Une juridiction a prononcé la résiliation aux torts partagés (auteur / éditeur) d’un contrat de ‘ghost writer’ ou ‘prête-plume’.
Solde non réglé
L’auteure n’avait pu obtenir le paiement du solde de la rémunération convenue, soit la somme de 6 000 euros, avant d’apprendre son congédiement et le refus de l’éditeur de lui payer ledit solde.
Faute contractuelle de l’éditeur
L’éditeur qui avait indiqué à l’auteure que le commanditaire et ses collaborateurs étaient contents d’elle, puis l’avait félicitée et encouragée, lui avait ensuite fait savoir qu’il fallait reprendre plus de la moitié du manuscrit à partir de zéro, trouver un nouvel interlocuteur et tout recommencer, cette décision étant d’autant plus surprenante que les services de l’éditeur avaient laissé croire à l’auteure qu’elle allait être payée du solde prévu au contrat et que le virement était même en cours d’exécution.
En décrétant ainsi la reprise du manuscrit quasi-impossible, compte tenu des défaillances alléguées du texte, et la nécessité de faire appel à un autre co-auteur sans justifier que l’auteure était dans l’incapacité de procéder aux remaniements et corrections nécessaires, sans solliciter son avis sur ce point et sans l’aviser par lettre recommandée conformément à l’article 2 dudit contrat, l’éditeur a commis une faute contractuelle.
Résiliation à torts partagés
Le tribunal a jugé que compte tenu des manquements respectifs des parties, le contrat les liant s’est trouvé résilié à leurs torts partagés, et qu’il n’y avait donc lieu, ni à restitution de l’à-valoir versé par la société Librairie Artheme Fayard à l’auteure, ni à paiement au profit de cette dernière du solde contractuel.
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 1
ARRET DU 11 MAI 2022
Numéro d’inscription au répertoire général : 20/11386 –��N° Portalis 35L7-V-B7E-CCGJD
Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Juin 2020 – Tribunal Judiciaire de PARIS – 3ème chambre – 3ème section – RG n° 18/08319
APPELANTE
Madame A X
Née le […] à […]
Auteur
[…]
[…]
Représentée et assistée de Me Caroline BIRONNE, avocat au barreau de PARIS, toque : E1158
INTIMÉE
S.A. LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD
Société au capital de 888 032 euros
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro B562 136 895
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[…]
[…]
Représentée par Me Anne VEIL, avocat au barreau de PARIS, toque : E1147
Assistée de Me Ninon RUTAULT, avocat au barreau de PARIS, toque : C2129 substituant Me Anne VEIL, avocat au barreau de PARIS, toque : E1147
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 16 mars 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre et Mme Françoise BARUTEL, conseillère conseillère, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.
Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre
Mme Françoise BARUTEL, conseillère
Mme Déborah BOHÉE, conseillère.
Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON
ARRÊT :
Contradictoire•
• par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
• signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Vu le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 26 juin 2020 ;
Vu l’appel interjeté le 30 juillet 2020 par Mme A X ;
Vu les dernières conclusions remises au greffe et communiquées par RPVA le 21 juin 2021 par Mme X, appelante et intimée incidente ;
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiée par RPVA le 1er décembre 2021 par la société Librairie Artheme Fayard, intimée et incidemment appelante ;
Vu l’ordonnance de clôture du 14 décembre 2021 ;
SUR CE, LA COUR,
Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.
Il sera simplement rappelé que Mme A X se présente comme ‘ghost writer’ ou ‘prête-plume’, ayant écrit plus de huit ouvrages pour la société Librairie Artheme Fayard, avec laquelle elle a conclu notamment un contrat le 29 mars 2017, en vue de participer à l’écriture et à la mise en forme, en collaboration avec C Z, Premier Président de la Cour des comptes, du texte d’un livre ayant pour titre provisoire ‘Quand on aime, on compte’, décrivant les coulisses de l’institution, à paraître le 2 novembre 2017, avec remise du manuscrit définitif le 31 août 2017. Les parties ont convenu du versement, au profit de A X, de la somme de 12 000 euros, au total, payable par moitié à la signature et le solde, ‘à la remise et acceptation du manuscrit définitif’.
