Contrat d’Artiste : 31 mai 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/04497

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Contrat d’Artiste : 31 mai 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/04497
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Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 13

ARRÊT DU 31 MAI 2022

(n° , 14 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/04497 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B7NIQ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Février 2019 -Tribunal de Grande Instance de PARIS 17

APPELANTE

Madame [D] [XG]

Née le 13 septembre 1975 à [Localité 7] (ROUMANIE)

[Adresse 9]

[Localité 7] (ROUMANIE)

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistée de Me Ana-Maria CONSTANTINESCU, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉES

Madame [I] [B] [K]

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée et assistée de Me Paul-Henri JOB de la SCP LUSSAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0077

SA TAJAN

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée et assistée de Me Vania COLETTI, avocat au barreau de PARIS, toque : W01

SA AXA FRANCE IARD

[Adresse 2]

[Localité 5] / FRANCE

Représentée par Me Marcel PORCHER de la SELAS PORCHER & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : G0450

Assistée de Me Charlotte POIVRE de la SELAS PORCHER & ASSOCIES avocat au barreau de PARIS, toque : G0450

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 16 mars 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Nicole COCHET, Première présidente de chambre

Mme Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre

Mme Estelle MOREAU, Conseillère

Greffière lors des débats : Mme Sarah-Lisa GILBERT

ARRÊT :

– Contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre, pour Nicole COCHET, Première présidente de chambre empêchée et par Séphora LOUIS-FERDINAND, Greffière présente lors de la mise à disposition.

* * * * *

A l’occasion d’une vente aux enchères publiques organisée par la Sa Tajan le 31 mars 2011, Mme [D] [XG] a acquis à distance pour un montant de 35 000 euros, outre des frais de 9 089,64 euros, un tableau intitulé ‘ Les Yeux de l’idole’ présenté dans le catalogue de vente comme étant une ‘uvre originale du peintre d’origine roumaine [Y] [YU].

Par courriel en date du 29 mai 2011, Mme [XG], ayant rapporté l’oeuvre en Roumanie, a fait part à la société Tajan de ses doutes concernant l’authenticité du tableau et indiqué faire procéder à une expertise auprès de M. [F] [DC], lequel a conclu à son absence d’authenticité et de valeur sur le marché de l’art.

La société Tajan estimant cette expertise insuffisante à établir l’inauthenticité de l”uvre, Mme [XG] a fait procéder en août 2011 et janvier 2012 à deux nouvelles expertises, respectivement confiées à M. [M] et M. [R], lesquels ont également conclu que le tableau n’était pas de la main de [Y] [YU].

Les parties n’étant pas parvenues à trouver une solution amiable à leur litige, par acte du 29 mars 2012, Mme [XG] a assigné la société Tajan en annulation de la vente.

Par actes de mai et juin 2012, la société Tajan a assigné en intervention forcée la Sa Axa France Iard, son assureur et Mme [I] [B] épouse [K], en sa qualité de vendeuse de l”uvre litigieuse.

Par jugement du 12 février 2019, le tribunal de grande instance de Paris a :

– déclaré recevable l’action de Mme [XG],

– débouté Mme [XG] de l’ensemble de ses demandes,

– condamné Mme [XG] à verser à la société Tajan la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

– condamné Mme [XG] à payer respectivement à la société Tajan, à la société Axa et à Mme [B]-[K] la somme de 3 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné Mme [XG] aux dépens de l’instance.

Par déclaration du 25 février 2019, Mme [XG] a interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance du 3 mars 2020, le conseiller de la mise en état a ordonné la mesure d’expertise sollicitée par Mme [XG] et M. [T] [G], expert, a rendu son rapport le 29 janvier 2021.

Par ordonnance du 7 septembre 2021, le conseiller de la mise en état a désigné la société Convelio en qualité de gardien de l’oeuvre dans l’attente de l’arrêt à venir, aux frais avancés de Mme [XG].

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 2 mars 2022, Mme [XG] demande à la cour de :

– infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande en annulation de la vente du tableau,

statuant à nouveau,

– juger régulier le rapport d’expertise de M. [G],

– prononcer la nullité de la vente du tableau,

– condamner Mme [B] épouse [K] à lui restituer le prix de vente du tableau adjugé soit la somme de 35 000 euros,

– condamner la société Tajan à lui restituer les frais de ladite vente soit la somme de 9089,64 euros,

– donner acte à Mme [XG] de ce qu’elle restituera à la société Tajan le tableau par remise contradictoire de ce dernier en présence de Mme ou M. le président du conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques,

– infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de dommages et intérêts à l’encontre de la société Tajan,

– condamner la société Tajan à lui payer, à titre de réparation du préjudice subi, la somme de 23 257 euros en principal, assortie des intérêts au taux légal à compter du jour de la demande,

– infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamnée à verser à la société Tajan une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

en tout état de cause,

– débouter la société Tajan, la société Axa et Mme [B] épouse [K] de l’ensemble de leurs autres demandes éventuelles,

– condamner conjointement et solidairement (sic) la société Tajan, la société Axa et Mme [B] épouse [K] à lui payer la somme de 20 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner solidairement la société Tajan, la société Axa et Mme [B] épouse [K] au paiement des entiers dépens, dont les frais d’huissier et à lui rembourser la somme de 11 451,12 euros avancée au titre des honoraires d’expertise et les frais de gardiennage selon devis de la société Convelio, dont le montant définitif reste à définir.

