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Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 2
ARRÊT DU 30 SEPTEMBRE 2022
(n°125, 16 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : n° RG 20/14564 – n° Portalis 35L7-V-B7E-CCO7X
Jonction avec le dossier 20/18647
Décision déférée à la Cour : jugement du 17 septembre 2020 -Tribunal de commerce de PARIS – 3ème chambre – RG n°2018028723
APPELANTES et INTIMEES
S.A.S. FUJIFILM FRANCE, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social situé
[Adresse 2]
[Localité 4]
Immatriculée au rcs de Versailles sous le n°412 838 526
Société FUJIFILM CORPORATION, société de droit japonais, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social situé
7-3
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 8]
JAPON
Représentées par Me Frédérique ETEVENARD, avocate au barreau de PARIS, toque K 0065
Assistées de Me Andréa DUFAURE plaidant pour ALLEN & OVERY LLP, avocate au barreau de PARIS, toque J 022, Me Alexandre RUDONI plaidant pour ALLEN & OVERY LLP, avocat au barreau de PARIS, toque J 022
Société PLR IP HOLDINGS LLC, société de droit américain, agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé
[Adresse 1]
[Localité 7]
MN
ETATS-UNIS D’AMERIQUE
Société POLAROID FILM B.V., anciennement IMPOSSIBLE B.V., société de droit néerlandais, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé
[Adresse 6]
[Localité 5]
PAYS-BAS
Représentées par Me Matthieu BOCCON-GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque C 2477
Assistées de Me Vincent FAUCHOUX plaidant pour la SCP DEPREZ – GUIGNOT & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque P 221, Me Annabelle DALEX plaidant pour la SCP DEPREZ – GUIGNOT & ASSOCIES, avocate au barreau de PARIS, toque P 221
INTIMEES et APPELANTES
S.A.S.U. FUJIFILM FRANCE, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé
[Adresse 2]
[Localité 4]
Immatriculée au rcs de Versailles sous le n°412 838 526
Société FUJIFILM CORPORATION, société de droit japonais, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé
[Adresse 3]
[Localité 8]
JAPON
Représentées par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065
Assistées de Me Andréa DUFAURE plaidant pour ALLEN & OVERY LLP, avocate au barreau de PARIS, toque J 022, Me Alexandre RUDONI plaidant pour ALLEN & OVERY LLP, avocat au barreau de PARIS, toque J 022
Société PLR IP HOLDINGS LLC, société de droit américain, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé
[Adresse 1]
[Localité 7]
MN
ETATS-UNIS D’AMERIQUE
Société POLAROID FILM B.V., anciennement IMPOSSIBLE B.V., société de droit néerlandais, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé
[Adresse 6]
[Localité 5]
PAYS-BAS
Représentées par Me Matthieu BOCCON-GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque C 2477
Assistées de Me Vincent FAUCHOUX plaidant pour la SCP DEPREZ – GUIGNOT & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque P 221, Me Annabelle DALEX plaidant pour la SCP DEPREZ – GUIGNOT & ASSOCIES, avocate au barreau de PARIS, toque P 221
INTERVENANTE VOLONTAIRE
Société POLAROID IP B.V., société de droit néerlandais, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
[Adresse 6]
[Localité 5]
PAYS-BAS
Représentée par Me Matthieu BOCCON-GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque C 2477
Assistée de Me Vincent FAUCHOUX plaidant pour la SCP DEPREZ – GUIGNOT & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque P 221, Me Annabelle DALEX plaidant pour la SCP DEPREZ – GUIGNOT & ASSOCIES, avocate au barreau de PARIS, toque P 221
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 8 juin 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Laurence LEHMANN, Conseillère, Faisant Fonction de Présidente, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport, en présence de Mme Agnès MARCADE, Conseillère
Mmes Laurence LEHMANN et Agnès MARCADE ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Laurence LEHMANN, Conseillère, Faisant Fonction de Présidente
Mme Agnès MARCADE, Conseillère
Mme Françoise BARUTEL, Conseillère, désignée pour compléter la Cour
Greffière lors des débats : Mme Carole TREJAUT
ARRET :
Contradictoire
Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
Signé par Mme Laurence LEHMANN, Conseillère, Faisant Fonction de Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
Vu le jugement contradictoire rendu le 17 septembre 2020 par le tribunal de commerce de Paris,
Vu l’appel interjeté le 13 octobre 2020 par les sociétés Fujifilm France et Fujifilm Corporation (RG 20/14564),
Vu l’appel interjeté le 18 décembre 2020 par les sociétés PLR IP Holding et Impossible B.V. devenue Polaroid Film B.V. (RG 20/18647),
Vu l’ordonnance de jonction des instances en date du 18 février 2021 sous le n°RG 20/14564,
Vu les conclusions d’intervention volontaire de la société Polaroid IP B.V. remises au greffe et notifiées par voie électronique le 3 mars 2022,
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 25 mai 2022 par les sociétés Fujifilm France et Fujifilm Corporation, appelantes et intimées,
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 19 mai 2022 par les sociétés PLR IP Holding, Polaroid Film B.V. (anciennement Impossible B.V.) et Polaroid IP B.V. (Polaroid), appelantes et intimées,
Vu l’ordonnance de clôture du 2 juin 2022,
SUR CE, LA COUR,
Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.
La société de droit américain Polaroid Corporation étrangère à la cause, inventeur de la photographie instantanée, a fait l’objet d’une faillite en 2008.
La société de droit américain PLR IP Holdings Llc a pour activité la concession de licences et dit avoir acheté le 16 avril 2009 à la société Polaroid Corporation ses droits de propriété intellectuelle et de savoir-faire sur la marque ‘Polaroid’.
La société Impossible B.V. devenue Polaroid Film B.V. a été créée en 2008 aux Pays-Bas afin de relancer la production des films compatibles avec les appareils Polaroid en rachetant la chaîne de production historique aux Pays-Bas.
La société de droit japonais Fujifilm Corporation fabrique des appareils photographiques instantanés et des pellicules sous la marque ‘Fuji’, qui sont commercialisés en France par la société Fujifilm France, sous la marque ‘Instax’.
