Contrat de Mannequin : 1 décembre 1998 Cour de cassation Pourvoi n° 96-22.465

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Contrat de Mannequin : 1 décembre 1998 Cour de cassation Pourvoi n° 96-22.465
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AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :

I – Sur le pourvoi n° B 96-22.465 formé par la société BDDP, Agence de Publicité, dont le siège est …,

en cassation d’un arrêt rendu le 28 octobre 1996 par la cour d’appel de Paris (1re Chambre, Section B), au profit de :

1 / la Fédération nationale de la Fourrure, dont le siège est …,

2 / la Fédération française des métiers de la Fourrure, dont le siège est …,

défenderesses à la cassation ;

II – Sur le pourvoi n° X 96-22.507 formé par la société Les Trois Suisses France, dont le siège est 4, place de la République, 59170 Croix,

en cassation du même arrêt ;

La demanderesse au pourvoi n° B 96-22.465 invoque, à l’appui de son recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

La demanderesse au pourvoi n° X 96-22.507 invoque, à l’appui de son recours, un moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt ;

LA COUR, en l’audience publique du 20 octobre 1998, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Léonnet, conseiller rapporteur, MM. Nicot, Vigneron, Leclercq, Dumas, Poullain, Métivet, conseillers, M. Huglo, Mme Mouillard, conseillers référendaires, M. Lafortune, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Léonnet, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Les Trois Suisses France et de la société BDDP, de Me Capron, avocat de la Fédération nationale de la Fourrure et de la Fédération française des métiers de la Fourrure, les conclusions de M. Lafortune, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt infirmatif attaqué (Paris, 28 octobre 1996) que dans le cadre de l’émission intitulée Culture Pub la chaine de télévision M6 a diffusé un film publicitaire réalisé par la société BDDP pour la société Les Trois Suisses France ; que ce film présentait un mannequin dont le manteau de fourrure se transformait en une quinzaine de visons vivants sautant à terre et entourant le catalogue de la société “Les Trois Suisses” et son logo “le chouchou” ;

qu’il était accompagné du slogan “personne ne porte mieux la fourrure que les animaux” ; qu ‘ ayant appris que ce film devait être diffusé dans 4 700 salles de cinéma pendant quatre semaines à compter du 16 octobre, la Fédération nationale de la fourrure et la Fédération française des métiers de la fourrure ont saisi le juge des référés sur le fondement de l’article 809 du nouveau Code de procédure civile en vue d’ obtenir l’interdiction de cette diffusion ;

Attendu que les sociétés BDDP et les Trois Suisses France font grief à l’arrêt de leur avoir ordonné sous astreinte de faire cesser la diffusion de ce film et d’ avoir décidé que cette mesure restera en vigueur jusqu’ à la décision du juge du fond qui devra être saisi dans le délai d’un mois à compter du prononcé de l’arrêt, alors, selon le pourvoi, d’une part, que ne sont recevables à invoquer une prétendue illicéité, résultant de faits de concurrence prétendument déloyale, que les personnes qui sont en situation de concurrence avec les auteurs des faits contestés, et donc susceptibles d’avoir une clientèle ; que tel n’est pas le cas des Fédérations syndicales ayant vocation à représenter les intérêts généraux d’une profession, mais qui n’ont aucune vocation à avoir une clientèle quelconque – que l’action des Fédérations, fondée sur une campagne de prétendu dénigrement de la fourrure et sur une concurrence prétendument illicite, était donc irrecevable ; que la cour d’appel a ainsi violé les articles L. 411-11 du Code du travail, 1382 du Code civil et 809 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d’autre part, que le juge des référés ne peut prescrire des mesures conservatoires pour faire cesser un trouble manifestement illicite que si le trouble invoqué est la conséquence d’une illicéité ; que l’existence d’un préjudice n’est pas nécessairement le signe du caractère illicite de ce trouble ; que, en justifiant l’interdiction d’un film publicitaire rédigé autour du slogan “Personne ne porte mieux la fourrure que les animaux” par les difficultés du milieu de la fourrure, difficultés qui ne peuvent pas légalement justifier à elles seules, en dehors de toute faute, des mesures judiciaires d’interdiction ou de protection, la cour d’appel a violé l’article 809 du nouveau Code de procédure civile ; alors, au surplus, que, les métiers de la fourrure sont soumis à la concurrence légitime des produits de substitution ; que le simple fait de mettre au point et de diffuser une publicité supposée vanter les produits de substitution de la fourrure, ou de tenter de gagner une clientèle pour l’orienter vers ces produits de substitution, n’est que