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 30 janvier 2022, Mme [B] épouse [K] demande à la cour de :

– in limine litis, prononcer la nullité du rapport d’expertise du 29 janvier 2021 et l’écarter des débats,

– débouter Mme [XG] de l’ensemble de ses demandes,

– condamner Mme [XG] à lui verser la somme de 8 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Mme [XG] aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 31 janvier 2022, la société Tajan demande à la cour de :

– confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

en conséquence,

– débouter Mme [XG] de l’ensemble ses demandes,

si par extraordinaire le tribunal jugeait qu’elle a commis une faute,

– juger que sa commission n’est que de 9 089,64 euros,

– débouter Mme [XG] de toutes ses autres demandes financières à son égard,

à titre infiniment subsidiaire,

– condamner la société Axa France Iard à la garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre y compris au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens,

en tout état de cause,

– condamner Mme [XG] à lui payer la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 7 mars 2022, la société Axa France Iard demande à la cour de :

– confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

– écarter des débats les pièces 5, 7, 10, 16, 17, 18, 32 de l’appelante qui ne sont pas traduites en

langue française,

– débouter Mme [XG] de ses demandes formées contre la société Tajan,

– par voie de conséquence, dire sans objet l’appel en garantie de la société Tajan contre la concluante,

à titre subsidiaire,

– la dire et juger bien fondée à opposer à son assurée la société Tajan, à Mme [XG] et à Mme [B]-[K] les exclusions, notamment au titre du remboursement des honoraires, et limites de sa police d’assurance, notamment sa franchise à hauteur de 15 000 euros,

en toute hypothèse,

– condamner Mme [XG] ou tout succombant à lui payer la somme de 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 8 mars 2022.

SUR CE,

Sur la demande de rejet des pièces non traduites en langue française

La société Axa France Iard sollicite à bon droit que soient écartées des débats les pièces 5, 7, 10, 16 et 32 de l’appelante en langue anglaise et roumaine, impossibles à comprendre, faute de traduction en langue française mais il est fait une exception pour les pièces 17 et 18 qui sont des factures de frais d’expertise et de frais d’avocat parfaitement compréhensibles bien que rédigées en anglais.

Sur la demande en annulation de la vente

Le tribunal a jugé que Mme [XG] échouait à rapporter la preuve d’une erreur sur l’authenticité de l”uvre et lui a reproché de n’avoir sollicité aucune expertise judiciaire, seule mesure permettant de l’éclairer utilement.

Mme [XG] soutient, en premier lieu, que le rapport d’expertise judiciaire n’est affecté d’aucune irrégularité et le contradictoire a été respecté puisque :

– si l’expert n’a pas consacré une réponse spécifique au dire n°3 de Mme [B]-[K] au sujet de l’analyse de la signature, il y a répondu explicitement ou implicitement au long de ses développements consacrés à l’examen de la signature,

– Mme [B]-[K] ne justifie d’aucun grief.

Elle estime que le défaut d’authenticité du tableau est avéré puisque:

> l’expert judiciaire a constaté que l”uvre confiée est bien celle vendue par la société Tajan à Mme [XG] le 31 mars 2021,

> les analyses techniques du 12 octobre 2020 effectuées dans le cadre de l’expertise judiciaire confirment qu’il ne s’agit pas d’une peinture à l’huile mais d’une peinture vinylique et/ ou acrylique et que par conséquent, le médium « à l’huile » annoncé dans le descriptif de l”uvre du catalogue, était erroné, ce qui prouve l’absence d’authenticité, elle même ajoutant que le peintre n’a jamais utilisé un medium vinylique,

> l’étude stylistique du tableau met en lumière des incohérences stylistiques entre le tableau litigieux et l”uvre générale de [Y] [YU] car le tableau ne possède aucune zone de repos et les yeux sont peints en noir, dédoublés par des traits blancs, ce que l’on ne retrouve pas dans l”uvre de l’artiste,

– l’expert était compétent pour se prononcer sur le défaut de l’authenticité de l”uvre et a examiné en profondeur l”uvre litigieuse pendant 10 mois, en étudiant notamment huit ouvrages de référence, ce qui lui a permis de se prononcer sur l’authenticité du tableau, bien qu’il n’ait pu se rendre en Roumaine, où les oeuvres du peintre sont exposées, en raison de la pandémie,

– l’hypothèse de la contrefaçon est parfaitement plausible s’agissant d’un peintre bénéficiant d’une importante renommée nationale et internationale depuis le milieu des années 1960, qui a notamment était exposé à la biennale de [Localité 10] en 1966, le fait qu’aucune contrefaçon n’ait pour l’heure été repérée sur le marché étant indifférent,

– les quatre rapports d’expertises privées qu’elle a fait établir confirment le résultat de l’expertise judiciaire puisqu’ils constatent tous un défaut d’authenticité du tableau litigieux,

– les intimées sont incapables de retracer la provenance exacte du tableau, laquelle reste entourée de mystère,

– les certificats adverses produits se contredisent entre eux et leur origine est douteuse.

