Contrat de Cession de Logiciel : la garantie d’éviction

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Contrat de Cession de Logiciel : la garantie d’éviction

Céder un logiciel puis intégrer la structure du cessionnaire par un Contrat de travail avec acquisition d’actions est pratique courante.

Toutefois, la garantie d’éviction qui s’applique sur la cession du code source du logiciel n’est pas illimitée dans le temps et les juridictions prennent désormais en compte l’obsolescence des technologies pour apprécier la portée de cette garantie. En conséquence, le cédant peut être amené à créer une Start Up et exploiter une partie de son code source sans encourir de condamnation.

Selon l’article 1626 du code civil, le vendeur (de logiciel compris) doit garantie à son acheteur contre toute éviction du fait des tiers mais également de son fait personnel, et qu’en cas de cession de parts sociales.

Le cédant est tenu, comme dans toute vente, à garantie contre l’éviction dans les conditions prévues par les articles 1626 à 1640 du même code et doit s’abstenir de tout acte de nature à constituer des reprises ou des tentatives de reprise du bien vendu ou d’atteintes aux activités telles qu’elles empêchent l’acquéreur de poursuivre l’activité économique de la société ainsi que de réaliser son objet social.

L’exigence légale de non-concurrence née de la garantie d’éviction doit être proportionnée à la protection des intérêts légitimes de l’acquéreur à raison de l’acquisition à laquelle il a procédé sans porter une atteinte disproportionnée à la liberté du commerce et de l’industrie et, par conséquent, à la liberté d’entreprendre, laquelle a valeur constitutionnelle.

En la cause, l’arrêt a déduit à bon droit que l’interdiction de concurrence doit être délimitée quant à l’activité interdite et quant au cadre spatio-temporel dans lequel cette activité est interdite, cette délimitation s’appréciant in concreto, au regard de l’activité et du marché concernés.

L’arrêt relève que la garantie légale d’éviction est invoquée à propos de la cession des titres d’une société qui intervient sur le marché du développement des produits informatiques et des prestations de service y afférentes, où l’innovation technologique est rapide, faisant ainsi évoluer les services et prestations offertes d’une année sur l’autre, et retient qu’interdire pendant plusieurs années à des cédants d’une société intervenant sur un marché aussi innovant et évolutif que celui des prestations informatiques de se rétablir apparaît disproportionné par rapport à la protection des intérêts du cessionnaire, laquelle doit se conjuguer avec la protection de la liberté d’entreprendre.

Résumé de l’affaire :

Création de la société Aliasource

En 1997, M. [K] et M. [H] ont fondé la société Aliasource, spécialisée dans l’édition de solutions « Open source », notamment le logiciel « Open business management » (OBM), qui est une solution de messagerie et de travail collaboratif.

Cession des actions à Linagora

Le 14 mai 2007, M. [K] et M. [H] ont cédé leurs actions de la société Aliasource à Linagora, une entreprise active dans le secteur des services informatiques. À cette occasion, ils sont devenus actionnaires de Linagora et ont signé un contrat de travail avec Aliasource, qui a été renommée Linagora Grand-Sud-Ouest (Linagora GSO).

Démission et cession des actions de Linagora

M. [H] et M. [K] ont démissionné de leurs postes respectifs le 22 avril 2010 et le 10 mai 2010. Ils ont ensuite cédé leurs actions de Linagora à la société le 17 mai 2011.

Création de Blue Mind

Le 12 octobre 2010, M. [K] a fondé la société Blue Mind, et en octobre 2011, M. [H] a rejoint cette nouvelle entreprise.

Assignation en restitution et réparation

La société Linagora a assigné M. [K] et M. [H] en restitution partielle de la valeur des droits sociaux cédés, ainsi qu’en réparation de son préjudice, invoquant la garantie légale d’éviction. Les sociétés Linagora GSO et Linagora Investissements, ainsi que M. [F], président de Linagora, ont également rejoint l’instance pour soutenir les demandes de Linagora.

Arguments des sociétés et de M. [F]

Les sociétés et M. [F] ont contesté l’arrêt qui rejetait leurs demandes, arguant que la cour d’appel n’avait pas correctement évalué si l’interdiction de se rétablir était justifiée au regard de l’activité de Linagora GSO et du marché concerné. Ils ont soutenu que la rapidité du rétablissement de M. [K] et M. [H] était anormale et résultait de leur mauvaise foi.

