Contrat de chargé de production : abus du CDD d’usage dans le spectacle vivant
Contrat de chargé de production : abus du CDD d’usage dans le spectacle vivant
Ce point juridique est utile ?

Doit être requalifié en CDI une succession de CDD d’usage dès lors que la salariée, chargée de production, démontre :

— d’une part, que sous couvert d’une multitude de contrats de travail à durée déterminée d’usage ou de bulletins de salaire, établis cumulativement ou alternativement depuis décembre 2008, par l’une ou l’autre des sociétés du groupe de l’employeur, elle occupait un emploi permanent au sein de la société et qui n’intervenait pas au cas par cas, selon la conclusion de spectacles ou de tournées, mais à l’année, selon des horaires déterminés, au sein d’un service organisé impliquant l’organisation à l’avance de la prise des congés entre les différents collaborateurs ou des absences, son activité lui ouvrant droit au versement d’une prime annuelle, qui caractérisent une relation de travail continue et permanente  ;

— d’autre part, que la rémunération de son travail était décorellée de l’activité concrètement exercée par l’intéressée au profit de l’une ou de l’autre des sociétés, observation faite que les contrats conclus signés avec la société étaient fort imprécis, le dirigeant des deux sociétés du groupe décidant en fonction de ses seuls intérêts, et au mépris des droits de la salariée et des règles élémentaires de comptabilité, quelle société la rémunérerait ;

— enfin, qu’en lien avec ces derniers manquements, des contrats fictifs étaient établis et signés a posteriori à seule fin de créer une apparence de conformité avec les dispositions légales impératives du contrat de travail à durée déterminée d’usage.

Aux termes de l’article L.1245-2 alinéa 2 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, si le juge fait droit à la demande du salarié tendant à la requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, hors l’hypothèse où le CDD devient un contrat de travail à durée indéterminée du seul fait de la poursuite de la relation contractuelle après l’échéance de son terme, il doit lui accorder une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire, l’indemnité de requalification ne pouvant être inférieure au dernier salaire mensuel perçu avant la saisine de la juridiction.

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE VERSAILLES

21e chambre

ARRET DU 24 JUIN 2021

N° RG 18/00603 – N° Portalis DBV3-V-B7C-SDWA

AFFAIRE :

SARL CA SE JOUE

C/

F X

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 24 Novembre 2017 par le Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de BOULOGNE BILLANCOURT

N° Chambre :

N° Section : AD

N° RG : 17/00544

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

la SELARL I & ASSOCIES

Me Lucile BRANDI SOMMERER

le :

LE VINGT QUATRE JUIN DEUX MILLE VINGT ET UN, après prorogation du DIX SEPT JUIN DEUX MILLE VINGT ET UN, les parties en ayant été avisées.

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

SARL CA SE JOUE

N° SIRET : 438 899 833

[…]

[…]

Représentant : Me Oriane Z de la SELARL I & ASSOCIES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617

Représentant : Me Laurence OBADIA, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0150

APPELANTE

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Madame F X

née le […] à Sens

de nationalité Française

[…]

[…]

Représentant : Me Lucile BRANDI SOMMERER, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0221

SARL CALUMET PRODUCTIONS

N° SIRET : 394 163 257 00022

[…]

[…]

Représentant : Me Oriane Z de la SELARL I & ASSOCIES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617

Représentant : Me Laurence OBADIA, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0150

INTIMEES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 06 Avril 2021 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,

Madame Valérie AMAND, Président,

Madame Florence MICHON, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU,

FAITS ET PROCÉDURE

Suivant de nombreux contrats de travail à durée déterminée d’usage, Mme X a été engagée à

compter du 1er janvier 2004 en qualité de chargée de productions par la société Ça se joue (ci-après CSJ), gérée par M. Y, qui exerce une activité de tourneur (production de pièces de théâtre en province) et a appliqué successivement la convention collective du spectacle vivant puis celle des entreprises du secteur privé du spectacle vivant du 3 février 2012. Selon l’employeur, compte tenu du caractère initialement discontinu de la relation contractuelle, il n’a eu recours aux services de Mme X ‘principalement’ qu’à partir de 2010 et ce pour certaines pièces de théâtre emmenées en tournée en province.

Mme X a, par ailleurs, été engagée aux termes de divers contrats de travail à durée déterminée d’usage, à compter de janvier 2009, ‘principalement’ à compter de 2010 selon l’employeur, en qualité de chargée de productions par la société Calumet Productions (ci-après CPS), qui exerce une activité de doublage de série et de dessins animés, emploie moins de onze salariés et relève de la convention collective de la production cinématographique (selon la saisine de la salariée) et des entreprises techniques au service de la création et de l’événement (selon l’employeur), société également gérée par M. Y.

Le dernier contrat conclu avec la société CPS est daté de septembre 2015.

Selon le dernier contrat conclu avec la société CSJ, daté du 30 novembre 2015, Mme X a été engagée les 5, 6, 17, 18 et 19 décembre 2015 pour un salaire brut de 2 578 euros.

La salariée a été placée en arrêt de travail du 4 au 24 décembre 2015.

