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CIV. 2
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 juin 2017
Rejet
Mme FLISE, président
Arrêt n° 866 F-D
Pourvoi n° N 16-14.726
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par la société Monte Carlo Art, société anonyme, dont le siège est […], Tortola (Iles vierges britanniques),
contre l’arrêt rendu le 3 décembre 2015 par la cour d’appel de Versailles (1re chambre, 1re section), dans le litige l’opposant :
1°/ à M. Werner X…, domicilié […],
2°/ à M. Jacques D…, domicilié […],
défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l’audience publique du 10 mai 2017, où étaient présents : Mme Flise, président, Mme Y…, conseiller référendaire rapporteur, M. Savatier, conseiller doyen, Mme Parchemal, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Y…, conseiller référendaire, les observations de la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat de la société Monte Carlo Art, de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de M. X…, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. D…, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 3 décembre 2015), que la société Galerie d’art moderne Cazeau-Béraudière (la galerie), dirigée par M. D…, a exposé à la biennale des antiquaires qui s’est tenue à Paris en 2004, un tableau intitulé « tremblement de terre » présenté comme étant une oeuvre de Max Z… ; que lors de l’exposition, la galerie a mis à la disposition du public une fiche technique ainsi qu’une reproduction photographique de l’oeuvre comportant au verso une mention manuscrite, signée par M. X…, spécialiste mondialement reconnu de l’artiste, auquel le tableau avait été présenté en 2002, selon laquelle « L’oeuvre reproduite “tremblement de terre” huile sur toile, 60×73 cm, 1929, va figurer dans le catalogue raisonné de Max Z… qui paraît sous ma direction » ; que la société Minneba Limited Corp., devenue la société Monte Carlo Art, a acquis ce tableau par l’intermédiaire de la galerie avant d’en confier la vente en octobre 2009, à la société Sotheby’s ; que le tableau a été adjugé à un collectionneur ; qu’une enquête des services de police allemands a mis en évidence un vaste trafic d’oeuvres d’art contrefaites, portant notamment sur des tableaux de Max Z… ; que la société Sotheby’s, informée par les enquêteurs de la probabilité que le tableau intitulé « Tremblement de terre » soit un faux, a fait procéder à une expertise scientifique qui a confirmé que cette oeuvre n’était pas authentique en raison de l’usage de pigments découverts postérieurement à la date à laquelle elle aurait été réalisée ; que la société Sotheby’s a informé la société Monte Carlo Art de la nécessité d’annuler la vente et de restituer le prix ; que la société Monte Carlo Art s’étant exécutée, a assigné MM. X… et D… en responsabilité et indemnisation de son préjudice ;
Attendu que la société Monte Carlo Art fait grief à l’arrêt de la débouter de l’ensemble de ses prétentions, alors, selon le moyen :
1°/ que lorsqu’un spécialiste mondialement reconnu de l’oeuvre d’un artiste affirme l’authenticité d’une oeuvre réalisée par celui-ci sans assortir son propos de réserves, il engage sa responsabilité en tant qu’expert sur cette seule affirmation ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a elle-même constaté que M. X… était non seulement l’auteur d’un catalogue raisonné de Max Z…, mais surtout le « spécialiste incontournable de l’oeuvre » de ce peintre, dont l’avis sur l’authenticité « conditionne l’aptitude d’une oeuvre à être introduite sur le marché de l’art, ainsi que l’intéressé en convient lui-même » ; qu’en retenant cependant qu’il ne pouvait être mis à la charge de M. X…, en tant qu’auteur d’un catalogue raisonné qui exprime une opinion sur l’authenticité d’un tableau, une responsabilité équivalente à celle d’un expert, cependant qu’il était établi que M. X… était l’un des plus grands experts de Max Z… et que son avis sur l’authenticité des oeuvres de ce dernier conditionnait leur introduction sur le marché de l’art, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales qui s’évinçaient de ses propres constatations, a violé l’article 1382 du code civil ;
2°/ que lorsqu’un spécialiste mondialement reconnu de l’oeuvre d’un artiste affirme l’authenticité d’une oeuvre réalisée par celui-ci sans assortir son propos de réserves, il engage sa responsabilité en tant qu’expert sur cette seule affirmation, peu important que celle-ci ne soit pas faite lors de la vente du tableau, dès lors que l’avis donné a vocation à accompagner l’oeuvre lors de tout transfert de propriété ; qu’il n’était pas contesté en l’espèce que l’affirmation de l’authenticité de l’oeuvre litigieuse faite par M. X…, sous forme d’une expertise photographique revêtue de sa signature, avait vocation à accompagner le tableau et à être présentée avec lui lors d’une exposition ou d’une vente futures ; qu’en conséquence, en se fondant, pour écarter toute responsabilité civile à la charge de M. X…, sur le fait que celui-ci avait attesté de l’authenticité du tableau en dehors de toute transaction déterminée, la cour d’appel s’est déterminée par des motifs inopérants et a derechef violé l’article 1382 du code civil ;