Réponse de la Cour

La Cour a rappelé que le vendeur doit garantir l’acheteur contre toute éviction, y compris celle résultant de son propre fait. Elle a précisé que l’interdiction de concurrence doit être proportionnée aux intérêts légitimes de l’acquéreur et ne doit pas porter atteinte à la liberté d’entreprendre. La Cour a constaté que M. [K] et M. [H] avaient respecté leurs obligations, car la création de Blue Mind et les autres événements s’étaient produits plusieurs années après la cession des actions.

Conclusion de la Cour

La cour d’appel a correctement évalué la situation et a conclu que M. [K] et M. [H] n’avaient pas violé la garantie légale d’éviction. Le moyen soulevé par les sociétés et M. [F] a donc été jugé non fondé.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

6 novembre 2024
Cour de cassation
Pourvoi n°
23-11.008
COMM.

CC

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 6 novembre 2024

Rejet

M. VIGNEAU, président

Arrêt n° 632 F-D

Pourvoi n° R 23-11.008

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 6 NOVEMBRE 2024

1°/ M. [B] [F], domicilié [Adresse 7],

2°/ la société Linagora, société par actions simplifiée, dont le siège est Ci-Devant [Adresse 2], actuellement sise [Adresse 4] à [Localité 8],

3°/ la société Linagora Grand Sud-Ouest, société anonyme, dont le siège est Ci-Devant [Adresse 6], actuellement sise [Adresse 3] à [Localité 9],

4°/ la société Linagora Investissements, société par actions simplifiée, dont le siège est Ci-Devant [Adresse 2], actuellement sise [Adresse 4] à [Localité 8],

ont formé le pourvoi n° R 23-11.008 contre l’arrêt rendu le 24 novembre 2022 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 9), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [L] [K], domicilié [Adresse 1],

2°/ à M. [L] [H], domicilié [Adresse 5],

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l’appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme de Lacaussade, conseiller, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de M. [F], des sociétés Linagora, Linagora Grand Sud-Ouest et Linagora Investissements, de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de MM. [K] et [H], après débats en l’audience publique du 17 septembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme de Lacaussade, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 24 novembre 2022), rendu sur renvoi après cassation (Com., 21 septembre 2021, pourvoi n° 21-11.975), en 1997, M. [K] et M. [H] ont créé la société Aliasource, spécialisée dans l’édition de solutions « Open source », qui a, en particulier, développé le logiciel « Open business management » (OBM), solution de messagerie et de travail collaboratif.

2. Par acte du 14 mai 2007, ils ont cédé leurs actions dans la société Aliasource à la société Linagora, intervenant sur le marché des prestations de services informatiques. Ils sont, à cette occasion, devenus actionnaires de la société Linagora. Ils ont, parallèlement, conclu un contrat de travail avec la société Aliasource, qui est devenue la société Linagora Grand-Sud-Ouest (la société Linagora GSO).

3. M. [H] et M. [K] ont démissionné de leurs fonctions salariées, respectivement le 22 avril 2010 et le 10 mai 2010, et ont cédé leurs actions de la société Linagora à cette dernière le 17 mai 2011.

4. Le 12 octobre 2010, M. [K] a créé la société Blue Mind et, en octobre 2011, M. [H] a rejoint cette société.

5. Invoquant la garantie légale d’éviction, la société Linagora a assigné M. [K] et M. [H] en restitution partielle de la valeur des droits sociaux cédés et en réparation de son préjudice. Les sociétés Linagora GSO et Linagora Investissements (les sociétés) ainsi que M. [F], président de la société Linagora, sont intervenus volontairement à l’instance pour s’associer aux prétentions de la société Linagora.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Les sociétés et M. [F] font grief à l’arrêt de rejeter leurs demandes, alors :

« 1° / que, si la liberté du commerce et la liberté d’entreprendre peuvent être restreintes par l’effet de la garantie d’éviction à laquelle le vendeur de droits sociaux est tenu envers l’acquéreur, c’est à la condition que l’interdiction pour le vendeur de se rétablir soit proportionnée aux intérêts légitimes à protéger ; qu’en se déterminant sur la base de la durée qui s’était écoulée entre la date de la cession des titres de la société Aliasource, le 14 mai 2007, et les dates de création de la société Blue Mind, de l’embauche de M. [H], de la mise en ligne par la société Blue Mind de la première version d’un logiciel de messagerie, de l’embauche d’anciens salariés de la société Linagora et du premier contrat conclu par la société Blue Mind avec la société EDF, pour en déduire que ces durées, qui se comptent toutes en pluralité d’années, apparaissent trop longues, au regard du marché et de l’activité concernés, pour considérer que la garantie légale d’éviction pouvait encore s’appliquer et entraver la liberté d’entreprendre de MM. [K] et [H], cessionnaires », quand elle devait seulement rechercher si, au regard de l’activité de la société dont les parts avaient été cédées (Aliasource, devenue Linagora GSO) et du marché concerné, l’interdiction de se rétablir se justifiait encore au moment des faits reprochés, la cour d’appel, qui a statué par des considérations manifestement inopérantes, a violé les principes de la liberté du commerce et de l’industrie et de la liberté d’entreprendre et l’article 1626 du code civil ;

