Contrat d’Artiste : 9 février 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/02531

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Contrat d’Artiste : 9 février 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/02531
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

NAC 80A

21e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 09 FEVRIER 2023

N° RG 20/02531 –

N° Portalis DBV3-V-B7E-UEWH

Monsieur [X] [G]

C/

S.A.S. VERSANT

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 septembre 2020 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : 1801127

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Olivier BONGRAND

Me Franck VERDUN

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE NEUF FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [X] [G]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentant : Me Olivier BONGRAND de la SELARL O.B.P. Avocats, constitué / plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0136

APPELANT

***

S.A.S. VERSANT

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Franck VERDUN de la SELARL VERDUN VERNIOLE, constitué / plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0309

INTIMEE

***

Composition de la cour

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 6 décembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Thomas LE-MONNYER chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,

Madame Véronique PITE, Conseiller,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,

Madame Alicia LACROIX, greffier lors des débats.

FAITS ET PROCÉDURE

Par contrat de travail à durée indéterminée en date du 1er avril 2014, M. [G] a été engagé en qualité d’ingénieur chargé d’affaires, par la société Versant, qui a pour activité les travaux spécialisés de construction, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective du bâtiment de la région parisienne.

Convoqué le 2 mai 2018 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 14 mai suivant, avec mise à pied à titre conservatoire, le salarié a saisi, le 23 mai 2018, le conseil de prud’hommes de Nanterre aux fins d’entendre juger que la rupture des relations contractuelles étaient intervenue le 2 mai 2018, juger le licenciement nul ou dépourvu de cause réelle et sérieuse et subsidiairement prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail, et condamner la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

Le 25 mai 2018, M. [G] a été licencié pour faute grave.

La société s’est opposée aux demandes du requérant et a sollicité sa condamnation au paiement d’une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement rendu le 25 septembre 2020, notifié le 16 octobre 2020, le conseil a statué comme suit :

Dit et juge la demande de nullité du licenciement infondée,

Dit et juge le licenciement pour faute grave au 25 mai 2018 fondé et régulier,

Constate l’absence de tout harcèlement moral visant M. [G],

Constate l’absence de toute modification unilatérale du contrat de travail de M. [G] par la société Versant,

Constate l’absence de toute heure supplémentaire non rémunérée effectuée par M. [G],

Déboute M. [G] de l’ensemble de ses demandes,

Déboute la société de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Dit que chacune des parties supportera les éventuels dépens pour ce qui les concerne.

Le 12 novembre 2020, M. [G] a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Par ordonnance rendue le 9 novembre 2022, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 6 décembre 2022.

‘ Selon ses dernières conclusions notifiées le 10 février 2021, M. [G] demande à la cour d’infirmer le jugement en ce qu’il a dit la demande de nullité du licenciement infondée, jugé le licenciement pour faute grave au 25 mai 2018 fondé et régulier, constaté l’absence de tout harcèlement moral le visant, l’absence de toute modification unilatérale du contrat de travail par la société Versant ,l’absence de toute heure supplémentaire non rémunérée effectuée, et l’a débouté de l’ensemble de ses demandes, déboutée la société de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et dit que chacune des parties supportera les éventuels dépens pour ce qui les concerne, et, statuant à nouveau, de :

1) A titre principal,

Annuler le licenciement du 25 mai 2018 ;

Ordonner sa réintégration à son poste d’Ingénieur commercial chargé d’affaires au sein de la société Versant ;

Condamner la société Versant à lui verser la somme de 115 712 euros à titre d’indemnité nette de nature forfaitaire correspondant aux salaires dont il a été privé depuis son licenciement jusqu’à sa réintégration effective dans son emploi, arrêtée à titre provisoire au 10 février 2021 ;

2) A titre subsidiaire,

Juger que la rupture du contrat de travail est intervenue le 2 mai 2018 et produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

3) Très subsidiairement,

Prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts et griefs de la société et produit les effets d’un licenciement nul ;

4) A titre infiniment subsidiaire,

Juger que le licenciement intervenu le 25 mai 2018 est sans cause réelle et sérieuse ;

En conséquence des 2), 3) et 4)

Condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

– 37 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse ;

– 11 250 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 1 125 euros des congés payés afférents ;

– 3 917 euros à titre d’indemnité légale de licenciement ;

-10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour abus de droit (circonstances vexatoires) ;

– 3 616 euros à titre de rappel de salaire au titre de la mise à pied à titre conservatoire, outre 361 euros de congés payés y afférents ;

En tout état de cause,

Condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

– 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

– 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour modification unilatérale du contrat de travail ;

– 53 582 euros de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, outre 5 358 euros des congés payés y afférents ;

– 25 658 euros de rappel au titre du repos compensateur, outre 2 565 euros des congés payés y afférents ;

– 22 500 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé ;

– 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Ordonner à la société de lui remettre une attestation pôle emploi, un certificat de travail et bulletins de paie conformes au jugement à intervenir ;

Assortir la condamnation des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil s’agissant des créances salariales et de l’indemnité légale de licenciement ;

Condamner la société aux entiers dépens y compris les éventuels frais d’exécution.

