Contrat de design produit : pas de cession sans clause dédiée
Contrat de design produit : pas de cession sans clause dédiée
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L’existence d’un contrat de commande n’exclut nullement le droit d’auteur.

Le contrat de commande de design produit (réalisation technique et fabrication d’un flacon de parfum et de sa boîte, basé sur un modèle de sac) n’emporte pas ipso facto cession des droits au profit du client. L’existence d’un contrat de commande n’exclut nullement le droit d’auteur.

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 1

ARRÊT DU 18 MAI 2022

Numéro d’inscription au répertoire général : 21/10339 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDZBT

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 06 Mai 2021 -Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de PARIS – 3ème chambre – 1ère section – RG n° 20/02574

APPELANTE

Société G

Enregistrée au registre des sociétés de MILAN sous le numéro MI – 2093204

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[…]

[…]

ITALIE

R e p r é s e n t é e p a r M e M a t t h i e u B O C C O N – G I B O D d e l a S E L A R L L E X A V O U E PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque C 2477

Assistée de Me Jérémie LEROY-RINGUET plaidantn pour la SELARL JOFFE & ASSOCIES et substituant Me Véronique X, avocate au barreau de PARIS, toque P 438

INTIMEES

S.A.R.L. Y Z

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés sous le numéro

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

231, rue Saint-Honoré

[…]

Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS – AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055

Assistée de Me Jérôme CEHEC plaidant pour la SELARL MARG EGYG & CO et substituant Me Guillaume GOUACHON, avocat au barreau de PARIS, toque E 1852 Société PARADE OF STARS LTD,

Société de droit chypriote,

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social

GIBRALTAR

N’ayant pas constitué avocat

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 mars 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Isabelle DOUILLET, présidente, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport et Mme A B, conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Isabelle DOUILLET, présidente

Mme A B, conseillère,

Mme Déborah BOHÉE, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Carole TREJAUT

ARRÊT :

Rendu par défaut•

• par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

• signé par Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre, et par Mme Karine ABELKALON, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DES FAITS ET DU LITIGE

La société Y E est une société française fondée en 1968 spécialisée dans le design

ARPELS, YVES SAINT LAURENT ou FENDI.

La société G est une société de droit italien ayant son siège à Milan, fondée en 2013 par Mme C D et ayant pour activité la création et la commercialisation d’articles de mode, en particulier des vêtements, chaussures, articles de maroquinerie, bijoux, parfums et autres accessoires.

Elle se présente comme commercialisant des produits de haute qualité, relevant du secteur du luxe, fabriqués par des artisans italiens.

La société PARADE OF STARS est une société implantée à Gibraltar.

La société Y E expose qu’elle exercerait, essentiellement en Russie, une activité de création et de commercialisation de parfums «masstiges» (pratique par laquelle une marque de luxe diffuse en masse un ou plusieurs produits).

En 2015, la société G a créé un modèle de sac à main, au format pochette, dénommé «Mydas by G».

En 2016, la société G s’est tournée vers la société PARADE OF STARS pour lui confier la réalisation technique et la fabrication d’un flacon de parfum et de sa boîte, basé sur le modèle de ce sac.

La société PARADE OF STARS a adressé à la société Y E une proposition d’étude portant sur l’adaptation technique, en vue de sa production, dudit flacon de parfum basé sur le modèle de sac à main « Mydas by G », son attention étant portée sur la haute qualité du produit attendu. La société PARADE OF STARS a annexé à son courrier électronique plusieurs visuels du flacon de parfum élaboré par son designer.

Suivant courrier électronique en date du 4 juillet 2016, la société Y E a confirmé qu’elle pouvait répondre à la demande en développant:

– les plans techniques et 3D,

– le développement, le suivi et l’appui technique,

– la solution clé en main pour la production.