Mme [B]-[K] soutient que :

– le rapport de M. [G] est entaché de nullité car il porte substantiellement atteinte au principe du contradictoire ainsi qu’à l’égalité de traitement des parties par l’expert, et, par voie de conséquence, à leur égalité de traitement dans le cadre global de ce litige puisque:

> l’expertise judiciaire n’a été ordonnée qu’en appel, privant les intimés de la possibilité de bénéficier de l’expertise d’un autre expert,

> l’expert a écarté le débat sur la signature qu’elle avait soulevé dans son dire n°3, ce qui l’a privée de sa capacité à discuter sur un point technique important,

– les appréciations de l’expert ne sont pas fondées, rien, sur le plan technique et stylistique ne permettant de conclure à l’inauthenticité du tableau car :

> l’examen technique de l”uvre litigieuse ne peut que conduire à écarter la piste d’un faussaire puisqu’un faussaire s’applique à reproduire, de façon mimétique les techniques de l’artiste qu’il copie, et non à s’en détacher et à innover alors qu’en l’espèce, le liant vinylique utilisé est différent de l’essentiel des tableaux de l’artiste,

> l’utilisation d’un liant vinylique n’est pas problématique car il arrive que des spécialistes tiennent pour acquis qu’une ‘uvre est réalisée avec l’huile avant qu’une expertise constate qu’elle a été réalisée à la peinture vinylique, comme cela a été le cas pour « Guernica » de [H],

> les considérations stylistiques évoquées par M. [G] ne relèvent que d’une querelle esthétique et non de considérations d’authenticité de l”uvre, notamment car l”uvre de [YU] est d’une extrême diversité et c’est, justement, en raison de ses caractères atypiques (signature, construction ‘) et spontanés que tout porte à voir dans ‘Les Yeux de l’idole’ un tableau de [Y] [YU] et non celui d’un imitateur.

La société Tajan soutient que la demande de nullité de la vente ne saurait aboutir puisque:

– les conclusions du rapport d’expertise de M. [G] sont contestables au regard :

> de la compétence de l’expert qui aurait du préciser dans son rapport qu’il ne connaissait pas l’auteur, ni aucune de ses ‘uvres et assortir son avis de réserves et qui s’est contenté de consulter quelque ‘uvres éparses dans des livres car il n’y a pas de catalogue raisonné de cet auteur et ne s’est prononcé qu’à partir de photos reproduites dans des livres qui ne donnent qu’une version partielle de son ‘uvre,

> de l’analyse stylistique de l”uvre puisque l’expert n’a pas tenu compte du fait que le tableau litigieux est une ‘uvre qui a été réalisée à la fin de la vie de l’artiste, ce qui justifie l’évolution stylistique de son ‘uvre,

> de l’analyse technique de l”uvre puisqu’il n’était pas possible de se prononcer sur le liant à l”il nu et que seule une analyse technique a permis de constater que le peintre avait utilisé un liant vinylique,

– les rapports d’expertise privées sont incohérents.

La société Axa fait valoir que

– la demande d’expertise judiciaire présentée au stade de l’appel prive les parties d’un degré de juridiction pour contester le rapport,

– il est compliqué de s’assurer que le tableau présenté à l’expert judiciaire est bien celui vendu en 2011,

– l’expert judiciaire ne connaissait pas [Y] [YU] avant le début de sa mission et l’a découvert lors de l’expertise,

– il n’a étudié que les ouvrages communiqués par les parties, dont certains en langue romaine,

– il n’a pas examiné physiquement l”uvre litigieuse et n’a pas été mis en mesure d’étudier et de comparer d’autres ‘uvres de l’artiste,

– il a été influencé par les expertises non contradictoires commandées par l’appelante,

– l’analyse aux UV et aux rayons X a permis de révéler un travail très fluide, très homogène, ce qui n’est généralement pas le cas des ‘uvres copiées,

– l’analyse de la signature n’est pas probante dès lors que les signatures présentées comme authentiques diffèrent également les unes des autres,

– l”uvre est peu connue et sa côte est relativement faible, ce qui limite l’intérêt pour un faussaire de la copier,

– les expertises privées ne sont pas objectives et comportent des lacunes,

– si les expertises montrent que l”uvre a été exécutée non à la peinture à l’huile mais à la peinture acrylique ou vinylique, faute d’autres analyses effectuées sur d’autres ‘uvres du peintre, il est impossible d’affirmer que ce dernier a peint exclusivement à l’huile tout au long de son ‘uvre.

L’article 1109 ancien du code civil dans sa version applicable à la date de la vente dispose qu’il n’y a point de consentement valable si le consentement n’a été donné que par erreur et l’article 1110 ancien énonce, en son alinéa 1er que l’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet.

En premier lieu, il appartient à l’acquéreur qui sollicite l’annulation de la vente de prouver que l’authenticité de l”uvre se heurte à des doutes réels et sérieux.

En second lieu, l’erreur n’emporte la nullité du contrat que si elle a été déterminante du consentement de l’acquéreur et en matière de vente aux enchères publiques, si les mentions figurant au catalogue revêtent une importance particulière, leur caractère déterminant s’apprécie au regard des qualités substantielles de la chose attendues par l’acquéreur.

Le caractère authentique d’une oeuvre nécessite que l’ensemble des éléments constitutifs originaux la caractérisant et la signature soient de la main de leur auteur.

La société Tajan a effectué dans son catalogue de vente la description suivante de l’oeuvre:

‘[Y] [YU] (1910-1962) LES YEUX DE L’IDOLE, VERS 1960 – Huile sur carton – Signée du monogramme en bas à gauche- 36 x 51 CM – 14 3/16 X 20 1/8 IN – 25 000 / 30 000 euros,

Un certificat de M. [KU] [O] en date du 2 mars 1998, attesté par le tribunal de [Localité 7], sera remis à l’acquéreur’.

Elle indique avoir pris le soin d’obtenir, préalablement à la vente, un certificat de M.[KU] [O] qu’elle présente comme un critique d’art spécialisé en art roumain.