‘ Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 6 mai 2021, la société Versant demande à la cour de :

Confirmer en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud’hommes de Nanterre du 25 septembre 2020 ;

En conséquence,

Débouter M. [G] de l’ensemble de ses fins, moyens et conclusions,

Condamner M. [G] à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

MOTIFS

I – Sur les heures supplémentaires

Au soutien de sa réclamation salariale à ce titre, M. [G], qui affirme avoir eu un rythme de travail effréné, expose avoir accompli entre l’année 2015 et l’année 2018, 946,5 heures supplémentaires majorées à 125% et 923,5 heures supplémentaires majorées à 150%. Le salarié explique notamment que l’employeur lui a demandé de lui mettre à disposition un ordinateur lors de son arrêt de travail d’octobre 2016 afin qu’il puisse travailler de chez lui et précise avoir alerté la société en janvier 2016 puis en mai 2018, de l’accomplissement d’un nombre considérable d’heures supplémentaires, sans qu’aucune mesure n’ait été mise en place pour y pallier. M. [G] conclut que, sous couvert d’une certaine ‘souplesse’ et d’une autonomie, l’employeur a toutefois reconnu la grande amplitude horaire des cadres de la société, dont il fait partie.

La société soulève la prescription des demandes en paiement d’heures supplémentaires pour la période de janvier à mai 2015 et s’oppose pour le surplus. L’employeur répond que M. [G] n’a jamais sollicité le paiement de ces prétendues heures supplémentaires et qu’il ne lui a jamais été demandé d’en effectuer. La société conteste la valeur probante des éléments probatoires versés aux débats par M. [G] et soutient, à l’inverse, démontrer l’absence de réalisation d’heures supplémentaires.

Aux termes de l’article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l’article L. 3171-3 du même code, l’employeur tient à la disposition de l’inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

Enfin, selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’ heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant, la chambre sociale de la Cour de cassation précisant selon une jurisprudence constante que le juge prud’homal ne saurait faire peser la charge de la preuve que sur le seul salarié.

M. [G] verse aux débats :

– un décompte journalier, pour la période de janvier 2015 à mai 2018, de ses horaires ainsi que des heures effectuées, en retirant une heure de déjeuner, précisant le nombre d’heures supplémentaires majorées à 125% et à 150% ;

– un tableau récapitulatif de nombre d’heures supplémentaires effectuées par année associées à leur taux, ainsi que des repos compensateurs ;

– ses bulletins de paie pour la période du 1er avril 2014 au 26 mai 2018 ; ces bulletins de paie sont associés à des ‘feuilles d’heures’quantifiant quotidiennement le nombre d’heures effectuées ainsi que les congés payés pris ;

– 9 courriels envoyés entre 5h56 et 7h52 entre le 4 mai 2015 et le 11 avril 2018 ;

– 7 courriels envoyés entre 19h33 et 23h30 entre le 9 juin 2015 et le 22 mars 2018 ;

– des convocations à des réunions débutant entre 7h et 7h30 ;

– 4 courriels envoyés pendant ses congés payés et 2 envoyés pendant des arrêts maladie ;

– un mail daté du 10 octobre 2016, envoyé par M. [UU] en ces termes : ‘Salut [X], j’espère que tu vas mieux. Je t’ai récupéré un ordi si tu veux, A+’, ce à quoi M. [G] a répondu : ‘Oui, ça va mieux, mais ça ne s’est pas remis du tout… Je vais voir par la suite. Je vois le chirurgien à 12h jeudi. Je repasse jeudi matin de toute façon’. Cette discussion fait suite à un courriel envoyé par M. [UU] transmettant à M. [G] un document, et ce dernier le remerciant en envoyant un message via son iPhone.

– un mail envoyé par M. [G] à M. [UU] le 26 janvier 2016 rédigé en ces termes : ‘Merci pour la précision, mais une nouvelle fois, je constate une dérive d’interprétation de mes dires, lorsque j’évoque le fait que nous n’avons pas d’horaire, cela signifie pour moi que notre amplitude de travail est variable dans la plage horaire effective fixée par notre convention collective, donc nous organisons notre journée dans ce créneau en fonction de nos contraintes, cela ne veut nullement dire que nous devions faire 12h par jour. Il ne me semble pas être contraignant sur le sujet, plutôt même arrangeant de façon générale. Je pense qu’il est préférable pour tous de continuer sur le même principe, à moins que tu souhaites un cadre plus rigide, mais je ne pense pas que cela te convienne réellement’. Ce message fait suite à un courriel de M. [UU] qui explique à M. [G] qu’il est soumis aux mêmes conditions de travail (en durée) que celle prévue dans la convention collective pour l’ensemble des employés et que ‘l’idée reçue qu’un cadre n’a pas d’horaire est fausse’.

– un mail envoyé par M. [G] le même jour précisant : ‘j’ai toujours du mal à interpréter le sens de cette remarque… cela veut dire que nous devons travailler 36,5h par semaine tout en respectant les contraintes liées à notre travail (urgence, rendez-vous, administratif…)’ Ce sujet avait été abordé comme point de justification aux primes de jours gagnés. On aurait pu l’apparenter à une compensation pour les heures supplémentaires effectuées. En effet, à mes yeux, l’ensemble des tâches liées à notre métier et la nature des différents acteurs avec qui nous sommes en contact nous obligent implicitement à étendre notre plage de travail pour répondre au mieux à tout le monde. Concernant un cadre plus rigide, ce n’est pas ce qui me convient le mieux, mais il a le mérite d’être plus juste et d’éviter les dérives horaires non reconnues’.

