Contrat d’artiste : la propriété du matériel du producteur

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Contrat d’artiste : la propriété du matériel du producteur
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L’affaire jugée concerne la compétence du tribunal judiciaire de Bobigny dans le cadre d’un litige opposant la SARL l’Évènement spectacle à M. [H] [W]. Le tribunal a déclaré son incompétence au profit du tribunal judiciaire de Paris en raison de la nature des demandes de la SARL l’Évènement spectacle relevant du droit de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, la demande de dommages et intérêts de M. [H] [W] pour procédure abusive a été déclarée irrecevable. Les frais de l’incident ont été réservés, aucune des parties n’étant considérée comme perdante.

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE BOBIGNY
ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
DU 07 MARS 2024

Chambre 7/Section 1

Affaire : N° RG 23/07139 – N° Portalis DB3S-W-B7H-X2EM
N° de Minute : 24/00116

S.A.R.L. L’EVENEMENT SPECTACLE
[Adresse 3]
[Localité 4]

représentée par Me Anita MOUSAEI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D 2066

DEMANDEUR AU PRINCIPAL
DEFENDEUR A L’INCIDENT

C/

Monsieur [H] [W]
[Adresse 2]
[Localité 1]

représenté par Me Dalila MADJID, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2134

DEFENDEUR AU PRINCIPAL
DEMANDEUR A L’INCIDENT

JUGE DE LA MISE EN ÉTAT :

M. Michaël MARTINEZ, Juge, assisté aux débats de Madame Camille FLAMANT, greffier, et lors du prononcé de Madame Corinne BARBIEUX, faisant fonction de greffier.

DÉBATS :

Audience publique du 1er février 2024.

ORDONNANCE :

Prononcée publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance Contradictoire, susceptible d’appel dans les conditions de l’article 795 du code de procédure civile, par M. Michaël MARTINEZ, Juge, juge de la mise en état, assisté de Madame Corinne BARBIEUX, faisant fonction de greffier.

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [H] [W] a été employé pendant plusieurs années par la société l’Évènement spectacle en qualité d’artiste interprète, sous le statut d’intermittent du spectacle.

A la fin de l’année 2013, la société l’Évènement spectacle a acquis du matériel, comprenant notamment un projecteur laser, deux jeux de laser à main et un ordinateur portable, qui a été mis à la disposition de M. [H] [W] afin que ce dernier réalise une prestation dénommée X-laser, dont il est l’auteur-interprète.

M. [H] [W] a également bénéficié de deux sessions de formation en lien avec le matériel visé précédemment, qui ont été financées par la société l’Évènement spectacle.

A la fin de l’année 2018, M. [H] [W] et la société l’Évènement spectacle ont cessé leurs relations, le premier se plaignant du non-paiement de certains de ses cachets, la seconde se prévalant de l’absence de respect des engagements contractuels relatifs au remboursement du matériel acquis en 2013 et des formations y afférent.

Par requête du 20 janvier 2019, M. [H] [W] a saisi le conseil des prud’hommes de
Bobigny.

Par requête du 21 janvier 2021, la SARL l’Évènement spectacle a saisi le juge de l’exécution, qui par ordonnance du 2 février 2021, a ordonné à M. [H] [W] de restituer à la SARL l’Évènement spectacle le projecteur laser, les deux jeux de laser à main et l’ordinateur portable acquis en 2013.

Cette ordonnance a été signifiée à M. [H] [W] par acte d’huissier du 11 février 2021. Dès le lendemain, ce dernier y a fait opposition.

Par acte d’huissier du 7 octobre 2021, la société l’Évènement spectacle a fait assigner M. [H] [W] devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Bobigny aux fins de voir ordonner la saisie-appréhension du projecteur laser, des deux jeux de laser à main et de l’ordinateur portable et, à titre subsidiaire, de le condamner à lui payer la somme de provisionnelle de 12 976,30 euros.

Par jugement du 28 juin 2022, le juge de l’exécution a :
– rejeté l’intégralité des demande de la SARL l’Évènement spectacle ;
– rejeté la demande de dommages et intérêts de M. [H] [W] ;
– condamné la SARL l’Évènement spectacle à payer à M. [H] [W] la somme de 600 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la SARL l’Évènement spectacle aux dépens.

