Contrat de franchise : 22 septembre 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 21/01990

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Contrat de franchise : 22 septembre 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 21/01990

22 septembre 2023
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
21/01990

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-2

ARRÊT AU FOND

DU 22 SEPTEMBRE 2023

N° 2023/266

Rôle N° RG 21/01990 – N° Portalis DBVB-V-B7F-BG5TW

[I] [M]

C/

S.A.S. M&M OPTICIEN

Copie exécutoire délivrée

le : 22 septembre 2023

à :

Me Christine CASABIANCA, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

(Vestiaire 198)

Me Patrick ITEY, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation de départage d’AIX-EN-PROVENCE en date du 01 Février 2021 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 17/00047.

APPELANTE

Madame [I] [M], demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Christine CASABIANCA, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

INTIMEE

S.A.S. M&M OPTICIEN, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Patrick ITEY, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 Juin 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Véronique SOULIER, Présidente de chambre suppléante, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Véronique SOULIER, Présidente de chambre suppléante

Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre

Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseillère

Greffier lors des débats : Mme Cyrielle GOUNAUD.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Septembre 2023.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Septembre 2023

Signé par Madame Véronique SOULIER, Présidente de chambre suppléante et Mme Cyrielle GOUNAUD, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

La SAS [J] [M] ‘Optique [M]’ devenue SAS M§M Opticien a pour activité l’exploitation d’un magasin d’optique dans le centre ville d'[Localité 2].

Le 10 janvier 1996, elle a embauché Mme [I] [M], épouse du Président de la société, pour une durée indéterminée à temps complet moyennant un salaire brut de 7.400 francs pour 39 heures.

La convention collective nationale applicable est celle de l’Optique et de la Lunetterie de détail.

Jusqu’en octobre 2015, le capital de la société était divisé en 10.503 actions réparties ainsi qu’il suit:

– Mme [I] [M] : 3.625 actions soit 34,5%

– M. [J] [M] : 6.872 actions soit 65,495%

– leurs 3 enfants : 6 actions soit 0,005%

Par un protocole sous conditions suspensives signé le 10 avril 2015, M. [J] [M], agissant tant en son nom qu’au nom des autres associés, a cédé à Mme [A] [G] et à Mme [D] [P] l’intégralité des actions composant le capital social pour un prix de 600.000 € étant convenu que Mme [I] [M] ne ferait plus partie du personnel de l’entreprise lors de la cession définitive.

Le 26 novembre 2015, Mme [M] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement économique fixé au 5 décembre 2015 auquel elle ne s’est pas présenté. Une note d’information a été remise à sa représentante, Mme [E], détaillant les difficultés économiques de la société ainsi que le document de présentation du contrat de sécurisation professionnelle.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 05 décembre 2015 l’employeur lui a notifié un licenciement pour motif économique.

Par ordonnance du 11 mai 2016, le conseil de prud’hommes d’Aix-en-Provence statuant en référé a dit n’y avoir lieu à référé, a rejeté les demandes de la salariée , renvoyant les parties à mieux se pourvoir.

Affirmant qu’elle était liée à la société par un contrat de travail, contestant la légitimité de son licenciement et sollicitant sa requalification en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et la condamnation de l’employeur à lui payer diverses sommes de nature salariale et indemnitaire, Mme [M] a saisi le conseil de prud’hommes d’Aix en Provence le 23 janvier 2017.

Par jugement de départage du 01 février 2021, la juridiction prud’homale a :

– dit que Mme [I] [M] n’a pas la qualité de salariée,

– rejeté toute autre demande,

– condamné Mme [M] aux entiers dépens.

Mme [M] a relevé appel de ce jugement le 10 février 2021 par déclaration adressée au greffe par voie électronique.

Aux termes de ses conclusions d’appelante notifiées par voie électronique le 05 mai 2021 auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé des moyens soutenus, Mme [M] a demandé à la cour de :

– la recevoir en son appel et l’y déclarer bien fondée,

Infirmer et mettre à néant le jugement entrepris qui a statué ultra petita,

Statuant à nouveau:

La salariée démontrant la réalité de son contrat de travail d’une durée de 20 ans environ,

La société M§M Opticien anciennement dénommée SAS [J] [M] ‘Optique [M]’ ayant établi les bulletins de salaire et documents sociaux de fin de contrat doit donc en assurer le paiement auprès de la salariée.

