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1ère Chambre
ARRÊT N°335/2022
N° RG 20/04589 – N° Portalis DBVL-V-B7E-Q6LW
Mme [J] [B]
C/
M. [C] [G]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 25 OCTOBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère entendue en son rapport,
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 21 Juin 2022
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 25 Octobre 2022 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré annoncé au 04 octobre 2022 à l’issue des débats
****
APPELANTE :
Madame [J] [B]
née le 26 Janvier 1996 à [Localité 6] (86)
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Pascale EON-GAVORY de la SELARL EON-GAVORY ET ASSOCIÉ, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉ :
Monsieur [C] [G]
né le 30 Juin 1987 à [Localité 4] (44)
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représenté par Me Gaëlle VIZIOZ, avocat au barreau de NANTES
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/010420 du 16/10/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de RENNES)
EXPOSE DU LITIGE
Courant 2017, M. [C] [G], photographe amateur, a contacté Mme [J] [B] via le réseau social Facebook dans le cadre d’une recherche de modèle en se faisant passer pour un photographe professionnel sous l’identité de [C] [L].
Après plusieurs échanges, une séance photo a eu lieu le 23 mai 2017 au domicile de Mme [J] [B]. Des photographies de Mme [J] [B] nue ont été prises.
Les clichés ont été publiés par M. [G] sur son site internet ainsi que sur les réseaux sociaux.
Mme [J] [B] qui s’en est aperçue dans le courant du mois d’août 2017, s’est opposée à cette publication et a porté plainte contre X en août 2017.
M. [C] [G] a retiré les photographies.
Les clichés ont toutefois réapparu courant août 2018.
Mme [J] [B] a déposé une nouvelle plainte le 30 octobre 2018 et a fait assigner M. [G] devant le juge des référés du tribunal d’instance de Nantes aux fins de retrait sous astreinte des photographies litigieuses et d’indemnisation de son préjudice moral.
Par ordonnance du 28 février 2019 , le juge des référés a débouté Mme [J] [B] estimant qu’il existait une contestation sérieuse.
Mme [J] [B] a réitéré ses demandes devant le juge des référés du tribunal d’instance de Saint-Nazaire, lequel par ordonnance du 16 octobre 2019, a de nouveau débouté Mme [J] [B].
Par acte d’huissier du 26 novembre 2019, Mme [J] [B] a fait citer M. [C] [G] au fond devant le tribunal judiciaire de Saint-Nazaire en paiement des sommes suivantes :
– 6.000 euros à titre de dommages intérêts,
– 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 24 juillet 2020, le tribunal judiciaire de Saint-Nazaire a :
-Débouté Mme [J] [B] de sa demande ;
-Débouté M. [C] [G] de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive ;
-Condamné Mme [J] [B] aux dépens ;
-Condamné Mme [J] [B] à payer à Maître Gaëlle Vizioz,avocat de M. [C] [G], la somme de 800 euros ;
-Rappelé que Maître Gaëlle Vizioz s’engage à renoncer au bénéfice de l’aide juridictionnelle conformément aux articles 37 et 75 I. de la loi du 10 juillet 1991.
Suivant déclaration du 29 septembre 2020, Mme [J] [B] a relevé appel du jugement seulement en ce qu’il a rejeté sa demande indemnitaire.
Par voie de conclusions, M. [C] [G] a relevé appel du jugement en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages-et-intérêts pour procédure abusive.
Aux termes de ses conclusions transmises le 11 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des moyens et prétentions, Mme [J] [B] demande à la cour de :
-Dire recevable et bien fondé son appel,
-Infirmer en toutes ses dispositions le jugement du 24 juillet 2020,
-Dire et juger que le contrat du 23 mai 2017 est un faux,
-Juger que l’atteinte aux droits de la personnalité et à l’image a été commise par M. [G], par la diffusion de photos de Mme [B] la représentant dénudée sur le réseau Internet via des sites Internet destinés au public français sans avoir obtenu préalablement son autorisation préalable,
-Juger qu’en diffusant sur le réseau Internet accessible à tous des photos de Mme [J] [B] la représentant dénudée sans son autorisation expresse, M. [C] [G] a gravement porté atteinte à son droit à l’image et à sa vie privée,
-Débouter M. [G] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
Par conséquent,
-Condamner M. [G] à payer à Mme [J] [B] la somme de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et celle de 3 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi que les entiers dépens de première instance et d’appel.
