Contrat de franchise : 22 septembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 19/02749

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Contrat de franchise : 22 septembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 19/02749

22 septembre 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
19/02749

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 13

ARRÊT DU 22 SEPTEMBRE 2023

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 19/02749 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B7MEC

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 Novembre 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de PARIS RG n° 16/02296

APPELANT

Monsieur [D] [N]

[Adresse 2]

[Localité 5]

représenté par Me Dominique TOUTUT, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES MEDECINS DE FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 5]

représenté par M. [C] [E] en vertu d’un pouvoir spécial

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 Avril 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant M. Gilles REVELLES, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Laurence LE QUELLEC, Présidente de chambre

M. Gilles REVELLES, Conseiller

Mme Bathilde CHEVALIER, Conseillère

Greffier : Mme Fatma DEVECI, lors des débats

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– prononcé

par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, initialement prévu le 16 juin 2023, prorogé au 22 septembre 2023,les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

-signé par M Gilles REVELLES, président de chambre pour Mme Laurence LE QUELLEC, présidente de chambre légitimement empêchée et par Mme Fatma DEVECI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l’appel régulièrement interjeté par le docteur [D] [N] (l’assuré) d’un jugement rendu le 30 novembre 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris dans un litige l’opposant à la Caisse autonome de retraite des médecins de France (la CARMF).

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Depuis le 1er février 1990, l’assuré exerce une activité médicale libérale à [Localité 5], activité au titre de laquelle il a été affilié à la CARMF à compter du 1er avril 1990. Par lettre reçue le 2 mars 2015, l’assuré a informé la CARMF qu’il exerçait désormais son activité de médecin ORL à titre principal en qualité de salarié de la S.A. [6] en Suisse depuis le 8 novembre 2013. Il a sollicité ensuite sa radiation avec effet rétroactif au 8 novembre 2013 en avril 2015, en adressant un formulaire A1 daté du 27 mars 2015 émanant de la caisse de vieillesse suisse, à savoir la Caisse interprofessionnelle AVS de la fédération des entreprises romandes (FER CIAM) attestant que la législation suisse s’appliquait à compter du 1er avril 2015. La CARMF a radié l’assuré du régime français à compter du 1er avril 2015.

En septembre 2015, l’assuré a contesté la date d’effet de sa radiation et adressé des décomptes pour la période de novembre à décembre 2013 et de janvier à juillet 2015. La caisse ayant refusé sa demande, l’assuré a adressé un second formulaire A1 daté du 21 septembre 2015, complété et visé par la caisse suisse, précisant que la législation suisse s’appliquait à compter du 6 novembre 2013.

Compte tenu de la contradiction des deux formulaires A1, la CARMF a procédé à un contrôle de la situation de l’assuré en France et en Suisse et, en même temps, a adressé à l’assuré une mise en demeure au titre du premier trimestre 2015 à hauteur de 4 084,08 euros en cotisations et majorations de retard. L’assuré a contesté cette mise en demeure le 4 janvier 2016 devant la commission de recours amiable, laquelle a rejeté le recours par décision du 19 février 2016.

Par ailleurs, l’assuré avait saisi la commission de recours amiable d’une demande de remboursement des cotisations versées pour la période du 6 novembre 2013 au 31 décembre 2014, demande qui a été rejetée par la commission.

À la suite des éléments obtenus à l’issue du contrôle de la situation de l’assuré, par décision du 30 juin 2017, la CARMF a procédé à la ré-affiliation à titre obligatoire de l’assuré à compter du 1er avril 2015 au régime français. L’assuré a contesté cette décision devant la commission de recours amiable.

 

Le 20 avril 2016, l’assuré a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris d’un recours à l’encontre de la décision de la commission de recours amiable du 19 février 2016 ayant rejeté sa contestation de la mise en demeure du 4 janvier 2016 au titre de l’exercice 2015.

 

Le 11 janvier 2017, l’assuré a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris d’un deuxième recours à l’encontre de la décision de la commission de recours amiable du 16 décembre 2016 lui ayant refusé le remboursement des cotisations réglées pour la période du 6 novembre 2013 au 31 décembre 2014.

 

Le 25 octobre 2017, l’assuré a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris d’un troisième recours à l’encontre de la décision de la commission de recours amiable du 29 septembre 2017 ayant confirmé sa ré-affiliation à effet du 1er avril 2015.