Un devis, d’un montant de 3.500 euros, portant sur « l’adaptation du design et les dessins techniques du nouveau parfum féminin G», proposant «d’adapter votre design», de «choisir les meilleurs matériaux» et de «faire les dessins techniques qui pourront être envoyés aux fabriques pour les moules» lui a ensuite été transmis.

La société Y E a par la suite établi :

-une facture n° PS16001 «Study of G perfume bootle and cap» du 7 septembre 2016, d’un montant total de 10.000 euros, soit 6.500 euros au titre du ‘designs study’ et 3.500 euros au titre des ‘technical plans’;

-une série de visuels présentant 3 modèles de flacons de parfum ;

-une facture n°PS16002 ‘Study of G box’, d’un montant total de 3.500 euros;

-une série de visuels de boites du flacon de parfum.

Le 13 septembre 2016, les sociétés PARADE OF STARS et Y E ont conclu un accord de fourniture exclusive de flacons de parfum portant ou incorporant la marque G, devant courir jusqu’au 31 décembre 2019. Le contrat portait sur la création, la fabrication et la fourniture de 1.000 produits par la société Y E.

En 2019, les relations entre les sociétés Y E et PARADE OF STARS se sont détériorées.

La société Y E a établi le 10 septembre 2019 une facture, d’un montant de 50.000 euros, portant sur le ‘transfer of the international design rights of the range G’.

Par un courrier électronique adressé par son conseil, le 12 novembre 2019, aux sociétés G et PARADE OF STARS, la société Y E a fait état notamment de manquements commis par la société PARADE OF STARS à leur contrat de fourniture exclusive, ainsi que d’une présentation du modèle de flacon de parfum qu’elle a créé, modifié ‘sans aucune autorisation et au mépris de ses droits d’auteur’, et a demandé à chacune d’elles de lui indiquer combien d’exemplaires ‘contrefaisants’ ont été fabriqués ou présentés au public.

Elle leur a fait également savoir que la signature du projet de protocole d’accord qu’elle avait établi pour permettre qu’il soit mis un terme anticipé au contrat la liant à la société PARADE OF STARS, moyennant le règlement de la somme de 17.000 euros, projet non signé ni exécuté, n’était plus d’actualité pour sa part.

Le 13 novembre 2019, elle a fait constater par procès-verbal d’huissier de justice, sur internet, qu’était représenté, sur Instagram, le flacon de parfum susmentionné, dont elle considère qu’il altère sans son autorisation le modèle original qu’ elle a conçu.

Par lettres recommandées avec accusé de réception du 18 novembre 2019, elle a adressé ce procès-verbal de constat aux sociétés G et PARADE OF STARS et les a mises en demeure de détruire toute création reprenant intégralement ou partiellement l’oeuvre dont elle considère que les droits lui appartiennent exclusivement et leur a fait interdiction d’exploiter sous quelques formes que ce soit les «’déclinaisons contrefaisantes des créations».

Par actes d’huissier de justice en date du 2 mars 2020, la société Y E a fait assigner les société G et PARADE OF STARS devant le tribunal judiciaire de Paris, en contrefaçon de droits d’auteur.

Par du ordonnance 06 mai 2021, dont appel, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris, saisi par des conclusions d’incident de la société G, a rendu la décision suivante :

– Ecartons des débats la partie de la pièce n° 12 de la société Y E qu’elle qualifie de reproduction d’un message de l’application Whatsapp qu’elle attribue à la société PARADE OF STARS ;

– Ecartons des débats les courriels de Maître X des 29 et 30 juin 2020, reproduits en pièce n° 29 de la société Y E ,

– Rejetons la demande formée par la société Y E, tendant à ce qu’il soit jugé que la société PARADE OF STARS est régulièrement représentée, cette demande ne relevant pas de la compétence du juge de la mise en état,

– Rejetons la fin de non-recevoir soulevée par la société G ;

– Déboutons la société G de sa demande formée au titre de la procédure abusive ;

– Déboutons la société Y E de sa demande de condamnation formée au titre de la procédure abusive ;

– Condamnons la société G a payer a la société Y E la somme de 1.500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamnons la société G aux dépens de 1’incident ;

– Renvoyons l’affaire a l’audience de mise en état du 22 juin 2021 à 10 heures (audience dématérialisée) pour les conclusions de la société G.