Considérant que les sociétés Fujifilm corporation et Fujifilm France (Fujifilm) ont, à l’occasion du lancement du nouveau format ‘Instax Square’ en 2017, repris le format carré Polaroid et se sont inscrites de manière fautive dans leur sillage, les sociétés PLR IP Holdings et Impossible B.V. ont adressé aux sociétés Fujifilm une mise en demeure en date du 15 février 2018.
Celle-ci étant restée vaine, les sociétés PLR IP Holdings et Impossible B.V. (Polaroid), ont fait assigner par actes des 17 et 16 mai 2018 les sociétés Fujifilm corporation et Fujifilm France devant le tribunal de commerce de Paris pour actes de parasitisme.
Le jugement du tribunal de commerce dont appel a :
– débouté la société de droit japonais Fujifilm Corporation et la société Fujifilm France de leur demande d’irrecevabilité pour défaut d’intérêt à agir de la société de droit américain PLR IP Holdings Llc, et de la société de droit néerlandais Impossible B.V.;
– dit que la société de droit japonais Fujifilm Corporation et la SAS Fujifilm France ont commis des actes de concurrence parasitaire au détriment de la société de droit américain PLR IP Holdings Llc, et de la société de droit néerlandais Impossible B.V. ;
– condamné conjointement, la société de droit japonais Fujifilm Corporation et la SAS Fujifilm France à payer à la société de droit américain PLR IP Holdings Llc, et à la société de droit néerlandais Impossible B.V., la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
– débouté la société de droit américain PLR IP Holdings Llc et la société de droit néerlandais Impossible B.V. de leurs demandes d’interdiction de commercialisation et de retrait du marché des appareils au format Instax Square, ainsi que de leurs demandes de communication d’éléments comptables et des plans média ;
– ordonné la publication du communiqué suivant sur la page d’accueil du site de la société Fujifilm France, pour une durée de 3 mois à compter de 30 jours après la publication du présent jugement, et dans 3 journaux ou magazines au choix de PLR et IMP aux frais conjoints de FUJI sans que le coût de chacune de ces publications n’excède la somme de 7 000 euros :
«Par jugement du 17 septembre 2020, le Tribunal de commerce de Paris a jugé que la société Fujifilm France SAS et la société Fujifilm Corporation avaient commis des actes de parasitisme au détriment des sociétés PLR IP Holdings Llc et Impossible B.V. dans le cadre de la commercialisation du format Instax Square, reprenant fautivement et sans nécessité les caractéristiques du format carré Polaroid» ;
– condamné conjointement la société de droit japonais Fujifilm Corporation et la société Fujifilm France aux dépens de la présente instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 116,74 € dont 19,24 € de TVA.
– condamné conjointement la société de droit japonais Fujifilm Corporation et la société Fujifilm France à payer à la société de droit américain PLR IP Holdings Llc, et à la société de droit néerlandais Impossible B.V., la somme de 75.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– ordonné l’exécution provisoire du présent jugement sans constitution de garantie sauf en ce qui concerne la mesure de publication sur le site internet de la SAS Fujifilm France et dans 3 journaux ;
– rejeté les demandes des parties autres, plus amples ou contraires.
Les sociétés Fujifilm et Polaroid ont interjeté appel dudit jugement.
Par ordonnance du 2 décembre 2021, le conseiller de la mise en état a fait droit à la demande des sociétés Fujifilm de communication de documents confidentiels protégés au titre du secret des affaires.
En exécution de cette ordonnance, chacune des parties a remis des conclusions dans deux versions distinctes :
– une version complète dans laquelle les passages faisant référence aux pièces confidentielles sont identifiés explicitement de la manière suivante : « confidentiel-cour d’appel de Paris, ordonnance du [date], RG n° [../’.] » ; et
– une version caviardée dans laquelle toutes les références aux pièces confidentielles sont masquées,
la signification de la version complète des écritures par le réseau privé virtuel (RPVA) se faisant de la manière habituelle et leur partage uniquement entre les avocats, avec le(s) magistrat(s), le greffe, ou tout employé de la cour d’appel qui en demanderait la communication dans le cadre de la procédure pendante, à l’exclusion des parties elles-mêmes, qui n’auront accès qu’à la version expurgée des écritures.
La société Polaroid IP B.V venant aux droits de la société Polaroïd IP holdings à compter du 1er décembre 2021est intervenue volontairement à la présente instance pour les faits commis par les sociétés Fujifilm à compter du 1er décembre 2021.