M. [UU] a répondu : ‘il ne me semble pas qu’il y ait de dérive horaire comme tu l’exprimes, car vous n’êtes pas fliqués et je en vous demande pas de compte sur vos emplois du temps, notre activité implique une souplesse qui paraît logique et que tu as l’air de découvrir. […] si tu as des problèmes d’organisation de ton temps de travail, nous pourrons l’évoquer lors de ton entretien professionnel et rechercher une formation pour combler ce besoin’.

M. [G] a notamment conclut la conversation ainsi : ‘cette souplesse me semble effectivement logique et le principe ‘donnant-donnant’ qui l’accompagne également. Les dérives horaires sont, à mon avis, indéniables. Comment ne pas voir que l’on arrive tôt et que l’on part tard… Sans compter qu’il ne me semble pas être le seul à faire remonter cette info. Mais elle fait partie à mon sens de la certaine souplesse dont on parle. […] Je ne remet pas en cause ici l’organisation ni ma rémunération, mais j’exprime à travers ces différents points mon désaccord sur le refus quant à la prime et la démotivation que cela génère. Je te remercie d’avoir pris en compte mon problème d’organisation du temps de travail, si l’on peut m’apprendre à respecter les horaires ou à faire un travail en moins de temps, je suis preneur’.

– sa lettre de contestation de la mise à pied conservatoire datée du 3 mai 2018, par laquelle il indique notamment ceci : ‘malgré mon investissement dans mon travail avec des horaires de 12h par jour (le plus souvent 7h – 19h), vous finissez par m’écarter de l’entreprise’.

En réponse, l’employeur produit :

– l’accord de réduction du temps de travail applicable dans la société ;

– un mail relatif à l’organisation de moments de convivialité (rencontres d’Urban foot) les 27 avril et 4 mai 2017 ;

– 2 attestations de salariés chargés d’affaires, MM. [C] et [CO], ainsi que celle de M. [PN], directeur commercial, qui décrivent des journées type d’un salarié chargé d’affaire ainsi que les horaires habituels ;

– les attestations de MM. [N] et [P], chefs de chantier, [LA], [H] et [L] [R], cordistes ou encore [T], chargé d’affaires qui témoignent de l’absence de systématicité de la présence de M. [G] lors des remises de documents au bureau ou encore sur les chantiers ;

– l’attestation de Mme [JV], ancienne responsable RH, qui explique que : ‘ Lors de ma présence chez Versant, je n’ai jamais eu de retour de surcharge de travail par les chargés d’affaires et que les heures supplémentaires éventuelles étaient tacitement accordées sous forme d’horaires plus flexible ou compensatoires’.

Mme [Y], ancienne assistante comptable et service généraux qui témoigne également que : ‘1) les heures supplémentaires sont au bon vouloir du salarié de l’entreprise. Personne ne nous oblige à en faire. 2) Un relevé d’heure est distribué à chaque salarié en même temps que la fiche de paie [‘] 5) Arrivant souvent à 7h30, je n’ai que rarement vu M. [G] avant 9h00 dans les bureaux. 6) Lors de ma présence chez Versant M. [G] n’a jamais évoqué de problématique d’heures supplémentaires qui lui serait dû auprès du service comptable ou paie dont je faisais partie. 7) J’ai souvent pu côtoyer M. [G] lors de mes nombreuses pauses à la machine à café’.

– un tableau comparatif des devis et chiffres d’affaires des chargés d’affaire ainsi qu’une synthèse des consignes de démarrage des chantiers en 2018.

Il ressort de l’ensemble de ces éléments que l’employeur qui a privilégié la souplesse consentie aux chargés d’affaires pour organiser leur activité n’est pas en situation de justifier des horaires effectivement accomplis par le salarié sur la période litigieuse.

Il ressort de l’ensemble de ces éléments, que si le salarié pouvait effectivement réaliser certaines semaines des heures supplémentaires celles-ci sont en nombre moins importants que celles alléguées.

La réclamation du salarié est partiellement justifiée à hauteur de 10 500 euros bruts à titre de rappel d’heures supplémentaires, outre 1 050 euros au titre des congés payés y afférents, les heures ainsi accomplies n’ayant pas dépassé le contingent annuel des heures supplémentaires de sorte que la réclamation présentée au titre du repos compensateur sera rejetée.

Le jugement sera donc infirmé de ce chef.

Même si l’employeur ne justifie pas des heures effectivement réalisées, la preuve de son intention de se soustraire à ses obligations n’est pas suffisamment rapportée. Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande d’indemnité légale pour travail dissimulé.

II – Sur le harcèlement moral

En application des articles L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon les dispositions de l’article L. 1154-1 du même code, dans sa version antérieure à la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

M. [G] indique avoir été victime d’agissements de harcèlement moral de la part de M .[W], Président Directeur Général, à compter de juillet 2017, date à laquelle il s’est retrouvé placé directement sous sa subordination. Le salarié explique que M. [W] adoptait certains comportement dans le but de le déstabiliser et fait valoir à ce titre qu’il lui mettait une pression constante en lui envoyant des courriers intempestifs le soir, le week-end et même pendant ses congés, qu’il organisait des réunions à 7h du matin, qu’il s’est adressé à lui en lui écrivant : ‘fais gaffe’ ou ‘va voir un docteur pour te calmer’, qu’il mettait les collaborateurs en confrontation, et ceci malgré les alertes qu’il indique lui avoir adressées sur ce point.