 

Par jugement du 30 novembre 2018, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris a :

 

– Ordonné la jonction des trois instances ;

– Débouté l’assuré de sa demande de radiation de la caisse de la CARMF à compter du 6 novembre 2013 ;

– Débouté l’assuré de sa demande de remboursement de la somme de 27 000 euros par la CARMF ;

– Constaté que l’assuré relevait de la législation de sécurité sociale française, et en particulier de la CARMF, nonobstant son activité en Suisse commencée le 6 novembre 2013 ;

– Débouté l’assuré de sa demande de condamner la CARMF à lui régler des dommages et intérêts ;

– Dit n’y avoir lieu à prononcer l’exécution provisoire de la décision ;

– Débouté l’assuré de sa réclamation faite au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Débouté la CARMF de sa réclamation faite au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Rappelé que la procédure était sans frais ni dépens.

 

L’assuré a relevé appel de ce jugement le 26 février 2019, lequel lui a été notifié à une date qui ne ressort pas des éléments du dossier.

Par ses conclusions écrites « d’appel n° 2 » soutenues oralement et déposées à l’audience par son conseil, l’assuré demande à la cour, au visa du Règlement CE n° 883/2004 du 29 avril 2004 et du Règlement CE n° 987/2009 du 16 septembre 2009, et de l’article 1302 du code civil, de :

– Infirmer le jugement du 30 novembre 2018 en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne la jonction d’instances ;

Statuant à nouveau,

– Juger que le certificat A1 qui lui a été délivré par la FER CIAM le 21 septembre 2015 s’impose tant à la CARMF qu’aux juridictions françaises ;

– Juger que la CARMF doit, si elle entend contester le certificat A1 délivré à l’assuré par la FER CIAM le 21 septembre 2015, respecter la procédure édictée par le règlement CE n° 987/2009 du 16 septembre 2009 ;

– Annuler les décisions de rejet tacite de la commission de recours amiable de la CARMF ;

– Prononcer sa radiation de la CARMF à compter du 6 novembre 2013 ;

– Annuler la mise en demeure du 4 janvier 2016 ;

– Juger que les cotisations qu’il a versées au titre de la période comprise entre le 6 novembre 2013 et le 31 décembre 2014, pour un montant de 27 000 euros, sont indues et doivent être restituées ;

– Condamner en conséquence la CARMF à lui verser la somme de 27 000 euros avec intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure du 11 juin 2015 et capitalisation des intérêts ;

– Condamner la CARMF à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice ;

– Débouter la CARMF de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

– Condamner la CARMF au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

 

Par ses conclusions écrites soutenues oralement et déposées à l’audience par son représentant, la CARMF demande à la cour de :

 

– Déclarer l’appel de l’assuré recevable en la forme mais mal fondé ;

– Débouter l’assuré ;

– Confirmer le jugement du « tribunal judiciaire » de Paris du 30 novembre 2018, en ce qu’il a débouté le médecin de sa demande de radiation à effet du 6 novembre 2013, et l’a débouté de sa demande de remboursement des cotisations réglées pour les exercices 2013 et 2014 ;

– Compte tenu de l’omission du tribunal, bien vouloir confirmer le bien-fondé des trois décisions de la commission de recours amiable des 19 février 2016, 16 décembre 2016 et 29 septembre 2017.

 

Il est fait référence aux écritures déposées par les parties et visées par le greffe à l’audience du 5 avril 2023 pour un exposé complet des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions respectives.

SUR CE :

