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AFFAIRE PRUD’HOMALE : COLLÉGIALE
R.G : 13/08824
Me [T] [C] – Mandataire liquidateur de la SOCIETE LA TRIBUNE DESFOSSES
C/
[I]
AGS – CGEA D’ILE DE FRANCE OUEST
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LYON
du 17 Octobre 2013
RG : F 12/01889
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 10 NOVEMBRE 2014
APPELANTE :
Me [C] [T] – Mandataire liquidateur de la SOCIETE LA TRIBUNE DESFOSSES
[Adresse 3]
[Localité 2]
représenté par Me Pascal LAGOUTTE de la SELARL CAPSTAN, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS :
[W] [I]
né le [Date naissance 1] 1954 à [Localité 1] (69)
[Adresse 2]
[Localité 1]
comparant en personne, assisté de Me Pascale REVEL de la SCP REVEL-MAHUSSIER & ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON substituée par Me Chloé BARGOIN, avocat au barreau de LYON
AGS – CGEA D’ILE DE FRANCE OUEST
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Céline MISSLIN de la SELARL JUSTICIAL AVOCATS, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 09 Septembre 2014
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Didier JOLY, Président
Mireille SEMERIVA, Conseiller
Agnès THAUNAT, Conseiller
Assistés pendant les débats de Sophie MASCRIER, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 10 Novembre 2014, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Didier JOLY, Président, et par Sophie MASCRIER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*************
Par jugement du 5 janvier 2011, le Tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de sauvegarde en faveur de la S.A.S. Tribune Desfossés et désigné Maître [F] en qualité d’administrateur judiciaire.
Neuf postes de travail ont alors été supprimés.
Puis, le 28 juin 2011, la S.A.S. Tribune Desfossés a informé le Comité d’entreprise au sujet d’un projet de réorganisation impliquant la suppression de seize postes de travail, neuf propositions de modification des contrats de travail pour motif économique et le non-remplacement de cinq salariés ayant quitté l’entreprise.
La dégradation de la trésorerie de la société n’a pas permis de donner suite à ce projet. Elle a conduit les dirigeants à engager un processus d’appel d’offres en vue de la cession de l’entreprise.
Par jugement du 19 décembre 2011, le Tribunal de commerce a converti la procédure de sauvegarde en redressement judiciaire et fixé la date limite de dépôt des offres.
Par jugement du 30 janvier 2012, il a arrêté un plan de cession totale des sociétés Tribune Desfossés et Tribune Régie au profit de la société France Economie Régions. Ce plan impliquait la reprise de trente-et-un (31) salariés. Le jugement a ordonné le transfert des contrats de travail à compter du 1er février 2012 et autorisé en tant que de besoin le licenciement économique des salariés non repris.
L’offre de reprise de la société France Economie Régions a conduit la S.A.S. Tribune Desfossés à envisager la suppression de quatre-vingt-quatre (84) postes de travail.
Un document d’information sur l’offre de reprise a été remis au Comité d’entreprise le 2 février 2012. A cette date, le Comité d’entreprise a été informé et consulté sur l’offre de reprise, sur le projet de réorganisation et ses conséquences sur l’emploi et sur le plan de sauvegarde de l’emploi. Il a émis un avis négatif.
Depuis le 1er janvier 1997, [W] [I] effectuait des piges pour la Tribune Desfossés dont il était le correspondant en Rhône-Alpes.
Par lettre recommandée du 3 février 2012, Maître [S] [F], administrateur judiciaire, a transmis à [W] [I] la liste des postes ouverts auprès du Groupe BFM – Next Radio dont il avait connaissance et lui a proposé d’adhérer au contrat de sécurisation professionnelle.
Par lettre recommandée du 21 février 2012, l’administrateur judiciaire lui a notifié son licenciement pour motif économique en lui transmettant la liste des postes ouverts auprès d’autres entreprises du secteur qu’il avait sollicitées.
Par jugement du 12 mars 2012, le Tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire de la S.A.S. Tribune Desfossés et désigné Maître [T] [C] en qualité de liquidateur.
[W] [I] a saisi le Conseil de prud’hommes de Lyon le 11 mai 2012.