A X indique avoir réalisé, conformément à cette commande, des entretiens avec C Z et avec ses deux collaborateurs, puis avoir rédigé le chapitrage détaillé en juin 2017, puis les 9 chapitres de l’ouvrage qu’elle a adressés de façon échelonnée de juillet à novembre 2017.
Elle expose avoir sollicité son éditeur en novembre 2017 afin d’obtenir le paiement du solde de la rémunération convenue, soit la somme de 6 000 euros, avant d’apprendre le 1er décembre 2017 son congédiement et le refus de l’éditeur de lui payer ledit solde.
Après mise en demeure du 11 décembre 2017, A X a, par acte du 6 juillet 2018, fait assigner la société Librairie Artheme Fayard devant le tribunal judiciaire de Paris pour rupture abusive du contrat d’édition.
La société Librairie Artheme Fayard a formulé une demande reconventionnelle à l’encontre de Mme X, concernant la signature d’un autre contrat d’édition en date du 31 mars 2016, également en qualité d’aide écrivain, aux termes duquel Mme A X était chargée de ‘participer, en collaboration avec D E à la rédaction et à la mise en forme’ d’un ouvrage destiné à être publié sous le nom de M. D E.
Par jugement rendu le 26 juin 2020 dont appel, le tribunal judiciaire de Paris a notamment :
– Dit que le contrat d’édition du 29 mars 2017 a été résilié aux torts partagés des cocontractants,
– Débouté A X de ses demandes indemnitaires,
– Débouté la société Librairie Artheme Fayard de sa demande en restitution de l’à-valoir de 6.000 euros versé en exécution du contrat d’édition du 29 mars 2017,
– Débouté la société Librairie Artheme Fayard de sa demande reconventionnelle en restitution de l’à-valoir de 3.500 euros versé en exécution du contrat d’édition du 31 mars 2016,
– Condamné chacune des parties à supporter les dépens, par moitié entre elles,
– Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
‘
‘Sur les demandes au titre du contrat du 29 mars 2017
Mme X soutient que la société Librairie Artheme Fayard n’a pas respecté ses obligations contractuelles en ce qu’elle l’a évincée de manière brutale de la co-écriture de l’ouvrage commandé, qui est un ouvrage de collaboration, en contravention avec l’article 2 du contrat d’édition puisqu’il ne lui a pas été demandé de procéder à des remaniements du manuscrit, qu’elle n’a pas donné son accord pour choisir un nouvel auteur et qu’elle n’a pas reçu de lettre recommandée pour lui signifier la rupture contractuelle, pas plus qu’elle n’a reçu de courrier recommandé pour sanctionner le retard de livraison du texte complet ou pour proroger le délai de livraison comme pourtant prévu à l’article 1 du contrat. Elle en déduit que le contrat a été rompu de manière fautive et que le jugement doit donc être réformé en ce qu’il a jugé que le contrat s’est trouvé résilié aux torts partagés. Elle ajoute que la société Librairie Artheme Fayard n’a pas exécuté le contrat de manière loyale en ce qu’elle ne lui a pas permis de rentrer en contact avec son co-auteur pour discuter du refus du texte contrevenant ainsi à son devoir de coopération, et ce alors qu’elle collaborait avec cette maison d’édition depuis 4 années, à la satisfaction de cette dernière, et qu’elle avait remis 9 chapitres dont les deux premiers avaient été validés par l’éditeur et le co-auteur.
La société Librairie Artheme Fayard fait valoir que ce n’est que trois jours avant la date de remise du manuscrit contractuellement prévue que Mme X a répondu à son éditeur que le manuscrit ne serait remis que fin septembre 2017, qu’elle a ensuite égrené les envois des chapitres successifs jusqu’au 3 novembre 2017 soit postérieurement à la date prévue de publication, et que seulement 90 pages ont été remises sur les 250 attendues. Elle en conclut que faute de remise d’un manuscrit complet et soigneusement revu, elle avait la faculté de mettre fin au contrat en application des dispositions contractuelles. Elle ajoute que dès l’envoi des premiers textes ceux-ci ont fait l’objet de nombreuses critiques et corrections, des erreurs étant également relevées, le tout nécessitant un travail de réécriture considérable et Mme Y ne pouvant ignorer le niveau d’exigence sur la forme comme sur le fond attendu d’elle. Elle ajoute qu’elle n’a pour sa part commis aucune faute contractuelle, l’alinéa 2 de l’article 2 du contrat invoqué par l’appelante n’ayant vocation à s’appliquer qu’à compter de la remise du manuscrit complet, laquelle n’a jamais eu lieu. Elle sollicite en conséquence la résiliation du contrat aux torts exclusifs de Mme X, et la restitution des avances sur droit d’auteur.
