Your cart is currently empty!
4 février 2015
Cour d’appel de Bordeaux
RG n°
14/04657
COUR D’APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE – SECTION A
————————–
ARRÊT DU : 04 FÉVRIER 2015
(Rédacteur : Madame Isabelle Lauqué, Conseiller)
PRUD’HOMMES
N° de rôle : 14/04657
Monsieur [K] [V]
c/
SARL Sphère France
Nature de la décision : CONTREDIT
Notifié par LRAR le :
LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :
La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par
voie de signification (acte d’huissier).
Certifié par le Greffier en Chef,
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 juillet 2014 (RG n° F 14/00023) par le Conseil de Prud’hommes – formation paritaire – de Bergerac, section Activités Diverses, suivant déclaration de contredit du 18 juillet 2014,
DEMANDEUR AU CONTREDIT :
Monsieur [K] [V], profession musicien, demeurant chez
[Adresse 1],
Représenté par Maître Laurent Klein, avocat au barreau de Paris,
DÉFENDERESSE AU CONTREDIT :
SARL Sphère France, siret n° 439 777 574 00013, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, ‘[Adresse 2],
Représentée par Maître David Larrat de la SELARL H & L Conseils, avocat au barreau de Bergerac,
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 1er décembre 2014 en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Maud Vignau, Président,
Monsieur Claude Berthommé, Conseiller,
Madame Isabelle Lauqué, Conseiller,
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Monsieur Gwenaël Tridon de Rey.
ARRÊT :
– contradictoire,
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
Monsieur [K] [V], auteur compositeur de musique et la SARL Sphère France, société d’informatique ont conclu le 18 février 2012 un contrat qualifié de convention de coproduction pour assurer la réalisation et le développement de la production d’un album musical de type CD pour l’artiste Rômulo Goncalves ainsi qu’une convention de vente en ligne des produits de l’artiste.
Le 10 février 2014, M. [V] a saisi le Conseil de Prud’hommes de Bergerac afin de voir requalifier la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée et solliciter sa résiliation judiciaire.
Sur ces deux fondements, M. [V] a sollicité la condamnation de la SARL Sphère France au paiement de diverses indemnités de requalification et de rupture.
Par jugement du 7 juillet 2014, le Conseil de Prud’hommes de Bergerac, constatant l’existence d’un contrat de co-production, s’est déclaré incompétent au profit du Tribunal de Grande Instance de Bergerac.
M. [V] a formé un contredit à l’encontre de ce jugement d’incompétence.
Par conclusions régulièrement déposées et développées oralement à l’audience du 1er décembre 2014 auxquelles la Cour se réfère expressément, M. [V] conclut à la réformation du jugement attaqué.
Il demande à la Cour de juger que la relation contractuelle qui l’unit à la SARL Sphère France s’analyse en un contrat de travail et qu’en conséquence le Conseil de Prud’hommes de Bergerac était bien compétent pour connaître de ses demandes.
Il demande à la Cour d’évoquer le fond de l’affaire, de requalifier le contrat en un contrat de travail à durée indéterminée, d’en prononcer la résiliation judiciaire et donc de condamner la SARL Sphère France à lui payer les sommes suivantes :
– 1.141,85 € à titre d’indemnité de requalification,
– 1.141,85 € à titre de rappel de salaire d’enregistrement,
– 20.553,30 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et
sérieuse,
– 1.141,85 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 114,18 € au titre des congés payés y afférents,
– 3.000,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Il sollicite, enfin, la remise de ses documents de fin de contrat et le paiement des intérêts au taux légal courus depuis la saisine du Conseil jusqu’à leur parfait versement.
Par conclusions régulièrement déposées et développées oralement à l’audience du 1er décembre 2014 auxquelles il est expressément fait référence, la SARL Sphère France conclut à la confirmation du jugement attaqué et demande à la Cour de condamner M. [V] à lui payer la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts.
DISCUSSION :
– Sur la qualité de salarié et la compétence du Conseil de Prud’hommes
En application de l’article L.7121-3 du code du travail, tout contrat par lequel une personne s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un artiste du spectacle en vue de sa production, est présumé être un contrat de travail dès lors que cet artiste n’exerce pas l’activité qui fait l’objet de ce contrat dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce.