La société conteste que M. [G] ait été victime d’un quelconque harcèlement, précisant qu’il ne verse aucun élément médical mettant en évidence une dégradation de son état de santé. Elle explique que M. [G] ne l’a jamais alertée durant la relation contractuelle et que ce n’est que par opportunisme qu’il lui a adressée pour la première fois un courrier le 3 mai 2018, soit le lendemain de la convocation à entretien préalable pour se plaindre d’un prétendu harcèlement moral. L’employeur souligne que dans sa saisine du 23 mai 2016, M. [G] n’a d’ailleurs pas sollicité de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

S’agissant des demandes intempestives, M. [G] se prévaut de courriels émanant de M. [W], ainsi rédigés :

– le 22 septembre 2017 à 20h18, s’agissant d’un ravalement poste RTE, envoyé à M. [G] : ‘tu peux répondre merci à toi’

– le 26 octobre 2017 à 00h28, s’agissant d’un devis, envoyé à M. [G] et Mme [J] : ‘Ok [Z], [X] reviens vers toi vite. Sinon, besoin de faire le point sur le salon avec toi, biz à demain’,

– les 27 décembre 2017 ou encore le samedi 18 novembre 2017, envoyés à plusieurs chargés d’affaires : ‘pour info’, ou ‘pour avis’.

– le 12 octobre 2017, M. [W] a transmis à M. [G] un mail envoyé par Mme [A] ainsi rédigé : ‘RAPPEL-URGENT-MERCI’ pour des travaux pour septembre 2017,

– le 12 janvier 2018 à 22h19 s’agissant d’un dossier de candidature Versant, M. [W] a envoyé un mail à M. [M], graphiste, avec en copie M. [G] et M. [F] : ‘La page de droite ou on parle de nos sous-traitant, il faut enlever, cela ne concerne que le bâtiment. Répare cela lundi matin très tôt si tu peux, Bon week-end’,

– le 19 janvier 2018 à 19h28, M. [W] a écrit à Mme [J] en mettant M. [G] et M. [T] en copie, s’agissant d’un devis pour Socateb : ‘On regarde très vite’,

– le 23 mars 2018 à 23h49, M. [W] a écrit à M. [G] s’agissant d’une intervention : ‘Urgent’,

– le 23 avril 2018, à 17h09, M. [W] a indiqué au secrétariat qu’une demande était très urgente. Le secrétariat s’est rapproché de M. [G] en ces termes : ‘Coucou franky, j’espère que tu passes de bonnes vacances. Dis moi-t’as pu voir pour traiter cette demande’ Si non, je peux voir avec un autre chargé d’affaires pour traiter cette demande urgemment’. M. [G] lui a répondu qu’il n’avait jamais eu cette demande et que ce n’est pas lui qui gère.

Le salarié produit également une notification pour des réunions prévues le mercredi à 7h ou 7h30.

Nonobstant les heures tardives d’envoi de certains messages par M. [W], ils ne sont pas, pour la plupart, adressés exclusivement à M. [G] et ne font nullement état d’instructions visant à exécuter des tâches immédiatement ou encore d’émettre des pressions, sans démontrer par ailleurs une atteinte au droit à la déconnexion dont se prévaut le salarié.

Concernant les termes employés par M. [W] dans ses courriels, M. [G] produit un courrier que lui a envoyé M. [W] le 11 janvier 2018 indiquant : ‘Fais gaffe [FH] [U]’. Ce message fait suite à un mail envoyé par M. [G] à M. [U] pour lui transmettre un rapport d’intervention. Il en ressort que ce message attire l’attention du collaborateur sur le nom de l’interlocuteur.

Il communique également un message de M. [W] adressé ‘à toutes et à tous’, s’agissant de la remise de la prime d’épargne salariale pour l’année 2015 avec une note manuscrite : ‘Merci [X], Profites en bien, va voir un docteur pour te calmer, Lol, merci à toi’.

Le salarié établit le caractère familier de cette annotation.

S’agissant de la mise en concurrence des collaborateurs, M. [G] verse aux débats :

– un courrier envoyé le 10 décembre 2017 par M. [W] à Mme [Y], avec M. [G] en copie rédigé ainsi : ‘Viens me voir merci’, s’agissant d’une demande de stage, M. [G] répondant : ‘il a CV et LM sérieuses! A voir!!’

– un courrier envoyé par M. [W] le 11 janvier 2018 à 19h52 à M. [G] et à M. [K] : ‘Dossier confié à [IP], il doit répondre aussi vite que [E]’, ce qui fait suite à une demande de M. [G] sur le point de savoir qui prenait le dossier.

– un courrier envoyé le 15 mars 2018 envoyé par M. [W] à M. [G] s’agissant de travaux de balcon : ‘Salut, tu prends ou je vois avec [IP]’ ; M. [G] a répondu : ‘Comme tu veux, c’est moi qui le gérait avant cabinet [BZ]’.

Par ailleurs, M. [G] justifie s’être plaint de subir un harcèlement moral par correspondance adressée le 3 mai 2018. En l’état de ce seul élément, le salarié n’établit pas avoir interpellé sa hiérarchie relativement à des agissements de harcèlement moral avant l’engagement de la procédure de licenciement et de son départ physique de la société.