Par requête du 27 janvier 2016, Mme X a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt aux fins d’entendre prononcer la requalification des contrats de travail à durée

déterminée d’usage en un contrat de travail à durée indéterminée ayant pris naissance le 1er janvier 2004. Elle a également demandé au conseil de dire les sociétés Ça se joue et Calumet Productions co employeurs de fait, de dire en conséquence, que la rupture du contrat par la survenance du terme s’analyse en licenciement sans cause réelle et sérieuse, de fixer le salaire de référence à la somme de 3 230,66 euros bruts, et de condamner en conséquence solidairement les sociétés Ça se joue et Calumet Productions au paiement des sommes suivantes :

—  3 230,66 euros au titre de la requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée,

—  1 600 euros au titre de rappel de prime annuelle pour l’année 2015, outre 160 euros pour les congés payés afférents,

—  3 940 euros à titre de rappel de prime sur vente, outre 394 euros au titre des congés payés afférents,

—  12 191,28 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,

—  6 461,32 euros au titre de l’indemnité de préavis, outre 646,13 euros au titre des congés payés afférents,

—  32 300 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

—  7 000 euros à titre de dommages-intérêts distincts,

—  1 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Les sociétés défenderesses ont sollicité du conseil qu’il déboute purement et simplement la

requérante de ses prétentions et la condamne à leur verser la somme de 2 000 euros au titre de

l’article 700 du code de procédure civile.

Le conseil de prud’hommes s’est déclaré en partage des voix le 28 février 2017 et le procès-verbal de partage des voix a été notifié le 12 juin 2017.

Par jugement de départage rendu le 24 novembre 2017, notifié le 21 décembre 2017, le conseil a statué comme suit :

– met hors de cause la société Calumet Productions ;

– requalifie les contrats à durée déterminée d’usage de Mme X conclus avec la société Ça

se joue en contrat à durée indéterminée à compter du 1er janvier 2004 ;

– dit que la rupture du lien contractuel entre Mme X et la société Ça se joue produit les

effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– condamne la société Ça se joue à verser à Mme X les sommes de :

• 2 852 euros au titre de la requalification des Contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée,

• 1 600 euros au titre de rappel de prime annuelle pour l’année 2015,

• 160 euros pour les congés payés afférents,

• 3 940 euros à titre de rappel de prime sur vente,

• 394 euros au titre des congés payés afférents,

• 5 704 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

• 570,40 euros au titre des congés payés afférents,

• 10 752,04 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,

• 22 816 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– dit que les créances salariales ainsi que la somme allouée à titre d’indemnité de licenciement sont productives d’intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l’employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation, tandis que les créances indemnitaires sont productives d’intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;

– dit qu’il sera fait application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 10 février 2016, anciennement numéroté article 1154 du même code, relatives à la capitalisation des intérêts échus ;

– dit que la société Ça se joue devra transmettre à Mme X dans le délai d’un mois suivant la

notification de la présente décision un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conformes ainsi qu’un bulletin de salaire récapitulatif ;

– déboute les parties du surplus de leurs demandes.

Le 11 janvier 2018, la société Ça se joue a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Le 4 juillet 2018, Mme X a assigné en intervention forcée la société Calumet Productions.

Par ordonnance rendue le 15 janvier 2020, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 18 février 2020.

Le 18 février 2020, les parties ont été informées par le greffe du renvoi de l’affaire à l’audience de plaidoiries du 6 avril 2021.

‘ Par dernières conclusions écrites du 4 octobre 2018, la société Ça se joue demande à la cour de :

— infirmer la décision rendue en ce qu’elle a requalifié les contrats à durée déterminée d’usage de Mme X conclus avec elle en contrat à durée indéterminée à compter du 1er janvier 2004, dit que la rupture du lien contractuel entre Mme X et elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et l’a condamnée au paiement des sommes susvisées, dit que les créances salariales ainsi que la somme allouée à titre d’indemnité de licenciement sont productives d’intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l’employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation, tandis que les créances indemnitaires sont productives d’intérêts au taux légal à compter du présent jugement ; dit qu’il sera fait application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 10 février 2016, anciennement numéroté article 1154 du même code, relatives à la capitalisation des intérêts échus, dit qu’elle devra transmettre à Mme X dans le délai d’un mois suivant la notification de la présente décision un certificat de travail et une attestation Pôle-emploi conformes ainsi qu’un bulletin de salaire récapitulatif ; débouté les parties du surplus de leurs demandes et l’a condamnée à payer à Mme X la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux

dépens ;

— statuant à nouveau, dire et juger réguliers les contrats à durée déterminée d’usage successifs signés entre Mme X et elle, condamner Mme X à lui restituer les sommes versées en paiement des condamnations prononcées par le conseil des prud’hommes, débouter Mme X du versement de l’indemnité de requalification de 2 852 euros ;

S’agissant des demandes sur l’exécution du contrat de travail, débouter Mme X du paiement

de :

• 1 600 euros au titre de rappel de prime annuelle pour l’année 2015,

• 160 euros au titre des congés payés afférents,

• 3 940 euros au titre de rappel de prime sur vente,

• 394 euros au titre des congés payés afférents,

— S’agissant des demandes formulées sur la rupture du contrat, dire et juger que la relation de travail a été rompue à la seule initiative de Mme X, et débouter la salariée du paiement des sommes suivantes :

• 5 704 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

• 570,40 euros au titre des congés payés afférents,

• 10 752,04 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,

• 22 816 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

— À titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour analysait la rupture de la relation de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse, fixer l’ancienneté de Mme X à 5 ans et 11 mois, et fixer son indemnisation comme suit :

— indemnité compensatrice de préavis à 5 704 euros et congés payés afférents à 570 euros,

— indemnité conventionnelle de licenciement à 4 218 euros,

— indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 8 556 euros,

— En tout état de cause, condamner Mme X à une amende civile de 3 000 euros et à lui payer

la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens qui seront recouvrés par M. Z, H I Avocats, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

‘ Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 5 juillet 2018, Mme X demande à la

cour de confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu’il a écarté la demande de condamnation

solidaire et reconnaissance d’une situation de co-emploi en conséquence de :

— dire les sociétés Ça se joue et Calumet co-employeurs de fait de Mme X,

— condamner en conséquence solidairement les sociétés Ça se joue et Calumet Productions aux sommes suivantes :