3°/ que l’avis porté par un spécialiste mondialement connu de l’oeuvre d’un artiste sur l’authenticité d’un tableau de celui-ci ne peut être réduit à une simple opinion lorsqu’il est destiné à accompagner l’oeuvre lors de tout transfert de propriété et conditionne en outre l’introduction de celle-ci sur le marché de l’art ; qu’un tel avis est en réalité une expertise valant affirmation de l’authenticité de l’oeuvre et devant s’accompagner de réserves lorsque celle-ci n’est pas absolument certaine ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a elle-même constaté que « l’opinion » délivrée par M. X…, qui a été mentionnée sur une photographie de l’oeuvre, revêtue de sa signature, remise au détenteur du tableau et donc destinée à accompagner celui-ci lors de tout transfert de propriété, conditionnait en outre l’aptitude de l’oeuvre à « être introduite sur le marché de l’art », ce qui, par essence même, conférait nécessairement à cette opinion la valeur d’une expertise attestant de l’authenticité de l’oeuvre ; qu’en retenant cependant que M. X… s’était borné à délivrer une opinion qui n’avait pas les caractéristiques d’une expertise, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales qui s’évinçaient de ses propres constatations, a violé l’article 1382 du code civil ;
4°/ que la société Monte Carlo Art faisait valoir dans ses conclusions d’appel que les déclarations faites par M. X… à la police allemande établissaient que ce dernier considérait les « opinions » qu’il émettait par une mention manuscrite apposée au dos des photographies reproduisant les oeuvres de Max Z… comme ayant la valeur d’une attestation d’authenticité de l’oeuvre ; qu’en effet, M. X… a indiqué aux enquêteurs allemands que lorsqu’il était convaincu que l’oeuvre qui lui était présentée était « une oeuvre originale », il en apposait « le certificat au dos de l’une des photos en noir et blanc, la plupart du temps en français », le texte précisant « que ce tableau va être incorporé au catalogue de l’oeuvre du peintre » et « l’expertise photographique » étant remise au propriétaire ; que, répondant aux questions des enquêteurs allemands concernant le tableau « Tremblement de terre », M. X… a déclaré avoir remis à M. E… « une expertise photographique » attestant « qu’il s’agi(ssai)t d’un authentique » ; que la société Monte Carlo Art soulignait également que la valeur attachée par le monde de l’art aux expertises photographiques de M. X… est telle que le certificat d’authenticité délivré par ce dernier avait été suffisant à lui seul pour permettre de présenter le tableau litigieux à une vente aux enchères organisée par la société Sotheby’s, celle-ci ayant indiqué dans le catalogue de la vente que « l’authenticité de l’oeuvre a été confirmée par Werner X… » ; qu’en énonçant cependant que M. X… avait émis une simple opinion ne présentant pas les caractéristiques d’une expertise, sans répondre à ce moyen déterminant des conclusions des exposantes, dont il résultait que tant M. X… lui-même que le monde de l’art en général, considéraient les expertises photographiques délivrées par ce dernier comme des certificats d’authenticité des oeuvres concernées, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;
5°/ qu’un spécialiste mondialement reconnu et incontournable de l’oeuvre d’un peintre, dont la portée des « opinions » conditionne l’introduction des oeuvres du peintre sur le marché de l’art, doit faire preuve d’une prudence particulière dans la rédaction de ces opinions, notamment en les assortissant d’un minimum de réserves lorsque celles-ci reposent sur des éléments qui, même plausibles, ne sont pas entièrement avérés ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a elle-même constaté que M. X… s’était fondé sur l’historique de l’oeuvre contrefaite et les circonstances de sa réapparition qui « apparaissaient suffisamment plausibles » pour être tenues pour « véridiques » ; qu’en écartant néanmoins la responsabilité délictuelle de droit commun de M. X…, sans rechercher si celui-ci n’aurait pas dû faire preuve de prudence dans la rédaction de son opinion, en l’assortissant de réserves, dès lors qu’il se fondait, pour la donner, sur des éléments seulement « plausibles » et donc non entièrement avérés, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du code civil ;
Mais attendu qu’ayant exactement retenu qu’il ne pouvait être mis à la charge de l’auteur d’un catalogue raisonné, qui exprime une opinion en dehors d’une transaction déterminée, une responsabilité équivalente à celle d’un expert consulté dans le cadre d’une vente et que la responsabilité que M. X… était susceptible de devoir assumer à l’occasion de la délivrance d’une telle opinion devait être examinée au regard des conditions de droit commun de l’article 1382 du code civil, puis relevé, par une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve soumis à son examen, que, d’abord, il n’était pas soutenu que son opinion aurait été sollicitée à l’occasion ou pour les besoins d’une vente, qu’ensuite, l’historique de l’oeuvre et les circonstances de sa réapparition apparaissaient suffisamment plausibles pour que M. X… les ait tenues pour véridiques, qu’encore, cette opinion s’est fondée sur les caractéristiques picturales de l’oeuvre, tant en ce qui concerne le style la caractérisant que la technique utilisée, l’un et l’autre étant en adéquation avec la période présumée de réalisation de l’oeuvre litigieuse, qu’enfin seules des investigations techniques très poussées avaient permis de mettre en lumière l’inauthenticité des oeuvres et que la société Monte Carlo Art convenait elle-même qu’il ne pouvait être exigé de l’auteur d’un catalogue raisonné qu’il subordonne l’admission de chaque oeuvre à la réalisation d’une expertise scientifique, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu en déduire que la société Monte Carlo Art ne rapportait pas la preuve, qui lui incombait, que M. X… avait commis une faute ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;