Pris dans leur ensemble, les éléments ci-avant établis ne font pas présumer l’existence d’un harcèlement moral.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de ce chef.

III – Sur le retrait du véhicule de fonction

M. [G] expose que l’employeur lui a retiré son véhicule de fonction lorsqu’il a été mis à pied le 2 mai 2018, ce qui constitue une modification unilatérale de son contrat, et sollicite la condamnation de la société à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la perte d’un avantage en nature dont il a été injustement privé.

La société réplique que le véhicule litigieux constituait un véhicule de service, qui ne peut être qualifié d’avantage en nature. Elle précise avoir autorisé M. [G] à l’utiliser pour les trajets domicile/travail afin de lui éviter des déplacement inutiles mais qu’ils n’ont jamais convenu l’utilisation du véhicule de service pendant les week-ends ou les congés. Elle critique enfin la valeur probante des contraventions versées aux débats par le salarié.

La seule autorisation accordée par l’employeur au salarié d’utiliser le véhicule pour se rendre au travail ou en revenir, observation faite que le salarié était amené dans le cadre de son activité à se rendre sur des chantiers ne suffit à caractériser le véhicule mis à disposition par l’employeur comme un véhicule de fonctions.

En l’absence d’élément probant caractérisant le fait que l’employeur avait accordé à M. [G] le bénéfice d’un véhicule de fonctions, le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a débouté de ce chef.

IV – Sur le licenciement

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi libellée :

‘Nous sommes au regret de vous informer par la présente, que nous avons décidé de procéder à votre licenciement pour faute grave.

Les raisons qui nous contraignent à prendre cette mesure sont les suivantes :

En qualité de chargé d’affaires, vous devez vous assurer de la meilleure collaboration et communication possible avec le service planning qui gère les interventions de nos équipes. Or nous avons eu à déplorer divers incidents qui ont été à l’origine de dysfonctionnements ou de tensions inutiles avec nos clients ou en interne entre collègues.

Ainsi concernant les chantiers Socateb et [B] programmés le 19 avril 2018, vous avez prétexté que les salariés qui avaient été choisis pour ces chantiers par le planning n’avaient pas la compétence nécessaire pour réaliser l’intervention et que les chantiers devaient être décalés du fait du planning. Or il s’avère, renseignement pris auprès du client Socateb, que la demande de report émanait de celui-ci, sans aucun rapport avec les collaborateurs pressentis pour l’intervention.

De même, vous n’avez pas donné les informations au planning sur les chantiers envisagés (CBI, Seef, M [RT]) malgré ses relances. Concernant d’autres clients (ex Engie), vous ne communiquiez au planning les informations concernant les dates d’interventions ou le matériel nécessaire comme les nacelles que tardivement, ce qui compliquait considérablement leur organisation, au risque de ne pas pouvoir tenir les délais prévus et de mécontenter les clients.

Par ailleurs, vous avez répandu dans l’entreprise des informations fausses de nature à créer un climat négatif. Ainsi, concernant l’Institut du Monde Arabe pour lequel nous intervenons en sous-traitance pour le groupe Clemecy ou directement avec son accord, vous avez prétexté que nos interventions n’avaient pas été appréciées par le client et que nous l’avions perdu. Or nous avons pris contact avec le directeur des opérations de Clemecy et de l’IMA qui nous ont confirmé leur satisfaction de Versant.

Ces comportements répétés nuisent tant à l’image de Versant vis-à-vis de nos clients qu’au climat interne à l’entreprise en contrevenant au respect et l’attention que doivent se porter les collègues entre eux’.

Par courrier du 14 juin 2018, la société a apporté des précisions sur les motifs du licenciement pour faute grave en précisant :

« – Concernant le chantier Socateb : vous avez indiqué que le chantier avait été donné à un de nos sous-traitants à savoir [RL]. Or il s’avère que ce chantier n’a pas pu se faire car il nécessite la pose d’une structure tubulaire. Vous n’aviez pas identifié ce besoin et nous avons dû différer le chantier afin de pouvoir faire une proposition en ce sens au client,

– Concernant le chantier [B], l’intervention n’a pas pu avoir lieu car les collaborateurs ont opposé leur droit de retrait. Il y avait en effet sur le lieu de l’intervention une antenne GSM que vous n’aviez également pas identifiée.

– Les deux chantiers, que vous aviez initialement programmés le 18 avril 2018, ne sont toujours pas réalisés aujourd’hui.

– Concernant le planning, vous trouverez ci-joint des mails de relance de [DE] [T] en date du le 18 avril, en charge du planning qui démontre le manque d’informations communiquées.

– Vous trouverez également ci-joint un mail de Mme [S], syndic de l’immeuble du [Adresse 2] qui font état de malfaçons sur le un chantier dont vous aviez la charge ».

IV- a) Sur le licenciement verbal

M. [G] soutient avoir fait l’objet d’un licenciement verbal expliquant que l’employeur lui a retiré dès le 2 mai 2018, son véhicule de fonction, son téléphone portable et son ordinateur et qu’avant même la tenue de l’entretien préalable, la Direction a annoncé son départ aux membres de l’entreprise et même à un client, le 4 mai 2018.

