Contrat de Coproduction musicale : la valeur des apports respectifs

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Contrat de Coproduction musicale : la valeur des apports respectifs
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L’assignation du coproducteur pour des prestations de production mal exécutées plus de 6 ans après la sortie d’un album, se heurte à la prescription. Il en est de même des manquements contractuels allégués au titre des apports en industrie du coproducteur (montant de leur valorisation).

En effet, en application de l’article L. 110-4 du code de commerce, les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.

Le point de départ de la prescription de l’article L.110-4 du code de commerce se situe au jour où le créancier connaît ou devrait connaître les faits lui permettant d’exercer son action.

Résumé de l’affaire

Mme [R], artiste interprète, a contacté la société ZZ PRODUCTIONS pour la production de son album “Alwane”. Des devis ont été signés et des acomptes versés. Des contrats ont été conclus pour la coproduction de l’album, mais des différends sont apparus concernant le budget, les apports financiers et la comptabilité. Mme [R] a assigné la société ZZ PRODUCTIONS en justice, mais le tribunal de commerce de Paris a partiellement rejeté ses demandes. Mme [R] a interjeté appel et demande la réformation du jugement initial pour obtenir des dommages et intérêts, la restitution des bandes master, la communication des pièces comptables, le partage des recettes et une indemnisation pour préjudice moral. La société ZZ PRODUCTIONS conteste ces demandes et demande des dommages et intérêts ainsi que le remboursement des frais de procédure.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

12 juin 2024
Cour d’appel de Paris
RG n°
22/14213
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 1

ARRET DU 12 JUIN 2024

(n° 079/2024, 15 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 22/14213 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGH4Z

Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Juin 2022 -Tribunal de Commerce de Paris – 8ème chambre – RG n° 2021020037

APPELANTE

Madame [F] [R]

Née le 09 Décembre 1980 à [Localité 5] (ALGERIE)

De nationalité française

Artiste

Demeurant [Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée et assistée de Me Vanessa ZENCKER, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

S.A.R.L. ZZ PRODUCTIONS

Société au capital de 7 622 euros

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de CHERBOURG sous le numéro 439 183 096

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Charles CUNY de l’AARPI PHI AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0026

Assistée de Me Marion POUZET-GAGLIARDI substituant Me Charles CUNY de l’AARPI PHI AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, toque : P0026

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 30 avril 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Françoise BARUTEL, conseillère et Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.

Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre

Mme Françoise BARUTEL, conseillère

Mme Déborah BOHÉE, conseillère.

Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON

ARRÊT :

Contradictoire

par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [F] [R] est artiste interprète.

La société ZZ PRODUCTIONS a pour activité l’édition musicale et plus largement la production, la réalisation et la diffusion d’oeuvres musicales. Elle indique qu’elle exploite la marque « MUSIC UNIT » avec la société MUSIC UNIT (anciennement dénommée ETLANUIT), avec laquelle elle a en commun plusieurs associés, cette dernière exploitant en outre un studio d’enregistrement réputé situé à [Localité 6].

Mme [R] indique qu’en 2011, elle a pris contact avec la société ZZ PRODUCTIONS en vue de la production d’un album d’abord intitulé « Ma Ydoumou », puis intitulé « Alwane », dont elle est l’interprète principale.

C’est ainsi que Mme [R] a reçu un premier devis en date du 17 décembre 2011 établi par la société ETLANUIT pour une prestation d’« enregistrement, mixage et mastering » d’un montant de 18 540 € HT, puis un second devis en date du 16 janvier 2012 établi par la société ZZ PRODUCTIONS pour des « musiciens additionnels » et un forfait «réalisation / prod exé / arrangement » d’un montant de 22 500 € HT.

Mme [R], alors seule productrice à 100 % de son album, a accepté et signé ces deux devis et a versé des acomptes correspondant à un 1/3 des sommes indiquées, soit en tout 15 961,28 € TTC (12 230 € HT).

Le 31 octobre 2012, une co-production de l’album étant finalement envisagée, le dirigeant de la société ZZ PRODUCTIONS a transmis à Mme [R] un budget prévisionnel estimé à 109 340 € HT, prévoyant des apports en fonds propres de Mme [R], en sa qualité de producteur, à hauteur de 45 000 € et de la société ZZ PRODUCTIONS, en sa qualité de coproducteur, à hauteur de 30 300 €.

Le 19 décembre 2012 les parties ont régularisé :

– un contrat d’enregistrement à titre exclusif aux termes duquel Mme [R] cédait à la société ZZ PRODUCTIONS « ses droits exclusifs relatifs aux interprétations figurant sur l’Album », le contrat prévoyant une rémunération de l’artiste outre des redevances calculées sur les ventes des supports phonographiques ;

– un contrat de réalisation artistique aux termes duquel Mme [R] et la société ZZ PRODUCTIONS, en tant que producteurs, confiaient à la société ZZ PRODUCTIONS la réalisation artistique de l’album moyennant une rémunération de 15 000 € HT, outre une redevance calculée sur les ventes de supports phonographiques ;

– un contrat de production d’enregistrement(s) phonographiques(s) désignant Mme [R] producteur à hauteur de 60 % aux côtés de la société ZZ PRODUCTIONS désignée gérant de la coproduction, répartissant les dépenses de la coproduction entre Mme [R], tenue à hauteur de 60 % des dépenses, et la société ZZ PRODUCTIONS tenue à hauteur de 40 %, répartissant les recettes entre Mme [R] et la société ZZ PRODUCTIONS dans les mêmes proportions (60 % / 40 %) et stipulant que les frais relatifs à l’album et les frais d’exploitation seraient décidés d’un commun accord dans le cadre du budget convenu entre les parties, lequel devait être annexé au contrat (mais ne l’a pas été).

L’enregistrement de l’album s’est déroulé de novembre 2012 à juin 2014 et l’album est sorti le 6 octobre 2014.

L’exécution du contrat a fait naître des difficultés entre les parties quant au budget et ses évolutions jusqu’à la version finale du budget de coproduction (« budget réalisé ») en date du 31 décembre 2015, qui a été transmis à Mme [R] par courrier daté du 1er avril 2017. Ce document fait apparaître des fonds constitués d’apports producteurs de la société ZZ PRODUCTIONS à hauteur de 30 300 € (en apports en industrie) et de Mme [R] à hauteur de 36 285, 85€ (en apports en fonds propres) et de 8 000 € (en apports en industrie).