Le certificat qu’elle produit à ce titre ( pièce 1) émane de M. [X] [E] [P] et non de M.[O] et est daté d’octobre 2010 dans sa traduction. Ce dernier y déclare :

‘ Analysant d’un point de vue stylistique, isomorphique, puis la vision, le caractère de la signature et l’ancienneté du support, je peux conclure que cette oeuvre appartient au grand artiste visionnaire [Y] [YU], comme une [oeuvre] d’exception.

Mme [XG] produit toutefois (pièce 15) le certificat de M. [KU] [O], critique d’art, membre de l’union des plasticiens roumains et membre de l’association internationale des critiques d’art, qui lui a été remis au moment de la vente par la société Tajan et qui est daté de novembre 2010 et non mars1998, dans lequel ce dernier atteste que :

‘ L’oeuvre a toutes les qualités d’une création authentique par sa vision, sa chromatique, motifs et expressivité. Le tableau « Les Yeux de l’idole » est (‘) une création authentique de l’artiste, (‘) bien conservé par rapport aux rigueurs muséales et en conséquence elle porte la qualité patrimoniale pouvant figurer dans n’importe quelle collection privée de prestige.’

Mme [XG] produit trois avis d’experts roumains qu’elle a consultés de manière amiable.

M. [F] [DC], critique d’art, expert accrédité de la commission nationale des musées et des collections de Roumanie dans le domaine de la peinture roumaine moderne et contemporaine a estimé, le 7 juillet 2011, que :

‘ L’oeuvre n’est pas authentique, elle représente un faux tardif, avec l’intention criminelle forcée, étant signé avec le monogramme TUC ; elle a été réalisée par un peintre semi-amateur

qui ne comprend pas la pensée plastique ou théorique de [Y] [YU] et qui a utilisé des éléments mécaniques confus dans la période tardive du peintre, connu comme’totémiques’.

L’oeuvre ainsi créée représente une sorte d’encyclopédie ad hoc des oeuvres tardives de [YU], une peinture qui est confuse et couverte excessivement par des signes sortis de leur contexte original’.

M. [Z] [M], dans son avis du 26 août 2011, également critique d’art et expert de la même commission dans le même domaine, a indiqué :

‘ Le travail soumis à l’expertise est une contrefaçon qui, sauf qu’il emprunte des éléments du trousseau actuel de la dernière période tuculesciene n’a rien de commun avec sa démarche artistique (…) Sont reproduits ici les totems, les yeux, une série de formes abstraites symboliques qui, même si elles appartiennent à l’iconographie turlesciene n’ont pas la stylistique, la couleur, la consistance et la vibration émanant de l’oeuvre de [Y] [YU] (…) L’auteur a signé l’oeuvre en essayant d’imiter, de manière inhabile, la signature du maître et bien qu’il ait réalisé la composition sur un support en carton nouveau, il a essayé de le vieillir’.

Le professeur [A] [R], expert criminaliste, spécialiste dans l’authentification graphique des ‘uvres d’art et président de la Société roumaine de graphologie, a réalisé une analyse de la signature du tableau litigieux le 3 janvier 2012 et relevé des différences notables dans le tracé des lettres en majuscules pour en conclure que la signature sur le tableau litigieux n’avait pas été exécutée par le peintre [YU].

Dans une lettre adressée à la société Tajan, le 20 mars 2011, Mme [N] [S], restauratrice ayant procédé au nettoyage de l’oeuvre avant sa mise en vente, a précisé que:

‘L’oeuvre a été décrassée et puis dévernie. Son vernis était légèrement oxydé. La couche picturale présentait des petits éclats de matière et de petits réseaux de craquelures en amorce de soulèvement. Ce sont des craquelures d’âge liées au vieillissement des couches du tableau et dues à des agents d’origine mécanique. Ce sont des fissures qui touchent la peinture et la préparation. Les petites retouches sont visibles aux UV et sont très mineures. Un vernis satiné a été appliqué après la restauration.

Mes outils ne me permettent pas de dater cette oeuvre mais les dégradations constatées sont dues aux fortes mécaniques engendrées au sein de la matière par son vieillissement’.

L’Institut National de Recherche-Développement pour l’optoélectronique roumain, sollicité par Mme [XG] , a établi le 22 janvier 2015 un rapport d’analyses techniques du tableau ‘ Les Yeux de l’idole’ dont il ressort que, outre la pellicule de vernis, la peinture utilisée est à base d’acrylique et d’huile de lin.

Après examen de ces documents, le tribunal a considéré que les éléments militant dans le sens d’une ‘uvre non authentique émanent d’expertises non contradictoires, menées à la seule initiative de Mme [XG], qui apparaissent peu détaillées et imprécises sur les éléments stylistiques ou artistiques pris en considération par les experts pour conclure au défaut d’authenticité et sont directement contredites par les pièces produites par les défendeurs, dont l’analyse réalisée en novembre 2010 par M. [KU] [O], le compte- rendu émanant de Mme [S], restauratrice ayant procédé au nettoyage de l”uvre avant sa mise en vente, qui explique une partie des constations contenues dans l’analyse chimique puisque la toile a fait l’objet d’un nettoyage avec usage de vernis et de solvants modernes et l’attestation de M. [L] [U] (en réalité Mme [L] [P]), précédent propriétaire du tableau qui a déclaré que le tableau est signé en monogramme en bas à gauche et qu’il l’avait acheté à un citoyen roumain qui l’avait lui même acquis de la fille de [Y] [YU] dans les années 1980.