Par acte de commissaire de justice du 21 juillet 2023, la SARL l’Évènement spectacle a fait assigner M. [H] [W] devant le tribunal judiciaire de Bobigny aux fins de voir ordonner la restitution du projecteur laser, des deux jeux de laser à main et de l’ordinateur portable et de le condamner à lui payer les sommes de 13 056,29 euros au titre du remboursement du matériel, 6 044 euros au titre du remboursement des frais de formation et 20 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Par conclusions notifiées par RPVA le 31 octobre 2023, M. [H] [W] a formé un incident de procédure devant le juge de la mise en état.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions d’incident, notifiées par RPVA le 15 janvier 2024, M. [H] [W] demande au juge de la mise en état de :
A titre principal
– déclarer le tribunal judiciaire de Bobigny incompétent au profit du Tribunal judiciaire de Paris,
A titre subsidiaire
– déclarer irrecevables les demandes formulées par la SARL l’Évènement spectacle dans l’assignation,
En tout état de cause
– condamner la SARL l’Évènement spectacle à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
– débouter la SARL l’Évènement spectacle de ses demandes,
– condamner la SARL l’Évènement spectacle à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la SARL l’Évènement spectacle aux dépens.

Dans ses dernières conclusions d’incident, notifiées par RPVA le 14 décembre 2023, la SARL l’Évènement spectacle demande au juge de la mise en état de :
– débouter M. [H] [W] de ses demandes,
– déclarer le tribunal judiciaire compétent,
– déclarer ses demandes recevables,
– condamner M. [H] [W] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner M. [H] [W] aux dépens.

En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, le tribunal renvoie aux conclusions des parties pour l’exposé de leurs moyens.

L’affaire a été examinée à l’audience de plaidoiries sur incident du 1er février 2024 et mise en délibéré au 7 mars 2024.

MOTIVATION

1. SUR LA COMPÉTENCE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOBIGNY

Selon l’article 75 du code de procédure civile, s’il est prétendu que la juridiction saisie en première instance ou en appel est incompétente, la partie qui soulève cette exception doit, à peine d’irrecevabilité, la motiver et faire connaître dans tous les cas devant quelle juridiction elle demande que l’affaire soit portée.

En vertu de l’article L. 211-10 du code de l’organisation judiciaire, des tribunaux judiciaires spécialement désignés connaissent des actions en matière de propriété littéraire et artistique, de dessins et modèles, de brevets d’invention, de certificats d’utilité, de certificats complémentaires de protection, de topographie de produits semi-conducteurs, d’obtentions végétales, d’indications géographiques et de marques, dans les cas et conditions prévus par le code de la propriété intellectuelle.

Aux termes de l’alinéa 1er de l’article L. 331-1 du code de la propriété intellectuelle, les actions civiles et les demandes relatives à la propriété littéraire et artistique, y compris lorsqu’elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant des tribunaux judiciaires, déterminés par voie réglementaire.

L’article D.331-1-1 du même code précise que le siège et le ressort des tribunaux judiciaires ayant compétence exclusive pour connaître des actions en matière de propriété littéraire et artistique en application de l’article L. 331-1 du code de la propriété intellectuelle sont fixés conformément à l’article D. 211-6-1 du code de l’organisation judiciaire .

Ce dernier texte prévoit que le siège et le ressort des tribunaux judiciaires ayant compétence exclusive pour connaître des actions en matière de propriété littéraire et artistique, de dessins et modèles, de marques et d’indications géographiques, dans les cas et conditions prévus par le code de la propriété intellectuelle, sont fixés conformément au tableau VI annexé au présent code.

L’annexe du tableau VI du code de l’organisation judiciaire telle qu’elle ressort du décret n° 2009-1205 du 9 octobre 2009, modifié par le décret n° 2019-912 du 30 août 2019, fixant les sièges et ressorts des tribunaux judiciaires et des tribunaux de première instance compétents pour connaître des actions en matière de propriété littéraire et artistique, de dessins et modèles, de marques et d’indications géographiques donne compétence exclusive au tribunal judiciaire de Paris pour les contentieux en matière de propriété intellectuelle qui relèvent des tribunaux du ressort des cours d’appel de Bourges, Paris, Orléans, Noumea, Papeete, Saint-Denis et des Tribunaux supérieurs d’appel de Mamoudzou et Saint-Pierre.

En l’espèce, il convient de relever qu’aucun moyen de droit n’est invoqué dans l’assignation délivrée par la SARL l’Évènement spectacle, au soutien de ses prétentions. Autrement dit, celle-ni ne vise aucun texte de loi. De plus, elle ne produit pas le contrat qu’elle aurait conclu avec M. [H] [W] qui aurait pour objet le remboursement du matériel acquis en 2013 et des formations y afférent.

Il ressort toutefois de l’assignation qu’en revendiquant la restitution du projecteur laser, des deux jeux de laser à main et de l’ordinateur portable, la SARL l’Évènement spectacle s’estime propriétaire de ce matériel. Elle souhaite également engager la responsabilité contractuelle de M. [H] [W] en ce qu’il ne lui aurait pas remboursé le prix d’acquisition du matériel et les formations relatives à son utilisation.