La société M§M Opticien anciennement dénommée SAS [J] [M] ‘Optique [M]’ ayant procédé à un licenciement économique dénué de cause réelle et sérieuse.

La société M§M Opticien anciennement dénommée SAS [J] [M] ‘Optique [M]’ n’a nullement respecté l’obligation de reclassement ce qui rend de plus fort le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En conséquence:

– juger que le contrat de travail est régulier et effectif,

– juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– faire droit intégralement aux demandes de Mme [M] ci-dessous détaillées à l’encontre de la société M§M Opticien anciennement dénommée SAS [J] [M] ‘Optique [M]’,

– condamner la société M§M Opticien anciennement dénommée SAS [J] [M] ‘Optique [M]’ au paiement des sommes suivantes:

– 1.858,96 € au titre du paiement du salaire d’octobre 2015,

– 1.274,16 € au titre du paiement du salaire de novembre 2015,

– 24.284,90 € au titre du paiement salaire de décembre 2015 et solde de tout compte,

– 12.080 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 15.000 € de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail,

– 6.000 € de dommages-intérêts pour préjudice moral,

– 6.000 € de dommages-intérêts pour préjudice matériel

– condamner la société M§M Opticien anciennement dénommée SAS [J] [M] ‘Optique [M]’ à remettre les documents originaux conformes : bulletins de salaire octobre à décembre 2015, certificat de travail, attestation Pôle Emploi, reçu pour solde de tout compte sous astreinte de 50 € par jour et par document outre le justificatif du paiement à Pôle Emploi des sommes relatives au CSP,

– condamner la société M§M Opticien anciennement dénommée SAS [J] [M] ‘Optique [M]’ au remboursement des allocations Pôle Emploi Assedic,

– condamner la société M§M Opticien anciennement dénommée SAS [J] [M] ‘Optique [M]’ au paiement des intérêts de droit à compter de la demande,

– condamner la défenderesse au droit de recouvrement ou d’encaissement en application de l’article 10 du décret du 12 décembre 1996,

– débouter la société M§M Opticien anciennement dénommée SAS [J] [M] ‘Optique [M]’ de toutes ses demandes,

– condamner la société M§M Opticien anciennement dénommée SAS [J] [M] ‘Optique [M]’ au paiement de la somme de 5.000 € par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour l’ensemble de la procédure de première instance et d’appel,

– condamner la société M§M Opticien anciennement dénommée SAS [J] [M] ‘Optique [M]’ aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Mme [M] soutient:

– que le contrat de travail l’ayant liée pendant 20 ans à la société Optique [M] n’est pas un contrat fictif bien qu’elle soit l’épouse du dirigeant de l’entreprise justifiant avoir exercé une activité technique sous la subordination des différents directeurs Techniques de l’entreprise qui se sont succédés,

– qu’elle n’a pas exercé une gestion de fait de l’entreprise ne la dirigeant pas, n’ayant été titulaire d’aucun mandat social et n’ayant jamais disposé des signatures bancaires,

– que si elle était censée avoir démissionné ou avoir été licenciée au jour de la signature des actes authentiques de cession, les cessionnaires n’ont jamais mentionné que son contrat était fictif alors qu’ils l’ont licencée pour motif économique,

– que lors d’une assemblée générale, elle s’est opposée à la mise en vente de la société en tant qu’actionnaire et non de dirigeante,

– qu’en l’absence de recherche de reclassement, son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La société M§M Opticiens a notifié ses conclusions d’intimées par voie électronique le 18 avril 2023.

La clôture de l’instruction ordonnée le 24 avril 2023 a été révoquée d’office par le magistrat de la mise en état le 22 mai 2023 avant l’ouverture des débats afin de permettre aux parties de conclure sur l’irrecevabilité des conclusions de l’intimée relevée d’office par ce dernier.

Par ordonnance du 2 juin 2023, le magistrat de la mise en état a :

– déclaré irrecevables les conclusions d’intimée notifiées le 18 avril 2023 par la société M§M Opticien et en conséquence les conclusions et pièces remises au juge départiteur contenues dans le dossier de plaidoirie de première instance déposé devant la cour par celle-ci en vue de l’audience du 22 mai 2023,

– condamné la société M§M Opticien aux dépens de l’incident et rejeté la demande de Mme [M] d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile concernant les frais exposés pour l’incident.

