ancienneté de 13 ans et d’un salaire mensuel brut de référence de 451,24 euros.
Conformément aux dispositions de l’article 44 de la Convention collective nationale des journalistes, il convient de fixer le montant de l’indemnité de licenciement due au salarié à la somme sollicitée de 5 866,17 euros bruts (13 ans x 451,24 euros).
Il convient dès lors d’ordonner à Me [E] ès qualités de liquidateur de la société Initiatives Santé de remettre au salarié une attestation d’employeur destinée à Pôle emploi mentionnant le 1er octobre 2018 (et non 2019 comme indiqué à tort dans le dispositif des conclusions) à titre de date de sortie de l’entreprise, et « autre motif » comme motif de rupture, « clause de cession du journaliste ‘ article L.7112-5 1° du code du travail », sans qu’il y ait lieu de prononcer une astreinte.
Sur la garantie de l’AGS
L’article L. 3253-8 du Code du travail prévoit que :
« L’assurance mentionnée à l’article L. 3253-6 couvre :
1° Les sommes dues aux salariés à la date du jugement d’ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, ainsi que les contributions dues par l’employeur dans le cadre du contrat de sécurisation professionnelle ;
2° Les créances résultant de la rupture des contrats de travail intervenant :
a) Pendant la période d’observation ;
b) Dans le mois suivant le jugement qui arrête le plan de sauvegarde, de redressement ou de cession ;
c) Dans les quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est élaboré, suivant le jugement de liquidation ; (…)’
Les créances résultant de la rupture du contrat de travail visées par l’article L.3253-8 2° du code du travail, s’entendent d’une rupture à l’initiative de l’administrateur judiciaire ou du mandataire liquidateur (Soc., 20 décembre 2017, n°16-19.517, publié, s’agissant d’une prise d’acte par le salarié après l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire pendant la période d’observation).
En effet, l’objet de la garantie prévue au 2° de l’article L. 3253-8 du code du travail est l’avance par l’AGS des créances résultant des ruptures des contrats de travail qui interviennent pour les besoins de la poursuite de l’activité de l’entreprise, du maintien de l’emploi et de l’apurement du passif (Soc., 10 juillet 2019, n°19-40.019, publié)
Il en résulte qu’à l’égard des salariés qui ne bénéficient pas d’une protection particulière contre les licenciements, les créances résultant de la rupture des contrats de travail ne sont garanties par l’ AGS qu’à la condition que cette rupture intervienne, en cas de liquidation judiciaire, à l’initiative du liquidateur judiciaire dans les quinze jours suivant le jugement de liquidation ou pendant le maintien provisoire de l’activité autorisé par le jugement de liquidation. (Soc., 15 juin 2022, pourvoi n° 21-11.167)
Au cas présent, la rupture est intervenue le 1er octobre 2018, soit plus d’un mois après le jugement du 8 août 2018 prononçant l’ouverture de la procédure de redressement de la société, à l’initiative du salarié et non du liquidateur dans le délai de quinze jours du jugement de liquidation. Dès lors, la rupture n’étant pas intervenue dans l’une des trois cas prévus à l’article L. 3253-8 2° précité, la créance du salarié résultant de cette rupture, due au titre de l’indemnité de licenciement prévue par l’article L. 7112-3, n’est pas garantie par l’AGS.
Et cette créance, qui ne s’analyse pas en une somme due au salarié à la date du jugement d’ouverture de la procédure de redressement, puisqu’elle n’était pas née à cette date mais seulement à la date du 1er octobre 2018, ne bénéficie pas de la garantie prévue par l’article L. 3253-8 1° précité.
En conséquence, l’AGS ne doit pas garantie de la créance du salarié au titre de l’indemnité de licenciement prévue par l’article L. 7112-3 du code du travail.
Sur la demande de dommages-intérêts en réparation du manquement de l’employeur à ses obligations légales
Le salarié n’établit l’existence d’aucun préjudice distinct de celui qui sera réparé par l’octroi de la somme due au titre de l’indemnité de licenciement.
Il convient en conséquence de le débouter de sa demande à ce titre.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles.
L’équité ne commande pas de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. Les dépens seront inscrits au passif de la liquidation judiciaire de la société Initiatives Santé.
PAR CES MOTIFS:
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire et prononcé par mise à disposition au greffe :
Vu les jugements du tribunal de commerce de Nanterre en date du 8 août 2018 prononçant l’ouverture de la procédure de redressement de la société Initiatives Santé, du 31 juillet 2019 ordonnant la liquidation judiciaire de la société I’initiative santé et désignant la Selarl [E] en qualité de liquidateur et la société ARJS en qualité d’administrateur judiciaire, et du 6 novembre 2019 arrêtant un plan de cession des actifs de la société Initiatives Santé à la société Health Initiative,
METS HORS DE CAUSE la société AJRS, prise en la personne de M. [Y], en sa qualité d’administrateur judiciaire de la société Initiative santé,
CONFIRME le jugement mais seulement en ce qu’il déboute la société Initiatives Santé de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
FIXE au passif de la liquidation judiciaire de la société Initiatives Santé la créance de M. [S] à la somme de 5 866,17 euros bruts au titre de l’indemnité de licenciement prévue par l’article L. 7112-3 du code du travail,
DIT que l’AGS n’est pas tenue à garantie de cette créance d’indemnité de licenciement,
ORDONNE à Me [E] ès qualités de liquidateur de la société Initiatives Santé de remettre à M. [S] une attestation d’employeur destinée à Pôle emploi mentionnant le 1er octobre 2018 à titre de date de sortie de l’entreprise, et « autre motif » comme motif de rupture, « clause de cession du journaliste ‘ article L.7112-5 1° du code du travail », sans qu’il y ait lieu de prononcer une astreinte.
DÉBOUTE M. [S] de sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi à raison des manquements de l’employeur à ses obligations légales,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
DÉBOUTE les parties de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
DIT que les dépens seront inscrits au passif de la liquidation judiciaire de la société Initiatives Santé.
. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, président et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier Le président