Les parties s’opposent essentiellement sur la valeur de leurs apports respectifs et la prise en compte dans la coproduction d’une subvention versée à Mme [R].

En septembre 2017, Mme [R] a mandaté un cabinet d’expertise comptable afin de réaliser un audit des comptes relatifs à la coproduction de l’album.

Le 28 novembre 2018, Mme [R] a mis en demeure la société ZZ PRODUCTIONS de lui payer diverses sommes pour un montant total de 33 096,73 € et réitéré sa demande de communication des documents comptables, mettant en cause l’exécution par la société ZZ PRODUCTIONS de sa mission de gestion de la coproduction de l’album.

Le 3 janvier 2019, le conseil de la société ZZ PRODUCTIONS a répondu en s’opposant aux demandes et griefs de Mme [R].

C’est ainsi que par acte du 20 avril 2021, après une nouvelle mise en demeure du 18 mars 2021, Mme [R] a assigné la société ZZ PRODUCTIONS devant le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement rendu le 29 juin 2022, le tribunal de commerce de Paris :

– a dit que la demande de Mme [R] de 23.416 € au titre du refus de la société ZZ PRODUCTIONS de financer la coproduction était irrecevable [comme prescrite] ;

– a dit que la demande de Mme [R] de 9.200 € au titre de l’obligation de la société ZZ PRODUCTIONS de tenir une comptabilité sincère et exacte de la coproduction était recevable mais mal fondée ;

– a débouté Mme [R] de sa demande de 9.200 € au titre de l’obligation de la société ZZ PRODUCTIONS de tenir une comptabilité sincère et exacte ;

– a débouté Mme [R] de sa demande visant à ce que la société ZZ PRODUCTIONS lui restitue les « bandes master » ;

– a débouté Mme [R] de sa demande de 1.872 € à raison du refus de la société ZZ PRODUCTIONS de permettre le contrôle de la comptabilité ;

– a débouté Mme [R] de sa demande d’ordonner la communication de l’ensemble des pièces comptables ;

– a débouté Mme [R] de sa demande de 5.128,12 € au titre de l’inexécution de l’obligation de partage des recettes ;

– a débouté Mme [R] de sa demande au titre du préjudice moral ;

– a condamné Mme [R] à payer 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné Mme [R] aux dépens de l’instance dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 70,86 € dont 11,60 € de TVA.

Mme [R] a interjeté appel de ce jugement le 25 juillet 2022.

Dans ses dernières conclusions numérotées 4, transmises le 20 novembre 2023, Mme [R], appelante, demande à la cour de :

Vu les anciens articles 1134, 1147 et suivants, et 1184 alinéa 2 [nouveaux articles 1103, 1231-1, 1231-2],

Vu l’article 1843-3 du code civil,

Vu les articles L.123-12 et suivants et R.123-172 et suivants du code de commerce,

– déclarer Mme [R] recevable et bien fondée en son appel ;

– déclarer Mme [R] recevable en ses demandes et l’y déclarer bien fondée ;

– débouter la société ZZ PRODUCTIONS de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires aux présentes ;

– réformer le jugement en ce qu’il a :

– dit que la demande de Mme [R] de 23.416 € au titre du refus de la société ZZ PRODUCTIONS de financer la coproduction était irrecevable ;

– dit que la demande de Mme [R] de 9.200 € au titre de l’obligation de la société ZZ PRODUCTIONS de tenir une comptabilité sincère et exacte de la coproduction était recevable mais mal fondée ;

– débouté Mme [R] de sa demande de 9.200 € au titre de l’obligation de la société ZZ PRODUCTIONS de tenir une comptabilité sincère et exacte ;

– débouté Mme [R] de sa demande visant à ce que la société ZZ PRODUCTIONS lui restitue les « bandes master » ;

– débouté Mme [R] de sa demande de 1.872 € à raison du refus de la société ZZ PRODUCTIONS de permettre le contrôle de la comptabilité ;

– débouté Mme [R] de sa demande d’ordonner la communication de l’ensemble des pièces comptables ;

– débouté Mme [R] de sa demande de 5.128,12 € au titre de l’inexécution de l’obligation de partage des recettes ;

– débouté Mme [R] de sa demande au titre du préjudice moral ;

– condamné Mme [R] à payer 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné Mme [R] aux dépens de l’instance dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 70,86 € dont 11,60 € de TVA ;

– en conséquence :

– condamner la société ZZ PRODUCTIONS à régler à Mme [R] la somme de 23.416 euros, à parfaire, à titre de dommages et intérêts à raison de l’inexécution de son obligation de financement de la coproduction de l’Album « ALWANE » et décomposée comme suit :

16.416 euros, soit 40 % du coût de la production du disque initialement estimé par la société ZZ PRODUCTIONS ;

7.000 euros, au titre de la perte de chance subie par Mme [R] ;

– condamner la société ZZ PRODUCTIONS à restituer à Mme [R] les supports audios originaux utilisés aux fins de la première fixation de l’album, dits « bandes masters », ainsi que les documents graphiques, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

– condamner la société ZZ PRODUCTIONS à régler à Mme [R] la somme de 9.200 euros, à parfaire, à titre de dommages et intérêts à raison de l’inexécution de son obligation de tenir une comptabilité sincère et exacte de la coproduction de l’album « ALWANE » et plus généralement de se comporter en bon gestionnaire de la coproduction ;

– condamner la société ZZ PRODUCTIONS à régler à Mme [R] la somme de 1.872 euros, correspondant aux frais engagés pour la réalisation de la mission d’audit, à titre de dommages et intérêts à raison de son refus de permettre le contrôle de la comptabilité de la coproduction de l’album « ALWANE » ;

– ordonner la communication par la société ZZ PRODUCTIONS de l’ensemble des pièces comptables nécessaires à la réalisation de l’audit des comptes relatifs à la production de l’album « ALWANE », soit :

les grands livres généraux correspondant aux années 2013 à 2017 ;

les grands livres analytiques correspondant aux années 2013 à 2017 ;

les justificatifs des dépenses et recettes des années 2016 et 2017 réalisées par la société ZZ PRODUCTIONS dans le cadre de la coproduction de l’Album « ALWANE » ;

– condamner la société ZZ PRODUCTIONS à régler à Mme [R] la somme de 5733,30, à parfaire, à titre de dommages et intérêts à raison de l’inexécution de son obligation de partage des recettes perçues par la coproduction ;