La cour dispose désormais du rapport d’expertise judiciaire de M. [G] dont la conclusion de est la suivante :

‘La couche picturale n’est pas liée à l’huile, mais à la résine vinylique, recouverte d’un vernis acrylique. L”uvre litigieuse diffère trop, stylistiquement et techniquement, de l”uvre de [YU] pour pouvoir lui être attribuée. Elle ne peut donc être considérée comme une ‘uvre authentique de cet artiste’.

Le fait que l’expertise judiciaire n’ait été ordonnée qu’en appel, privant ainsi les parties d’un degré de juridiction pour contester le rapport de l’expert, ne saurait constituer une cause de nullité de l’expertise en raison d’un prétendu défaut d’égalité de traitement entre les parties, alors que d’une part, l’expertise n’a été sollicitée par l’appelante en appel qu’en raison du reproche qui lui a été fait à ce titre par les premiers juges, que d’autre part, les intimés auraient pu solliciter en première instance une expertise judiciaire, et qu’en tout état de cause, il leur demeurait loisible de former devant la cour une demande de contre-expertise de sorte qu’ils ne peuvent prétendre avoir été privés du bénéfice de l’expertise d’un autre expert ou même d’un premier degré de juridiction.

Mme [B]-[K] soutient à tort que l’expert judiciaire aurait violé le principe de la contradiction en écartant le débat sur la signature qu’elle avait soulevé dans son dire n°3, ce qui l’aurait privée de sa capacité à discuter sur un point technique important, alors que, d’une part, son dire n°3 est une critique de 9 pages tant de l’expertise de la signature du peintre par M. [R] que des conclusions de M. [G] lui-même dans son pré-rapport sur le caractère différent de la signature de [Y] [YU] dans le tableau ‘ Les Yeux de l’idole’ et que d’autre part, l’expert, qui en pages 18 à 20 de son rapport définitif motive son appréciation en produisant 17 éléments de comparaison, précise en page 17 :

‘L’expertise de M. [R] n’a pas influencé mon examen de la signature, car volontairement je n’ai pas voulu la lire avant de faire ma propre opinion. C’est en étudiant les signatures de la même période, que j’ai constaté une différence caractéristique d’avec les autres monogrammes.

Le développement de M. [R] m’a conforté dans mon opinion.

Mon avis s’est forgé au fur et à mesure de cette mission depuis le 5 mars 2020 (soit environ 6 mois d’étude approfondie depuis la 1ère réunion et la transmission des ouvrages de référence).

En conséquence, la demande de nullité du rapport d’expertise est rejetée.

L’expert judiciaire a certifié que le tableau qui lui a été soumis est bien celui qui a été vendu aux enchères par la société Tajan et la société Axa France Iard ne produit aucun élément de nature à contredire cette affirmation de M. [G].

L’expert judiciaire a précisé que l’oeuvre ‘Les Yeux de l’idole’ se place stylistiquement dans le corpus des oeuvres ‘totémiques’ d'[Y] [YU] entre 1956 et 1962, l’artiste étant décédé à l’âge de 52 ans, en 1962.

Il a indiqué ne pas pouvoir donner de datation précise de l’oeuvre et n’a pas retenu comme critère pour sa recherche d’authenticité le fait que le support de l’oeuvre soit un carton dont les composants et la fabrication industrielle semblent avoir été remplacés définitivement dans les années 1920 puisque beaucoup d’artistes dans les années 60 et surtout des artistes de l’Est peignaient sur tout ce qu’ils trouvaient et que l’usage d’un carton de récupération par l’artiste n’est pas en soi, une preuve de non- authenticité, l’artiste semblant coutumier du réemploi de support comme l’oeuvre vendue à [Localité 7] le 25 mars 2010 en atteste.

Il a considéré que l’oeuvre ne paraissait pas être un travail récent, de moins d’une vingtaine d’années, qu’elle n’apparaissait pas vieillie artificiellement et que le rapport d’état de Mme [S] n’était pas à remettre en cause.

S’agissant du médium de l’oeuvre, il a relevé que l’analyse scientifique qu’il a fait réaliser a révélé que la peinture n’était pas liée avec de l’huile comme mentionné par erreur par la société Tajan mais par un liant synthétique de type vinylique et a ajouté que les traces de résine acrylique proviennent non pas de la couche picturale mais du vernis acrylique posé par la restauratrice avant la vente.

Il a indiqué que les liants vyniliques existent depuis le milieu du XXème siècle mais ne correspondent pas à la technique connue jusqu’à ce jour de [YU] à savoir la peinture à l’huile, qu’il n’a jamais indiqué à ses amis d’expérimentations nouvelles avec de nouveaux ‘mediums’ , que la vente de matériel de peinture était exclusivement réalisée par un magasin d’Etat de [Localité 7] ne vendant par encore de medium vinylique pour les peintures fines d’artistes, qu’il n’existe aucune preuve matérielle que [Y] [YU] ou d’autres artistes roumains aient pu s’en procurer derrière ‘le rideau de fer’ en 1960 et que rien que de ce fait, la probabilité que l’oeuvre litigieuse soit authentique est infime, même si aucune autre oeuvre d l’artiste, n’a, à sa connaissance, fait l’objet d’analyses techniques.

Au titre de son étude stylistique, il a relevé que :

‘L’oeuvre ne possède aucune zone de repos. La surabondance de motifs et de détails, dans la sous-couche même, crée un fouillis d’où ne sort aucune ligne de force. Aucun aplat ne vient reposer l’oeil. La sous-couche sous les ‘yeux’ est en totale discordance avec la composition, ce que relève parfaitement une lumière rasante. Cette sous-couche est chaotique et anormalement travaillée.