Au soutien de ses demandes de restitution, de remboursement et de dommages et intérêts, la SARL l’Évènement spectacle ne se limite pas à invoquer le droit commun de la propriété et du contrat. Elle indique notamment que les acquisitions et les formations ont été prises en charge par elle en contrepartie des engagements suivants pris par M. [H] [W] :
– la concession de l’exclusivité de la production, l’exploitation, la reproduction et les droits de représentation du spectacle X-laser pendant une durée de six ans, soit jusqu’en 2020 ;
– le remboursement du matériel et des formations, par une fraction des cachets reçus, selon un échéancier.

Dans la continuité de ces éléments, elle reproche à M. [H] [W] d’avoir violé son obligation d’exclusivité en vendant son numéro à plusieurs concurrents.

Ainsi, les manquements contractuels dont se prévaut la SARL l’Évènement spectacle ne portent pas uniquement sur les modalités de remboursement du matériel et des formations mais impliquent également de déterminer si M. [H] [W] a manqué à une éventuelle obligation d’exclusivité. Ainsi, il reviendra au tribunal de trancher si M. [H] [W] a cédé les droits patrimoniaux sur le spectacle X-Laser à la SARL l’Évènement spectacle et s’il a porté atteinte au droit patrimonial de cette dernière.

Ces questions imposeront au tribunal de mettre en oeuvre des règles relevant du droit de la propriété littéraire et artistique.

Dès lors, il y a lieu de déclarer le tribunal judiciaire de Bobigny incompétent au profit du tribunal judiciaire de Paris.

En l’absence d’appel, le dossier de l’affaire sera transféré au tribunal judiciaire de Paris en application de l’article 82 du code de procédure civile.

2. SUR LA DEMANDE DE DOMMAGES ET INTÉRÊTS DE M. [H] [W]

Selon l’article 789 du code de procédure civile, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :
1° Statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l’article 47 et les incidents mettant fin à l’instance ;
Les parties ne sont plus recevables à soulever ces exceptions et incidents ultérieurement à moins qu’ils ne surviennent ou soient révélés postérieurement au dessaisissement du juge ;
2° Allouer une provision pour le procès ;
3° Accorder une provision au créancier lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Le juge de la mise en état peut subordonner l’exécution de sa décision à la constitution d’une garantie dans les conditions prévues aux articles 514-5,517 et 518 à 522 ;
4° Ordonner toutes autres mesures provisoires, même conservatoires, à l’exception des saisies conservatoires et des hypothèques et nantissements provisoires, ainsi que modifier ou compléter, en cas de survenance d’un fait nouveau, les mesures qui auraient déjà été ordonnées ;
5° Ordonner, même d’office, toute mesure d’instruction ;
6° Statuer sur les fins de non-recevoir.

Aux termes de l’article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

Outre qu’une demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ne saurait avoir pour fondement l’article 32-1 du code de procédure civile, qui permet exclusivement de prononcer une condamnation au paiement d’une amende civile, il n’appartient pas au juge de la mise en état, dont les attributions sont énumérées par l’article 789 du code de procédure civile, d’attribuer des dommages et intérêts dans le cadre d’une action en justice dilatoire ou abusive, sauf à ce que l’incident de procédure qu’il tranche soit lui-même dilatoire ou abusif.

En l’espèce, M. [H] [W] est à l’initiative de l’incident de procédure et il reproche à la SARL l’Évènement spectacle le caractère abusif de son action en justice introduite par l’assignation du 21 juillet 2023.

Il reviendra donc à M. [H] [W] de former sa demande devant le tribunal.

Dans cette attente il sera déclaré irrecevable en sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

3. SUR LES FRAIS DE L’INCIDENT

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

En application de l’article 700 1° du code de procédure civile, dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a lieu à condamnation.

La présente décision ne tranchant pas le litige aucune des parties ne saurait être considérée comme perdante. De plus, elle ne met pas fin à l’instance. Dans ces conditions, les dépens seront réservés.

Les dépens étant réservés et l’affaire n’étant pas tranchée sur le fond, la demande de chacune des parties fondée sur l’article 700 du code de procédure civile sera également réservée.

PAR CES MOTIFS

Le juge de la mise en état,

DÉCLARE le tribunal judiciaire de Bobigny incompétent au profit du tribunaljudiciaire de Paris pour statuer sur les demandes formées par la SARL l’Évènement spectacle à l’encontre de M. [H] [W] ;

DIT qu’à défaut d’appel, le dossier de l’affaire sera transmis à cette juridiction, avec une copie de la présente décision ;

DÉCLARE irrecevable la demande de dommages et intérêts de M. [H] [W] ;

RÉSERVE les dépens ;

RÉSERVE la demande de chacune des parties fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

La présente ordonnance ayant été signée par le juge de la mise en état et le greffier

Le greffierLe juge de la mise en état
Corinne BARBIEUXMichaël MARTINEZ

 


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