– condamner la société ZZ PRODUCTIONS à régler à Mme [R] la somme de 10.000 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi par cette dernière en raison de l’exécution déloyale du contrat de co-production ;

– condamner la société ZZ PRODUCTIONS à payer à Mme [R] la somme totale de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société ZZ PRODUCTIONS aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions numérotées 3, transmises le 6 novembre 2023, la société ZZ PRODUCTIONS, intimée et appelante incidente, demande à la cour de :

– déclarer irrecevable la prétention nouvelle en cause d’appel formée par Mme [R] tendant à voir condamner la société ZZ PRODUCTIONS à lui payer la somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral résultant de la prétendue déloyauté dans l’exécution du contrat ;

– confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

– y ajoutant,

– condamner Mme [R] à payer à la société ZZ PRODUCTIONS la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner Mme [R] aux entiers dépens, dont distraction au profit de l’AARPI PHI AVOCATS, avocats au Barreau de Paris, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 16 janvier 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur les demandes en paiement présentées par Mme [R]

Sur les demandes relatives à l’inexécution par la société ZZ PRODUCTIONS de son obligation de financement de la coproduction de l’album (23 416 €)

Mme [R] demande le paiement d’une somme de 23 416 € décomposée comme suit : 16 416 euros correspondant à 40 % du coût de la production du disque initialement estimé par la société ZZ PRODUCTIONS et 7 000 euros au titre de sa perte de chance sur sa part d’artiste. Elle soutient que contrairement à ce qu’a retenu le tribunal, ces demandes ne sont pas prescrites ; que le tribunal n’a pas tenu compte du véritable point de départ de la prescription ; qu’elle s’est vu adresser plusieurs budgets prévisionnels mais n’a reçu la version définitive qu’en avril 2017 ; que les budgets à vocation prévisionnelle ne lui permettaient pas d’appréhender la réalité du budget de son album, puisque, par définition, ils avaient vocation à être modifiés, et qu’ils ne comportaient donc pas tous les éléments lui permettant d’exercer son action ; que ce n’est qu’à compter de la réception du budget dit « réalisé » et de la justification des tâches accomplies par ZZ PRODUCTIONS, soit au plus tôt courant avril 2017, qu’elle a véritablement été en mesure de déceler les nombreux manquements contractuels de ZZ PRODUCTIONS au titre du financement de la coproduction et a, dès lors, pu exercer son action, dont la prescription n’était par conséquent pas acquise au jour de l’assignation.

Sur le fond, elle fait valoir que le budget prévisionnel détaillé du 31 octobre 2012 prévoyait un apport en fonds propres d’un montant de 45.000 euros de sa part, en sa qualité de producteur, et un apport en fonds propres d’un montant de 30.300 euros de la part de ZZ PRODUCTIONS, en sa qualité de coproducteur ; que ZZ PRODUCTIONS, alors qu’elle avait déjà unilatéralement modifié la nature de ses apports, a choisi de laisser la quasi-totalité du financement de la coproduction de l’album à la charge de Mme [R], rendant ainsi le contrat de coproduction sans aucun intérêt économique pour cette dernière ; qu’au total, elle a financé seule la coproduction de l’album à hauteur de 47.828,88 euros, soit plus que la somme totale prévue par les devis initialement signés pour couvrir les diligences nécessaires à l’entière production de l’album.

La société ZZ PRODUCTIONS demande la confirmation du jugement en ce qu’il a dit cette demande prescrite pour ne pas avoir été engagée dans le délai de 5 ans à compter du moment où, en mars 2013, suite à l’envoi par M. [H] du budget de coproduction initial mis à jour, Mme [R] a eu connaissance de ce budget et contesté le montant de la valorisation de l’album et de son apport en fonds propres. Elle fait valoir que ZZ PRODUCTIONS a toujours pris le soin de tenir informée Mme [R] en lui adressant le budget prévisionnel actualisé à chaque étape du projet ; que depuis 2013, Mme [R] (ou son agent) et ZZ PRODUCTIONS (M. [H]), assistés de leurs conseils respectifs, ont régulièrement échangé au sujet du budget prévisionnel tel que convenu fin octobre 2012 ; que dès mars 2013, Mme [R] avait parfaitement connaissance du budget prévisionnel et aurait pu engager une action sur le fondement de la responsabilité contractuelle si elle estimait que les engagements des parties n’étaient pas respectés ; que le budget soit établi de manière prévisionnelle ou qu’il soit définitivement réalisé à la fin de la production de l’album, le point de départ du délai de prescription reste le même, à savoir la connaissance des prétendues « modifications unilatérales » contestées depuis 2013 par Mme [R]. Sur le fond, elle soutient qu’elle n’a pas modifié unilatéralement le budget, mais s’est contenté d’exécuter son obligation de mettre à jour le budget prévisionnel en fonction des dépenses réellement engagées (et le cas échéant des nouvelles dépenses décidées par Mme [R]) et des produits destinés à financer ces dépenses, dont des subventions dont le montant n’est jamais connu avec certitude avant l’obtention effective.

Ceci étant exposé, en application de l’article L. 110-4 du code de commerce, les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.

Le point de départ de la prescription de l’article L.110-4 du code de commerce se situe au jour où le créancier connaît ou devrait connaître les faits lui permettant d’exercer son action.