Les ‘yeux’ peints en noir sont doublés par des traits blancs d’égale épaisseur, ce que l’on ne retrouve dans aucune autre oeuvre.

Enfin, la signature est différente de celles , authentiques, de l’artiste. Le T vertical qui dépasse souvent du triangle est toujours plus haut que le U et le C, alors qu’ici il est oblique et plus réduit que le C.

La barre horizontale du T a même été rallongée pour toucher le bord du triangle à l’aide d’un second coup de pinceau.’

Il a déduit de l’ensemble de ces éléments que l’oeuvre ne pouvait être considérée comme authentique.

Son avis vient confirmer celui de M. [Z] [M], expert sollicité amiablement par Mme [XG], auteur de deux ouvrages consacrés au peintre, l’un daté de 1988 et l’autre plus récent, qui prépare un catalogue raisonné de l’artiste et est intervenu en juillet 2020, comme consultant scientifique pour l’organisation d’une exposition dédiée à [Y] [YU] au Musée d’Art de [Localité 8], sa ville natale et dont l’expert judiciaire relève qu’il est, pour le moins, reconnu comme l’expert de l’oeuvre de [Y] [YU].

La compétence de l’expert judiciaire ne saurait être mise en doute alors qu’il n’existe pas d’expert spécialiste des oeuvres de [Y] [YU] en France et que M. [G], expert près la cour d’appel de Paris et agréé par la Cour de cassation, a consulté six ouvrages documentant l’oeuvre de ce peintre très connu en Roumanie, s’est particulièrement imprégné des oeuvres ‘totems’ de l’artiste dont relève le tableau litigieux et s’est prononcé au termes de trois réunions d’expertise par des conclusions argumentées qui ne sont pas critiquées de manière pertinente par Mme [B]-[K], la société Tajan et son assureur, notamment au vu des documents produits.

En effet, Mme [XG] fait valoir à juste titre que la traduction du certificat de M.[O] mentionne abusivement qu’il est intitulé ‘expertise’ alors que l’original ne le mentionne pas et le tribunal s’est fondé à tort sur cet avis alors que son auteur a déclaré devant notaire, le 27 novembre 2015, rétracter l’opinion précédemment émise tout en rappelant que ‘le document en cause, n’est qu’un rapport de consultance et non pas de consultance et d’expertise, comme on a abusivement traduit ultérieurement son titre en français’ et ‘ a été donné uniquement pour l’usage de la personne qui était propriétaire de la peinture et non pas pour authentifier la peinture’, qu’il ‘ne se souvient pas avoir vu l’original et que [son] opinion a probablement été formée au vu d’une image numérique’ et qu’il ‘regrette le fait que [son] document ait été utilisé à d’autres fins sans [son] consentement’.

De même, le certificat particulièrement général de M. [P], père de [L] [P], ancienne propriétaire du tableau selon une attestation également produite par la société Tajan, ne peut être retenu, aux motifs, d’une part, que son auteur ne justifie pas de ses qualités de ‘spécialiste en art’ et d’autre part et surtout, qu’il a été impliqué en 2005 dans la vente d’un faux [C] qu’il avait authentifié.

Enfin, Mme [B]-[K], venderesse, est totalement taisante sur la date d’acquisition du tableau et sur le nom de son vendeur.

En revanche et curieusement, la production de justificatifs de l’origine du tableau est effectuée par la société Tajan au moyen de deux attestations relatives à cette vente.

Dans la première, datée du 10 décembre 2010, Mme [L] [P] déclare avoir vendu en décembre 2010, à Mme [B]-[K] le tableau de [Y] [YU] qu’elle avait acheté en 2006 à [YC] [J], lequel l’avait acquis dans les années 1980 de la fille de l’auteur.

Or, dans une seconde attestation datée de septembre 2011, ce dernier indique avoir acheté le tableau litigieux à ‘[W] [YU] fille de [W] [YU]’ et l’avoir vendu à [F] [V] qui l’aurait donné à [L] [P] et avoir vu le tableau chez elle à l’automne 2010.

Ces pièces se contredisent entre elles et la provenance du tableau litigieux se révèle totalement incertaine.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments un doute réel et sérieux sur l’authenticité du tableau attribué à [Y] [YU] alors que Mme [XG], grande amatrice de la peinture de cet artiste dont elle possède plusieurs oeuvres, a acquis le tableau litigieux sur la foi des mentions du catalogue de la société de ventes volontaires Tajan et que l’erreur sur son attribution à [Y] [YU], qualité substantielle pour elle, a été déterminante de son consentement à l’achat.

En conséquence, la vente doit être annulée, en infirmation du jugement et cette annulation entraîne les restitutions réciproques, par les parties, de la chose et du prix de vente.

Mme [B]-[K] est condamnée à rembourser à Mme [XG] la somme de 35 000 euros correspondant au prix du tableau que cette dernière restituera à sa venderesse, sans qu’il soit nécessaire que cette restitution s’effectue en présence du président du conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques.

Sur la responsabilité de la société Tajan et la garantie de son assureur

Le tribunal a considéré que le défaut d’authenticité du tableau n’étant pas établi, il n’y avait lieu de relever aucune faute de la part de la société Tajan ni aucun préjudice au détriment de Mme [XG].