La clôture de la mise en état a été prononcée le 5 juin 2023, date à laquelle l’affaire a été retenue pour être plaidée.

SUR CE :

A titre liminaire, la cour rappelle que par application des dispositions de l’article 954 §6 du code de procédure civile, l’intimée dont les conclusions ont été déclarées irrecevables, qui est assimilée à la partie qui ne conclut pas, est réputée s’approprier les motifs du jugement entrepris lequel a, en l’espèce, débouté la salariée de l’ensemble de ses demandes, la cour dans le cadre de sa saisine ne faisant droit aux prétentions et moyens de l’appelante que dans la mesure où elle les estime réguliers, recevables et bien fondés.

Sur l’existence d’un contrat de travail :

Aux termes de l’article L.1411-1 du code du travail, le Conseil de Prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs ou leurs représentants et les salariés qu’ils emploient. Il juge les litiges lorsque la conciliation n’a pas abouti.

En l’absence de définition légale du contrat de travail et dès lors qu’aucune forme particulière n’est requise pour sa formation, il est retenu qu’il y a salariat lorsqu’une personne, moyennant rémunération, réalise un travail pour autrui et se place sous sa subordination juridique, le lien de subordination résultant de l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Ainsi, l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles la prestation de travail est exercée.

Si les conditions exigées sont réunies, le contrat de travail existe de plein droit, sans possibilité pour les parties d’en écarter les effets.

En présence d’un contrat de travail apparent, il incombe à celui qui invoque son caractère fictif d’en rapporter la preuve en démontrant que l’intéressé exerce ses fonctions en dehors de tout lien de subordination.

La gérance de fait qui suppose l’accomplissement d’actes positifs de gestion et de direction engageant la société est exclusive du contrat de travail s’ils s’analysent en une immixtion active dans la gestion de la société.

A l’instar de la juridiction prud’homale, la cour constate en l’espèce l’existence d’un contrat de travail apparent alors que Mme [M] verse aux débats :

– un contrat de travail à durée indéterminée signé le 10 janvier 2016 entre celle-ci et la SAS Optique [M] représentée par M. [J] [M], Président du conseil d’administration,

– des bulletins de salaire produits en original entre le mois de janvier 1996 et le mois de décembre 2015 (pièces n°47), le cabinet comptable MLA attestant le 19 avril 2016 qu’il a bien établi les bulletins de salaire de couleur jaune et bleu concernant la salariée [I] [M] pour la période du 1er janvier 1996 au 30 avril 2001, faisant état entre janvier 1996 et le mois d’août 2007 d’un emploi de ‘vendeuse’ (coefficient 115 à partir d’août 1997) puis à compter de septembre 2007 d’un emploi d’employée administrative’ qualification d’agent de maîtrise au coefficient 210.

Pour considérer que la SAS M§M Opticien rapportait la preuve du caractère fictif de l’emploi de Mme [M] du fait de l’absence de lien de subordination et son inopposabilité à cette dernière, le premier juge a retenu les motifs suivants que l’intimée est réputée s’approprier :

– le contrat de travail ne mentionne aucun indice ou échelon, ne se référe à aucune catégorie d’emploi et la mention ‘Toutefois Mme [M] s’efforcera de manifester la plus grande disponibilité toutes les fois que l’intérêt de la société l’exigera’ est très précautionneuse, ces mentions n’établissant pas l’existence d’un lien de subordination, la disponibilité du salarié ne pouvant résulter de son bon vouloir,

– dans le cadre d’un procès-verbal d’assemblée générale du 5 janvier 2015, Mme [M] s’est opposée au souhait de son époux refusant de mettre fin à l’activité de la société ce qui établit concrètement le pouvoir qu’elle détenait et la véritable gestion de fait qu’elle exerçait, excluant l’existence d’un contrat de travail,

– elle est présentée comme dirigeant de la société M§M Opticien sur le site ‘edecideur’,

– les attestations qu’elle produit établissent la réalité de son activité professionnelle mais n’apportent aucun indice sur la réalité d’un lien de subordination auquel elle aurait été soumise concrètement.