• 3 230,66 euros au titre de la requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée,

• 1 600 euros au titre de rappel de prime annuelle pour l’année 2015, outre 160 euros de congés payés afférents,

• 3 940 euros à titre de rappel de primes sur ventes, outre 362 euros de congés payés afférents,

• 12 191,28 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,

• 6 461,32 euros au titre de l’indemnité de préavis, outre 646,13 euros de congés payés afférents,

• 32 300 euros au titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

• 7 000 euros à titre de dommages et intérêts distincts,

• 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

‘ Selon ses dernières conclusions du 4 octobre 2018, la société Calumet Productions demande à la cour de confirmer en toutes ses dispositions la décision entreprise, dire et juger que la situation de co- emploi n’est pas caractérisée, la mettre hors de cause, condamner Mme X à une amende civile de 3 000 euros et au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens qui seront recouvrés par M. Z, H I

Avocats, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

MOTIFS

Sur les conditions concrètes d’exercice du travail :

Mme X soutient avoir été employée de manière continue et à temps plein par les sociétés

CSJ et CPS, toutes deux gérées par M. Y, dans les locaux qu’elles partageaient alors à

Issy-les-Moulineaux, ainsi que le confirment les adresses mentionnées sur les contrats et fiches de paye, rémunérées selon un salaire constant tout au long de l’année, le dirigeant décidant discrétionnairement selon quelles modalités et par qui, elle serait concrètement rémunérée de sorte que sa demande tendant à voir juger le co-emploi est parfaitement fondée.

Les employeurs s’opposent à cette réclamation et demandent à la cour de confirmer le jugement sur ce point. Ils plaident que Mme X n’intervenait que ponctuellement pour l’une ou l’autre des sociétés dans un cadre bien précis (la programmation ou la tournée de tel spectacle produit par CSJ ou le doublage de telle série pour CPS) et qu’elle ne rapporte nullement la preuve d’une quelconque confusion d’intérêts, d’activité et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de la société.

Il est constant que :

— les sociétés CSJ et CPS, qui ont certes des activités bien distinctes, avaient leur bureau dans les mêmes locaux situés à Issy-les-Moulineaux, et sont gérées par la même personne, M. J Y ;

— la chronologie de la relation de travail, telle qu’elle ressort des contrats de travail à durée

déterminée et de ses bulletins de salaire communiqués par Mme X, se présente comme suit :

‘ une première relation contractuelle s’est nouée entre la société CSJ et Mme X sur la

période du 1er janvier 2004 au mois de novembre 2006, au cours de laquelle la salariée a signé, outre un contrat visant la ‘tournée du spectacle ‘le plus heureux des trois’, portant sur la période de janvier à juillet 2005, 32 autres contrats couvrant l’ensemble de cette période, au moins un contrat étant signé tous les mois hormis durant l’été 2004, contrat visant non pas un spectacle mais ‘la préparation de la ou des tournée(s) de la société’, lesquels précisaient le ‘montant net du cachet’ ;

‘ en décembre 2008, la société CPS a rémunéré Mme X à hauteur de 1 006,17 euros,

‘ durant l’année 2009, il est établi que Mme X a :

— signé dix contrats avec la société CPS, visant au moins trois jours de travail signés chaque mois de l’année hormis les mois d’août et septembre 2009, aucune référence de production n’apparaissant dans ces contrats lesquels stipulent néanmoins que la salariée ‘devra assurer le secrétariat, la préparation des séances de doublage, la rédaction des contrats intermittents, la préparation des salaires pour le cabinet comptable’ ;

— été rémunéré par la société CSJ suivant un ou deux bulletins de salaire délivrés par mois pour un salaire quasi constant de 1 006,17 euros mensuels ; hormis en septembre où le salaire a été légèrement supérieur et de décembre où elle a touché un deuxième salaire de 1006,17 euros ;

‘ Mme X a conclu avec la société CPS des CDD d’usage :

— en janvier 2010, puis pratiquement tous les mois sur la période d’octobre 2010 à avril 2013, hormis durant les deux mois d’été 2011 et de 2012 et le mois de février 2013, aucune référence de production n’apparaissant dans ces contrats,

— de septembre à novembre 2013 précisant la production ‘Les Crumpets’,

— en juillet 2014 pour la série ‘warehouse saison 5″,

‘ la salariée a également conclu avec la société CSJ de très nombreux contrats :

— en 2010 douze contrats, (un contrat signé tous les mois),

‘ en 2011, la salariée a reçu douze bulletins de salaire de chacune des sociétés CSJ et CPS le même salaire mensuel net au mois de 1 006,17 euros pour un salaire brut global de 28 758,17 euros (12586,85 + 16171,32 €) ;

‘ en 2012, Mme X perçoit :

— de la société CPS, de janvier à mai un salaire de 1006,16 euros nets en deux bulletins (2 x 503.08 ou 603.70 + 402.47) puis en juin et de septembre à décembre un salaire net mensuel de

1006.16 euros en un seul bulletin de paye ;

— de la société CSJ, moyennant 21 fiches de paye un salaire brut de 17 157,56 euros ou

14103,62 euros imposable sur l’année,

‘ en 2013, Mme X perçoit :

— de la société CPS, de janvier à mars un salaire net mensuel de 1 006,16 euros, puis d’avril à juin et de septembre à novembre, ce même montant mais en deux bulletins : correspondant à 2 x 503.08 ou à la somme de 603.70 + 402.47 euros.