En l’espèce, il ressort des pièces au dossier que le 31 octobre 2012, M. [H] (ZZ PRODUCTIONS) a adressé à Mme [R] un budget prévisionnel faisant apparaître un financement de 109 340 € reposant notamment sur des apports en « fonds propres » de Mme [R] et de la société ZZ PRODUCTIONS à hauteur, respectivement, de 45 000 € et 30 300 € (pièce 2 ZZ PRODUCTIONS) ; que le 2 mars 2013, postérieurement aux contrats régularisés le 19 décembre 2012, M. [H] a adressé par mail un nouveau budget prévisionnel à Mme [R], faisant apparaître un financement réajusté à 106 340 €, un apport de Mme [R] de 46 000 € dont 38 000 € en « cash » et pour ZZ PRODUCTIONS une valorisation de « 15 000 HT (réal) + 6 100 HT (prod exé) + 9 200 HT (gestion coprod) = 30 300 HT » ; que le 4 mars 2013, Mme [R] a contesté le montant de son apport en « cash », de 36 000 € selon elle et non de 38 000 € comme indiqué par M. [H], revendiquant ainsi une valorisation de son apport en industrie de 10 000 € et non de 8 000 €, M. [H] répondant que la répartition des apports de chacun avait été évaluée ensemble et validée par leurs avocats respectifs (pièce 4 ZZ PRODUCTIONS) ; que le 25 mars 2013, Mme [R] a écrit à M. [H] qu’elle souhaitait faire le point sur le projet de budget et clarifier certaines questions : « Ensuite et surtout, dans le détail de ce qui figure comme « apport en fonds propres » de ZZ, il n’y a plus le moindre apport en cash. Or, un apport en cash de ZZ que tu as toi-même proposé, est la base sur laquelle nous avons convenu de la coproduction. C’est sur cette base et aucune autre que les parts ont été évaluées et que mon avocat a négocié l’accord avec ton avocat (‘) A part la gestion de la coprod (‘) je n’ai validé aucun autre apport en industrie de ZZ (‘) le poste budgétaire intitulé « apports en fonds propres » est vidé de son sens s’il n’y a pas d’apports en cash (‘) » (pièce 8 Mme [R]) ; que le 12 avril 2013, les parties échangeaient de nouveau sur le budget, Mme [R] écrivant notamment « Je ne demande rien qui sorte de mes engagements pris, rien qui soit un revirement ou une remise en cause de ce qui a été convenu (‘) il est donc urgent que le problème du budget soit réglé d’une façon qui soit conforme non seulement aux obligations raisonnables de chacun mais aux besoins de financement. Je veux simplement un budget qui ait du sens et qui accorde à chacun ce à quoi il a droit », et M. [H] répondant le jour même, se référant à une précédente conversation téléphonique : « nous avons longuement parlé car j’avais des difficultés à comprendre tes inquiétudes. Il en est ressorti que nous étions d’accord sur la validité du budget de co-prod du 30 octobre 2012 qui a servi de base à la conclusion de nos accords de co-production. Dans ce budget parfaitement équilibré nous avons validé ensemble toutes les dépenses et le financement. La rubrique « apports en fonds propres correspond à l’ensemble de apports des co-producteurs, que ces apports soient en numéraire ou en industrie
1: Mise en gras rajoutée par la cour.

(‘)» (pièce 6 ZZ PRODUCTIONS) ; que le 17 avril 2013, Mme [R] revenait sur la nature de l’apport de la société ZZ PRODUCTIONS, indiquant notamment « Avant que tu ne détailles tes apports dans le mail du 2 mars, j’avais cru comprendre en approuvant le 1er budget que, au minimum, la dépense en prod exe était prise en charge par les 4 % et que, de ce fait, ZZ en assurait le financement en numéraire, payant au moins en partie la contrepartie des 10 000 correspondant aux 4 points de réal que je lui ai cédés. Mais j’ai découvert que ZZ en faisait un apport en industrie. Le résultat c’est que, non seulement, mon apport en point de réal n’est pas compté mais, en plus, ZZ se l’approprie et le compte en apport industrie. C’est irrégulier et je ne peux approuver le budget en l’état », et demandait en conséquence à M. [H] de corriger le budget (pièce 6 ZZ PRODUCTIONS).

Au vu de ces éléments, il doit être considéré, avec les premiers juges, que dès le mois de mars 2013, Mme [R] avait connaissance du fait que l’apport « en fonds propres » de la société ZZ PRODUCTIONS consisterait en réalité en un apport en industrie, ce qu’au demeurant elle admet (pages 12 et 13 de ses écritures, § 49). Or, son assignation est du 20 avril 2021, donc postérieure à l’expiration du délai de prescription de 5 ans qui a commencé à courir en mars 2013.

Mme [R] soutient désormais en appel que sa contestation porte en réalité sur l’effectivité des prestations réalisées par la société ZZ PRODUCTIONS au titre de son apport en industrie, et que ce n’est qu’à compter de la communication du budget réalisé, en 2017, et plus nettement à partir de janvier 2019 (date d’une lettre officielle du conseil de la société ZZ PRODUCTIONS), qu’il lui a été possible de juger de l’exécution par la société ZZ PRODUCTIONS de ses obligations au titre de son apport en industrie. Mais la société intimée objecte, sans être utilement démentie, que ses prestations ont été réalisées essentiellement entre 2012 et 2015 et que l’assignation de Mme [R] intervient plus de 6 ans après la sortie de l’album. En outre, l’effectivité de l’apport en industrie de la société ZZ PRODUCTIONS était déjà discutée dans les échanges précités : ainsi, dans son mail du 17 avril 2013, Mme [R] contestait le contenu de l’apport en industrie de sa partenaire « Tu me donnes une longue définition de l’apport en industrie dans ton mail (‘) Le problème c’est que tu détailles toi-même en charges la réal comme suit : Réal : 15 000 ht + 4% de redevances »Le problème c’est que tu mentionnes les 4 % mais tu ne les comptes pas, ni en dépenses ni en apport (‘) » ; le sujet est encore discuté en 2014 puisque dans un courriel du 3 mars 2014, M. [E], manager de Mme [R], écrit à M. [H] : « Je n’ai pas l’intention de remettre en cause tout ton budget, néanmoins il y a des points que j’ai besoin de voir avec toi : la production exécutive du disque était déjà inclue dans le forfait de réalisation. Cela devrait donc être maintenu d’autant que vous avez valorisé un apport en industrie de 9200 e de gestion de la co-production. Que contient-il sinon ‘… D’autre part, [F] a pris à sa charge les tâches de production exécutive suivantes : captation vidéo Live Session (‘) Séance Photo (‘) Site internet (‘) CD promo (‘) Suivi de l’artwork avec le Groupuscule. Prise de contact avec un graphiste (‘) Ces tâches font normalement partie de vos prérogatives en tant que label et non des siennes, et ce tel que prévu par vos accords. Vous ne pouvez pas de ce fait maintenir vos apports en l’état compte tenu du travail qu’elle a fourni ces derniers mois, au dépend de son travail de création (‘) », ce à quoi M. [H] répond le 6 mars « Concernant tes commentaires au sujet de la valorisation de nos apports en industrie et du devis initial de ZZ Productions en amont de nos accords (‘), je te renvoie à mon précédent email ainsi qu’aux nombreux autres échanges avec [F] sur ce sujet avant ton arrivée (‘) » et explique sa position. Enfin, le budget réalisé daté du 31 décembre 2015, qui a été adressé à Mme [R] le 1er avril 2017, ne contient pas plus d’informations quant à l’apport de la société ZZ PRODUCTIONS, si ce n’est que les apports des parties sont désormais qualifiés d’apports « en fonds propres et en industrie », l’apport en industrie de la société se montant à 30 300 €, comme dans les budgets prévisionnels précédents, et que s’y ajoute un apport en fonds propres supplémentaire de 1 496 € finalement consenti par la société ZZ PRODUCTIONS, ce dont Mme [R] ne se plaint pas (pièce 11 Mme [R]).