Il résulte des pièces versées aux débats :

– que le capital de la SAS Optique [M] transformée en société anonyme était constitué de 10.503 action réparties ainsi qu’il suit :

– M. [J] [M] : 6.972 actions, soit 65,498 %

– Mme [I] [M] : 3.625 actions soit 34,5%

– leurs trois enfants : 6 actions soit 0,005 %,

– qu’un protocole sous conditions suspensives a été signé le 10 avril 2015 par M. [J] [M] agissant en son nom personnel et au nom des autres associés prévoyant la cession des actions composant le capital social à Mme [A] [G] et à Mme [D] [P] pour un prix de 600.000 €, l’une des conditions spécifiées en page 15 étant que Mme [M] ne fasse plus partie du personnel de l’entreprise préalablement à la cession,

– que l’acte authentique de cession signé des parties le 7 octobre 2015 précise expressément en page 23 ‘que Mme [M] n’a pas été licenciée avant les présentes’, les cessionnaires ayant ainsi choisi de signer l’acte définitif en connaissance de cause (pièce n°76),

– que par courriel du 29/10/2015, M. [G] a adressé à l’expert comptable un protocole de rupture conventionnelle (pièce n°54)

– que la note de synthèse établie par le cabinet d’expertise comptable le 23 janvier 2016 (pièce n°52) indique dans le cadre de sa mission de révision de comptes réalisés à la demande de M. [G] (cessionnaire) que 17 opérations ont été rattachées au projet de situation comptable au 30 septembre 2015 dont la première:

‘Réajustement de la procédure de licenciement de Mme [M] :

Suite au choix de la procédure de licenciementde Mme [M] du mode économique au lieu de la rupture conventionnelle, la provision de licenciement doit être augmentée à hauteur de -14.355,80 €….’.

Par ailleurs, celle-ci établit en produisant deux certificats de travail (pièce n°79-1, 79-2) avoir été employée en tant que lunetière par la société Essilor International du 02/05/1972 au 24/12/1975 puis en tant qu’employée de bureau au sein de la société Lux de Moretz, manufacture de luneterie et d’optique du 05/01/1976 au 30/11/1979 justifiant ainsi qu’elle possédait des connaissances techniques lui permettant d’exercer successivement les fonctions de vendeuse et d’employée administrative au sein de la société Optique [M].

Au surplus, au moyen de très nombreux témoignages précis et circonstanciés, elle prouve qu’elle a effectivement exercé les emplois mentionnés sur ses bulletins de salaire au sein de la société gérée par son mari notamment celui de vendeuse, les nombreux clients la décrivant ainsi (pièces n°19, 21, 29 à 35) et cette activité technique étant confirmée par Mme [E] (pièce n°43), autre vendeuse, sous la subordination de plusieurs Directeurs Techniques titulaires du diplôme BTS Optique lunetterie dont M. [Z] entre 1996 et mars 1998 mais également M. [F] [T] (pièces 15 et n°84) à compter du 4/12/2006 jusqu’au 30/06/2014, tous deux opticiens et anciens dirigeants ainsi que le confirme M. [R], expert-comptable (pièce n°88) comme M. [Y], ancien directeur du réseau de développement de la franchise Lissac (pièce n°91) lequel affirme que pendant 7 ans à compter de décembre 1995 Mme [M] était son interlocutrice pour la gestion des stocks, des ventes, la constitution des collections animant le point de vente de l’entreprise alors que son époux, [J] [M] était ‘l’unique décideur pour la direction et la gestion du magasin, étant le seul signataire du contrat de franchise’ de même qu’elle démontre n’avoir jamais exercé aucun mandat au sein de l’entreprise dont son mari était le Président Directeur Général, la direction technique étant confiée à un tiers notamment à M. [Z] (pièce n°95), et n’avoir jamais bénéficié ni d’une délégation de signature ni d’une procuration sur les deux comptes bancaires de la société ouverts au sein de la Société Marseillaise de Crédit et du CIC Lyonnaise de Banque (pièce n°92).