Par leurs dernières conclusions les sociétés Fujifilm demandent au visa des articles 31, 122 et 329 du code de procédure civile et 1240 du code civil à la cour de :
– infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 17 septembre 2020 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a débouté les sociétés PLR IP Holdings Llc et Impossible B.V. de leurs demandes d’interdiction de commercialisation et de retrait du marché des appareils au format Instax Square ainsi que de leurs demandes de communication d’éléments comptables et des plans média ;
Et, statuant à nouveau,
– déclarer irrecevable l’action introduite par les sociétés PLR IP Holdings Llc et Impossible B.V. (nouvellement Polaroid Film B.V.) ;
– déclarer irrecevable l’intervention volontaire de la société Polaroid IP B.V. ;
– débouter les sociétés PLR IP Holdings Llc et Impossible B.V. (nouvellement Polaroid Film B.V.) et Polaroid Film B.V. de l’intégralité de leurs demandes, fins et prétentions ;
– condamner les sociétés PLR IP Holdings Llc et Impossible B.V. (nouvellement Polaroid Film B.V.) et Polaroid Film B.V. à leur payer la somme de 675.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner les sociétés PLR IP Holdings Llc et Impossible B.V. (nouvellement Polaroid Film B.V.) et Polaroid Film B.V. aux entiers dépens ;
A titre reconventionnel,
– juger que la société Impossible B.V. (nouvellement Polaroid Film B.V.) a commis des actes de parasitisme à leur détriment en détournant leurs investissements et leurs efforts déployés dans le cadre de la commercialisation en France de la gamme de produits «INSTAX Mini », ce détournement étant aggravé par l’adoption en France d’une stratégie de marketing et de codes de communication délibérément inspirés des leurs ;
En conséquence,
– condamner la société Impossible B.V. (nouvellement Polaroid Film B.V.) à leur payer la somme de 652.370 euros de dommages et intérêts au titre de son préjudice financier et de 150.000 euros au titre de son préjudice moral ;
– ordonner la publication du communiqué de presse suivant sur la page d’accueil du site internet https://eu.polaroid.com/, pour un période de trois mois commençant 30 jours après la publication de cette décision, et dans trois journaux ou magazines de leur choix, aux frais de Impossible B.V. (nouvellement Polaroid Film B.V.), sans que le coût de telles publications n’excède 7.000 euros :
« Par une décision en date du [X], infirmant le jugement du tribunal de commerce du 17 septembre 2020, la cour d’appel de Paris a jugé que Impossible B.V. (nouvellement Polaroid Film B.V.) avait commis des actes de parasitisme au détriment de Fujifilm France SAS et Fujifilm Corporation en commercialisant le format Polaroid Go, qui reprenaient de façon illicite et injustifiée les caractéristiques du format INSTAX Mini de Fujifilm, ainsi que certains éléments de leurs communications, se plaçant ainsi dans le sillage de Fujifilm. »
Par leurs dernières conclusions les sociétés PLR IP Holding, Polaroid Film B.V. (anciennement Impossible B.V.) et Polaroid IP B.V., demandent à la cour de :
– débouter les sociétés Fujifilm France Sas et Fujifilm Corporation de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;
– confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 17 septembre 2020 en ce qu’il a :
– débouté les sociétés Fujifilm France Sas et Fujifilm Corporation de leur demande d’irrecevabilité pour défaut d’intérêt à agir des sociétés PLR IP Holdings, Llc et Impossible B.V. ;
– jugé que les société Fujifilm France Sas et Fujifilm Corporation ont commis des actes de concurrence parasitaire au détriment des sociétés PLR IP Holdings, Llc et Impossible B.V. ;
– ordonné la publication du communiqué suivant sur la page d’accueil du site de la Sas Fujifilm France, pour une durée de trois mois à compter de 30 jours après la publication du présent jugement, et dans 3 journaux ou magazines au choix des sociétés PLR IP Holdings, Llc et Impossible B.V., aux frais des sociétés Fujifilm France Sas et Fujifilm Corporation sans que le coût de chacune de ces publications n’excède la somme de 7.000 euros : « Par jugement du 17 septembre 2020, le Tribunal de commerce de Paris a jugé que la société Fujifilm France Sas et la société Fujifilm Corporation avaient commis des actes de parasitisme au détriment des sociétés PLR IP Holdings, Llc et Impossible B.V. dans le cadre de la commercialisation du Format Instax Square reprenant fautivement et sans nécessité les caractéristiques du format carré Polaroid » ;
– condamné les sociétés Fujifilm France Sas et Fujifilm Corporation au paiement de la somme de 75.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ;
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
– débouté les sociétés Polaroid de leurs plus amples demandes ;
– limité la condamnation des sociétés Fujifilm France Sas et Fujifilm Corporation à la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
– débouté les sociétés PLR IP Holdings, Llc et Impossible B.V. de leurs demandes d’interdiction de commercialisation et de retrait du marché des appareils Instax Square, ainsi que de leurs demandes de communication d’éléments comptables et de plans média ;
Et, statuant à nouveau :
– juger que les sociétés Fujifilm France Sas et Fujifilm Corporation ont commis des actes de parasitisme fautifs en détournant la notoriété et les investissements attachés au format Polaroid pour en capter la valeur économique et pour entraver le redéploiement de son seul concurrent sérieux sur le marché de la photographie instantanée, Polaroid, ce détournement étant délibérément soutenu par une stratégie marketing et de communication globale sur le marché français ;
En conséquence :
– interdire aux sociétés Fujifilm France Sas et Fujifilm Corporation ainsi qu’à toute société affiliée de fabriquer, faire fabriquer, distribuer, commercialiser et de faire la promotion en France du format Instax Square litigieux et des appareils photographiques compatibles SQ1 ; SQ6 ; SQ10 et SQ20, de quelque manière et à quelque titre que ce soit, directement ou indirectement, par toute personne physique ou morale interposée, à compter du prononcé de l’arrêt à intervenir, et ce sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard, par produit et par infraction constatée, à l’issue d’un délai de 10 jours suivant la signification de l’arrêt à intervenir ;
– ordonner le retour par les sociétés Fujifilm France Sas et Fujifilm Corporation ou, le cas échéant, le retrait du marché en France, aux frais des sociétés Fujifilm France Sas et Fujifilm Corporation, de l’ensemble des produits incriminés correspondant au format Instax Square litigieux, ainsi que les appareils photographiques correspondant SQ1 ; SQ6 ; SQ10 et SQ20, et de tout document, papier commercial, catalogue, publicité, support promotionnel, etc. ; portant une reproduction des produits incriminés ou une référence à ceux-ci, et ce, sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard, a’ l’issue d’un délai de 10 jours suivant la signification de l’arrêt à intervenir ;
– condamner conjointement les sociétés Fujifilm France Sas et Fujifilm Corporation à leur payer la somme de 3.000.000 d’euros à titre de dommages et intérêts, sauf à parfaire, en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence parasitaire ;
– confirmer la publication du communiqué suivant sur la page d’accueil du site Fujifilm France https://www.fujifilm.eu/fr et dans 5 journaux ou magazines de leur choix, aux frais conjoints des sociétés Fujifilm France Sas et Fujifilm Corporation sans que le coût de chacune de ces publications n’excède la somme de 7.000 euros hors taxes :
« Confirmant le jugement du tribunal de commerce du 17 septembre 2020, la cour d’appel de Paris par arrêt du [X] a jugé que la société Fujifilm France SAS et la société Fujifilm Corporation avaient commis des actes de parasitisme au détriment des sociétés PLR IP Holdings, Llc, Polaroid Film B.V. et Polaroid IP B.V. dans le cadre de la commercialisation du format Instax Square reprenant fautivement et sans nécessite les caractéristiques du format Polaroid, mais également pour certains éléments de leur communication, s’inscrivant dans le sillage de celle des sociétés Polaroid ».