Il en découle que dès le mois d’avril 2013, et au plus tard en octobre 2014, au moment de la sortie de l’album, Mme [R] disposait des éléments lui permettant de connaître les manquements contractuels allégués de la société ZZ PRODUCTIONS au titre de la réalisation de son apport en industrie.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a dit prescrite la demande de Mme [R] au titre de l’inexécution par la société ZZ PRODUCTIONS de son obligation de financement de la coproduction de l’album.

Sur la demande relative à l’inexécution par ZZ PRODUCTIONS de son obligation de tenir une comptabilité sincère et exacte de la coproduction de l’album et de se comporter en bon gestionnaire de la coproduction (9 200 €)

Mme [R] soutient qu’au mépris de ses obligations légales (articles L. 123-12 suivants et R. 123-172 et suivants code du commerce) et contractuelles (articles 6.1 et 6.2 du contrat de coproduction), la société ZZ PRODUCTIONS :

– s’est abstenue de respecter les délais qui lui incombaient en établissant et en adressant les comptes à Mme [R] avec d’importants retards,

– a commis de nombreuses fautes, à son détriment, au sein des budgets dont elle avait pourtant la charge : qu’ainsi, le budget comporte de nombreuses erreurs à son détriment, s’agissant tant du total de ses apports (44.285,85 euros, et non 43.685,85 euros) ou du total général de financement (113.788,96 euros, et non 112.744,88 euros), que du fait que la subvention ADAMI de 10 000 € et le produit des ventes directes ont indûment été portés au débit de Mme [R] ; qu’en refusant de procéder à un encaissement régulier du produit des ventes directes sur facture émise par la comptabilité de la coproduction, la société ZZ PRODUCTIONS a non seulement faussé les comptes de la coproduction, au détriment des intérêts de sa cocontractante, mais a également manqué gravement à ses obligations en profitant, dans son intérêt exclusif, de ses prérogatives de gestionnaire de la coproduction.

La société ZZ PRODUCTIONS soutient que la demande est prescrite dès lors que ces faits prétendus sont connus de Mme [R] depuis 2015. Sur le fond, elle répond qu’elle a toujours établi et adressé les décomptes par voie postale à Mme [R] après la clôture de chaque exercice, Mme [R] n’ayant d’ailleurs pas fait état de la moindre réclamation à ce titre avant 2017 ; que les erreurs minimes relevées par l’appelante ont été rectifiées de longue date ; que Mme [R] ne peut prétendre s’approprier la subvention ADAMI, destinée à financer la promotion de l’album et obtenue en grande partie grâce au travail de ZZ PRODUCTIONS ; que les griefs relatifs à un encaissement irrégulier du produit des ventes directes sont incompréhensibles et nullement étayés ; que plus généralement, ne sont pas démontrés les manquements reprochés dans sa prestation de gestion de la coproduction.

Ceci étant exposé, la fin de non-recevoir tirée de la prescription présentée par la société ZZ PRODUCTIONS dans le corps de ses écritures n’est pas reprise dans le dispositif desdites écritures, de sorte que la cour n’en est pas valablement saisie, en application de l’article 954 du code de procédure civile selon lequel la cour ne statue que sur les prétentions « énoncées au dispositif », et que le jugement, non remis en cause en ce qu’il a déclaré cette demande recevable, n’est pas contesté et doit être confirmé pour les justes motifs qu’il comporte.

Sur le fond, l’article 6.2 du contrat de production prévoit que les comptes seront arrêtés les 30 juin et 31 décembre de chaque année et adressés au coproducteur dans les 4 mois suivants accompagnés des règlements. C’est à juste raison que le tribunal a estimé que les retards allégués dans la reddition des comptes ne sont pas établis, la société ZZ PRODUCTIONS produisant les décomptes semestriels de la coproduction établis du 31 décembre 2015 au 31 décembre 2020 (sa pièce 18) et affirmant, sans être contredite qu’elle a toujours envoyé les décomptes par voie postale à Mme [R] qui, avant 2017, ne s’est pas plainte de retards. La pièce 13.3 de l’appelante relative au décompte de juin 2017 n’est nullement probante, montrant seulement que la société ZZ PRODUCTONS a demandé le 8 novembre 2017 à l’expert-comptable de Mme [R] de fournir des informations afin de pouvoir arrêter les comptes au 31 juin 2017, ce qui en l’absence de réponse de l’intéressé, a nécessité une relance le 30 novembre, amenant une réponse du 20 décembre 2017 de l’avocat de Mme [R] et l’envoi du décompte le 25 décembre suivant, soit avec un retard de 2 mois qui n’apparaît donc pas imputable à la société ZZ PRODUCTIONS. Les pièces 19.2 et 19.3 de l’appelante ne démontrent pas davantage les retards allégués.

La société ZZ PRODUCTIONS reconnait de minimes erreurs dans le budget réalisé au 31 décembre 2015 qu’elle affirme avoir rectifiées ‘ ce qui est corroboré par la lettre de son conseil du 3 janvier 2019 au conseil de Mme [R] qui indique en outre que les budgets et décomptes ont été communiqués au cabinet d’expertise comptable missionné par Mme [R] ‘ et qui ne sont, en tout état de cause, pas de nature à fonder le grief d’insincérité des comptes de la coproduction.

Le contrat de coproduction prévoit en son article 3.1, que les « subventions seront affectées en priorité aux dépenses de production et d’exploitation non encore effectuées et au remboursement des frais avancés par le producteur et le coproducteur au prorata de leurs apports respectifs ». C’est à juste raison, par des motifs adoptés par la cour, que le tribunal a estimé que la subvention ADAMI, qui avait pour objet de soutenir le projet de réalisation de l’album Alwane et sa promotion, doit, en raison de cet objet mais également des stipulations du contrat prévoyant que les subventions entreraient dans le champ du budget de la coproduction, contribuer au financement de la coproduction. Mme [R] se devait donc, au titre de ses obligations contractuelles, d’apporter cette somme de 10 000 € à la coproduction, de sorte que l’enregistrement de cette somme au débit de son compte par la société ZZ PRODUCTIONS ne peut mettre en cause la régularité et la sincérité de la comptabilité.