l’exercice normal de la concurrence et n’est pas constitutif d’une faute ni encore moins d’une illicéité manifeste ; que la cour d’appel a encore violé l’article 809 du nouveau Code de procédure civile, et le principe de la liberté du commerce et de l’industrie ; alors, de surcroît, que, la concurrence n’est illicite que si elle est déloyale et fautive ; que ne constitue pas le dénigrement fautif d’un produit le seul fait de dire qu’il existe une solution meilleure que le recours à ce produit ; qu’il n’y a donc pas “discrédit” jeté sur le port de manteaux de fourrure dans le film publicitaire consistant à représenter sur un mode onirique les animaux composant un manteau de fourrure porté par une jolie femme, reprenant vie et “quittant” le manteau, avec le slogan “Personne ne porte mieux la fourrure que les animaux” ; que, faute du moindre dénigrement ni du moindre discrédit, film et slogan n’étaient pas constitutifs d’une faute ni d’une illicéité manifestes ; que la cour d’appel a violé les articles 1382 du Code civil et 809 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, qu’une entreprise, même commerciale, conserve le droit d’exprimer des choix de politique commerciale et de s’exprimer, au besoin pour se forger une certaine image dans le public, sur certains problèmes de caractère général ; qu’en faisant diffuser, sous sa marque, un film où elle exprime un certain choix en matière de protection de la nature, et notamment une opinion, exprimée de façon humoristique et élégante, sur le port de fourrures animales, la société 3 Suisses n’a fait qu’user, sans faute, de sa liberté d’expression ; que, en faisant obstacle à cet usage légitime, la cour d’appel a violé les articles 1er de la loi du 29 juillet 1881, 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ;

Mais attendu, en premier lieu, que la cour d’appel a relevé que les fédérations litigieuses, qui réunissent l’ensemble des syndicats professionnels des métiers de la fourrure, avaient qualité pour agir afin de défendre les intérêts collectifs des professions qu’elles représentent ;

qu’elle a ainsi fait une exacte application de l’article L. 411-11 du Code du travail ;

Attendu, en second lieu, que la cour d’ appel après avoir constaté que “les divers métiers de la fourrure constituent une activité économique reconnue”, n’ a pas seulement justifié sa décision par rapport au préjudice subi par les professionnels concernés, mais également par rapport au caractère illicite de cette publicité dont elle a relevé que les études “d’impact” qui avaient été faites après la diffusion du film établissaient qu’il avait été “analysé comme une campagne contre la fourrure” jetant le discrédit sur ce produit en vue d’ inviter la clientèle à acquérir” des produits de substitution figurant dans le catalogue de la société les trois Suisses” ; que, dès lors, sans méconnaître le droit à la liberté d’expression, dont toute entreprise peut se prévaloir, lorsqu’ il s’exerce de façon légitime, la cour d’appel a pu déduire de ces constatations et énonciations l’existence d’un trouble manifestement illicite ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;

Condamne la société BDDP et la société Les Trois Suisses France aux dépens ;

Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes des sociétés BDDP et les Trois Suisses France et les condamne à payer, sur ce même fondement, la somme de 10 000 francs à la Fédération nationale de la Fourrure et à la Fédération française des métiers de la Fourrure ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du premier décembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.

 


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