Mme [XG] reproche à la société Tajan :

– d’avoir fait un choix défaillant en confiant l’expertise à M. [KU] [O], incompétent pour authentifier le tableau car il n’est pas reconnu par ses pairs en Roumanie comme étant un expert de la peinture roumaine et ne peut donc pas prétendre à la qualité d’expert au regard de la législation roumaine,

– d’avoir mis à disposition un certificat authenticité non conforme aux prescriptions du catalogue qui avait annoncé que serait remis à l’acquéreur un certificat d’authenticité de M. [KU] [O], en date du 2 mars 1998, alors qu’elle n’a reçu qu’un simple rapport de consultance, daté du mois de novembre 2010, qui ne peut être considéré comme un certificat d’authenticité et/ou d’expertise,

– d’avoir rédigé son catalogue de manière trompeuse puisque :

> le tableau est présenté comme étant de [Y] [YU] alors que la société Tajan ne pouvait garantir de façon formelle le caractère authentique du tableau, à la seule vue de l’avis de M. [O],

> l”uvre est située ‘vers 1960″, alors que le document établi par M. [O] fait état d’une date de création dans le ‘milieu des années cinquante’,

> l”uvre est mentionnée dans un ‘ très bon état général’, alors que la société Tajan avait l’obligation d’informer que l”uvre avait fait l’objet d’un nettoyage et avait été revernie en prévision de la vente.

Elle estime que du fait des négligences et fautes de la société Tajan, elle a eu la croyance légitime d’acquérir un tableau authentique de [Y] [YU] et a subi différents préjudices qu’elle n’aurait pas subis si le commissaire priseur avait été diligent :

– en supportant les frais d’expertise privées pour un total de 7 500 euros,

– en sollicitant les conseils d’un cabinet d’avocat roumain, pour un montant de 13 757 euros,

– du fait des différents tracas causés par la procédure et le comportement de la société Tajan lui occasionnant un préjudice moral, dont elle évalue l’indemnisation à 2 000 euros.

La société Tajan répond que :

– le commissaire priseur a une obligation de moyens concernant l’authenticité des objets mis en vente,

– l’existence d’un défaut d’authenticité ne suffit pas, à lui seul, à établir l’existence d’une faute personnelle de sa part, d’un préjudice subi par le demandeur et d’un lien de causalité qui les unissent,

– si l’expert qu’il a sollicité a depuis changé d’avis, il convient de tenir compte des données acquises au moment de la vente pour envisager sa responsabilité,

– il n’est pas justifié qu’au jour de la vente, il existait des raisons objectives de remettre en cause l’originalité de l”uvre, ni de procéder à des investigations complémentaires,

– elle a agi avec prudence puisqu’elle disposait d’un certificat suffisant pour lui permettre de rédiger le catalogue,

– la production du catalogue l’exonère de toute responsabilité, dès lors que l’authenticité de l’objet a été attestée par une personne spécialisée dans l’art roumain,

– l’expert M. [O] est un critique d’art, membre de l’union des plasticiens roumains et de l’association internationale des critiques d’art, et elle n’avait aucune raison de douter du caractère authentique de l”uvre litigieuse et de la bonne foi de l’expert saisi,

– à titre subsidiaire, son assureur doit la garantir de toutes les condamnations prononcées à son encontre.

La société Axa France Iard ajoute que :

– les opérateurs de ventes volontaires ont une obligation de moyens et la jurisprudence estime que lorsqu’une maison de vente ne fait pas appel à un expert mais se base sur un certificat d’authenticité pour établir le descriptif d’une ‘uvre, aucune faute ne peut être retenue à son encontre,

– l’artiste [Y] [YU] est très peu connu en France et il n’existe actuellement pas de catalogue raisonné de son ‘uvre ni d’expert attitré,

– M. [O] est un critique d’art reconnu, auteur de nombreux ouvrages spécialisés dans la peinture moderne roumaine, et le certificat qu’il a établi est d’une grande précision et particulièrement motivé et conclu de manière non équivoque à l’authenticité de l”uvre,

– en toute hypothèse, si l”uvre était véritablement apocryphe, l’erreur d’appréciation serait la faute du seul expert et ne saurait être imputée à la société Tajan qui a établi son catalogue eu égard aux connaissances acquises au moment de la vente,

– concernant le nettoyage du tableau, tout potentiel acquéreur est invité à solliciter un rapport de condition,

– concernant la datation, aucun élément ne vient contredire cette période dès lors que l’expert judiciaire a constaté qu’il devait s’agir d’une ‘uvre de la fin de vie du peintre, décédé en 1962,

– les préjudices invoqués sont exagérés et le préjudice moral n’est pas démontré, ni dans son principe ni dans son quantum,

– subsidiairement, elle est fondée à opposer à la société Tajan l’exclusion prévue au titre du remboursement des frais et honoraires perçus par la société de vente et la franchise de 15 000 euros puisque celle-ci ne s’est pas fait assister d’un expert.

L’article L.321-17 du code de commerce dispose que les opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques mentionnés à l’article L. 321-4 et les officiers publics ou ministériels compétents pour procéder aux ventes judiciaires et volontaires ainsi que les experts qui les assistent dans la description, la présentation et l’estimation des biens engagent leur responsabilité au cours ou à l’occasion des prisées et des ventes de meubles aux enchères publiques, conformément aux règles applicables à ces ventes.

Le décret n° 81-255 du 3 mars 1981 sur la répression des fraudes en matière de transaction d’oeuvres d’art et d’objets de collection donne des indications sur la portée des mentions figurant sur les documents établis par la sociétés de ventes volontaires :

Article 1 : Les vendeurs habituels ou occasionnels d’oeuvres d’art ou d’objets de collection ou leurs mandataires, ainsi que les officiers publics ou ministériels et les personnes habilitées procédant à une vente publique aux enchères doivent, si l’acquéreur le demande, lui délivrer une facture, quittance, bordereau de vente ou extrait du procès-verbal de la vente publique contenant les spécifications qu’ils auront avancées quant à la nature, la composition, l’origine et l’ancienneté de la chose vendue.