L’assuré soutient que le certificat A1 crée une présomption de régularité de l’affiliation et constitue une garantie de l’application du principe fondamental d’unicité et d’exclusivité de la législation de sécurité sociale applicable. Ce certificat vise à garantir la sécurité juridique des affiliés qui se trouvent pris entre deux institutions d’États différents. Il doit dès lors s’imposer tant aux institutions qu’aux juridictions des autres États membres tant que l’autorité compétente qui l’a délivré ne l’a pas retiré ou déclaré invalide à l’issue de la procédure prévue et fixée par le règlement européen. Si une institution compétente entend contester le certificat A1, elle doit, même en cas d’erreur manifeste ou de fraude, respecter la procédure fixée par le règlement pour résoudre les différends entre les États membres. La Cour de cassation, en assemblée plénière, a adopté la jurisprudence de la juridiction européenne dans un arrêt de principe du 22 décembre 2017. Le certificat A1 a été délivré conformément aux procédures fixées par le règlement européen, dès lors la question de savoir qui aurait dû délivrer ce certificat est sans portée en l’espèce. En cas d’omission ou d’erreur de l’affilié, il appartient aux seules institutions de se rapprocher et de coopérer. Ainsi, si un doute était apparu sur la régularité du formulaire, il appartenait à la CARMF de le signaler immédiatement et de se rapprocher de l’institution suisse. Il ne peut plus lui être reproché un défaut dans la communication entre les deux institutions, suisse et française. Lorsqu’il a fait l’objet du rattachement qui lui a été imposé en 2015, le certificat A1 lui a été délivré conformément à la réglementation européenne par une institution compétente et la caisse française a été tenue strictement informée sans jamais contester la compétence de son homologue jusqu’au mois d’août 2017. Il n’a pas choisi d’être soumis à la législation helvétique, il appartenait donc à la caisse française dans le respect des procédures européennes de remettre en cause la décision de l’institution suisse. La caisse l’a d’ailleurs fait mais ne produit pas la lettre en cause dès lors que l’institution suisse a confirmé la validité de son certificat A1 créant ainsi un désaccord entre les deux institutions. Il appartenait dès lors aux caisses de saisir la commission administrative prévue par le règlement après une tentative de conciliation préalable. En attendant la législation fixée par le certificat A1 s’impose et le protège du désaccord existant entre les deux caisses. La CARMF insatisfaite des réponses de l’institution suisse tente maintenant d’échapper aux règles fixées par les règlements européens et à la procédure préalable de dialogue et de conciliation. Les certificats A1 de l’institution suisse produits devant le tribunal établissent sans ambiguïté qu’il est rattaché à la législation de sécurité sociale suisse depuis le 6 novembre 2013. Il s’agissait de son moyen principal. Or le tribunal n’a jamais répondu à ce moyen et n’a jamais considéré que la caisse française omettait d’appliquer les dispositions des articles 19.2 et 5.1 du règlement n° 883/2004.

L’assuré ajoute que l’activité salariée doit s’apprécier au regard de la qualification qui lui est donnée par la législation de sécurité sociale de l’État membre dans lequel l’activité est exercée. Au cas d’espèce, le contrat de franchise porte sur une activité exercée exclusivement en Suisse et, au regard du droit de la sécurité sociale helvétique, cette activité est considérée comme une activité salariée. En outre, selon l’assuré, les conditions posées dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne pour la mise à l’écart du certificat A1 ne sont pas réunies au cas d’espèce, en particulier la fraude, l’argumentation de la caisse ne reposant que sur des suppositions et des raisonnements orientés sans preuve concrète.

 

La CARMF réplique en substance que si le juge national ne peut pas remettre en cause la validité d’un formulaire A1 qui n’a pas été retiré par l’institution émettrice, la Cour de justice de l’Union européenne a aménagé une exception en cas de fraude, ce qu’a confirmé la Cour de cassation dans de nombreuses décisions. Elle fait valoir au cas d’espèce que l’assuré ne remplissait pas les conditions d’obtention du formulaire A1 délivré par l’institution suisse. Plusieurs difficultés permettent de remettre en cause la sincérité des formulaires A1. Ces difficultés tiennent à : la déclaration tardive de l’activité en Suisse aux deux institutions ; sa résidence en France en 2013 et 2014, à [Localité 4], qui résulte des pièces du dossier ; l’acquittement de l’impôt en France pendant ces deux années ; le titre de séjour en Suisse de l’assuré qui ne lui permettait pas de travailler les deux années litigieuses ; les deux dates différentes de début d’activité en Suisse retenues, d’abord le 1er avril 2015 puis le 6 novembre 2013, par l’institution helvétique à la demande de l’assuré et visiblement sans qu’il soit procédé par cette institution à des vérifications. La CARMF ajoute que ni l’assuré ni l’institution suisse ne justifient ni n’apportent d’éléments probants sur l’activité en Suisse pour les années 2013 et suivantes. En effet, l’activité exercée en Suisse invoquée semble incohérente au regard de la présence physique en Suisse du mercredi matin au vendredi soir dans des locaux pour la société [6] SA ; des décomptes de cette activité qui comportent plusieurs inexactitudes sur le caractère principal de l’activité exercée, laquelle n’est pas démontrée en 2013, 2014 et 2015 pendant lesquelles l’activité de l’assuré en France semble avoir augmenté en intensité ou à tout le moins a été de plus en plus rémunératrice ; du nombre de jours travaillés en France qui est important et stable de 2013 à 2016 malgré un début d’activité en Suisse qui n’a entraîné aucune diminution de revenus ou d’honoraires ou de volumes d’activités en France. Le caractère salarié de l’activité exercée en Suisse n’est pas davantage avéré au regard du contrat conclu avec la société [6] SA, et des attestations de cotisations de la FER CIAM qui font état pour les années 2014 et 2015 de cotisations dues par une personne assurée exerçant une activité indépendante.