La société intimée conteste tout licenciement verbal. Elle rappelle que le 2 mai 2018, elle s’est limitée à notifier à M. [G] une mise à pied conservatoire, ce qui lui permettait de procéder temporairement au retrait de son matériel professionnel, dont le véhicule de service, et de lui demander de ne plus se présenter à son poste de travail. Elle réfute avoir interdit au salarié d’être en contact avec ses collègues et avoir annoncé publiquement son licenciement qui n’est intervenu que le 25 mai 2018. Elle explique qu’elle n’a fait qu’indiquer à certaines personnes amenées à travailler avec M. [G] que ce dernier n’était pas actuellement présent dans l’entreprise, sans autre précision, et ce, dans le but d’organiser la poursuite des travaux en cours ou de gérer les demandes de client pendant l’absence du salarié.

Le licenciement oral est caractérisé lorsque l’employeur manifeste au salarié la volonté non équivoque de mettre fin de façon irrévocable au contrat de travail sans respecter les exigences légales et jurisprudentielles de motivation de la rupture, l’employeur ne pouvant régulariser ce licenciement verbal par l’envoi postérieur d’une lettre de licenciement. La charge de la preuve du licenciement oral repose sur le salarié.

M. [G] se prévaut notamment d’un mail envoyé le 4 mai 2018 par M. [D], du cabinet [BZ], à Mme [V], chargée d’affaires de la société Versant, rédigé ainsi : ‘Sur demande de M. [W] et après le départ de M. [G], je souhaiterais vous rencontrer. Pouvez-vous me proposer plusieurs dates après le 14 mai et m’envoyer votre portable, merci’, dont l’intéressé tire la conséquence d’une annonce publique de son départ.

Cependant, ce seul mail versé aux débats qui émane d’un tiers à l’entreprise qui se borne à invoquer un ‘départ’du salarié, ne suffit pas à démontrer que l’employeur lui aurait notifié un licenciement verbal.

La société produit par ailleurs 5 attestations de salariés qui témoignent ne pas avoir été informé du licenciement de M. [G] pendant la procédure disciplinaire.

Peu importe la qualification à donner au véhicule qu’il pouvait utiliser, en toute hypothèse, à l’occasion d’une mise à pied conservatoire, son retrait, en sus de son matériel de travail, n’emporte pas caractérisation d’un licenciement verbal.

Faute pour le salarié de rapporter la preuve que la société lui aurait manifesté oralement la rupture du contrat de travail avant la notification de la lettre de licenciement, comme il le prétend, ce qui ne saurait être caractérisée par le retrait de son matériel de travail après mise à pied conservatoire ou par l’évocation d’un ‘départ’ du salarié par un tiers, ce moyen n’est pas établi.

IV- b) Sur la nullité du licenciement

M. [G] soutient que son licenciement encourt la nullité en ce qu’il sanctionne l’exercice normal par le salarié de sa liberté d’expression. Le salarié explique s’être simplement exprimé sur sa crainte de perdre le client afin d’alerter la société et d’éviter la réitération d’une telle situation, de manière objective et constructive. Il considère que la société ne caractérise pas d’abus, ce qui constitue une atteinte à la liberté d’expression et entraîne, à elle seule, la nullité du licenciement.

La société conteste toute violation de la liberté d’expression et explique que le salarié occupait un poste de cadre et qu’il était tenu à une obligation de loyauté renforcée, outre une obligation stricte de discrétion. La société fait valoir que M. [G] a affirmé de manière mensongère que les interventions de l’entreprise n’avaient pas été appréciées par le client ‘Institut du monde arabe’ (IMA), alors qu’elle était sous-traitante de la société Clemessy, et que face à l’inquiétude engendrée par cette rumeur, elle s’est rapprochée de Clemessy et de l’IMA qui ont été surpris par cette demande et qui lui ont confirmé qu’ils n’étaient aucunement mécontents du travail réalisé, au contraire.

La liberté d’expression est une liberté fondamentale consacrée au niveau international par la Déclaration Universelle des Nations Unies sur les Droits de l’Homme de 1948 et le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques de 1966. Elle est également garantie par la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’homme et des Libertés fondamentales du 4 novembre 1950 en son article 10 et par la Charte des droits fondamentaux de l’union européenne.

Les articles 10 et 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 disposent respectivement que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi » et que « la libre communication des pensées et des opinions est un droit les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement (…) ».

L’article L.1121-1 du code du travail affirme que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées ou but recherché ».

En l’espèce, dans la lettre de licenciement ci-avant reproduite, l’employeur reproche précisément au salarié d’avoir : ‘ répandu dans l’entreprise des informations fausses de nature à créer un climat négatif. Ainsi, concernant l’Institut du Monde Arabe pour lequel nous intervenons en sous-traitance pour le groupe Clemecy ou directement avec son accord, vous avez prétexté que nos interventions n’avaient pas été appréciées par le client et que nous l’avions perdu. Or nous avons pris contact avec le directeur des opérations de Clemecy et de l’IMA qui nous ont confirmé leur satisfaction de Versant’.

L’employeur reproche donc expressément au salarié d’avoir répandu des informations fausses de nature à créer un climat négatif et d’avoir prétexté une mauvaise appréciation des interventions effectuées parmi les éléments justifiant le licenciement.

Ce grief n’a pas été explicité dans la lettre de précisions des motifs du licenciement pour faute grave datée du 14 juin 2018.