* * *
LA COUR,
Statuant sur l’appel interjeté le 12 novembre 2013 par Maître [T] [C], en qualité de mandataire liquidateur, du jugement rendu le 17 octobre 2013 par le Conseil de prud’hommes de LYON (section encadrement) qui a :
– dit et jugé que le licenciement pour motif économique de [W] [I] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,
– fixé le salaire moyen mensuel de [W] [I] à la somme de 1 083,33 €,
– fixé la créance de [W] [I] au passif de la liquidation judiciaire de la société Tribune Desfossés aux sommes suivantes :
rappel de salaires pour la période de novembre 2011 à février 20124 000,00 €
congés payés afférents400,00 €
dommages-intérêts pour réduction unilatérale de la fourniture de travail5 000,00 €
rappel sur l’indemnité conventionnelle de licenciement 3 886,61 €
rappel sur l’indemnité compensatrice de préavis481,81 €
congés payés afférents48,18 €
dommages-intérêts pour paiement tardif du préavis 1 500,00 €
dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse 25 000,00 €
article 700 du code de procédure civile 1 500,00 €
– ordonné à Maître [C], en qualité de mandataire liquidateur de la S.A.S. Tribune Desfossés, la remise à [W] [I] des documents légaux rectifiés, dont le certificat de travail et l’attestation Pôle Emploi, conformément au jugement,
– dit y avoir lieu, outre l’exécution provisoire de droit, à l’exécution provisoire à hauteur de 12 000,00 € sur les dommages-intérêts alloués conformément aux dispositions de l’article 515 du code de procédure civile,
– dit et jugé opposable le jugement à l’A.G.S. / C.G.E.A. d’Ile-de-France Ouest dans les conditions et dans la limite de sa garantie légale,
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
Vu les conclusions régulièrement communiquées au soutien de ses observations orales du 9 septembre 2014 par Maître [T] [C], en qualité de liquidateur judiciaire de la S.A.S. Tribune Desfossés, qui demande à la Cour de :
– dire et juger que le licenciement de [W] [I] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
– dire et juger que [W] [I] ne peut prétendre à aucun rappel de salaire ni indemnité dans le cadre d’un contrat de travail à la pige,
– en conséquence, infirmer le jugement entrepris,
– débouter [W] [I] de ses nouvelles demandes en appel,
– condamner [W] [I] à verser à la S.A.S. Tribune Desfossés, représentée par son liquidateur Maître [C], la somme de 1 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Vu les conclusions régulièrement communiquées au soutien de leurs observations orales du 9 septembre 2014 par l’UNEDIC, délégation A.G.S.- C.G.E.A. d’Ile-de-France Ouest, qui font leur l’argumentation de Maître [C] et demandent à la Cour d’infirmer le jugement entrepris ;
Vu les conclusions régulièrement communiquées au soutien de ses observations orales du 9 septembre 2014 par [W] [I] qui demande à la Cour de :
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a considéré que le licenciement prononcé à l’encontre de [W] [I] était dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– dire et juger, à titre subsidiaire, que les critères d’ordre des licenciements n’ont pas été respectés,
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a alloué à [W] [I] les sommes suivantes :
rappel de salaires pour la période de novembre 2011 à février 20124 000,00 €
congés payés afférents400,00 €
dommages-intérêts pour réduction unilatérale de la fourniture de travail5 000,00 €
rappel sur l’indemnité conventionnelle de licenciement 3 886,61 €
rappel sur l’indemnité compensatrice de préavis481,81 €
congés payés afférents48,18 €
dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse 25 000,00 €
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a ordonné la remise à [W] [I] des documents légaux rectifiés,
– réformer le jugement pour le surplus,
– statuant à nouveau, fixer au passif de la liquidation judiciaire de la S.A.S. Tribune Desfossés les sommes suivantes :
dommages-intérêts pour paiement tardif du préavis3 000,00 €
article 700 du code de procédure civile (première instance)2 000,00 €
article 700 du code de procédure civile (instance d’appel)3 000,00 €
Sur la demande de rappel de salaires :