– confirmer les condamnations prononcées par le tribunal de commerce au titre de l’article 700 du code de procédure civile et y ajoutant,
– condamner conjointement les sociétés Fujifilm France Sas et Fujifilm Corporation à payer aux sociétés PLR IP Holdings Llc et Polaroid Film B.V. la somme de 100.000 euros et à la société Polaroid IP B.V. la somme de 20.000 euros ainsi qu’au paiement des entiers dépens ;
– Sur la recevabilité à agir des sociétés Polaroid
L’article 31 du code de procédure civile prévoit que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé.
Les sociétés Fujifilm contestent la recevabilité à agir des sociétés Polaroid aux motifs que, d’une part, les entités juridiques PLR IP Holdings et Impossible B.V. ne démontrent aucun intérêt à agir faute de démontrer notamment qu’elles ont ‘ elles-mêmes ‘ réalisées les investissements leur permettant d’agir sur le fondement du parasitisme ou que ces investissements sont liés au format revendiqué et, d’autre part, parce que la présente procédure aurait dû être intentée sur des droits de propriété intellectuelle.
En suite de la faillite de la société américaine Polaroid Corporation, un contrat de rachats d’actifs (Asset purchase agreement) en date du 16 avril 2009 (pièce 2-1 Polaroid), a été conclu entre les sociétés PLR Acquisition et de nombreuses entités Polaroid dont la société Polaroid Corporation qui prévoit que sont concernés par cette cession, selon une traduction libre proposée pat les sociétés Polaroid et non contestée par les sociétés Fujifilm, ‘tous les droits de propriété intellectuelle détenus ou licenciés au vendeur en vertu d’un contrat acquis ou autrement utilisés par les vendeurs dans le cadre de l’exploitation de l’entreprise, tel qu’historiquement exploité par les vendeurs (collectivement ‘la propriété intellectuelle acquise’), y compris sans limitation tous les droits sur le nom ‘Polaroid’ (et tous les droits sur les autres noms commerciaux, marque de commerce et marque de service appartenant aux vendeurs ; et les dépôts de propriété intellectuelle énumérés à l’annexe 1-1 (f)”. L’article 7-1 de cette convention prévoit expressément que la société Polaroid IP Holdings Llc est la bénéficiaire de la cession des droits de propriété intellectuelle cédés.
S’ajoutent à ce contrat, une convention du 7 mai 2009 (pièce 2-3 Polaroid) intitulée ‘Acquired intellectual property assignment and assumption agreement’ conclue entre les sociétés PLR Acquisition et PLR IP Holdings Llc et une autre convention datée du même jour intitulée ‘trademark assignment’ conclue entre les sociétés Polaroid Corporation et PLR IP Holdings Llc (Pièce 2-2 Polaroid).
Il résulte de ce qui précède que la société PLR IP Holdings Llc qui a acquis l’ensemble des droits de propriété intellectuelle de la société Polaroid Corporation en ce compris la marque Polaroid a un intérêt à agir sur le fondement du parasitisme, celle-ci considérant que le format carré du cliché instantané est le format notoire ou iconique attaché à la marque Polaroid.
De même, la société Polaroid IP B.V. cessionnaire de la totalité des actifs de la société PLR IP Holdings est recevable à intervenir volontairement à l’instance devant la cour pour les faits de parasitisme qu’elle dénonce et postérieurs au 1er décembre 2021, date du transfert des actifs.
La société Impossible B.V. qui a, quant à elle, acquis en 2008 l’usine de la société Polaroid Corporation sise aux Pays-Bas pour fabriquer dans un premier temps les films instantanés compatibles avec les anciens appareils photographiques Polaroid, puis a été bénéficiaire d’un contrat de licence d’exploitation non exclusive des marques Polaroid en date du 15 mars 2017 (pièce 63 Polaroid) et a participé en 2017 au lancement de l’appareil photographique Polaroid One Step 2, réédition de l’appareil One Step, a également intérêt à agir sur le fondement des agissements parasitaires en raison de la reprise du format carré des clichés issu des films qu’elle commercialise.
L’absence de démonstration par les sociétés Polaroid des investissements qu’elles auraient pu consentir sur le format carré susceptibles de conférer à ce format une valeur économique individualisée, opposée par les sociétés Fujifilm, est indifférente pour apprécier l’intérêt à agir des sociétés Polaroid, cette question devant être abordée lors de l’appréciation au fond des agissements parasitaires reprochés.
De même, le choix des sociétés Polaroid d’agir en concurrence parasitaire et non sur le fondement des droits de propriété industrielle tels que les marques dont les sociétés Polaroid seraient titulaires, est indifférent et ne prive nullement celles-ci d’intérêt à agir sur le fondement de l’article 1240 du code civil.
Les sociétés Polaroid doivent donc être considérées comme ayant un intérêt à agir et le jugement déféré doit être confirmé en ce qu’il a rejeté la fin de non-recevoir opposée par les sociétés Fujifilm.
– Sur les actes de parasitisme reprochés aux sociétés Fujifilm
Les sociétés Polaroid reprochent aux sociétés Fujifilm d’avoir, à compter du mois d’avril 2017, commercialisé en France un format de film instantané dénommé ‘Instax Square’ qui reprendrait sans la moindre nécessité les caractéristiques du format iconique carré Polaroid dit ‘format Polaroid’ qui est leur principale valeur économique. Elles ajoutent que cette notoriété est due notamment à des investissements qui leur sont propres.