En ce qui concerne les ventes directes, il est spécialement reproché à la société ZZ PRODUCTIONS d’avoir indûment porté au débit de l’artiste, dans le décompte de juin 2017, une somme de 2 730 € correspondant au produit de la vente de 123 CD réalisée directement par Mme [R], d’avoir indiqué une somme TTC au lieu d’une somme HT, et d’avoir antidaté le décompte. Mais il a été dit que l’établissement du décompte de juin 2017 nécessitait la communication par Mme [R] d’informations qu’elle n’a fournies que fin décembre 2017. Par ailleurs, la société ZZ PRODUCTIONS répond, sans être utilement démentie, que Mme [R] devait reverser le produit des ventes directes de CD à la coproduction, ce qu’elle n’a pas fait, pas plus qu’elle n’a spontanément communiqué le chiffre de ces ventes, ce qui l’a obligée à porter la somme concernée au débit de son compte sous forme d’avance et que Mme [R] n’étant pas assujettie à la TVA, elle ne pouvait reverser la TVA collectée à l’occasion des ventes directes des albums, de sorte qu’elle-même était tenue de mentionner les sommes correspondantes TTC.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté Mme [R] de sa demande en paiement de la somme de 9 200 € au titre de l’obligation de la société ZZ PRODUCTIONS de tenir une comptabilité sincère et exacte.

Sur la demande relative au refus de la société ZZ PRODUCTIONS de permettre le contrôle de la comptabilité de la coproduction et aux frais engagés pour la réalisation de la mission d’audit (1 872 €)

Mme [R] soutient qu’en application de l’article L.212-15 du code de la propriété intellectuelle qui régit le contrat d’artiste et qui est en vigueur depuis le 1er novembre 2016, à la demande de l’artiste, le producteur à l’obligation de fournir à l’expert-comptable « toutes justifications propres à établir l’exactitude de ses comptes » ; qu’après l’entrée en vigueur de ce texte, elle a réclamé à plusieurs reprises, notamment via son expert-comptable, la reddition des comptes à ZZ PRODUCTIONS ; qu’en outre, l’article 6.3 du contrat de coproduction prévoyait la possibilité pour Mme [R] de « faire assurer le contrôle des recettes une fois par an par l’entremise d’un expert-comptable » ; que ZZ PRODUCTIONS s’est dérobée aux obligations des deux contrats, d’artiste et de coproduction, alors qu’elle était doublement tenue de remettre les comptes à l’expert-comptable, sans invoquer aucune restriction ; qu’en vertu de l’article 6.2 du contrat, il incombait de surcroît à ZZ PRODUCTIONS de tenir une comptabilité des recettes et dépenses de la coproduction, les comptes devant être arrêtés les 30 juin et 31 décembre de chaque année et adressés au coproducteur dans les 4 mois suivants ; que ZZ PRODUCTIONS n’a jamais exécuté cette obligation ; que face aux incohérences qui émaillaient les comptes de la coproduction de l’album, Mme [R] s’est vue contrainte de mandater un expert aux fins d’un audit, engageant ainsi la somme de 1 872 euros ; que ZZ PRODUCTIONS a entravé le bon déroulement de la mission d’audit, d’une part, en refusant à de nombreuses reprises la communication des pièces nécessaires à cet audit, malgré les relances de l’expert, d’autre part, en demandant à Mme [R] de prendre en charge les frais de l’examen des comptes alors qu’elle avait déjà payé les honoraires de l’expert ; que cette attitude justifie à la fois la communication forcée des pièces comptables nécessaires à la réalisation de l’audit et l’allocation de la somme de 1 872 € correspondant aux frais déjà engagés.

La société ZZ PRODUCTIONS oppose qu’elle a répondu aux demandes du cabinet d’expert-comptable, offrant d’organiser une réunion de travail afin d’examiner les comptes de la coproduction ; que le cabinet n’a pas donné suite ; que la demande de communication de ses grands-livres n’est pas prévue par le contrat et est disproportionnée, d’autant que Mme [R] ne fait état d’aucune irrégularité révélée par le premier audit ; que le contrat de coproduction ne prévoyant pas que les frais seraient supportés par telle ou telle partie, Mme [R] devait supporter les frais de l’audit qu’elle a commandé, d’autant plus que cet audit n’a révélé aucune faute et/ou erreur de la part de ZZ PRODUCTIONS.

Ceci étant exposé, l’article 6 du contrat de production (« Reddition de comptes -Audit ») prévoit que « 6.1 Le Coproducteur tiendra une comptabilité des recettes et dépenses de la coproduction. [‘] 6.3 Le Producteur pourra faire assurer le contrôle des recettes une fois par an par l’entremise d’un expert-comptable tenu au secret professionnel, et ce avec un préavis de 8 jours ouvrables ». En outre, l’article L. 212-15 du code de la propriété intellectuelle prévoit notamment qu’à la demande de l’artiste-interprète, le producteur de phonogrammes fournit à un expert-comptable mandaté par l’artiste-interprète toutes justifications propres à établir l’exactitude de ses comptes.

C’est à juste raison que le tribunal a estimé que Mme [R] ne démontrait pas le refus de la société ZZ PRODUCTIONS de permettre l’examen des comptes au cours de l’audit initié par elle au vu d’une lettre du 31 octobre 2017 adressée par la société ZZ PRODUCTIONS à l’expert-comptable mandaté par l’artiste, lui indiquant que son propre expert-comptable était à sa disposition pour organiser une réunion de travail afin d’examiner les comptes de la coproduction (pièce 14 appelante), proposition à laquelle il n’est pas contesté qu’aucune suite n’a été donnée, l’expert-comptable missionné par Mme [R] se bornant à réclamer, par courrier du 8 janvier 2018, le grand livre général des comptes 2015 et le grand livre analytique de la production 2015 qu’il lui avait pourtant été offert de consulter dans les locaux de la société coproductrice. Contrairement à ce que soutient l’appelante, rien ne permet de considérer que par son courrier du 31 octobre 2017, la société ZZ PRODUCTIONS « entendait (‘) faire comprendre [à l’experte mandatée] qu’elle ne pourrait pas mener à sa guise l’examen de certaines pièces comptables, notamment les grands livres qu’elle a obstinément refusé de lui envoyer », le courrier du 31 octobre 2017 indiquant expressément que l’examen des comptes dans les locaux de la société ZZ PRODUCTIONS se ferait « dans les limites du secret professionnel garanti par la déontologie de [la] profession » de l’expert, précaution qui visait manifestement la communication des grands livres réclamés, lesquels en effet ne se rapportent pas exclusivement à la coproduction litigieuse et sont susceptibles de contenir des informations confidentielles. Il est relevé que l’offre contenue dans la lettre du 31 octobre 2017 a été renouvelée dans un courrier de l’avocat de l’intimée à l’avocat de Mme [R] du 3 janvier 2019 qui précise au demeurant que divers documents ont été transmis à l’expert (états de recettes-dépenses et l’ensemble des justificatifs demandés pour les exercices 2015 et 2016) avec le courrier du 31 octobre 2017 (pièce 67 appelante).