Attendu qu’aux termes de l’article L. 7112-1 du code du travail, toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure moyennant rémunération le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail ; que cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties ;
Qu’il n’est pas contesté que [W] [I] exerçait bien une activité de journaliste professionnel et pouvait, par conséquent, se prévaloir de la présomption légale de salariat prévue par l’article L7112-1 ;
Attendu ensuite que si, en principe, une entreprise de presse n’a pas l’obligation de procurer du travail au journaliste pigiste occasionnel, il n’en est pas de même si, en fournissant régulièrement du travail à ce journaliste pendant une longue période, elle a fait de ce dernier, même rémunéré à la pige, un collaborateur régulier auquel elle est tenue de fournir du travail sauf à engager la procédure de licenciement ; que l’employeur d’un journaliste pigiste, collaborateur régulier, s’il doit fournir du travail à ce dernier, n’est cependant pas tenu de lui fournir un volume de travail constant ; qu’il ne peut en conséquence être contraint de lui régler un salaire d’un montant équivalent à celui versé les années ou les mois précédents, mais seulement celui correspondant aux piges effectuées ;
Qu’en l’espèce, [W] [I] a collaboré depuis janvier 1997 avec la Tribune Desfossés qui lui a versé des rémunérations dont le montant n’est connu que pour la période de novembre 2010 à février 2012 ; que l’examen des bulletins de paie communiqués fait apparaître que de novembre 2010 à août 2011, la S.A.S. Tribune Desfossés a versé à [W] [I] un salaire mensuel brut moyen de 968,74 € avant abattement ; que de septembre 2011 à février 2012, ce salaire moyen a été réduit à 356,41 € ; que si le volume d’articles confiés ou retenus par la S.A.S. Tribune Desfossés a varié au cours des mois avec une nette tendance à la baisse après l’été 2011, la collaboration est néanmoins restée continue ;
Qu’en conséquence, la demande de rappel de salaires fondée sur l’obligation de l’employeur de fournir un volume de travail ou, à défaut un salaire, constants doit être rejetée et le jugement réformé sur ce point ; que pour les mêmes motifs, l’intimé sera également débouté de sa demande de dommages-intérêts pour réduction unilatérale de la fourniture de travail ; que le rejet de la demande de rappel de salaire emporte aussi rejet des demandes de rappels d’indemnités de rupture ;
Sur le motif économique du licenciement :
Attendu, d’abord, que l’autorité du jugement arrêtant un plan de cession qui prévoit, en application de l’article L. 642-5 du code de commerce, des licenciements pour motif économique s’attache, par l’effet de l’article R. 631-36 du code de commerce, à l’existence d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification du contrat de travail consécutive à des difficultés économiques, à une mutation technologique ou à une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de l’entreprise ; que la rupture du contrat de travail de [W] [I] se plaçant dans le cadre de licenciements autorisés par le jugement arrêtant le plan de redressement par cession de la S.A.S. Tribune Desfossés, la Cour n’a pas à rechercher, dès lors qu’aucune fraude n’est invoquée, si l’emploi du salarié a effectivement été supprimé ; qu’au demeurant, la suppression de l’emploi s’apprécie à la date de la cession ;
Attendu, ensuite, que les propositions de reclassement externes prévues par le plan de sauvegarde de l’emploi ne sont pas soumises aux règles prévues par l’article L 1233-4 du code du travail, qui régissent l’obligation de recherche de reclassement interne ; qu’elles doivent seulement être conformes aux engagements pris par l’employeur dans le plan de reclassement inclus dans le plan de sauvegarde de l’emploi ;