Les sociétés Fujifilm font quant à elles valoir que, entre la faillite de la société américaine Polaroid Corporation en 2008 et le lancement de l’appareil One Step 2 en 2017, aucun film instantané au format carré ou appareil sous la marque Polaroid n’a été commercialisé. Elles exposent qu’au cours de cette période, elles ont développé la gamme Instax composée des formats ‘Instax Mini’, ‘Instax Wide’ puis ‘Instax Square’. Elles soutiennent que le format carré dont l’utilisation est contestée est fonctionnel, dans le dommaine public et usuel dans l’histoire de l’art et de la photographie. Elles font valoir que les sociétés Polaroid n’établissent pas de comportement fautif de leur part.
Le principe de la liberté du commerce implique qu’un produit qui n’est pas l’objet de droits privatifs peut être librement reproduit et commercialisé à moins de la caractérisation d’un comportement déloyal constitutif d’une faute au sens de l’article 1240 du code civil.
Le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.
La demande en concurrence parasitaire présente un fondement délictuel et il incombe en conséquence aux sociétés Polaroid de rapporter la preuve d’un agissement fautif des sociétés Fujifilm commis à leur préjudice par la captation des investissements consentis pour développer un produit phare.
Les sociétés Polaroid définissent le ‘format Polaroid’ bénéficiant d’une notoriété exceptionnelle comme se présentant ‘sous la forme d’une image carrée mise en valeur par un cadre blanc vertical et rectangulaire, dont la bordure inférieure est plus large que les trois bords latéraux et supérieur d’égales proportions’
Ainsi que le relèvent les sociétés Fujifilm, la définition du ‘format Polaroid’ retenue par les sociétés Polaroid est large en ce qu’elle ne précise aucune dimension.
Elles reproduisent toutefois ainsi le ‘format Polaroid’ opposé en page 22 de leurs écritures :
Il résulte des éléments fournis au débat que l’invention de M. [O] ayant pour objet le ‘format instantané’ protégée par brevets est tombée dans le domaine public. Le brevet déposé enseigne que la partie entourant la partie photosensible du film est nécessaire pour fixer et maintenir les multiples couches du film photosensible ensemble et pour empêcher les fuites des produits chimiques pendant le développement du film, et qu’une zone plus épaisse existe sur l’un des côtés du carré pour contenir le sachet de produits chimiques.
Le cadre vertical et rectangulaire dont la bordure inférieure est plus large que les trois bords latéraux et supérieurs d’égales proportions, entourant la partie carrée qui est la partie photosensible du format invoqué par les sociétés Polaroid, apparaît en conséquence imposé par une contrainte technique, étant relevé que les formats ‘Instax mini’ et ‘Instax Wide’ des sociétés Fujifilm, non contestés par les sociétés Polaroid comportent ce même cadre. De même, la position en bas du cliché de la partie plus large résulte également de contraintes pratiques et techniques, pour la prise en main du cliché et pour effectuer une décharge unidirectionnelle du contenu du sachet de produits chimiques.
Le format carré correspondant à la partie photosensible du film n’apparaît pas en revanche dicté par des considérations techniques.
Les investissements invoqués par les sociétés Polaroid n’apparaissent toutefois pas en lien avec le format tel qu’opposé.
En effet, la société Impossible B.V. échoue à établir avoir personnellement assumé des investissements pour concevoir, développer, promouvoir ou valoriser le ‘format Polaroid’ invoqué, ce format étant nécessaire afin d’être compatible avec les anciens appareils photographiques Polaroid de la société Polaroid Corporation, tel le SX 70, pour lesquels elle avait décidé de continuer à fabriquer des films qu’elle commercialisait sous ses marques propres, PX ou IMPOSSIBLE.
Le contrat de licence qu’elle a conclu le 1er juillet 2011 avec la société PLR IP Holdings ne concernait pas le format du film instantané qu’elle commercialisait déjà mais l’autorisation d’utiliser, à titre gratuit, les marques Polaroid dont une marque figurative constituée d’un logo comportant un carré dans un rectangle identifié dans le contrat comme ‘legacy Marks’, ce pour assurer la promotion et vendre les films instantanés Impossible compatibles et non spécifiquement le ‘format Polaroid’ invoqué. Les investissements dont témoignent MM. [C], [G] ou [T] dans les pièces fournies au débat par les parties et retenus par le tribunal à hauteur de 15.000.000 d’euros, concernent la qualité des films instantanés produits et vendus par la société Impossible B.V., cette qualité apparaissant à parfaire, et non le ‘format Polaroid’ invoqué.
La société PLR IP Holdings qui a acquis par contrats précités conclus en 2009 les droits de propriété intellectuelle précédemment détenus par la société Polaroid Corporation aujourd’hui dissoute, ne peut se présenter comme elle le fait comme le successeur de cette dernière et invoquer le ‘goodwill’ de cette société qui est inhérent à la personne morale bien connue, bien gérée, de réputation stable et positive auprès des clients, ni les investissements de celle-ci qui ont contribué au succès de l’appareil Polaroid SX-70 notamment dont les films instantanés étaient de format carré, étant relevé que les brevets sur le film instantané étaient déjà expirés et que la marque figurative portant sur le logo représentant un carré dans un rectangle n’était pas alors déposée. En outre, ainsi que le relèvent à juste titre les sociétés Fujifilm, les investissements effectués par la société Polaroid Corporation pour promouvoir ses produits Polaroid sont consacrés à divers produits dont les appareils photos Polaroid ainsi qu’aux films commercialisés dans divers formats mais ne sont pas dédiés particulièrement au format carré objet de la présente espèce.
La société PLR IP Holdings en achetant le portefeuille de propriété intellectuelle de la société Polaroid Corporation a investi notamment dans les marques de celle-ci et la réputation qui y était attachée mais pas dans le goodwill de l’entreprise Polaroid Corporation ni dans le ‘format Polaroid’. De même, en investissant dans la marque Polaroid, la société PLR IP Holdings ne justifie pas avoir investi dans le format instantané développé par la société Polaroid Corporation, celle-ci ne pouvant être suivie lorsqu’elle affirme comme les premiers juges que le format carré est un élément indissociable de la notoriété de la marque Polaroid, ce d’autant qu’il n’est pas justifié qu’un film instantané au format carré a été vendu sous la marque Polaroid entre 2008 et 2017.