— de la société CSJ, moyennant 40 fiches de paye un salaire brut de 25 592,43 euros ou

21 041,78 euros imposable sur l’année, ‘ en 2014, la salariée est rémunérée par la société CSJ au moyen de 59 bulletins de salaire pour un montant brut annuel de 39 390,57 euros ou 32 222,36 euros imposable sur l’année, déterminant un salaire net au mois de 2685,16 euros.

‘ en 2015, Mme X a conclu 30 contrats de travail à durée déterminée avec la société CSJ,

dont 9 prévoient une rémunération de 2 578 euros bruts.

Sur la requalification du CDD en CDI :

La société Ça se joue conclut à l’infirmation du jugement entrepris, et plaide le caractère temporaire de l’activité de l’entreprise et des postes occupés par la salariée. Du fait de son activité de tourneur (spectacles tournés en province et non pas en un lieu fixe de manière continue), les représentations sont soumises à un planning comportant de nombreuses interruptions. Se prévalant des dates des spectacles, pour lesquels la salariée était engagée, la société soutient démontrer les nombreuses interruptions intervenues entre chacune des missions de la salariée. Elle indique avoir eu recours, dans le cadre de ses activités, principalement à partir de 2010, aux services de Mme X, en qualité de chargée de production pour certaines pièces de théâtre qui ont été emmenées en tournée en Province. Elle soutient que conformément à l’usage constant dans ce secteur d’activité, et compte tenu du caractère par essence temporaire et aléatoire de son activité, Mme X a bénéficié d’un statut d’intermittent du spectacle en qualité de « chargée de production », qu’il s’agit d’un travail

essentiellement administratif qui concerne les tournées, la gestion des artistes, de leur déplacement, les défraiements, les décors, des déplacements des décors, les relations avec les théâtres et les communes. La société appelante affirme que la salariée n’a jamais souhaité conclure avec elle un contrat de travail à durée indéterminée, qui lui aurait fait perdre le bénéfice du cumul d’indemnités.

Elle plaide que :

— contrairement aux affirmations de Mme X, le caractère temporaire de l’activité de

l’entreprise et des postes occupés par Mme X, ‘ne fait aucun doute’ ;

— les interruptions entre les différents contrats conclus avec Mme X ne sont pas

majoritairement intervenues durant les congés d’été comme l’ont constaté, à torts, les premiers juges ;

— ainsi qu’il ressort du planning des spectacles joués du 1er au 30 septembre 2015, l’activité de l’entreprise a connu de nombreuses interruptions ;

— Mme X ne communique que de très rares bulletins de salaire établissant une relation

ponctuelle de travail avec elle datant d’avant l’année 2010, ce qui atteste au passage qu’il est

absolument inexact de soutenir que Mme X aurait travaillé sans discontinuer durant onze

années consécutives pour son compte, observation faite que sous sa cote ‘bulletins de salaire’,

l’intimée communique également des fiches de paye de la société Calumet.

La société Calumet productions expose que les missions confiées à la salariée ont été très

occasionnelles, correspondant à quelques contrats, trois à quatre jours de travail par mois.

Elle estime que le caractère permanent du poste allégué par la salariée est ‘fantaisiste’. Elle fait valoir  que :

— Les CDDU ont essentiellement porté sur 3 à 4 jours de travail maximum par mois, peu de contrats ont été conclus entre elle et Mme X et sur le fait qu’en 5 années de prétendue collaboration permanente, la salariée n’est pas intervenue pour elle durant 38 mois soit durant plus de 3 ans !

— il n’y a aucune certitude que la fiche de fonction dont se prévaut la salariée ait été émise par la société CSJ ou par elle ;

— le montant de ses revenus annuels au titre de l’année 2015, (3 867 euros pour un programme unique intitulé « les Crumpets ») et de l’année 2016 (lire probablement 2014), (644 euros pour le programme ‘Warehouse’), par leur caractère modeste exclut toute caractérisation de la qualité de salariée permanente. En conclusion, la société CPS plaide que :

— l’ensemble des contrats de travail à durée déterminée d’usage respectait les conditions de forme prévue par le code du travail puisqu’ils ont tous étés établis par écrit et signés par l’employeur et la salariée ;

— ils ont tous étés établis pour un motif précis et un spectacle déterminé comportant des dates fixes, et qui démontrent le caractère temporaire du poste de Mme X, sauf à dénaturer lesdits

contrats ;

— l’ensemble des plannings, fiches de paye, contrats signés avec les villes, CDDU, démontrent la réalité des prestations temporaires, et écarte de la façon la plus claire les allégations mensongères de la salariée quant au caractère permanent de son poste et sur le caractère fictif des contrats ;

— les textes réglementaires, les accords collectifs démontrent également l’usage constant dans le secteur d’activité du spectacle vivant de ce type de contrat ;

— les contrats en cause ont fait l’objet de nombreuses interruptions ;

— Mme X n’a jamais occupé un poste permanent ni au sein de la société CSJ ni au sein de la

société CPS.

La salariée fait valoir qu’elle a travaillé, pendant plus de 11 ans, pour les sociétés Ça se joue et Calumet Productions. Sa présence à temps plein, du lundi au vendredi, était acquise en interne, à l’égard des clients et des interlocuteurs de la société.

Elle posait des congés payés validés par la direction, à l’instar de tout salarié permanent. Les contrats à durée déterminée conclus sont fictifs, et la forme intermittente imposée à la salariée ne correspondait pas à la réalité de sa situation et de ses fonctions. En tout état de cause, les contrats conclus ne remplissent pas les conditions légales d’objet, de signature et de transmission.

La preuve de la remise du contrat signé dans ce délai de deux jours ouvrables pèse sur l’employeur et toute transmission tardive équivaut à une absence d’écrit qui entraîne la requalification de la relation de travail en CDI.