La présomption de l’existence d’un contrat de travail subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération, ainsi que la qualification donnée au contrat par les parties.
Cette présomption, qui n’est pas irréfragable, impose à celui qui la conteste de démontrer que la relation contractuelle s’inscrit dans un rapport juridique exclusif de tout lien de subordination, se traduisant dans l’exercice concret de son métier d’artiste par une capacité d’initiative effective dans son organisation matérielle, ses horaires, sa clientèle et qui supposerait l’utilisation de moyens techniques personnels ou choisis par lui.
La volonté des parties au contrat de partager les risques financiers de l’opération est également de nature à démontrer que l’artiste n’a pas entendu seulement apporter son concours à la réalisation de la production par son seul travail mais aussi de prendre une part active aux risques et aux enjeux financiers du projet artistique.
Toutefois, la seule participation aux risques financiers ne suffit pas à combattre la présomption de salariat.
En l’espèce, la SARL Sphère France ne produit à la Cour que la convention de co-production signée des deux parties et la lettre de son conseil à M. [V] en date du 22 novembre 2013.
La convention de co-production dont l’objet est de définir ‘les modalités de réalisation de la production de l’album de chansons interprétées par M. [V] et de son support aux coûts et budgets tels que décrits dans le document de référence’.
Elle précise les obligations réciproques des parties.
Il résulte de cette convention que ‘les artistes ne peuvent, pour tout ou partie du projet, imposer l’utilisation d’un produit, d’un collaborateur, d’un sous traitant ou tout partenariat à Sphère afin de mener à bien l’exécution, le développement et la réalisation de la présente convention’ et que ‘de même, les artistes ne peuvent interdire pour tout ou partie du projet l’utilisation d’un produit, d’un collaborateur, d’un sous traitant ou tout partenariat à Sphère afin de mener à bien l’exécution, le développement et la réalisation de la présente convention sauf accord express entre les deux’.
Cette convention prévoit d’autre part, dans un document annexe intitulé document de référence, les modalités de financement de la production de l’album de M. [V] supportés par moitié par ce dernier.
Ainsi, la seule pièce produite par la SARL Sphère France pour combattre la présomption édictée par l’article L.7121-3 du code du travail est la convention elle-même.
Or, la Cour constate que cette convention prévoit expressément que l’artiste qui interprète et enregistre l’album n’a aucune autonomie dans les conditions d’exécution de sa production, la SARL Sphère France ayant imposé d’être seul décideur des moyens matériels et humains destinés à mener à bien l’exécution du projet.
Dans ces conditions, la Cour constate que la convention de co-production signée entre M. [V] et la SARL Sphère France impose à l’artiste les modalités d’exécution de la production le privant de toute initiative et du libre choix des moyens et que, d’autre part, la SARL Sphère France sur qui pèse la charge de la preuve ne rapporte aucun autre élément de preuve tendant à combattre la présomption de salariat au bénéfice de M. [V].
En conséquence, jugeant que la relation contractuelle entre M. [V] et la SARL Sphère France doit être requalifiée en contrat de travail, réforme le jugement attaqué et dit que les demandes présentées par M. [V] sont de la compétence du Conseil de Prud’hommes.
– Sur le rappel de salaire
M. [V] réclame le paiement d’une somme de 1.169,70 € représen-tant 42 minutes d’enregistrement au taux de 27,85 € la minutes en application de l’article 2 du titre II de l’annexe 3 de la convention collective.
L’artiste a droit à une rémunération assimilée à un salaire pour son interprétation en vue d’un enregistrement qui requiert sa présence physique.
En application de la convention collective de l’industrie phonographique, en cas d’enregistrement, si l’employeur utilise plus de 20 minutes des interprétations de l’artiste, le salaire minimum est fixé à 28,41 € par minute d’interprétation fixée effec-tivement utilisée pour les artistes principaux.