En outre, il ressort de la chronologie des faits retracés tant par les sociétés Polaroid que Fujifilm et des éléments fournis par les parties, que :
– en 1972, la société Polaroid Corporation lance l’appareil photographique SX-70 qui rencontre un succès mondial,
– à la fin des années 1980, les brevets détenus par la société Polaroid Corporation sur le film instantané tombent dans le domaine public,
– en 1998, les sociétés Fujifilm lancent l’Instax Mini et en 1999, l’instax Wide, qui rencontrent un succès certain,
– la société Polaroid Corporation a disparu en 2008 après avoir fait faillite,
– le 7 mai 2009, la société PLR IP Holdings acquiert les droits de propriété intellectuelle de la société PLR Acquisition qui les avait elle-même acquis de la société Polaroid Corporation en suite du contrat de rachat d’actifs du 16 avril 2009,
– en 2010, la société Impossible B.V. lance les films instantanés sous les dénominations BX et Impossible,
– le 27 janvier 2011, un contrat d’achat et de vente de produits et de films photographiques est conclu entre la société Fujifilm Corporation et la société PLR Brand Services par lequel la première fabrique sous licence Polaroid des appareils ‘Polaroid 300″ uniquement compatibles avec le format Instax Mini,
– le 1er juillet 2011, un premier contrat de licence de marques est conclu entre les sociétés PLR IP Holdings et Impossible B.V.,
– en avril 2016, la société Impossible B.V. commercialise l’appareil photographique instantané dénommé l’I-1,
– en septembre 2016, les sociétés Fujifilm annoncent publiquement le lancement de l’Instax Square qui est commercialisé au mois d’avril 2017,
– le 15 mars 2017, les sociétés PLR IP Holdings et Impossible B.V. concluent un autre contrat de licence non exclusive de marques
– cette même année, la société Impossible B.V. est rachetée, intègre le groupe Polaroid, et participe au lancement de l’appareil photographique Polaroid One Step 2 et du film i-Type destiné à cet appareil.
Il ressort de ce qui précède que si la société Polaroid Corporation désormais disparue a rencontré un grand succès commercial en réalisant et commercialisant notamment l’appareil photographique SX-70 dont les films instantanés étaient de format carré inscrit dans un rectangle, il n’en demeure pas moins qu’après la disparition de cette société, entre 2009 et 2017, ce format n’a pas été fabriqué ou distribué par la société PLR IP Holdings Llc ou en accord avec celle-ci. Si des films instantanés de format carré étaient encore fabriqués par la société Impossible B.V. après la faillite de la société Polaroid Corporation, cette entité totalement indépendante des sociétés PLR, n’avait pas, au commencement de sa production, l’autorisation d’utiliser la marque Polaroid, et a commercialisé en avril 2016 son premier appareil photographique analogique dont le cliché instantané est de format carré, non en référence à la marque Polaroid, mais sous le nom de Impossible I-1. De même, la circonstance qu’en 2010 un partenariat a été conclu avec la chanteuse Lady Gaga, nommée Creative Directeur de la marque Polaroid, est inopérante à démontrer que le nom de Polaroid était toujours associé au format carré.
Ce n’est qu’en serptembre 2017 avec le lancement par Polaroid du nouvel appareil photographique One Step 2 et du film i-Type de format carré, et après que la société Impossible B.V. a rejoint le groupe Polaroid, que la communication de ces dernières et les partenariats avec des sociétés comme Disney ou [Z] ont été développés.
Or, ces investissements postérieurs à l’annonce du lancement de l’Instax Square par les sociétés Fujifilm au mois de septembre 2016 pour le printemps 2017 ne peuvent être pris en considération pour apprécier les agissements parasitaires reprochés.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que les sociétés Polaroid échouent à démontrer qu’elles ont personnellement consenti des investissements spécifiques au format carré revendiqué dont les sociétés Fujifilm auraient tiré profit en lançant le format Instax Square.
Les sociétés Polaroid invoquent également la notoriété du ‘format Polaroid’ qu’elles estiment indissociable de la marque Polaroid estimant que les sociétés Fujifilm auraient profité sans bourse délier de cette réputation.
Si la notoriété de la marque Polaroid n’est pas discutée par les sociétés Fujifilm, cette notoriété étant telle que dans le dictionnaire Larousse cette marque déposée est citée et définie comme une ‘feuille transparente polarisant la lumière qui la traverse’ (page 65 des conclusions des sociétés Fujifilm), ces dernières contestent la notoriété du format carré dénommé ‘format Polaroid’ invoquée par les sociétés du même nom.
En effet, la marque Polaroid est ‘le synonyme inséparable de tous produits de film instantané’ selon les déclarations de M. [C], fondateur de la société Impossible B.V., dans l’ouvrage ‘Polaroid the magic material’ dont il est l’auteur (pièce 92 Fujifilm). Ces déclarations sont corroborées par le public postant des clichés sur les réseaux sociaux pris à l’aide d’appareils Instax Mini ou Instax Wide et qui les appellent communément des ‘polaroid’ (pièce 142 Fujifilm).