Par ailleurs, les extraits du site internet Edecideur mentionnant Mme [M] en qualité d’administreur de la société M§M Opticiens voire commissaire aux comptes, ne revêtent aucune valeur légale ne constituant nullement un extrait Kbis, sont manifestement inexacts le site en question n’étant pas fiable (pièce n°98) et le fait qu’elle se soit effectivement opposée à la vente du fonds de commerce ne suffit pas à caractériser la gestion de fait que lui impute l’intimée alors qu’elle était actionnaire minoritaire de la société Optique [M] et qu’à ce titre, elle pouvait parfaitement s’opposer à la vente envisagée.

Il se déduit de ces éléments que le caractère fictif du contrat de travail de Mme [M] ne lui a été opposé que postérieurement à la cession du fonds de commerce alors que les cessionnaires avaient constaté que malgré leurs engagements les cédants n’avaient pas mis fin au contrat de travail de celle-ci et étaient désireux de ne pas supporter le coût d’une rupture conventionnelle ou d’un licenciement, que les motifs retenus par la juridiction prud’homale pour établir la gestion de fait de Mme [M] sont inopérants que l’intimée s’est bornée à critiquer la rédaction du contrat de travail à durée indéterminée alors que l’emploi effectivement exercé a été mentionné sur les bulletins de salaire et prouvé par les différentes attestations sans établir aucun fait prouvant l’immixtion active de Mme [M] dans la gestion administrative et financière de la société, celle-ci démontrant à l’inverse qu’elle exerçait une activité technique sous le contrôle et donc la subordination d’opticiens titulaires assumant eux-même la Direction technique de la société Optique [M] caractérisant ainsi une relation de travail salariée.

Il s’ensuit que la société M§M Opticien, anciennement dénommée SAS [J] [M] ‘Optique [M]’ n’ayant démontré ni le caractère fictif du contrat de travail de Mme [M] ni la qualité de gérante de fait de cette dernière, c’est à tort que la juridiction prud’homale l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes liées à l’exécution et à la rupture du contrat de travail, les dispositions du jugement entrepris étant en conséquence infirmées.

Sur l’exécution du contrat de travail :

Par application de l’article 1353 du code civil’celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.’

Mme [M] sollicite la condamnation de la société M§M Opticien, anciennement dénommée SAS [J] [M] ‘Optique [M]’ à lui payer les salaires des mois d’octobre, novembre et décembre 2015 comportant pour ce dernier 1.617,20 € de salaire mensuel brut et 22.275,10 € d’indemnité de licenciement.

L’employeur n’ayant pas justifié en première instance de l’effectivité du paiement des sommes réclamées, il convient de faire droit aux demande de Mme [M] et par infirmation du jugement entrepris de condamner la société M§M Opticien, anciennement dénommée SAS [J] [M] ‘Optique [M]’ à lui payer les rappels de salaire suivants:

– 1.858,96 € au titre du paiement du salaire d’octobre 2015,

– 1.274,16 € au titre du paiement du salaire de novembre 2015,

– 24.284,90 € au titre du paiement salaire de décembre 2015 et solde de tout compte.

Sur la rupture du contrat de travail :

En application des articles L. 1233-2 et L.1233-3 du code du travail, tout licenciement pour motif économique doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, le motif économique, non inhérent à la personne du salarié, résultant d’une suppression, ou transformation d’emploi ou d’une modification refusée par le salarié d’un élément essentiel de son contrat de travail, consécutives à des difficultés économiques, à des mutations technologiques à la cessation d’activité de l’entreprise ou à une réorganisation de celle-ci nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité.

Les difficultés économiques, qui ne doivent pas résulter d’un manquement ou d’une légèreté blâmable de l’employeur, sont caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitations ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation soit par tout autre élément de nature à les justifier

Le licenciement économique d’un salarié ne peut intervenir que si tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et si son reclassement ne peut pas être opéré sur les emplois disponibles situé sur le territoire national dans l’entreprise ou le groupe auquel elle appartient.

La recherche de reclassement doit être effective et sérieuse, le reclassement devant être recherché à partir du moment où le licenciement est envisagé jusqu’à sa notification.

La lettre de licenciement notifiée le 5 décembre 2015 qui fixe les limites du litige est rédigée ainsi qu’il suit :

‘N’ayant pu faire droit à votre demande (de report de l’entretien préalable), vous avez été représentée par [U] [E] avec l’approbation de M. [C] [B], votre conseiller.