Ensuite, la CARMF soutient qu’il y a fraude parce que le médecin qui avait sa résidence en France au début de son activité aurait dû se rapprocher de l’institution française compétente pour obtenir un formulaire A1 et non de l’institution Suisse. En effet, une fois obtenu ce formulaire A1 de l’assurance suisse celui-ci prévaut sur l’affiliation en France. Or l’activité exercée étant une activité non salariée et le médecin étant domicilié en France son activité française devait lui procurer plus de 25 % de ses revenus totaux pour relever de la législation française. Dans les faits, il existe un important décalage entre les revenus perçus en France et les revenus perçus en Suisse. L’importance du nombre de jours travaillés en France démontre le caractère substantiel de l’activité en France. Cela démontre que le formulaire A1 suisse a été obtenu par l’assuré afin de le faire échapper à la législation française. L’élément matériel de la fraude réside ainsi dans le fait que l’assuré a signé un contrat de franchise en Suisse, contrat de travail que l’intéressé allègue être un contrat de travail salarié, qui lui a permis de demander son affiliation en Suisse sur la base de l’article 13-3 du règlement UE n° 883/2004 et d’obtenir un formulaire A1 sans respecter les conditions d’obtention du formulaire A1, ce qui lui a permis d’obtenir l’avantage lié à ce formulaire puisque même s’il ne remplissait pas les conditions d’obtention du formulaire A1 l’assuré a été radié par l’Urssaf sur présentation du formulaire A1 ainsi obtenu ce qui l’a dispensé d’affiliation en France.

 

En application des dispositions de l’article L. 642-1 du code de la sécurité sociale, dans toutes ses rédactions depuis 1985, l’affiliation à la CARMF est obligatoire pour tous les médecins exerçant une activité médicale libérale, même si elle revêt un caractère accessoire, sur le territoire de la France métropolitaine ou dans les départements d’outre-mer.

 

En application du principe de territorialité, la législation de sécurité sociale applicable est celle du territoire où s’exerce l’activité, qu’elle soit salariée ou non.

 

Néanmoins, l’accord entre la Confédération helvétique, d’une part, et la communauté européenne et ses États membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes du 21 juin 1999, entré en vigueur le 1er juin 2002 organise la coordination des systèmes de sécurité sociale entre les parties contractantes à cet accord.

 

Au terme du premier article de l’annexe II de celui-ci, à la suite de la décision n° 1/2012 du comité mixte du 31 mars 2012 entrée en vigueur le 1er avril 2012, « les parties contractantes conviennent d’appliquer entre elles, dans le domaine de la coordination des systèmes de sécurité sociale, les actes juridiques de l’Union européenne auxquels il est fait référence dans la section A de la présente annexe, tels que modifiés par celle-ci, ou des règles équivalentes à ceux-ci ».

 

Sur ce point, les règlements communautaires n° 883/2004 portant sur les coordinations des systèmes de sécurité sociale et n° 987/2009 fixant les modalités d’application du règlement n° 883/2004 sont au nombre des actes juridiques de l’Union européenne visés à la section A de l’annexe II de l’accord précité du 21 juin 1999. Le premier de ces règlements prévoit en son article 13 les règles de détermination de la législation applicable en cas de pluriactivité dans deux ou plusieurs États membres. La détermination de la législation applicable varie selon la nature de l’activité exercée : salariée, non-salariée ou les deux.