Aux termes de l’article L. 1242-1 du code du travail, un contrat de travail à durée déterminée,

quelque soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

Selon l’article L.1242-2 du code du travail, « Sous réserve des dispositions de l’article L. 1242-3 du code du travail, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire, et seulement dans les cas suivants : […] 3°) Emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois. »

De jurisprudence constante, il est décidé que le fait qu’un secteur d’activité soit mentionné sur la liste réglementaire ne fonde pas à lui seul le droit de recourir à un contrat à durée déterminée pour tous les emplois de ce secteur.

L’ancienne convention collective du spectacle vivant, comme celle des entreprises privées du

spectacle vivant qui lui a succédé en 2012 prévoient d’ailleurs en leur article 7.2 qu’outre « la

position dans la classification de la convention », le contrat de travail à durée déterminée d’usage devra comporter « les éléments précis et concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi ».

La seule appartenance à un secteur visé à l’article D.1242-1 du code du travail n’autorise en aucun cas la conclusion de CDD d’usage sur des emplois permanents.

En l’espèce, en premier lieu, tenant l’interruption des relations contractuelles pendant plus de deux ans, de décembre 2006, dernier contrat de travail à durée déterminée conclu par la salariée avec la société CSJ au titre de la première série de contrat de travail à durée déterminée d’usage ayant lié les parties, à décembre 2008, date du premier bulletin de paye délivré par la société CPS, l’ancienneté de la salariée ne saurait remonter antérieurement au mois de décembre 2008.

En second lieu, alors que les sociétés intimées ne contestent pas utilement que Mme X

travaillait pour leur compte au sein des mêmes locaux, situés alors à Issy-les-Moulineaux, force est de relever que les sociétés ne présentent aucune observation pertinente aux nombreux messages rédigés par leur dirigeant commun, M. Y, lesquels objectivent la confusion la plus totale entre ces deux structures sur la gestion de la relation de travail :

— le 23 juin 2014, à la question posée par Mme X sur le point de savoir si, en ce qui la

concerne, elle ‘continue uniquement sur CSJ ou si elle partage avec CPS’, M. Y lui répond

comme suit : ‘CSJ uniquement pour juin, CPS en juillet/août partagés avec CSJ moitié/moitié’

— le 24 septembre 2015, en réponse au mail de Mme X l’informant que ‘les salaires CSJ sont

complétés’, M. Y lui indique ceci : ‘Ça me semble très bien, seule correc, on va faire comme en août et vous déclarer aussi sur CPS sur les Crumpets. K vous a fait DPAE sur Calumet en début de mois, j’ai oublié de vous le dire. […]’

— le 21 octobre 2015, à la question posée par Mme X sur le point de savoir si, ‘elle est payée

sur CPS ou CSJ pour octobre ”, M. Y lui répond comme suit : CSJ’

De même, Mme X produit des messages émanant du gérant des sociétés ou de son épouse

qui attestent de la décoréllation entre les CDD d’usage, lesquels peuvent viser telle production ou spectacle et telles journées de travail, et l’activité réelle accomplie par l’intéressée et ses collègues pour le compte de ces sociétés :

— le message adressé par Mme K Y, présentée comme l’épouse du dirigeant, au

cabinet comptable ainsi libellé :

« j’ai pas mal de soucis avec le journal que vous avez envoyé sur les ateliers décors. Il me faudrait sur 2011/2012/2013 le journal des coûts salariaux des ateliers à jour afin de bien pointer tous les intermittents des ateliers, pour lesquels je dois faire les contrats au plus vite.

Il me faudrait également un fichier avec les éléments suivants : nom, prénom […] cela afin de

compléter certains contrats qui n’ont pas tous les éléments … […]

il me manque sur le journal des coûts […]

— Rasamiarisoa Thierry (pour lequel nous devons être hyper pointus pour monter notre dossier pour des prud’hommes…! […]) »

— un échange d’août/septembre 2012 entre Mme X et Mme A du cabinet comptable sur

le montant brut de la salariée :

« Mme X : ‘je vais vous envoyer les salaires cet après-midi. Pouvez-vous me donner le

montant brut de mon salaire mensuel à savoir 2 012,33 euros net’ (nota de la cour : ce montant

correspond à 2 x 1006,16 euros – voir ci-dessus les salaires perçus par la salariée en 2012) ;

Mme A lui répond : ‘j’ai fait des simulations, les bruts changent en fonction des jours

travaillés : si 4 jours travaillés = brut de 2482,45 euros, si 5 jours travaillés etc… je ne sais pas trop quel brut vous dire’ »

— le 24 septembre 2015, en réponse au mail de Mme X l’informant que ‘les salaires CSJ sont

complétés’, M. Y lui indique ceci :

‘Ça me semble très bien, seule correc, on va faire comme en août et vous déclarer aussi sur CPS sur les Crumpets. K vous a fait DPAE sur Calumet en début de mois, j’ai oublié de

vous le dire. […]’

— le 13 novembre 2015, Mme K Y adresse à Mme X un mail ainsi rédigé

auxquels sont joints divers contrats concernant Mme X de septembre et octobre 2015 avec

les noms des spectacles ‘Marie à tout prix’, ‘Commis d’office’, ‘trois Hommes’ et la ‘famille’ :

« Avec tous les chambardements de cabinet compta et d’enregistrements les derniers jours du mois, je viens de me rendre compte que les contrats pour vous et Gauthier de septembre et d’octobre sont restés dans ma machine […]. »

La salariée fournit en outre de nombreux messages émanant du dirigeant des deux sociétés

corroborant sa thèse selon laquelle son activité pour les sociétés était permanente et s’inscrivait dans le cadre d’un service organisé. C’est ainsi que :

— par mail du 12 janvier 2012, Mme X annonce à M. Y ses desiderata pour les vacances