Nous leur avons remis le dossier se rapportant aux informations relatives au contrat de sécurisation professionnelle vous concernant.

Nous vous adressons ci-joint ces mêmes informations relatives au contrat de sécurisation professionnelle auquel nous vous proposons d’adhérer…..(…).

Ces démarches s’inscrivent dans le cadre du projet de licenciement économique au titre quel vous avez été convoquée à l’entretien préalable de ce jour.

Ce projet repose sur les motifs suivants:

Notre société fait face depuis deux ans à des difficultés financières très importantes qui se traduisent par une augmentation des pertes de la société de 77.000 euros entre l’année 2014 et l’année 2015.

Notre société subit en effet 124.896 € de pertes contre 47.890 € de pertes en décembre 2014.

Malgré nos efforts et une première réduction de la masse salariale d’un peu plus de 30% au cours de cette année 2015, notre chiffre d’affaires est en baisse de 30% par rapport à l’année 2014 et de 40% sur les mois d’octobre et novembre 2015 par rapport à ceux de 2014 ce qui ne nous permet plus de faire face à nos charges et dettes à ce jour.

Ainsi la réduction des dépenses doit être mise en place pour faire face à la réduction constatée de l’activité mais aussi pour nous permettre d’apurer des dettes et pertes élevées.

Des réductions de dépens ont déjà été mise en place notamment sur la diminution des achats de marchandises.

Toutefois la situation actuelle est telle que les banques refusent désormais toute aide financière et demandent le remboursement des découverts.

Les efforts que nous avons fournis jusqu’à maintenant ne sont malheureusement plus suffisants aujourd’hui et la société est contrainte d’envisager la suppression des trois postes salariés de la société pour pallier la diminution d’activité et les pertes financières que nous accusons en 2015.

Ces conditions économiques nous contraignent malheureusement à envisager de supprimer votre poste….’

L’irrecevabilité des conclusions et pièces de l’intimée ne permet pas à la cour de vérifier la réalité du motif économique allégué et l’effectivité de la suppression du poste de travail de Mme [M] celle-ci la contestant dans ses écritures en indiquant que le registre d’entrée et de sortie du personnel produit en première instance ne faisait pas état des dates de sortie des trois salariées pour motif économique.

Au surplus, alors que la salariée affirme que l’employeur n’a procédé à aucune recherche de reclassement, que ce dernier n’en fait pas état dans la lettre de licenciement aucune des pièces versées aux débats n’établissant l’effectivité de celle-ci, ce manquement de l’employeur à son obligation de reclassement prive le licenciement de Mme [M] de cause réelle et sérieuse, le moyen, auquel celle-ci répond dans ses écritures, tiré de ce qu’elle aurait renoncé à toute activité au sein de la société dès la signature de l’acte du 10 avril 2015 et ainsi à invoquer un défaut de reclassement étant inopérant, les cessionnaires ayant dûment constaté qu’elle faisait toujours partie des effectifs le 7 octobre 2015, date de la signature de l’acte authentique annulant et remplaçant toute convention antérieure et ayant en premier lieu envisagé une rupture conventionnelle du contrat de travail avant d’opter pour un licenciement économique dont le montant a été provisionné dans les comptes de la société avant même la cession des parts sociales, l’employeur ayant d’ailleurs procédé au licenciement économique des deux autres salariées.

Par application des dispositions de l’article L.1235-5 du code du travail, dans sa version applicable au litige, s’agissant d’une entreprise de moins de 11 salariés, Mme [M] peut prétendre en cas de licenciement abusif à une indemnité correspondant au préjudice subi.

Tenant compte d’une ancienneté de 20 années, d’un âge de 61 ans, d’un salaire de 3.410,47 €, de ce qu’elle ne justifie pas avoir recherché un emploi durant la période d’indemnisation par Pôle Emploi, il convient de condamner la société M§M Opticien, anciennement dénommée SAS [J] [M] ‘Optique [M]’ à lui payer une somme de 12.080 € en réparation du préjudice résultant de la perte injustifiée de son emploi étant précisé qu’elle a formé deux demandes distinctes en réparation du même préjudice (licenciement sans cause réelle et sérieuse et rupture abusive du contrat de travail).