 

Aux termes de l’article 5, paragraphe 1, du règlement n° 987/2009 :

 

« Les documents établis par l’institution d’un État membre qui attestent de la situation d’une personne aux fins de l’application du règlement de base et du règlement d’application, ainsi que les pièces justificatives y afférentes, s’imposent aux institutions des autres États membres aussi longtemps qu’ils ne sont pas retirés ou déclarés invalides par l’État membre où ils ont été établis. »

 

L’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 987/2009, qui a, en partie, remplacé l’article 11, paragraphe 1, sous a), ainsi que l’article 12 bis, point 2, sous a), et point 4, sous a), du règlement n° 574/72, dispose que : « [à] la demande de la personne concernée ou de l’employeur, l’institution compétente de l’État membre dont la législation est applicable en vertu d’une disposition du titre II du règlement [n° 883/2004] atteste que cette législation est applicable et indique, le cas échéant, jusqu’à quelle date et à quelles conditions ».

 

Cette attestation est établie par un certificat dit A1.

 

Le certificat E101, prévu par le règlement n° 574/72, a précédé le certificat A1, prévu par le règlement n° 987/2009, et les dispositions relatives à la délivrance du certificat E101, à savoir, notamment, l’article 11, paragraphe 1, sous a), et l’article 12 bis, point 2, sous a), et point 4, sous a), du règlement n° 574/72, ont été remplacées, en partie, par l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 987/2009, qui prévoit la délivrance du certificat A1.

 

Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne rappelée par l’arrêt du 14 mai 2020 (C-17/19, ECLI:EU:C:2020:379, points 36 et s.) et portant essentiellement sur des questions liées au travail détaché, les certificats E101 et A1 visent, à l’instar de la réglementation de droit matériel prévue à l’article 14, point 1, sous a), et point 2, sous b), du règlement n° 1408/71 ainsi qu’à l’article 12, paragraphe 1, et à l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004, à faciliter la libre circulation des travailleurs et la libre prestation des services (voir, en ce sens, CJUE, arrêt du 6 février 2018, Altun e.a., C-359/16, EU:C:2018:63, point 35).

 

Ces certificats correspondent à un formulaire-type délivré, conformément, selon le cas, au titre III du règlement n° 574/72 ou au titre II du règlement n° 987/2009, par l’institution désignée par l’autorité compétente de l’État membre dont la législation en matière de sécurité sociale est applicable, pour « attester », selon les termes, notamment, de l’article 11, paragraphe 1, sous a), de l’article 12 bis, point 2, sous a), et point 4, sous a), du règlement n° 574/72 ainsi que de l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 987/2009, de la soumission des travailleurs se trouvant dans une des situations visées à certaines dispositions du titre II des règlements n° 1408/71 et 987/2009 à la législation de cet État membre (voir, en ce sens, CJUE, arrêt du 9 septembre 2015, X et van Dijk, C-72/14 et C-197/14, EU:C:2015:564, point 38).

 

Ce faisant, en raison du principe selon lequel les travailleurs doivent être affiliés à un seul régime de sécurité sociale, ces certificats impliquent nécessairement que les régimes de sécurité sociale des autres États membres ne sont pas susceptibles de s’appliquer (voir, en ce sens, CJUE, arrêt du 6 février 2018, Altun e.a., C-359/16, EU:C:2018:63, point 36).

 

En vertu des principes de coopération loyale et de confiance mutuelle, énoncés à l’article 4, paragraphe 3, TUE, lequel implique également celui de confiance mutuelle, dans la mesure où les certificats E101 et A1 délivrés par l’institution compétente d’un État membre créent une présomption de régularité de l’affiliation du travailleur concerné au régime de sécurité sociale de l’État membre dont l’institution compétente a émis ces certificats, ces derniers s’imposent, en principe, à l’institution compétente et aux juridictions de l’État membre dans lequel ce travailleur effectue un travail même lorsqu’il est constaté par celles-ci que les conditions de l’activité du travailleur concerné n’entrent manifestement pas dans les cas prévus par le droit communautaire autorisant leur délivrance (voir, en ce sens, CJUE, arrêts du 6 février 2018, Altun e.a., C-359/16, EU:C:2018:63, points 37 à 40 ; 6 septembre 2018, Alpenrind e.a., C-527/16, EU:C:2018:669, point 47 ; 27 avril 2017, A-Rosa Flussschiff GmbH, C-620/15).