La société G a interjeté appel de cette ordonnance le 2 juin 2021.

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 17 février 2022 par la société G, appelante, qui demande à la cour, de:

INFIRMER l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a :

– rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société G ;

– condamné la société G à payer à la société Y E la somme de 1 500 euros application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné la société G aux dépens de l’incident ;

– renvoyé l’affaire à l’audience de mise en état du 22 juin 2021 à 10 heures (audience dématérialisée) pour les conclusions de la société G.

Et statuant à nouveau,

DÉCLARER la société G recevable en ses conclusions d’appel et bien fondée ;

DÉCLARER IRRECEVABLE la société Y Z pour agir en contrefaçon contre la société G faute de qualité à agir ;

Par voie de conséquence,

F la société Y E de toutes ses demandes, fins et prétentions ;

CONDAMNER la société Y E à rembourser les 1.500 euros versés par la société G en application de l’ordonnance rapportée et lui payer la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 ;

CONDAMNER la société Y E aux dépens dont distraction au profit de Maître Véronique X.

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 1er mars 2022 par la société Y E, intimée, qui demande à la cour de:

CONFIRMER l’ordonnance du 6 mai 2021,

En conséquence,

JUGER la société Y E est recevable à agir en contrefaçon du modèle de flacon de parfum qu’elle a créé et qui est commercialisé par la société G, disposant à cet effet de la qualité à agir.

F G de ses demandes, fins et conclusions.

JUGER la société G mal fondée en son incident et le rejeter.

Y ajoutant,

CONDAMNER la société G à payer à la société Y E, une indemnité de 15.000 €HT, au titre des dispositions de l’article 700, ainsi qu’aux entiers dépens qui comprendront les frais des différents constats.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 8 mars 2022.

MOTIFS DE L’ARRÊT

En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées.

– Sur les chefs de l’ordonnance non critiqués

L’ordonnance du juge de la mise en état n’est pas contestée en ce qu’elle a:

– Ecarté des débats la partie de la pièce n° 12 de la société Y E qu’elle qualifie de reproduction d’un message de l’application Whatsapp qu’elle attribue à la société PARADE OF STARS ;

– Ecarté des débats les courriels de Maître X des 29 et 30 juin 2020, reproduits en pièce n° 29 de la société Y E ,

– Rejeté la demande formée par la société Y E, tendant à ce qu’il soit jugé que la société PARADE OF STARS est régulièrement représentée, cette demande ne relevant pas de la compétence du juge de la mise en état,

– Débouté la société G de sa demande formée au titre de la procédure abusive,

– Débouté la société Y E de sa demande de condamnation formée au titre de la procédure abusive.

Elle doit en conséquence être confirmée pour les justes motifs qu’elle contient sur ces points.

– Sur la fin de non recevoir tirée du défaut de qualité à agir en contrefaçon

L’appelante rappelle d’abord qu’en tant que personne morale, la société Y E ne peut agir en contrefaçon sur le fondement de droits moraux.

Puis, elle estime que l’intimée ne peut revendiquer le bénéfice de la présomption prétorienne de titularité, faute de démontrer une exploitation sous son nom publique, paisible et non équivoque de l’oeuvre en cause ou l’existence d’un acte de cession stipulé à son profit par l’auteur du flacon.

Elle souligne à cet égard que la société Y E n’est qu’un fournisseur et en aucun cas un exploitant des flacons qu’elle fabrique pour ses clients et que c’est elle seule qui en a assuré l’exploitation sous son nom.