En conséquence, pour 42 minutes d’enregistrement effectivement utilisées pour la réalisation de l’album de M. [V] ce dernier est bien fondé en sa demande et la SARL Sphère France sera condamnée à lui payer la somme de 1.141,85 € à titre de rappel de salaire.
– Sur les conséquences de la requalification
La requalification judiciaire d’un contrat à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée ouvre droit pour le salarié à une indemnité de requalification au moins égale à un mois de salaire par application de l’article L.1245- 2 du code du travail.
En l’espèce, le contrat conclu entre M. [V] et la SARL Sphère France n’était conclu que pour le temps de réalisation du projet.
Requalifié en un contrat de travail, la Cour retient qu’il n’a pas été satisfait aux exigences légales de formalisation d’un contrat à durée déterminée et qu’en conséquence, le contrat de travail doit être requalifié en un contrat de travail à durée indéterminée.
Ainsi requalifier pour défaut des mentions légales, M. [V] est bien fondé en sa demande d’indemnité de requalification.
En conséquence, la SARL Sphère France sera condamnée à payer à M. [V] la somme de 1.141,85 € au titre de l’indemnité de requalification prévue par l’article L.1245-2 du code du travail.
– Sur la résiliation judiciaire
Les manquements graves de l’employeur vis à vis de son salarié justifient la résiliation du contrat de travail à ses torts exclusifs et produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La date de prise d’effet de cette résiliation est celle de la décision l’ayant prononcée dès lors que le contrat n’a pas été rompu avant cette date.
Monsieur [V] reproche à la SARL Sphère France de ne pas remplir ses obligations de producteur et d’assurer notamment la promotion de son enregistrement tout en lui réclamant la somme de 13.471,74 € au titre de la rupture de leur relation contractuelle et sans lui verser de salaire.
La SARL Sphère France ne justifie pas avoir rempli ses obligations de producteur vis à vis de M. [V] et s’est abstenu de lui payer son salaire pour le temps d’enregistrement.
Dès lors, la demande de ce dernier tendant à la résiliation judiciaire du contrat de travail est bien fondée sur les manquements de la SARL Sphère France et elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La relation de travail débutée en février 2012 s’est poursuivie jusqu’à la date du présent arrêt qui en prononce la résiliation.
Ainsi, au jour des débats, M. [V] bénéficiait d’une ancienneté de plus de deux ans.
En conséquence, il lui sera alloué la somme de 1.141,85 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 114,18 € au titre des congés payés y afférents et enfin la somme de 8.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
– Sur les autres demandes
La SARL Sphère France sera tenue de remettre à M. [V] son certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conforme aux dispositions du présent arrêt.
Elle sera, d’autre part, condamnée à lui payer la somme de 1.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
‘ Infirme le jugement attaqué en toutes ses dispositions.
Y substituant :
‘ Dit que le Conseil de Prud’hommes de Bergerac est compétent pour connaître du litige.
Evoquant l’affaire au fond :
‘ Requalifie le contrat de co-production du 18 février 2012 en contrat de travail à durée indéterminée.
‘ Condamne la SARL Sphère France à payer à M. [V] la somme de 1.141,85 € (mille cent quarante et un euros et quatre vingt cinq centimes) à titre de rappel de salaire.
‘ Condamne la SARL Sphère France à payer à M. [V] la somme de 1.141,85 € (mille cent quarante et un euros et quatre vingt cinq centimes) au titre de l’indemnité compensatrice de préavis.
‘ Condamne la SARL Sphère France à payer à M. [V] la somme de 114,18 € (cent quatorze euros et dix huit centimes) au titre des congés payés y afférents.
‘ Condamne la SARL Sphère France à payer à M. [V] la somme de
8.000 € (huit mille euros) à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
‘ Dit que la SARL Sphère France devra remettre à M. [V] son certificat de travail et son attestation Pôle Emploi conformes aux dispositions du présent arrêt.
‘ Condamne la SARL Sphère France à payer à M. [V] la somme de
1.000 € (mille euros) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
‘ Condamne la SARL Sphère France aux dépens.
Signé par Madame Maud Vignau, Président, et par Madame Anne-Marie Lacour-Rivière, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Anne-Marie Lacour-Rivière Maud Vignau