Article 3 : A moins qu’elle ne soit accompagnée d’une réserve expresse sur l’authenticité, l’indication qu’une ‘uvre ou un objet porte la signature ou l’estampille d’un artiste entraîne la garantie que l’artiste mentionné en est effectivement l’auteur.

Le même effet s’attache à l’emploi du terme « par » ou « de » suivie de la désignation ou du titre de l”uvre.

La société Tajan a mentionné de manière erronée dans le catalogue de vente qu’elle a établi que l’oeuvre ‘ Les Yeux de l’idole’ était de [Y] [YU] et portait son monogramme sans aucune réserve. Se faisant, elle a engagé sa garantie et est responsable vis à vis de l’acquéreur de l’erreur d’authentification qu’elle a commise sans pouvoir se retrancher derrière le certificat de M. [O] mentionné dans le catalogue avec une erreur sur sa date et remis à Mme [XG].

En effet, alors qu’elle ne justifie pas de la qualité d’expert de l’oeuvre de [YU] qu’elle lui attribue, mentionnant seulement que M. [O] est critique d’art, il est apparu qu’elle n’avait pas sollicité elle-même, comme elle le prétend, le certificat très peu étayé qu’elle produit, son auteur ayant indiqué que son certificat, donné au propriétaire de l’oeuvre a été utilisé sans son consentement à d’autres fins que celle initialement prévue et n’était pas un certificat d’authenticité.

Il appartenait à la société de ventes volontaires d’effectuer des recherches complémentaires, lesquelles n’ont pas été réalisées avec l’obtention d’un avis de M. [P], dont les qualités d’expert ne sont pas justifiées et qui était impliqué dans une affaire de faux concernant l’artiste [C] et, à tout le moins, d’accompagner la mention de son catalogue relative à l’auteur de la peinture d’une réserve.

En revanche, il ne saurait être retenu aucune faute de la société Tajan s’agissant de la datation du tableau non remise en cause ou du nettoyage du tableau.

Si les restitutions consécutives à l’annulation d’une vente pour erreur sur la substance n’ont lieu qu’entre les parties contractantes, le commissaire-priseur peut être condamné à des dommages-intérêts en réparation du préjudice causé à l’acquéreur par sa faute et tenu, à ce titre, du montant des frais d’adjudication.

En conséquence, la société Tajan est condamnée à rembourser à Mme [XG] la somme de 9 089,64 euros correspondant aux frais de vente qu’elle a perçus.

Par ailleurs, Mme [XG] sollicite à bon droit au titre de ses préjudices en lien de causalité directe avec la faute de la société Tajan, le remboursement des frais d’expertise engagés en Roumanie aux fins d’établir le défaut d’authenticité de l’oeuvre litigieuse, justifiés pour un montant de 7 500 euros et les frais d’avocat roumain pour un montant de 13 757 euros destinés à obtenir une solution amiable au litige ainsi que l’octroi de la somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral lié aux tracas subis du fait de la procédure engagée pendant 10 ans.

La société Axa France Iard est condamnée à garantir la société Tajan de ces condamnations, sous déduction de l’exclusion prévue au titre du remboursement des frais et honoraires perçus par la société de vente et de la franchise contractuelle de 15 000 euros puisque la société Tajan ne s’est pas fait assister d’un expert.

Sur la demande de dommages et intérêts formée à l’encontre de Mme [XG] pour procédure abusive

Mme [XG] obtenant gain de cause, la société Tajan est déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive à son encontre, en infirmation du jugement.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile sont infirmées.

Les dépens de première instance et d’appel doivent incomber in solidum à Mme [B] épouse [K], la Sa Tajan et la société Axa, en ce compris les frais d’expertise et les frais de gardiennage selon devis de la société Convelio.

Ils sont également condamnés in solidum à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Ecarte de débats les seules pièces 5, 7, 10, 16 et 32 de l’appelante,

Rejette la demande de nullité du rapport d’expertise,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Annule la vente aux enchères du tableau ‘Les Yeux de l’idole’,

Condamne Mme [I] [B] épouse [K] à restituer à Mme [D] [XG] le prix de vente soit la somme de 35 000 euros,

Ordonne à Mme [D] [XG] de restituer à Mme [I] [B] épouse [K] le tableau ‘Les yeux de l’idole’,

Condamne la Sa Tajan à payer à Mme [D] [XG] :

– la somme de 9 089,64 euros correspondant aux frais de vente,

– la somme de 7 500 euros correspondant aux frais d’expertises effectuées en Roumanie,

– la somme de 13 757 euros au titre des frais d’avocat roumain,

– la somme de 2 000 euros au titre de son préjudice moral,

Dit que ces condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

Condamne la société Axa France Iard à garantir la Sa Tajan de ces condamnations, sous déduction de l’exclusion prévue au titre du remboursement de ses frais et honoraires et de la franchise contractuelle de 15 000 euros,

Déboute la Sa Tajan de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

Condamne in solidum Mme [I] [B] épouse [K], la Sa Tajan et la société Axa aux dépens de première instance et d’appel, en ce compris les frais d’expertise et les frais de gardiennage selon devis de la société Convelio,

Condamne in solidum Mme [I] [B] épouse [K], la Sa Tajan et la Sa Axa France Iard à payer à Mme [D] [XG] la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


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