Les dispositions du jugement entrepris ayant rejeté sa demande de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail sont confirmées de même que celles l’ayant déboutée de ses demandes d’indemnisation du préjudice moral distinct, la démontration du caractère vexatoire de la procédure de licenciement n’étant pas faite et d’un préjudice matériel résultant du refus de l’organisme Pôle Emploi de poursuivre le versement de l’allocation d’aide au retour à l’emploi qu’elle impute à l’employeur sans toutefois le prouver, la société M§M Opticien ayant établi et adressé à celui-ci l’attestation Pôle Emploi dûment remplie.

Sur la demande de remboursement des indemnités chômage à l’organisme Pôle Emploi:

L’article L1235-4 du code du travail dans sa version antérieure à la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 dispose que « Dans les cas prévus aux articles L. 1235-3 et L.1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé.

Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées. »

Ce texte applicable aux entreprises employant plus de 11 salariés n’étant pas applicable en l’espèce, c’est à juste titre par des dispositions qui sont confirmées que la juridiction prud’homale a débouté Mme [M] de cette demande.

Sur la demande de remise sous astreinte de bulletins de salaire et de documents de fin de contrat conformes outre le justificatif du paiement à Pôle Emploi des sommes relatives au CSP:

Le sens du présent arrêt conduit à faire droit à la demande de Mme [M] de remise des bulletins de salaire et des documents de fin de contrat rectifiés sans qu’il y ait lieu cependant d’assortir la remise sollicitée d’une astreinte dont le rejet de la demande est confirmé de même que le rejet de la demande faite à l’employeur de justifier du paiement à Pôle Emploi des sommes relatives au CSP.

Sur les intérêts :

Les créances de nature salariale allouées porteront intérêts à compter de la date de réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires à partir de la décision qui les prononce, soit à compter du présent arrêt.

Sur les frais d’exécution forcée :

La présente juridiction ne peut pas se prononcer sur le sort des frais de l’exécution forcée, lesquels sont régis par l’article L. 111-8 du code des procédures civiles d’exécution et soumis, en cas de contestation, au juge de l’exécution.

Le rejet de cette demande est confirmé.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Les dispositions du jugement entrepris ayant condamné Mme [M] aux dépens et ayant rejeté sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile sont infirmées.

La société M§M Opticien, anciennement dénommée SAS [J] [M] ‘Optique [M]’ est condamnée aux dépens de première instance et d’appel et à payer à Mme [M] une somme de 1.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour:

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions à l’exception de celles ayant rejeté les demandes de Mme [I] [M]:

– de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail, pour préjudice moral et pour préjudice matériel,

– de remise d’un justificatif de paiement à Pôle Emploi des sommes relatives au CSP,

– d’assortir d’une astreinte la remise de bulletins de salaire et de documents de fin de contrat rectifiés,

– de condamnation de l’employeur au remboursement des allocations Pôle Emploi et de condamnation aux frais futurs d’exécution,

qui sont confirmées.

Statuant à nouveau et y ajoutant:

Dit que le contrat de travail de Mme [I] [M] n’est pas un contrat fictif et que celle-ci n’était pas gérante de fait de l’entreprise.

Dit que le licenciement de Mme [I] [M] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Condamne la société M§M Opticien, anciennement dénommée SAS [J] [M] ‘Optique [M]’ à payer à Mme [I] [M] les sommes suivantes:

– 1.858,96 € au titre du paiement du salaire d’octobre 2015,

– 1.274,16 € au titre du paiement du salaire de novembre 2015,

– 24.284,90 € au titre du paiement salaire de décembre 2015 et solde de tout compte.

– 12.080 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Condamne la société M§M Opticien anciennement dénommée SAS [J] [M] ‘Optique [M]’ à remettre les documents originaux conformes : bulletins de salaire octobre à décembre 2015, certificat de travail, attestation Pôle Emploi, reçu pour solde de tout compte.

Dit que les créances de nature salariale allouées porteront intérêts à compter de la date de réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires à partir de la décision qui les prononce, soit à compter du présent arrêt.

Condamne la société M§M Opticien, anciennement dénommée SAS [J] [M] ‘Optique [M]’ aux dépens de première instance et d’appel et à payer à Mme [I] [M] une somme de 1.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le greffier Le président

 


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