2°/ qu’il appartient à la cour d’appel de rechercher concrètement si, au regard de l’activité de la société dont les parts avaient été cédées et du marché concerné, l’interdiction de se rétablir se justifiait encore au moment des faits reprochés ; qu’en n’examinant pas concrètement l’activité de la société dont les parts avaient été cédées (Linagora GSO), c’est-à-dire les contraintes auxquelles elle était soumise dans le secteur du logiciel en open source, à la date des faits reprochés, ce qui était expressément souligné par les demandeurs qui faisaient valoir que la rapidité des intimés dans leur rétablissement effectif était plus qu’anormale compte tenu des nombreuses contraintes existantes pour l’activité concernée. Ce rétablissement prospère n’a pu intervenir qu’en raison de la mauvaise foi et des manœuvres de MM. [K] et [H] qui ont fait le choix du raccourci dans leur rétablissement au mépris de leurs obligations et des droits des sociétés Linagora », la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des principes de la liberté du commerce et de l’industrie et de la liberté d’entreprendre et de l’article 1626 du code civil ;

3°/ qu’il appartient à la cour d’appel de rechercher concrètement si, au regard de l’activité de la société dont les parts avaient été cédées et du marché concerné, l’interdiction de se rétablir se justifiait encore au moment des faits reprochés ; qu’en n’examinant pas concrètement la nature et la structure du marché concerné, c’est-à-dire celui sur lequel intervenait la société dont les parts avaient été cédées (Aliasource, devenue Linagora GSO), à la date des faits reprochés, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des principes de la liberté du commerce et de l’industrie et de la liberté d’entreprendre et de l’article 1626 du code civil. »

Réponse de la Cour

7. En premier lieu, après avoir rappelé que, selon l’article 1626 du code civil, le vendeur doit garantie à son acheteur contre toute éviction du fait des tiers mais également de son fait personnel, et qu’en cas de cession de parts sociales, le cédant est tenu, comme dans toute vente, à garantie contre l’éviction dans les conditions prévues par les articles 1626 à 1640 du même code et doit s’abstenir de tout acte de nature à constituer des reprises ou des tentatives de reprise du bien vendu ou d’atteintes aux activités telles qu’elles empêchent l’acquéreur de poursuivre l’activité économique de la société ainsi que de réaliser son objet social, et énoncé que l’exigence légale de non-concurrence née de la garantie d’éviction doit être proportionnée à la protection des intérêts légitimes de l’acquéreur à raison de l’acquisition à laquelle il a procédé sans porter une atteinte disproportionnée à la liberté du commerce et de l’industrie et, par conséquent, à la liberté d’entreprendre, laquelle a valeur constitutionnelle, l’arrêt en déduit à bon droit que l’interdiction de concurrence doit être délimitée quant à l’activité interdite et quant au cadre spatio-temporel dans lequel cette activité est interdite, cette délimitation s’appréciant in concreto, au regard de l’activité et du marché concernés.

8. En second lieu, après avoir constaté que M. [K] avait créé la société Blue Mind trois ans et cinq mois après la cession, que M. [H] l’avait rejointe en tant que salarié quatre ans et cinq mois après la cession, que la mise en ligne de la première version d’un logiciel de messagerie collaborative était intervenue près de cinq ans après la cession, de même que le recrutement d’anciens salariés de la société Linagora, l’arrêt relève que la garantie légale d’éviction est invoquée à propos de la cession des titres d’une société qui intervient sur le marché du développement des produits informatiques et des prestations de service y afférentes, où l’innovation technologique est rapide, faisant ainsi évoluer les services et prestations offertes d’une année sur l’autre, et retient qu’interdire pendant plusieurs années à des cédants d’une société intervenant sur un marché aussi innovant et évolutif que celui des prestations informatiques de se rétablir apparaît disproportionné par rapport à la protection des intérêts du cessionnaire, laquelle doit se conjuguer avec la protection de la liberté d’entreprendre.

9. En l’état de ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d’appel, qui a procédé aux recherches prétendument omises, a pu retenir que MM. [K] et [H] n’avaient pas méconnu les obligations résultant de la garantie légale d’éviction à laquelle ils étaient tenus.

10. Le moyen n’est donc pas fondé.


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