L’intimée fait valoir qu’elle a toujours réclamé la sanction d’actes de contrefaçon et n’a jamais invoqué le seul droit au respect de l”uvre résultant du droit moral. Elle rappelle que l’exploitation de ces flacons a fait l’objet d’un accord de fourniture exclusive daté du 13 septembre 2016 par lequel elle devait « créer, fabriquer et fournir les produits », dans le cadre d’un contrat de commande. Elle soutient qu’elle a donc bien exploité commercialement le flacon sous son nom et qu’elle a également communiqué sur la réalisation de ces flacons notamment sur ses réseaux sociaux publiquement accessibles. Elle rappelle que le fait que la marque G soit apposée sur le flacon n’a pas pour objet d’identifier un auteur mais celui qui commercialise le produit désigné par la marque.

Sur ce, en vertu de l’article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle, la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’oeuvre est divulguée. En l’absence de revendication d’une personne physique qui s’en prétendrait l’auteur, l’exploitation non équivoque de l’oeuvre par une personne morale sous son nom fait présumer à l’égard des tiers recherchés pour contrefaçon que celle-ci est titulaire des droits patrimoniaux invoqués.

Comme l’a justement rappelé le premier juge, le contrat conclu entre la société Y E et la société PARADE OF STARS le 13 septembre 2016 portait sur la création, la fabrication et la fourniture de 1.000 flacons de parfum portant ou incorporant la marque G, ce contrat stipulant une clause particulière quant à la propriété des «designs» réalisés par la société Y E, restant sa seule propriété. Si, comme le souligne la société G, elle n’est pas partie à ce contrat, il n’en demeure pas moins qu’elle ne conteste pas sa validité, ni, au demeurant, avoir missionné la société PARADE OF STARS afin de réaliser un flacon de parfum inspiré de son modèle de sac.

En outre, la société Y E a par la suite établi :

– une facture n° PS16001 «Study of G perfume bootle and cap» du 7 septembre 2016, d’un montant total de 10.000 euros, soit 6.500 euros au titre du ‘designs study’ et 3.500 euros au titre des ‘technical plans’;

– une facture n°PS16002 ‘Study of G box’, d’un montant total de 3.500 euros;

– une série de visuels présentant 3 modèles de flacons de parfum;

– une série de visuels de boites du flacon de parfum, dont il ne peut être contesté que l’un des modèles correspond au produit final qui a été commercialisé sous la marque G, autant d’éléments justifiant de son rôle dans la création des flacons, antérieurement à leur exploitation commerciale par la société G.

Des publications INSTAGRAM ou FACEBOOK démontrent également que la société Y E a communiqué sur la réalisation de ces flacons.

Ainsi la société Y E démontre non seulement avoir participé au processus de création du flacon en cause, l’existence d’un contrat de commande n’excluant nullement le droit d’auteur, mais également avoir réalisé une exploitation commerciale publique, paisible, en son nom, de manière non équivoque concernant précisément sa création et sa commercialisation à la société PARADE OF STARS, nonobstant l’exploitation commerciale faite par la société G du parfum ensuite commercialisé sous sa marque.

En outre, comme l’a souligné le juge de la mise en état, aucune personne physique n’a revendiqué sa qualité d’auteur et les droits afférents sur cette création, dont la question de l’originalité relève du seul juge du fond.

C’est en conséquence à juste titre que le juge de la mise en état a rejeté la fin de non recevoir soulevée par la société G, la cour relevant que la société Y E ne formule aucune demande au titre des droits moraux, mais uniquement patrimoniaux, l’ordonnance dont appel étant confirmée de ce chef.

– Sur les autres demandes:

La société G, succombant, sera condamnée aux dépens d’appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu’elle a exposés à l’occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

Enfin, l’équité et la situation des parties commandent de condamner la société G à verser à la société Y E, une somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société G aux dépens d’appel,

Condamne la société G à verser à la société Y E une somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


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