De même, les sondages que fournissent au débat les sociétés Polaroid (pièces 12, 38, 45 et 76) ne montrent pas, comme elles le prétendent, la notoriété du format carré. En effet, le premier sondage réalisé par l’institut CSA en novembre 2015, s’il montre que la marque POLAROID est connue de 85 % des 507 consommateurs français interrogés, 40 % indiquant bien la connaître, il convient de relever que les questions sont posées de façon telle qu’elles orientent les réponses des personnes interrogées, la première question portant sur le point de savoir quelles marques du domaine de la photographie ceux-ci connaissent, puis à quels noms ils associent un dessin représentait un carré dans un rectangle (format carré), seul celui-ci leur étant soumis. Il en va de même du sondage ‘Yougov – Cosearch’ réalisé le 16 avril 2019 (pièce 45 Polaroid). Le sondage réalisé par Opinionway au mois de janvier 2019 (pièce 38 Polaroid) soumet également aux personnes interrogées la seule représentation d’une forme carrée représentée dans un rectangle (format carré) pour savoir s’ils l’associent à une marque ou société dans le domaine de la photographie. Si 45% des personnes interrogées répondent ‘Polaroid’, ce sondage ne permet pas de savoir si elles considèrent de manière générale que cette forme est celle d’un format photographique instantané. Le dernier sondage ‘Openedmind – Cosearch’ réalisé en avril 2021 (pièce 76 Polaroid), plus précis car présentant aux sondés plusieurs formats de photographies instantanées, montre que seulement 22 % des personnes interrogées attachent une notoriété particulière au format carré du cliché photographique.
Aussi, aucune notoriété du format carré n’est établie par les sociétés Polaroid que ce soit seul ou associé à la marque Polaroid, cette marque étant liée au ‘film instantané’ et non à un format particulier.
En conséquence, les sociétés Polaroid ne peuvent être suivies lorsqu’elles dénoncent ‘une stratégie prédatrice des sociétés Fujifilm qui ont lancé l’Instax Square quelques mois avant le ‘One Step 2″, ce pour capter la valeur économique attachée au ‘format Polaroid’ et entraver leur redéploiement annoncé sur leur seul marché concurrent.
En effet, il résulte de ce qui précède que les sociétés Polaroid ne démontrent pas que le format instantané carré constitue une valeur économique individualisée dont elles seraient à l’origine, valeur qui aurait indûment été captée par les sociétés Fujifilm.
La circonstance que les sociétés Fujifilm ont décidé de lancer l’Instax Square en 2017 alors qu’auparavant elles ne commercialisaient que l’Instax Mini ou l’Instax Wide ne montre pas leur volonté de s’inscrire dans le sillage des sociétés Polaroid alors que selon la chronologie ci-dessus rappelée celles-ci ne commercialisaient plus depuis de nombreuses années de clichés instantanés carrés sous le nom de Polaroid, les articles de presse consacrés à la sortie de l’Instax Square cités par les sociétés Polaroid (pièces 25-5 et 25-9 notamment) faisant référence aux ‘polaroid d’antan…’ ou ‘vieux polaroids’, d’autres articles mentionnant la société Impossible B.V. qui commercialisait alors ses films sous sa marque propre.
Il résulte en outre des éléments fournis au débat et notamment des pièces confidentielles transmises par les sociétés Fujifilm que le projet de développer l’Instax Square des sociétés Fujifilm date de 2014, ce qui n’est pas discuté par les sociétés Polaroid, l’information dont les sociétés Fujifilm auraient été destinataires en 2013 du projet de Polaroid de relancer le format carré pour recréer l’ancien héritage des appareils photo Polaroid 600, celle-ci recherchant un partenariat avec la société Fujifilm pour la fabrication de ce produit (pièce 90 Polaroid) est insuffisante à caractériser toute volonté parasitaire, alors que les sociétés Polaroid ne commercialisaient pas de clichés au format carré à cette date et que les sociétés Fujifilm rencontraient un grand succès sur le marché de l’instantané, celles-ci se tournant vers le format carré prisé des réseaux sociaux tel Instagram et justifiant de lourds investissements notamment promotionnels pour développer l’appareil Instax Square.
De même, et pour les raisons ci-avant exposées, les éléments fournis par les sociétés Fujifilm montrent que l’annonce de la commercialisation du format Instax Square litigieux en septembre 2016 n’était nullement précipitée car prévue depuis plusieurs mois et que celle-ci n’était nullement en réaction à la commercialisation à compter d’avril 2016 par la société Impossible B.V. d’un nouvel appareil qui certes utilisait le format instantané carré mais ne faisait aucune référence à un ‘format Polaroid’.
A cet égard, le seul usage du terme ‘Square’ pour désigner des films instantanés qui fait référence au ‘carré’ ne saurait être considéré comme fautif alors que les sociétés Fujifilm n’ont pas modifié la présentation de leur conditionnement qui est le même qu’il s’agisse du format ‘Mini’, ‘Wide’ ou ‘Square’, et que les sociétés Polaroid ne peuvent prétendre s’approprier ce terme.
Le choix par les sociétés Fujifilm d’un partenariat avec la chanteuse Taylor Swift à l’occasion de la sortie de son album ‘Reputation’, pour promouvoir l’Instax Square en 2018 ne peut pas plus être reternu comme un indice de parasitisme alors qu’il s’agit d’une artiste particulièrement renommée, bénéficiant d’un grand rayonnement, passionnée de photographie et ambassadrice de nombreuses marques, ce quand bien même celle-ci avait le 18 août 2014 conclu un accord de licence de marques avec la société PLR IP Holdings, la chanteuse n’ayant nullement été une égérie des sociétés Polaroid pour promouvoir un format instantané Polaroid qui, en 2014, n’était pas commercialisé.
Enfin, le choix du terme ‘original’ dans l’expression ‘share an original’ pour la promotion de l’appareil Instax Square, d’un spectre de couleurs au demeurant très éloigné de celui de Polaroid, et le fait de mettre en avant la dénomination ‘Instax Square’ sur les supports de communication plutôt que la marque Fujifilm, ont à juste titre été écartés par les premiers juges comme contribuant à caractériser des agissements parasitaires, ces choix résultant d’une politique marketing propre pour distinguer ce format du numérique et l’utilisation d’un spectre de couleur étant commune pour promouvoir des photographies couleur.
Les sociétés Polaroid échouent à caractériser des agissements parasitaires commis par les sociétés Fujifilm, aucun faisceau d’indices ne permettant d’être conclusif à ce titre, et seront en conséquence déboutées de l’ensemble de leurs demandes.
Le jugement est infirmé en ce qu’il a retenu des actes de concurrence parasitaire de la part des sociétés Fujifilm à l’égard des sociétés Polaroid et Impossible B.V..