‘comme vu ensemble et pour l’organisation au bureau, voici les dates pour mes vacances : printemps : la semaine du 12 au 19 mars et l’été du 16 juillet au 17 août 2012″, ce à quoi M. Y lui indique : ‘merci, avez-vous informé Laure ” ;

— suivant un échange de mails en date des 28 février et 7 mars 2013 avec M. Y, Mmes

X et B font part de leurs souhaits pour les congés de printemps et d’été, Mme

X sollicitant la semaine du 22 au 29 avril, le 10 mai et du 15 juillet au 19 août, Mme

B annonçant pour sa part qu’elle sera présente ‘toute la journée du 22 au 25 avril quand

F ne sera pas là’, ce qui correspond à la semaine de congés posée par Mme X , et

poursuit en indiquant qu’elle aimerait bien également le 10 mai ce qui lui permettrait de faire le pont, ajoutant ‘je ne pense pas que cela soit déraisonnable pour le bureau. Tout le monde sera en we’ ;

— le 15 janvier 2013, Mme B annonce M. C, M. Y étant destinataire en copie du

message, qu’il doit ramener le véhicule (minibus 9 places) à la production ‘CSJ AU […]

Verdun à Issy-les-Moulineaux, et qu’il faut aller chercher la clé au bureau de la prod, le ‘bureau étant ouvert de 9h à 13h et de 14 à 17h (moi je serai là le matin, et F toute la journée) ;

— par mail du 16 décembre 2014, la salariée confirme à M. Y ‘ses jours de congés du 24

décembre au 2 janvier inclus’ ;

— le 8 juillet 2015, Mme X adresse à M. Y un mail pour validation des salaires de juillet

2015, qui figurent en pièces jointes. Elle ajoute ceci : ‘me concernant vous verrez 2 jours (les 7 et 8 juillet) pour 1 000 euros , il s’agit de la première partie de la prime annuelle mise en place depuis 2011″ ; dans le prolongement de cette discussion, M. Y approuve le principe du versement de la prime, puis interrogé par Mme X sur le montant afin de lui permettre de demander à ‘chacun leurs jours’, le dirigeant répond qu’il reconduit les mêmes primes que l’année dernière ;

— par de très nombreux mails, datant de juillet et août 2013, d’avril, juillet et août 2014, M. Y informe divers interlocuteurs (intermittents du spectacle, théâtres, municipalités) que Mme

X est actuellement en congés, qu’elle rentrera à compter de telle date et qu’elle leur répondra

ou leur transmettra les contrats ou autres documents sollicités.

Par ailleurs, elle verse aux débats les attestations des époux D, gardiens de la résidence du 166

[…] à issy-les-Moulineaux lesquels attestent de la présence quotidienne ou d’avoir

croisé la salariée dans le hall de la résidence s’apprêtant à rentrer dans les bureaux de l’entreprise tous les jours de l’année hors période scolaire. Leurs témoignages ne sont pas sérieusement remis en question par le témoignage rédigé par M. E, décorateur, qui indique qu’il lui est arrivé de se rendre aux bureaux et ne pas y avoir rencontré la salariée.

En l’état de l’ensemble de ces éléments, et la fiche de poste dont l’origine n’est pas identifiée étant écartée, la salariée démontre :

— d’une part, que sous couvert d’une multitude de contrats de travail à durée déterminée d’usage ou de bulletins de salaire, établis cumulativement ou alternativement depuis décembre 2008, par l’une ou l’autre des sociétés, Mme X occupait un emploi permanent au sein de la société CSJ, d’assistante de production, qui n’intervenait pas comme le présente l’entreprise au cas par cas, selon la conclusion de spectacles ou de tournées, mais à l’année, selon des horaires déterminés, au sein d’un service organisé impliquant l’organisation à l’avance de la prise des congés entre les différents collaborateurs ou des absences, son activité lui ouvrant droit au versement d’une prime annuelle, qui caractérisent une relation de travail continue et permanente de décembre 2008 à décembre 2015 ;

— d’autre part, que la rémunération de son travail était décorellée de l’activité concrètement exercée par l’intéressée au profit de l’une ou de l’autre des sociétés, observation faite que les contrats conclus signés avec la société CPS étaient, hormis les derniers à savoir ceux signés au second semestre 2013 et en septembre 2015 (lesquels précisent la production concernée) fort imprécis, le dirigeant de ces deux sociétés décidant en fonction de ses seuls intérêts, et au mépris des droits de la salariée et des règles élémentaires de comptabilité, quelle société la rémunérerait ;

— enfin, qu’en lien avec ces derniers manquements, des contrats fictifs étaient établis et signés a posteriori à seule fin de créer une apparence de conformité avec les dispositions légales impératives du contrat de travail à durée déterminée d’usage.

Mme X ayant exercé un emploi permanent au profit des sociétés CSJ et CPS de décembre

2008 à décembre 2015, le jugement sera confirmé en ce qu’il a requalifié cette relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée.

Sur le co-emploi :

La société Calumet Productions considère que la salariée ne rapporte pas la preuve d’une confusion d’intérêts, d’activités et de direction se manifestant par son immixtion dans la gestion économique et sociale de la société Ca se joue. Elle conclut à la confirmation du jugement en ce qu’il l’a mise hors de cause.

Mme X soutient que les sociétés Calumet Productions et la société Ca se joue, qui

appartiennent au même groupe, doivent être considérées comme ses co-employeurs. Elle fait valoir que M. Y décidait discrétionnairement de la répartition de ses heures et de ses jours entre les sociétés CSJ et CPS et qu’elle travaillait indifféremment pour les deux sociétés dans un contexte d’organisation et de gestion indifférencié.

Hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être

qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre que s’il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière.

En l’espèce, il est constant qu’au cours de la période considérée, Mme X a travaillé pour le

compte des deux sociétés, alternativement selon les sociétés CPS et CSJ, confusément et cumulativement selon la salariée.

Il résulte des éléments ci-avant analysés que Mme X objective la confusion complète créée

ou approuvée par M. Y, d’intérêts (qui assume la charge du salaire de Mme X ou d’autres salariés ‘) et de direction des deux sociétés CSJ et CPS, et les immixtions permanentes et

croisées des directions de l’une ou de l’autre dans la gestion comptable et sociale de sa société soeur, destinée à lui faire supporter, indûment, en fonction de seuls intérêts comptables et au mépris des intérêts de la salariée, la charge des salaires rémunérant le travail accompli à son profit.

En l’état de cette situation, c’est par des motifs erronés que les premiers juges ont débouté Mme X de sa demande de co-emploi et de condamnation solidaire des conséquences financières des demandes formées au titre de l’exécution du contrat de travail et de la rupture des relations contractuelles.

Le jugement sera réformé sur ce point.

Sur la rupture du contrat à durée indéterminée :

La société appelante considère que c’est Mme X qui a pris l’initiative de la rupture en se

plaçant en arrêt maladie, puis en ne se présentant plus sur son lieu de travail et en s’abstenant de répondre à ses appels malgré les nouvelles missions proposées par l’entreprise, ce que le dirigeant a tenté de lui exposer à plusieurs reprises.

La salariée objecte qu’ayant refusé légitimement de signer de nouveaux contrats à durée déterminée ne correspondant pas à sa situation, et l’employeur n’adressant aucune proposition concrète, la cour ne pourra que constater qu’aucune nouvelle relation contractuelle n’a été établie.

Il résulte des correspondances échangées par le conseil de Mme X, la salariée et M. Y,

gérant des sociétés CSJ et CPS de novembre 2015 à février 2016, que si le gérant des sociétés n’a pas exclu de proposer à la salariée un contrat de travail à durée indéterminée, si tel était ‘la volonté de Mme X’, force est de constater qu’aucune offre concrète n’a été formulée en ce sens par l’employeur qui a prétexté la tournée du spectacle ‘Bon Pour Accord’ pour justifier de son indisponibilité, tout en affirmant être prêt ‘à reprendre leur collaboration sous réserve qu’elle manifeste sa volonté d’une façon ou d’une autre’, ce qu’elle avait clairement exprimée par lettres recommandées avec avis de réception en date des 10 novembre et 21 décembre 2015. (pièces de la salariée n°22 à 28).

Sans qu’il soit nécessaire d’examiner la cause des problèmes de santé qui ont valu à la salariée d’être arrêtée à compter du 4 décembre 2015, que Mme X impute à l’exécution déloyale de son contrat de travail en alléguant une ‘mise à l’écart’ liée au rachat du Théâtre Edgard, par le dirigeant M. Y, en 2015, et des pressions que ce dernier aurait exercées sur elle pour qu’elle établisse un faux témoignage qui lui a valu des poursuites pour faux témoignages, force est de relever qu’en s’abstenant de satisfaire à la demande légitime formulée par Mme X de conclure un contrat de travail à durée indéterminée et en cessant de lui fournir du travail et de lui verser un salaire à l’expiration du dernier contrat à durée déterminée, l’employeur a mis fin à la relation de travail ainsi requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée, au seul motif de l’arrivée du terme d’un contrat improprement qualifié par lui de contrat de travail à durée déterminée et ce sans qu’un courrier de licenciement faisant état d’une cause réelle et sérieuse de rupture ne soit notifié à la salariée.

C’est par de justes motifs que les premiers juges en ont déduit que la rupture était donc advenue à son initiative et s’analysait en licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ouvre droit au profit de Mme X au paiement des indemnités de rupture et de dommages-intérêts.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les rappels de primes :

La société appelante conclut à l’infirmation du jugement entrepris en ce qu’il l’a condamnée à verser les sommes sollicitées. Elle considère que cette prime, non contractuellement prévue, ne repose sur aucun fondement et souligne qu’en tout état de cause, la société était déficitaire de 2010 à 2012.

La salariée sollicite la condamnation solidaire des sociétés au versement de la somme de 1 600 euros au titre de rappel de la prime annuelle pour l’année 2015 outre les congés payés afférents. Elle soutient que depuis 2011, l’ensemble des salariés perçoivent une prime annuelle d’un montant de 1 600 euros versée à hauteur de 1 000 euros en juillet et de 600 euros en décembre. Cette prime, intégrée au salaire, ne peut être supprimée unilatéralement par l’employeur mais n’a pourtant pas été payée en 2015.

En l’absence de stipulation contractuelle ou conventionnelle instituant le paiement d’une prime, celle-ci est obligatoire si elle résulte d’un usage présentant les caractères cumulatifs de fixité, constance et généralité.

Il ressort du message adressé par M. Y à la salariée le 11 juillet 2012 que l’employeur a

effectivement décidé de ‘reconduire les primes’ mises en place en 2011 ‘sans oublier cette fois

Patrick’ et ce pour les mêmes montants. (pièce n°16)

Faute pour l’employeur de justifier de l’éventuelle dénonciation de cet usage ou du paiement de la prime annuelle convenue, c’est à bon droit que les premiers juges ont accueilli cette réclamation. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les rappels de commissions:

La société CSJ conteste son obligation à ce titre, sans présenter aucune observation.

La salariée indique qu’à partir de 2012, des commissions sur ventes étaient fixées, en fonction du prix de vente des spectacles. Elle sollicite à ce titre la condamnation solidaire des sociétés au versement de la somme de 3 940 euros, outre les congés payés afférents.