M. [G] verse aux débats un mail qu’il a envoyé à M. [GM], directeur du bâtiment et des services techniques et de la sécurité de l’Institut du monde arabe, daté du 23 novembre 2017 rédigé en ces termes : ‘Notre intervention de dépose du projet scénographique dans le cadre de l’exposition Carte Blanche aura lieu lundi 27 novembre 2017 […]. Par ailleurs, j’ai remonté les problèmes rencontrés sur la préparation de chantier à ma direction. Nous nous excusons pour cela. Nous sommes actuellement en pleine restructuration et nous fusionnons deux pôles distincts de Versant en un. De gros chamboulements ont lieu dans les planifications et l’attribution des chantiers, d’autant plus que nous avons de nombreuses demandes d’intervention. Nous allons donc tout faire pour revenir avec nos méthodes précédentes et attribuer 1 à 3 chefs de chantier par site afin de faciliter les échanges. […]’.

M. [GM] a informé ensuite M. [G], par mail du 6 décembre 2017 que ‘comme tu ne le sais peut-être pas, ce sont mes équipes qui ont déposé les fanions suspendus dans le hall des caisses à l’accueil du RDC, tes équipes sont reparties avant et nous nous en sommes aperçus le lendemain… On peut s’appeler pour la facturation également, Merci, Bonne journée’.

Le 16 juin 2020, M. [G] est revenu vers M. [GM] afin de demander à son interlocuteur au sein de l’ IMA s’il pouvait attester du fait que les changements des équipes Versant lors du montage de l’exposition de M. [I] ont mené à des dysfonctionnements en interne (non respect des consignes d’utilisation par les techniciens Versant, …) et qu’il n’était pas envisageable de continuer la collaboration de la sorte’. M. [GM] lui a confirmé le même jour se ‘souvenir de vous avoir demandé de créer une équipe unique pour l’ensemble des dispositifs de M. [I], artiste-scénographe invité par l’Institut du monde arabe, afin de respecter la cohérence et l’homogénéité du travail. En effet, il est primordial d’avoir les mêmes personnes, interlocuteurs des artistes, bien que les professionnels soient compétents, les interchanger apporte de la confusion, de la prise de risque et de la perte de temps supplémentaires ; tout cela est préjudiciable indéniablement’.

M. [O], chargé de projet Clemessy, a également écrit à M. [G] le 16 juin 2020 afin de décrire les alertes émises à la société Versant : ‘Lors du chantier des Moucharabiehs nous avons dû à plusieurs reprises t’alerter car le roulement du personnel Versant nous obligeait à réexpliquer le travail à faire, les divers aspects techniques à mettre en oeuvre (pose ruban LED, raccordements électriques, raccordements des cartes électroniques) et réintégré ces personnes sur tous les aspects sécurité. Le client avait aussi émis les mêmes remarques qu’un trop gros roulement perturbe son service de sécurité (horaire d’interventions en dehors des horaires d’ouverture)’.

Ces éléments sont de nature à établir qu’à l’occasion de l’intervention des équipes Versant lors du montage de cette exposition des représentants de l’Institut du monde arabe et de la société Clemessy, donneur d’ordre, ont fait part au salarié de réserves quant à l’organisation du travail de la société Versant et particulièrement dans le roulement du personnel alors qu’il était demandé de créer une équipe unique pour l’ensemble des dispositifs à mettre en place pour l’exposition de l’Institut du monde arabe.

Au regard de cette situation, le seul témoignage utile versé aux débats par l’employeur établi par M. [TW], responsable élingueur , qui : ‘confirme que M. [G] m’a contacté en me disant que l’Institut du Monde Arabe n’était pas satisfait des prestations de Versant et qu’on allait perdre le client. J’ai aussitôt averti M. [W] de cette information. Il m’a alors demandé de me libérer pour aller voir le client et comprendre ce qui nous était reproché. Le client m’a indiqué qu’il était satisfait du travail Versant et qu’il n’était pas question de stopper la collaboration’, imprécis et peu circonstancié sur ce qu’il lui a été concrètement rapporté, ne permet pas de considérer que le salarié aurait répandu des informations fausses de nature à créer un climat négatif et prétexté que les interventions de son employeur n’avaient pas été appréciées par le client ; les informations remontées par le salarié s’analysant en une simple alerte sur l’organisation du travail de la société Versant dans le cadre d’une exposition organisée par l’Institut du monde arabe.

Par ailleurs, il n’est caractérisé aucun propos injurieux, diffamatoire ou excessif.

Faute pour l’employeur de démontrer la mauvaise foi du salarié ou l’abus dans l’exercice de sa liberté d’expression, et sans qu’il soit nécessaire d’apprécier le caractère réel et sérieux des autres griefs visés dans la lettre de licenciement, la violation par l’employeur des dispositions sus-visées emporte la nullité du licenciement.

Le jugement sera réformé en conséquence et il sera dit que le licenciement est nul.

V – Sur les conséquences financières du licenciement

M. [G] sollicite, dans le dispositif de ses conclusions, que soit ordonnée sa réintégration à son poste d’ingénieur commercial chargé d’affaires au sein de la société Versant tout en formulant de manière subsidiaire sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts et griefs de la société Versant, formulée lors de la saisine de la juridiction prud’homale le 23 mai 2018.

Or, lorsqu’un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail et la nullité de son licenciement au cours d’une même instance, le juge, qui constate la nullité du licenciement, ne peut faire droit à la demande de réintégration.