Les certificats ne peuvent être écartés, en matière de sécurité sociale, que dans le cas où l’autorité qui les a émis procède à leur retrait ou, en l’absence de retrait, lorsque la fraude peut être caractérisée dans les conditions fixées par la Cour de justice de l’Union européenne dans ses arrêts du 6 février 2018 (CJUE, Ömer Altun, C-359/16) et du 2 avril 2020 (CJUE, Vueling Airlines SA, n° C-370/17 et C-37/18).

Dès lors, aussi longtemps que lesdits certificats ne sont pas retirés ou déclarés invalides, l’institution compétente de l’État membre dans lequel le travailleur effectue un travail doit tenir compte du fait que ce dernier est déjà soumis à la législation de sécurité sociale de l’État membre dont l’institution compétente a émis lesdits certificats et cette institution ne saurait, par conséquent, soumettre le travailleur en question à son propre régime de sécurité sociale (voir, en ce sens, CJUE, arrêt du 6 février 2018, Altun e.a., C-359/16, EU:C:2018:63, point 41). 

 

Dans l’arrêt du 6 février 2018, Altun e.a., le juge européen a ainsi aménagé un tempérament en permettant au juge pénal national d’écarter les certificats E101 ou A1 quand sur le fondement d’éléments factuels, il constate que ces certificats ont été obtenus de manière frauduleuse ou en cas d’abus de droit.

 

À la suite de cet arrêt la Cour de cassation a pu juger à de multiples reprises que le juge pénal ne peut écarter les certificats E101 que si, sur la base de l’examen des éléments concrets ayant permis de constater que ces certificats avaient été obtenus ou invoqués frauduleusement, il caractérise une fraude constituée, dans son élément objectif par l’absence de respect des conditions prévues par les dispositions réglementaires et, dans son élément subjectif, par l’intention de la personne poursuivie de contourner ou d’éluder les conditions de délivrance dudit certificat pour obtenir l’avantage qui y est attaché (Crim., 2 mars 2021, n° 19-83.191 ; Crim., 12 janvier 2021, n° 18-80.035 ; Crim., 8 janvier 2019, n° 17- 82.553).

 

Ce tempérament ne trouve donc application qu’en matière pénale lorsqu’une personne est poursuivie dans le cadre, notamment, du travail dissimulé ou de fraude au détachement. Dans ce cas, le juge national peut écarter dans l’examen des poursuites pénales le certificat E101 ou A1 comme étant frauduleux et ne limitant pas l’exercice de l’action publique. Cette exception n’est pas applicable en matière de sécurité sociale.

 

En effet dans son arrêt Bouygues travaux publics e.a. du 14 mai 2020, C-17/19, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que les certificats E101 ou A1, délivrés par l’institution compétente d’un État membre, qui créent une présomption de régularité de l’affiliation du travailleur concerné au régime de sécurité sociale de cet État, s’imposent aux juridictions des États membres « uniquement en matière de sécurité sociale ». La juridiction européenne ayant décidé que l’impossibilité d’établir une fraude en matière de sécurité sociale en raison du certificat E101 ou A1 ne faisait pas obstacle à une condamnation du chef de travail dissimulé, il s’en déduit a contrario que le certificat E101 ou A1 ne peut être écarté en matière de sécurité sociale au seul motif de fraude, en dehors d’une action publique, que dans le respect de la procédure réglementaire (Cass., Crim., 12 janvier 2021, n° 17-82.553).

 

La chambre criminelle de la Cour de cassation a aussi jugé que « le délit de travail dissimulé tant par dissimulation de salariés que par dissimulation d’activité peut être établi, nonobstant la production de certificats E101 ou A1, lorsque les obligations déclaratives qui ont été omises ne sont pas seulement celles afférentes aux organismes de protection sociale (article L. 8221-3, 2°, du code du travail) ou aux salaires ou aux cotisations sociales (article L. 8221-5, 3°, du code du travail). Il en est ainsi par exemple, lorsqu’a été omise l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés, dans le cas de la dissimulation d’activité. » (Cass., Crim., 12 janvier 2021, n° 17-82.553).