En outre, Mme [R] ne justifie pas avoir, précédemment à ce courrier du 31 octobre 2017, réclamé « à plusieurs reprises, notamment via son expert-comptable, la reddition des comptes ».

Le contrat de coproduction ne prévoyant pas que les frais d’audit seront supportés par telle ou telle partie, il n’est pas anormal, en l’absence de précision sur ce point, que Mme [R] qui a souhaité procéder à l’audit en assume la charge financière, et ce d’autant qu’il n’est pas démontré que l’audit ‘ dont le rapport final n’est pas fourni par l’appelante alors qu’elle fournit une note d’honoraires du cabinet mentionnant un « compte-rendu d’audit » ‘ ait révélé des fautes ou erreurs de la part de la société ZZ PRODUCTIONS.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a débouté Mme [R] à la fois de sa demande en paiement de la somme de 1 872 € correspondant aux frais de l’audit et de sa demande de communication de pièces comptables.

Sur la demande relative à l’inexécution par la société ZZ PRODUCTIONS de son obligation de partage des recettes perçues par la coproduction (5 733,30 €)

Mme [R] fait valoir qu’aux termes de l’article 4.1 du contrat de coproduction, les parties sont convenues que les recettes nettes perçues par la coproduction devaient être partagées à raison de 60 % pour le producteur (Mme [R]) et 40 % pour le coproducteur (ZZ PRODUCTIONS) ; que par exception, il était toutefois convenu que les recettes perçues au titre des droits voisins de producteur de phonogramme seraient partagées à parts égales entre Mme [R] et ZZ PRODUCTIONS ; que ZZ PRODUCTIONS n’a pas réglé à Mme [R] les sommes qui lui étaient dues à ce titre, soit au total, 5 733,30 € (soit, si l’on déduit des recettes totales perçues par la coproduction à partager (i) la subvention de 10 000 € et (ii) la somme de 2 730 € relatives aux ventes directes : 60 % de 7 188, 42 € = 5 338,40 € + 1 025,35 € au titre des droits voisins).

La société ZZ PRODUCTIONS fait valoir que la subvention de 10 000 euros devait bien être intégrée en recettes au budget de la coproduction, en vertu des dispositions de l’article 3 du contrat de coproduction, de sorte que la somme réclamée n’est pas due.

Ceci étant exposé, il a été dit que la subvention de 10 000 € devait être intégrée en recettes au budget de la coproduction en vertu de l’article 3 du contrat de coproduction et portée au débit du compte de Mme [R], et qu’il en est de même de la somme de 2 730 € correspondant aux ventes directes de CD réalisées par Mme [R], ce dont Mme [R] ne tient pas compte dans le calcul qu’elle propose. Il en résulte, comme l’ont retenu les premiers juges, que sa demande en paiement de la somme de 5 733,30 €, inférieure aux deux sommes que la société ZZ PRODUCTIONS était fondée à déduire de son compte, n’est pas fondée.

Le jugement sera également confirmé en ce qu’il a débouté Mme [R] de ce chef de demande.

Sur la demande relative au préjudice moral subi à raison de l’exécution déloyale du contrat de co-production (10 000 €)

Mme [R] soutient que ZZ PRODUCTIONS a refusé de poursuivre la promotion de l’album après 2015, soit moins de 6 mois après la sortie du disque alors qu’une promotion d’une durée de 18 mois était prévue par le contrat d’artiste (article 3.4), ruinant ainsi toute chance de réussite de l’album et les espoirs de l’artiste ; que ZZ PRODUCTIONS s’est en outre volontairement abstenue d’exécuter ses obligations de coproducteur au titre du contrat de coproduction et de producteur au titre du contrat d’enregistrement à titre exclusif, lui a laissé la charge totale de la coproduction ‘ charge de travail et charge financière ‘, la menaçant de quitter le projet en cas de désaccord et refusant toute transaction amiable malgré ses relances ; qu’elle a ainsi anéanti trois années de travail et les 49.000 euros investis par l’appelante sans contrepartie ; qu’en outre, ZZ PRODUCTIONS a exécuté les contrats de mauvaise foi, d’une part, en ne révélant pas dès le départ son intention de réaliser une marge bénéficiaire, d’autre part, en réalisant une marge bénéficiaire alors que ses apports n’étaient que des apports en industrie, et ce en violation de l’article 1843-3 du code civil selon lequel « l’associé qui s’est obligé à apporter son industrie à la société lui doit compte de tous les gains qu’il a réalisés par l’activité faisant l’objet de son apport », se comportant davantage en prestataire de services qu’en coproducteur, enfin en ne rendant pas compte à Mme [R] de la marge qu’elle avait réalisée ; que ces agissements lui ont causé une souffrance morale importante, ainsi que la perte d’une chance de rencontrer un succès artistique plus étendu.