La salariée justifie par la communication d’échange de mails avec M. Y, de juin 2015 (pièce

n°17), sur le montant des commissions au sujet des nouveaux spectacles produits ‘Commis d’office’ et ‘Bon pour accord’. Elle produit un décompte précis des spectacles qu’elle indique avoir vendus (noms des spectacles, lieux des représentations et montant des commissions) pour un montant de 3940 euros (pièce n° 18).

En l’état de ces éléments non utilement discutés par l’employeur, la salariée rapporte la preuve de l’obligation dont elle se prévaut. Par suite, les premiers juges ont justement accueilli cette réclamation. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les demandes pécuniaires :

— Quant à l’indemnité de requalification :

Aux termes de l’article L.1245-2 alinéa 2 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, si le juge fait droit à la demande du salarié tendant à la requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, hors l’hypothèse où le CDD devient un contrat de travail à durée indéterminée du seul fait de la poursuite de la relation contractuelle après l’échéance de son terme, il doit lui accorder une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire, l’indemnité de requalification ne pouvant être inférieure au dernier salaire mensuel perçu avant la saisine de la juridiction.

En l’espèce, le dernier salaire mensuel perçu s’établit à la somme de 2 578 euros bruts.

Le montant de l’indemnité de requalification sera réévalué et porté à la somme de 3 230 euros.

— Quant à l’indemnité compensatrice de préavis :

Conformément à l’article L. 1234-5 du code du travail, l’indemnité compensatrice de préavis doit correspondre à la rémunération brute que le salarié aurait perçue s’il avait travaillé pendant la période du délai-congé, étant précisé que l’employeur était tenu de fournir du travail pendant cette période et qu’il a empêché l’exécution du préavis du fait de la rupture irrégulière du contrat.

En l’espèce, compte tenu de la requalification ci dessus ordonnée, de l’ancienneté de la salariée et de la rémunération, qui s’établit à 2 852 euros, selon les observations subsidiaires de la société CSJ,

Mme X est bien-fondée à obtenir l’allocation de la somme de 5 704 euros à titre d’indemnité

compensatrice de préavis outre 570,40 euros au titre des congés payés afférents. Le jugement sera réformé en ce sens.

— Quant à l’indemnité de licenciement :

Conformément à son ancienneté, au salaire de référence tel que calculé par la salariée dans ses

conclusions, lequel s’établit, sur la base de la moyenne des douze derniers mois (décembre

2014/novembre 2015) à la somme de 3 230,66 euros, et aux stipulations conventionnelles, Mme X à droit à une indemnité de 5 788,26 euros, conformément au calcul suivant :

(3 230,66 euros x 7/4 = 5 653,65) + (807,66 x 2/12 = 134,61).

Le montant de l’indemnité conventionnelle de licenciement sera réformé en ce sens.

— Quant aux dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail :

Conformément à l’article L. 1235-5 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié qui compte plus de deux ans d’ancienneté dans une entreprise de moins de onze salariés doit être indemnisé en fonction du préjudice subi.

Âgée de 50 ans, titulaire d’une ancienneté de sept années ininterrompues, Mme X justifie

s’être inscrite à Pôle-emploi, avoir été indemnisée au taux journalier de 56,61 euros en août et sept 2016 au titre de l’aide au retour à l’emploi, ainsi que 7 jours en octobre de cette même année, les 24 autres jours, travaillés n’ayant pas été indemnisés, ainsi que de ses recherches d’emploi dans le domaine de la production de spectacles.

En l’état de ces éléments, le préjudice résultant de la perte injustifiée de l’emploi sera plus justement indemnisé par l’allocation de la somme de 25 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement injustifié. Le jugement sera réformé sur ce point.

Sur les dommages et intérêts pour dégradation de la relation de travail

La salariée sollicite la condamnation solidaire des sociétés Calumet Productions et Ca se joue à la somme de 7 000 euros. Elle fait valoir que l’attitude de l’employeur a entraîné une situation de mal être et d’angoisse, jusqu’à son placement en arrêt de travail. Elle a en outre été condamnée judiciairement.

Si Mme X justifie avoir été poursuivie pour faux et usage, les éléments communiqués par

elle ne permettent pas d’établir un lien entre son arrêt maladie, le mal-être dont elle indique avoir souffert et ses conditions de travail. Le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a déboutée de ce chef.

Sur la demande pour procédure abusive

L’action initiée par Mme X étant pour l’essentiel accueillie, la demande de condamnation au

paiement de l’intéressée à une amende civile sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme partiellement le jugement déféré,

Statuant de nouveau sur le tout,

Juge les sociétés Ça se joue et Calumet co-employeurs de fait de Mme X,

Ordonne la requalification des contrats de travail à durée déterminée d’usage conclus par ces sociétés avec Mme X de décembre 2008 à décembre 2015 en un contrat de travail à durée

indéterminée,

Dit que la rupture du contrat de travail s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Condamne en conséquence solidairement les sociétés Ça se joue et Calumet Productions aux

sommes suivantes :

—  3 230 euros au titre de la requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée,

—  1 600 euros au titre de rappel de prime annuelle pour l’année 2015, outre 160 euros de congés payés afférents,

—  3 940 euros à titre de rappel de primes sur ventes, outre 394 euros de congés payés afférents,

—  5 788,26 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,

—  5 704 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 570,40 euros au titre des congés payés afférents,

—  25 000 euros au titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et séreuse,

Condamne en outre in solidum les sociétés Ça se joue et Calumet Productions à verser à Mme

X la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure

civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel et à supporter les entiers dépens.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Monsieur TAMPREAU, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président


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