Les demandes formées par la société Polaroid IP B.V., intervenante volontaire à l’instance devant la cour, seront également rejetées.
– Sur les actes de parasitisme reprochés à la société Impossible B.V. devenue Polaroid Films B.V.
Les sociétés Fujifilm reprochent à la société Impossible B.V. devenue Polaroid Films B.V. des actes de parasitisme établis par un faisceau d’indices à savoir l’imitation du format Instax Mini constituant une valeur économique individualisée en raison des investissements qu’elles ont consentis, le lancement du nouvel appareil photo Polaroid Go le 27 avril 2021 quelques jours après le lancement du nouvel Instax Mini le 21 avril précédent, le ciblage de la ‘Génération Y ou des ‘Millennials’ (personnes nées entre le début des années 1980 et la fin des années 90), le choix d’une communication selon le « color blocking », la conclusion de partenariats « Star Wars », « Mickey » et « Snoopy » comparables aux précédents partenariats marketing des sociétés Fujifilm, le partenariat avec des grands magasins parisiens ou la mise en place d’un pop-up store.
Il ressort des éléments communiqués par les sociétés Fujifilm que la gamme des appareils Instax dont fait partie l’Instax mini lancé en 1998, a rencontré un grand succès et que les sociétés Fujifilm sont les leaders du marché de la photographie instantanée grâce notamment aux importants investissements marketing et de promotion desdits produits d’environ 15 millions d’euros entre 2015 et 2021.
Néanmoins, le format du Polarid Go s’il présente comme celui de l’Instax Mini la caractéristique d’être de petite taille et de pouvoir aisément tenir dans la main ou dans un porte-feuille, s’en différencie aisément par ses proportions, le format du cliché ‘Instax Mini’ étant plus allongé similaire à une carte de crédit qui le distingue du format du cliché Polaroid Go plus proche du carré, les bordures blanches qui se trouvent autour de la partie photosensible du cliché étant imposées, ainsi que précédemment relevé, par des considérations techniques. Les articles dans la presse spécialisée assimilant Polaroid et Instax pour les formats instantanés ne sont pas pertinents, l’ensemble des articles de presse fournis au débat par les parties montrant que la presse spécialisée ou non a une large tendance à associer les noms et à rapprocher les produits de l’opérateur historique du cliché instantané et du leader sur le marché actuel.
De même, la reprise du ‘color blocking’ pour promouvoir le Polaroid Go en avril 2021, procédé utilisé pour l’Instax Mini 11 sorti en mars 2020, avec un usage d’une palette de couleurs, au demeurant assez différente, n’est pas inhabituelle en matière de marketing de produits photographiques, l’utilisation des ‘pop up store’ est un choix de communication classique étant relevé que les devantures de chaque magasin est radicalement différente, la cible des ‘milleniums’ pour des appareils photographiques à format instantané ludiques est également un indice inopérant, les partenariats ‘Star Wars’, ‘Mickey’, ‘Hello Kitty’ ou encore ‘Snoopy’ non utilisés par chacune des entités dans un temps proche et ces partenariats, en lien avec la cible visée des jeunes consommateurs, ne caractérisent pas une volonté des sociétés Polaroid de se placer dans le sillage des sociétés Fujifilm, il en va de même des partenariats avec les grands magasins parisiens. Enfin, s’agissant de la présentation des produits Polaroid dans des présentoirs créés par les sociétés Fujifilm, les seules photographies reproduites en pages 171 et 172 des écritures des sociétés Fujifilm ne peuvent être retenues par la cour comme probantes, de même que celles des coffrets cadeau reproduits en pages 174 qui apparaissent au demeurant très dissemblables.
Ces indices, même pris dans leur ensemble, ne suffisent pas à caractériser des agissements parasitaires de la part de la société Impossible B.V. devenue Polaroid Films B.V., ce quand bien même l’appareil Polaroid Go a été lancé le 27 avril 2021 quelques jours après l’Instax Mini 40.
Les sociétés Fujifilm seront en conséquence déboutées de l’ensemble de leurs prétentions au titre des agissements parasitaires en ce compris la demande de publication judiciaire.
Sur les autres demandes
Le sens de l’arrêt conduit à infirmer les dispositions du jugement relatives aux dépens et frais irrépétibles.
L’équité commande de condamner les sociétés Polaroid à payer aux sociétés Fujifilm la somme de 50.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel et de les débouter de leur demande formée à ce même titre.
Les sociétés Polaroid, succombant à l’appel, en supporteront les dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a débouté la société Fujifilm corporation et la société Fujifilm France de leur demande d’irrecevabilité pour défaut d’intérêt à agir de la société PLR IP Holdings Llc et la société Impossible B.V. et débouté les sociétés PLR IP Holdings Llc et Impossible B.V. de leurs demandes d’interdiction de commercialisation
et de retrait du marché des appareils au format InstaxSquare ainsi que de leurs demandes de communication d’éléments comptables et des plans média,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
Déboute la société PLR IP Holdings Llc et la société Impossible B.V. devenue Polaroid Film B.V. de l’ensemble de leurs demandes en ce compris les demandes de publication judiciaire,
Y ajoutant,
Déboute la société Polaroid IP B.V. de l’ensemble de ses demandes au titre des agissements parasitaires,
Déboute la société Polaroid IP B.V. de ses demandes de publication judiciaire,
Déboute la société Fujifilm corporation et la société Fujifilm France de leurs demandes au titre des agissements parasitaires formées contre la société Impossible B.V. devenue Polaroid Film B.V. et de publication judiciaire,
Condamne la société PLR IP Holdings Llc, la société Impossible B.V. devenue Polaroid Film B.V. et la société Polaroid IP B.V. à payer à la société Fujifilm corporation et à la société Fujifilm France une somme 50.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel, et les déboute de leur demande formée à ce même titre,
Condamne la société PLR IP Holdings Llc, la société Impossible B.V. devenue Polaroid Film B.V. et la société Polaroid IP B.V. aux dépens d’appel.
La Greffière La Conseillère,
Faisant Fonction de Présidente