La société ZZ PRODUCTIONS soutient que la demande au titre du préjudice moral subi par Mme [R] constitue une prétention nouvelle, irrecevable en cause d’appel. Sur le fond, elle répond que les reproches qui lui sont adressés ne sont pas fondés ; que le préjudice moral et la souffrance morale prétendus ne sont étayés par aucune pièce, outre que l’indemnisation réclamée au titre du préjudice moral fait double emploi avec les autres sommes réclamées, le fait générateur étant identique ‘ une prétendue inexécution contractuelle ‘ et que les préjudices ne sont pas distincts ; qu’elle a parfaitement rempli sa mission contractuelle et accompli de nombreuses prestations sans contrepartie afin d’être agréable à Mme [R], ces prestations n’ayant jamais été valorisées ni comptabilisées dans la coproduction ; que Mme [R] n’a subi aucun préjudice de carrière ou perte de chance que son enregistrement soit davantage exploité ; qu’en effet, grâce au travail de promotion de ZZ PRODUCTIONS, l’album a eu de très bonnes retombées médiatique ; que ZZ PRODUCTIONS n’a pas refusé d’assurer la promotion au-delà de 2015, mais a seulement refusé d’augmenter le budget alloué à ce poste face au manque de trésorerie.

Ceci étant exposé, la lecture du jugement déféré (page 3) révèle que Mme [R] formait déjà en première instance une demande indemnitaire au titre de son préjudice moral. Sa demande n’étant donc pas nouvelle, elle est recevable et la fin de non-recevoir de la société ZZ PRODUCTIONS sera rejetée.

Sur le fond, l’appelante produit des courriels des 3 mars, 5 mai et 10 novembre 2015 (sa pièce 33) dans lesquels la société MUSIC UNIT (partenaire de la société ZZ PRODUCTIONS et dirigée notamment par M. [H]) indique à l’agent de Mme [R] : « Pour le titre de [F], nous sommes contents qu’elle ait de nouveaux titres mais pour l’instant l’argent manque cruellement à la co-prod, de plus nous sommes en attente de savoir de ce qu’il se passe avec la sub de l’Adami » ; « En conclusion, vous pouvez donc bien constater que cet état des comptes corrobore la ligne défendue par ZZ Productions depuis plusieurs semaines. La coproduction n’est pas en position actuellement d’engager de nouvelles dépenses faute de trésorerie’ ; « Pour l’heure nous souhaitons donc interrompre les dépenses de promotion et donc de ne plus continuer à dépasser le budget alloué à ce poste ». Il ne peut être déduit de ces courriels que la société ZZ PRODUCTONS a fautivement refusé de poursuivre la promotion de l’album au-delà de l’année 2015, mais seulement qu’elle a refusé d’augmenter le budget promotionnel prévu en invoquant un manque de trésorerie, le contrat de coproduction prévoyant en son article 3 que tout dépassement du budget devait être décidé d’un commun accord, ce dont il ne résultait pas, pour la société ZZ PRODUCTIONS, une obligation de consentir à un tel dépassement.

Mme [R] ne précise pas quelles sont les tâches incombant à la société ZZ PRODUCTIONS que celle-ci n’aurait pas exécutées, alors que l’intimée détaille précisément le contenu de ses prestations de coproducteur correspondant à son apport en industrie (pages 28 et 29 de ses conclusions), outre diverses tâches supplémentaires qu’elle indique avoir assumées dans l’intérêt de la coproduction et de Mme [R] sans les valoriser dans le cadre de ses apports, ni les facturer à la coproduction (cachets de musiciens, photos, mise à disposition du studio de la société MUSIC UNIT’). La société ZZ PRODUCTIONS affirme ‘ tableau joint à l’appui (sa pièce 17) ‘ qu’elle a envoyé pas moins de 2 600 courriels depuis 2012 concernant la coproduction de l’album de Mme [R], ce qui ne traduit pas le désengagement allégué. Il a été dit enfin que l’intimée avait en outre apporté en fonds propres une somme de 1 496 €. Mme [R] ne peut donc pas être suivie dans son affirmation selon laquelle la société ZZ PRODUCTIONS lui a laissé la charge totale de la coproduction ‘ charge de travail et charge financière.

Mme [R] reproche à la société ZZ PRODUCTIONS d’avoir réalisé une marge bénéficiaire de 9 200 €. Il ressort cependant du dossier que cette somme correspond à un apport en industrie fourni par la société ZZ PRODUCTIONS dans le cadre d’une mission de gestion de la coproduction ‘ prévue au contrat de production (article 5 « Gérance de la coproduction – 5.1. Le coproducteur sera gérant de la coproduction ») ‘ qui s’est ajoutée à ses missions initiales concernant la production exécutive et la réalisation artistique de l’album, et qui a recouvert des prestations qu’elle détaille précisément en pages 26 et 27 de ses écritures (négociation et obtention d’une lettre d’engagement unilatéral du distributeur, recherche de partenaires (labels, éditeurs, management’), contrat de distribution avec MUSICAST, aides et subvention, prospection pour diffusion du clip, comptabilité’).

L’exécution déloyale du contrat de coproduction par la société ZZ PRODUCTIONS et la mauvaise foi de cette dernière ne se trouvant pas démontrées, la demande de réparation d’un préjudice moral de Mme [R] ne peut prospérer.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté Mme [R] sur ce point.

Sur la demande de Mme [R] de restitution des « bandes masters » et des documents graphiques relatifs à l’album

Mme [R] sollicite la restitution des bandes masters (supports audios originaux utilisés aux fins de la première fixation de l’album) ainsi que des documents graphiques.

La société ZZ PRODUCTIONS oppose que Mme [R] ne développe aucun argument à l’appui de sa demande.

La décision du tribunal de rejeter la demande de Mme [R] est justifiée au regard de l’article 1.2 du contrat de coproduction qui stipule que « Les biens meubles qui constituent les bandes matrices relatives à l’enregistrement seront la propriété indivise des coproducteurs, et ce pendant la durée de protection des enregistrements et ses éventuelles prorogations » et de l’absence de développement dans les écritures de l’appelante pour motiver sa prétention.

Le jugement sera également confirmé de ce chef.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Mme [R], partie perdante, sera condamnée aux dépens d’appel, dont distraction au profit de l’AARPI PHI dans les conditions prévues à l’article 699 du code de procédure civile, et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu’elle a exposés à l’occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

La somme qui doit être mise à la charge de Mme [R] au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la société ZZ PRODUCTIONS peut être équitablement fixée à 3 000 €, cette somme complétant celle allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme le jugement,

Dit recevable mais non fondée la demande de Mme [R] relative au préjudice moral subi à raison de l’exécution déloyale du contrat de co-production par la société ZZ PRODUCTIONS,

Condamne Mme [R] aux dépens d’appel, dont distraction au profit de l’AARPI PHI dans les conditions prévues à l’article 699 du code de procédure civile,

Condamne Mme [R] à payer à la société ZZ PRODUCTONS la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


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