L’article 1 du contrat d’édition litigieux conclu le 29 mars 2017 stipule que le coauteur est ‘chargé de participer en collaboration avec C Z à l’écriture et à la mise en forme du texte à remettre à l’éditeur’, que ‘le texte original sera d’environ 250 pages’ et que ‘le coauteur s’engage à remettre le texte complet à l’éditeur, soigneusement revu, mis au point avec s’il y a lieu toutes annexes, légendes, documents d’illustrations et bibliographies, prêt à l’impression (…) au plus tard le 31 août 2017.’
Ce même article précise que ‘Si le coauteur ne remet pas le texte complet dans les délais prescrits et dans les formes convenues ci-dessus, l’éditeur pourra soit lui accorder un délai supplémentaire le cas échéant soit résilier le contrat aux torts exclusifs du coauteur. En cas de non-respect du délai prévu au contrat, ou de tout délai supplémentaire accordé le cas échéant par l’éditeur, la résiliation s’opérera de plein droit, sans qu’une mise en demeure préalable de remettre le texte ne soit nécessaire et dès réception de la lettre recommandée avec accusé de réception qu’enverra l’éditeur au coauteur. Ce dernier devra alors rembourser toutes les sommes qu’il a reçues, notamment à titre d’avances sur droits et de frais, dès réception de la lettre recommandée que lui enverra l’éditeur (…).’
L’article 2 du contrat intitulé ‘acceptation de l’oeuvre’ stipule : ‘L’éditeur fera savoir au coauteur, dans un délai maximum de deux (2) mois à compter de la remise du manuscrit complet par le coauteur, si le texte proposé peut être considéré comme définitif ou s’il appelle des remaniements, sans avance supplémentaire, afin d’être conforme aux buts de la publication projetée.
Si le coauteur s’avère dans l’incapacité de procéder à ces remaniements ou corrections nécessaires, l’éditeur pourra les confier, en accord avec lui, à un tiers de son choix et les frais en découlant seront imputés sur les sommes dues au coauteur en application du présent contrat.
Lorsque le texte sera considéré comme prêt pour la publication, l’éditeur en avertira le coauteur et le contrat se poursuivra alors, conformément aux dispositions des articles 3 et suivants.
En revanche, si l’éditeur et l’auteur ne parviennent pas à se mettre d’accord sur un texte définitif, l’éditeur informera par lettre recommandée le coauteur qu’il renonce à l’édition de sa contribution.
L’auteur et l’éditeur seront alors libres de faire appel à tout tiers de leur choix pour contribuer à l’oeuvre, objet du présent contrat. Le coauteur ne pourra exploiter sa contribution sans l’accord préalable et exprès de l’auteur et/ou de l’éditeur en fonction des engagements contractuels qui les lient.
Le co-auteur conservera définitivement le bénéfice de toute somme perçue par lui, à titre de dédit forfaitaire et définitif sans prétendre à une autre forme d’indemnisation, sauf en cas de faute imputable au coauteur ou s’il exploite directement ou indirectement sa contribution sans l’accord préalable de l’auteur et/ ou de l’éditeur, auquel cas il devra rembourser ou faire rembourser à l’éditeur toute somme reçue’.
Il est constant que Mme X a fourni le chapitrage de l’ouvrage le 9 juin 2017, puis qu’elle a adressé, entre le 3 juillet et le 3 novembre 2017, 9 chapitres pour relecture aux collaborateurs de M. C Z.
C’est par de justes motifs adoptés par la cour que le tribunal, après avoir noté que l’éditeur a rappelé par mail du 12 juin 2017 le respect impératif des délais, que Mme X lui a indiqué le 28 août 2017 que « tout ne sera pas remis le 31 août », que l’éditeur a ensuite fait part de son intention de programmer l’ouvrage ultérieurement en mars 2018, le collaborateur du Président de la Cour des Comptes confirmant le 20 octobre 2017 que ‘ce calendrier est bon’ et l’éditeur n’ayant fait aucune remarque postérieurement à l’échéance contractuelle du 31 août 2017relativement à la remise tardive du manuscrit, en a déduit que les parties ont adopté un délai supplémentaire de remise, et qu’il ne pouvait donc être fait grief à A X de ne pas avoir respecté le délai contractuel du 31 août 2017.