Qu’en l’espèce, le plan de sauvegarde de l’emploi mentionne que l’ensemble des sociétés du groupe étaient affectées soit par un plan de cession totale soit par une liquidation judiciaire, de sorte qu’aucune opportunité de reclassement interne n’était raisonnablement envisageable ; que la S.A.S. Tribune Desfossés s’engageait à favoriser le reclassement externe des salariés en proposant individuellement par courrier à ces derniers, en fonction de leurs qualifications, les postes disponibles qui auraient été communiqués à la société ; que Maître [C] justifie des recherches qu’il a effectuées auprès d’organes de presse sans lien avec la S.A.S. Tribune Desfossés et des réponses qu’il a obtenues ; que deux postes de rédacteur web texte/vidéo ont effectivement été proposés à [W] [I] qui n’a pas donné suite ; qu’en fonction des moyens dont il disposait et du délai qui lui était imparti, le liquidateur judiciaire, qui était tributaire des informations que voulaient bien lui communiquer les sociétés contactées, n’a pas manqué à son obligation de reclassement externe ;
Qu’en conséquence, le jugement qui a dit que le licenciement pour motif économique de [W] [I] ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse doit être infirmé ; que le salarié sera débouté de sa demande de dommages-intérêts ;
Sur l’application des critères d’ordre de licenciement :
Attendu qu’aux termes de l’article L 1233-5 du code du travail, lorsque l’employeur procède à un licenciement collectif pour motif économique et en l’absence de convention ou accord collectif de travail applicable, il définit les critères retenus pour fixer l’ordre des licenciements, après consultation du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel ;
Attendu que selon l’article R 631-36 du code de commerce, le jugement arrêtant le plan indique le nombre de salariés dont le licenciement est autorisé ainsi que les activités et catégories professionnelles concernées ;
Qu’en l’espèce, le jugement du 30 janvier 2012 a réparti le(s) journaliste(s) correspondant(s) de la Tribune Desfossés en autant de catégories qu’il existait de pays ou de régions dans lesquels le journal avait un correspondant ; qu’ainsi, [W] [I] était le seul de la catégorie ‘journaliste correspondant Rhône Alpes’ comme un autre salarié était seul dans la catégorie ‘journaliste correspondant Lorraine / Meuse / Vosges’ ; que [W] [I] soutient que la seule catégorie qu’il y avait lieu de retenir était celle de journaliste ; que la Cour ne peut cependant le suivre sur ce point ; que l’information spécialisée que la Tribune Desfossés apportait à ses lecteurs impliquait en effet de la part des correspondants régionaux dont les articles alimentaient la page ‘PME’ une connaissance du tissu économique local qui n’entrait pas dans le cadre de la formation de base commune des journalistes ; que cette connaissance ne pouvait s’acquérir qu’en entretenant dans les milieux professionnels concernés un réseau de relations qui nécessitait une implantation dans la durée sur un territoire géographique ; que les correspondants en région de la Tribune Desfossés n’étaient interchangeables qu’à peine de tarir les sources du journal ; qu’il n’y avait donc pas lieu d’appliquer des critères d’ordre de licenciement puisque [W] [I] était le seul dans sa catégorie ;
Sur la demande de dommages-intérêts pour paiement tardif du préavis :
Attendu que la lettre de licenciement du 21 février 2012 a dispensé [W] [I] de l’exécution de son préavis ; que par lettre recommandée du 10 avril 2012, l’administrateur judiciaire a transmis au salarié un bulletin de paie de mars 2012 portant mention d’une indemnité de préavis de 1 684,85 € payée par chèque le 31 mars 2012 sur des avances faites par l’A.G.S. ; qu’ainsi, l’intimé a perçu l’intégralité de l’indemnité compensatrice avant même le terme du préavis ; qu’aucune faute n’a été commise par les organes de la procédure collective, susceptible d’ouvrir droit à la réparation d’un préjudice dont il n’est d’ailleurs aucunement justifié ; que [W] [I] sera donc débouté de sa demande de dommages-intérêts, le jugement entrepris étant infirmé ;
PAR CES MOTIFS,
Infirme le jugement entrepris,
Statuant à nouveau :
Dit que le licenciement de [W] [I] procède d’une cause économique réelle et sérieuse,
Dit qu’il n’y avait pas lieu d’appliquer des critères d’ordre de licenciement,
Déboute [W] [I] de l’intégralité de ses demandes de première instance et d’appel,
Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile tant au titre des frais exposés devant le Conseil de prud’hommes qu’au titre des frais exposés en cause d’appel,
Condamne [W] [I] aux entiers dépens.
Le greffierLe Président
S. MASCRIERD. JOLY