 

En l’espèce, l’assuré revendique exercer une activité libérale en France et une activité de médecin salarié, au sens du droit de la sécurité sociale helvétique, auprès d’un employeur suisse. À ce titre, l’assuré se prévaut d’un contrat de travail le liant à la société [6] à [Localité 3] depuis le 8 novembre 2013. Il a sollicité de la CARMF sa radiation avec effet rétroactif au 8 novembre 2013 en avril 2015, en adressant un formulaire A1 en date du 27 mars 2015 émanant de la caisse de vieillesse suisse, à savoir la Caisse interprofessionnelle AVS de la fédération des entreprises romandes (FER CIAM) attestant que la législation suisse s’appliquait à compter du 1er avril 2015. La CARMF a radié l’assuré du régime français à compter du 1er avril 2015. En septembre 2015, l’assuré a contesté la date d’effet de sa radiation en produisant un second formulaire A1 en date du 21 septembre 2015 complété et visé par la caisse suisse. Ce nouveau formulaire précise que la législation suisse s’applique depuis le 6 novembre 2013.

 

Au regard de la contradiction des deux formulaires A1, la caisse a diligenté une enquête au terme de laquelle, elle conteste l’affiliation de l’assuré en soutenant que son affiliation a été enregistrée en Suisse à la suite de l’obtention de certificats A1 de façon frauduleuse.

 

Il ressort toutefois du dossier qu’à l’issue de son enquête, alors qu’elle était convaincue du caractère frauduleux des certificats A1 obtenus de l’institution helvétique, la caisse n’a pas engagé la procédure de dialogue dans des conditions qui, en application des règles définies par la jurisprudence européenne et nationale, permettaient de modifier l’affiliation de l’intéressé afin de le rattacher à l’organisme français de sécurité sociale compétent. Par ailleurs, l’abus de droit n’est pas invoqué et aucune action publique n’a été engagée à l’encontre de l’assuré.

 

Dans ces conditions, la décision contestée, par laquelle le tribunal constate que l’intéressé aurait dû être affilié en France et non en Suisse et n’a pu obtenir cette affiliation qu’au bénéfice des certificats A1 obtenus frauduleusement n’est donc pas conforme au droit de l’Union et doit être infirmée en toutes ses dispositions.

 

L’assuré doit être radié de la CARMF à compter du 6 novembre 2013.

 

La mise en demeure du 4 janvier 2016 relative aux cotisations dues après le 6 novembre 2013 sera annulée. Les cotisations versées par l’assuré au titre de la période comprise entre le 6 novembre 2013 et le 31 décembre 2014 pour un montant de 27 000 euros sont indues, elles devront être restituées, la caisse ne discutant pas le montant des cotisations réclamées. Il sera donc fait droit à la demande de l’assuré de condamnation de la CARMF en paiement de cette somme avec intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure du 11 juin 2015 et capitalisation des intérêts.

 

L’assuré invoque un préjudice et demande sa réparation par l’allocation de dommages et intérêts. Il invoque la privation d’une partie de son patrimoine qu’il aurait pu investir autrement.

 

Néanmoins, il n’établit pas par ses productions et explications une faute de la CARMF, laquelle pouvait légitimement penser que l’assuré dépendait de son régime. En outre, obtenant le remboursement des sommes indues assorties du taux d’intérêt légal avec capitalisation, l’assuré n’établit pas l’existence d’un préjudice en lien de causalité avec une éventuelle faute de la CARMF. Il sera donc débouté de cette demande.

 

Succombant à l’instance, la CARMF sera condamnée aux dépens.

 

Aucune considération tirée de l’équité ou de la situation économique des parties ne commande de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. L’assuré sera donc débouté de sa demande formée sur le fondement de cet article.

PAR CES MOTIFS :

 

LA COUR

 

DÉCLARE l’appel recevable ;

 

INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a joint les instances ;

 

Et statuant à nouveau,

 

DIT que [D] [N] doit être radié de la CARMF à compter du 6 novembre 2013 ;

 

ANNULE la mise en demeure du 4 janvier 2016 relative aux cotisations dues après le 6 novembre 2013 ;

 

CONDAMNE la CARMF à verser à [D] [N] la somme de 27 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 11 juin 2015 et capitalisation des intérêts, au titre des cotisations indûment versées entre le 6 novembre 2013 et le 31 décembre 2014 ;

 

DÉBOUTE [D] [N] de sa demande formée à titre de dommages et intérêts ;

 

DÉBOUTE [D] [N] de sa demande formée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

 

CONDAMNE la CARMF aux dépens d’appel.

 

La greffière Pour la présidente empêchée

 


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