Le tribunal a ensuite justement relevé que Mme X n’a pas remis un manuscrit complet, comportant 250 pages et susceptible d’être imprimé, tel que prévu à l’article 1 du contrat, et que même si le nombre de pages fixé contractuellement est indicatif, la remise de 35 % seulement des pages prévues ne peut être considérée comme suffisante au regard de l’engagement contractuel, Mme X ayant elle-même reconnu le 3 novembre 2017 ‘le travail n’est pas fini pour moi : il reste selon moi une introduction et une conclusion. Compte tenu de l’immensité de la matière j’ai oublié d’intégrer certains éléments précis’ S’il était possible de récupérer à un moment votre version corrigée et d’y faire les ajouts, je suis d’accord ». Mme X, qui ne démontre pas en outre avoir été victime du comportement et des exigences de son coauteur, a dès lors failli à son obligation de remettre un texte complet, soigneusement revu, tel que prévu au contrat.
Le tribunal a également relevé par des motifs que la cour adopte que l’éditeur, qui avait indiqué à Mme X le 23 août 2017 que M. Z et ses collaborateurs étaient contents d’elle, puis l’avait félicitée et encouragée par mails des 9 octobre et 6 novembre 2017, lui avait ensuite fait savoir le 1er décembre 2017 qu’il fallait reprendre plus de la moitié du manuscrit à partir de zéro, trouver un nouvel interlocuteur et tout recommencer, cette décision étant d’autant plus surprenante que les services de l’éditeur avaient laissé croire à A X qu’elle allait être payée du solde prévu au contrat et que le virement était même en cours d’exécution. Le tribunal a justement jugé par des motifs que la cour approuve, qu’en décrétant ainsi la reprise du manuscrit quasi-impossible, compte tenu des défaillances alléguées du texte, et la nécessité de faire appel à un autre co-auteur sans justifier que Mme X était dans l’incapacité de procéder aux remaniements et corrections nécessaires, sans solliciter son avis sur ce point et sans l’aviser par lettre recommandée conformément à l’article 2 dudit contrat, l’éditeur a commis une faute contractuelle.
Le tribunal a donc pertinemment jugé que compte tenu des manquements respectifs des parties, le contrat les liant s’est trouvé résilié à leurs torts partagés, et qu’il n’y a donc lieu, ni à restitution de l’à-valoir versé par la société Librairie Artheme Fayard à A X, ni à paiement au profit de cette dernière du solde contractuel. Les demandes respectives des parties sur ces points seront rejetées, et le jugement dont appel sera confirmé.
Sur la demande reconventionnelle au titre du contrat du 31 mars 2016
La société Librairie Artheme Fayard sollicite, sur le fondement d’un précédent contrat conclu le 31 mars 2016, dont elle demande de constater la résiliation, le remboursement de la somme de 3 500 euros versée à Mme X, qui selon elle n’aurait jamais exécuté le contrat.
Mme X soutient qu’elle a été contrainte d’abandonner l’écriture de cet ouvrage, pour lequel elle était également ‘aide écrivain’, du fait de la maladie de l’auteur, M. D E, lequel avait demandé aux éditions Fayard d’annuler cette publication.
C’est par des motifs pertinents que le tribunal, après avoir notamment constaté que les attestations de M. D E et de Mme A F, alors directrice d’édition de la société Librairie Artheme Fayard, établissent que l’abandon du projet, après que Mme X a effectué plusieurs entretiens et écrit un chapitre, est à l’initiative du coauteur pour raisons médicales graves, a dit que Mme X n’était pas à l’origine de l’abandon du projet et débouté la société Librairie Artheme Fayard de sa demande en restitution de l’à-valoir. Les demandes de la société Librairie Artheme Fayard seront rejetées et le jugement entrepris confirmé sur ce point.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions ;
Dit que chaque partie supportera la charge de ses dépens d’appel et, vu l’article 700 du code de procédure civile, dit n’y avoir lieu à condamnation à ce titre.
LA GREFFIÈRE
LA PRÉSIDENTE