Au jour de la rupture, M. [G] âgé de 32 ans bénéficiait d’une ancienneté de 4 ans et 1 mois au sein de la société Versant qui employait plus de dix salariés. Il percevait un salaire mensuel brut de base de 3 450 euros.

Le licenciement étant ou nul, le salarié est fondé à solliciter un rappel de salaire au titre de la période de mise à pied conservatoire elle-même injustifiée. Au vu des fiches de paye, le rappel de salaire auquel la société sera condamnée s’élève à la somme de 2 733,50 euros bruts, outre celle de 273,35 euros bruts au titre des congés payés afférents.

Le salarié peut prétendre au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis, correspondant, conformément à l’article L. 1234-5 du code du travail, à la rémunération brute qu’il aurait perçue s’il avait travaillé pendant la période du délai-congé. Au vu de la durée du préavis, fixée à trois mois, tenant son ancienneté et du montant de son salaire, il sera alloué à M. [G] une indemnité compensatrice de préavis de 10 350 euros bruts, outre 1 035 euros bruts au titre des congés payés afférents.

Calculée sur la base d’une ancienneté au terme du préavis auquel il avait droit et du salaire de référence, conformément aux dispositions de l’article R 1234-2 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, l’indemnité de licenciement à laquelle la société sera condamnée sera fixée à la somme de 3 917 euros, montant non utilement contesté par la société.

Le salarié est fondé en sa demande de dommages-intérêts au titre de la perte injustifiée de son licenciement qui ne peut être inférieure à six mois de salaire tenant la nullité du licenciement.

M. [G], qui sollicite la somme de 37 500 euros, ne communique aucun élément sur sa situation professionnelle postérieurement à son licenciement.

Le salarié ne conteste pas les affirmations de la société selon lesquelles il aurait aussitôt intégré la société Etair Ile de France jusqu’en mars 2020, date à laquelle il aurait intégré la société Resina.

Au regard de son ancienneté dans l’entreprise, et de son âge, et en l’absence d’autres éléments produits par M. [G] à l’appui de sa demande indemnitaire, le préjudice résultant du licenciement nul doit être arrêté à la somme de 22 000 euros.

VI – Sur le caractère brutal et vexatoire du licenciement

Tout salarié licencié dans des conditions vexatoires ou brutales peut prétendre à des dommages et intérêts en réparation du préjudice distinct de celui résultant de la perte de l’emploi. Il en est ainsi alors même que le licenciement lui-même serait fondé, dès lors que le salarié justifie d’une faute et d’un préjudice spécifique résultant de cette faute.

En l’espèce, M. [G] invoque au soutien de la réclamation qu’il formule à ce titre sa mise à pied conservatoire pour des faits mensongers, le retrait brutal de l’ensemble de ses outils de travail et l’interdiction d’accéder à l’entreprise et de saluer ses collègues, outre la diffusion auprès des clients d’informations portant sur la fin de son contrat avec la société.

Faute pour le salarié de justifier de circonstances particulières ayant entouré la mise en oeuvre de la mise à pied conservatoire et de la procédure de licenciement, ou d’un manquement fautif de l’employeur à ce titre, caractérisant la brutalité ou le caractère vexatoire de la procédure disciplinaire diligentée, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de ce chef.

Il n’y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil prévoyant que les créances de nature salariale portent intérêts au taux légal, à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les créances échues à cette date et à compter de chaque échéance devenue exigible, s’agissant des échéances postérieures à cette date, les créances à caractère indemnitaire produisant intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

Il sera ordonné à l’employeur de remettre au salarié les documents de fin de contrat régularisés.

Conformément à l’article 696 du code de procédure civile, la société Versant qui succombe en ses prétentions est condamnée aux dépens de première instance et d’appel, étant précisé que les frais d’exécution, dont le sort est réglé par le code des procédures civiles d’exécution, n’entrent pas dans les dépens qui sont définis par l’article 695 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement en ce qu’il a débouté M. [G] de sa demande d’heures supplémentaires et dit que le licenciement reposait sur une faute grave,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Condamne la société Versant à verser à M. [G] la somme de 10 500 euros bruts à titre de rappel d’heures supplémentaires outre 1 050 euros bruts au titre des congés payés afférents,

Prononce la nullité du licenciement

Déboute M. [G] de sa demande de réintégration,

Condamne la société Versant à verser à M. [G] les sommes suivantes :

– 2 733,50 euros bruts à titre de rappel de salaire au titre de la période de mise à pied conservatoire, outre celle de 273,35 euros bruts au titre des congés payés afférents.

– 10 350 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 1 035euros bruts au titre des congés payés afférents,

– 3 917 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,

– 22 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul,

Dit que les créances de nature contractuelle sont productives d’intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation pour les créances échues à cette date, et à compter de chaque échéance devenue exigible, s’agissant des échéances postérieures à cette date, et que les créances indemnitaires sont productives d’intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant,

Déboute le salarié du surplus de ses demandes,

Ordonne à la société Versant de remettre à M. [G] les documents de fin de contrat (attestation Pôle-emploi, solde de tout compte et certificat de travail) conformes à la présente décision dans le délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt,

Condamne la société Versant à verser à M. [G] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, étant précisé que les frais d’exécution, dont le sort est réglé par le code des procédures civiles d’exécution, n’entrent pas dans les dépens qui sont définis par l’article 695 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Madame Isabelle FIORE Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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