Aux termes de ses conclusions transmises le 15 mars 2021, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des moyens et prétentions, Mme [J] [B] demande à la cour de :
Vu l’article 32-1 du Code de procédure civile,
Vu la jurisprudence citée,
Vu les pièces,
Débouter Mme [J] [B] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
Confirmer le jugement du tribunal d’instance de Saint-Nazaire en date du 24 juillet 2020 en ce qu’il a :
*débouté Mme [J] [B] de sa demande,
*condamné Mme [J] [B] à payer à Mme Gaelle Vizioz, avocate de M. [C] [G] la somme de 800 € et aux dépens,
-Infirmer le jugement en date du 24 juillet 2020, en ce qu’il a débouté M. [G] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
Par conséquent,
-Condamner Mme [J] [B] à payer à M. [C] [G] la somme de 4.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
Y ajoutant,
-Condamner Mme [J] [B] à payer une somme de 2.000 € à Maître Gaëlle Vizioz, conseil de M. [C] [G], intervenant au titre de l’aide juridictionnelle totale, en application des dispositions de l’article 37 de la Loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridictionnelle,
-Condamner Mme [J] [B] aux entiers dépens de l’instance.
MOTIVATION DE LA COUR
Aux termes de l’article 9 du code civil, chacun a droit au respect de sa vie privée. Sur le fondement de cet article, la jurisprudence a consacré le droit spécifique de toute personne au respect de son image qui est un attribut de la personnalité. En principe, l’image d’une personne ne peut donc être fixée, publiée, utilisée sans son autorisation préalable.
1°/ Sur l’atteinte à l’image et la demande de dommages et intérêts formée par Mme [B]
a. sur l’absence de consentement préalable
Il n’est pas contesté que Mme [B] a donné son consentement pour être photographiée par M. [G].
Pour autant, l’acceptation de poser n’implique pas de la part du modèle un accord pour toute exploitation de son image quelqu’en soit le support ou la durée.
Le litige porte sur l’existence d’un accord préalable autorisant la diffusion de ces clichés.
Dans la mesure où la diffusion de l’image d’autrui est soumise à son autorisation ponctuelle et spéciale, c’est en l’espèce à M. [G] de rapporter la preuve qu’il disposait de cette autorisation et que l’utilisation de l’image de Mme [B] n’a pas excédé le consentement donné.
M. [G] fait valoir que Mme [B] a signé un contrat autorisant l’utilisation des photographies et qu’en tout état de cause, il existait un consentement tacite non équivoque pour l’utilisation des images.
Mme [B] réfute la signature du contrat versé au débat qu’elle estime être un faux fabriqué pour les besoins de la cause et prétend qu’elle n’a jamais donné son accord -même tacite- pour que les photographies soient diffusées ou utilisées à des fins artistiques, commerciales ou autres.
En l’espèce, bien qu’elle conteste tant l’authenticité que la validité du contrat produit par M. [G], Mme [B] n’a conclu ni à la nullité ni à l’irrecevabilité de cette pièce. Il convient donc seulement d’apprécier la valeur probante du « contrat entre modèle et artiste » versé au débat et censé matérialiser le consentement éclairé de Mme [B] à la diffusion de son image.
Or, M. [G] s’abstient de produire le contrat litigieux en original, ce qui aurait permis de contredire définitivement la thèse de Mme [B] selon laquelle ce document est un faux fabriqué à partir du scan de la signature figurant sur la plainte qu’elle a déposée le 14 août 2017 (PV n°2017/002597) et qui avait été communiquée à M. [G] avec l’assignation en référé du 13 novembre 2018.
De fait, il est exact que la signature figurant sur le contrat litigieux est l’exacte réplique de celle portée sur ce dépôt de plainte, alors même que les différents procès-verbaux figurant au dossier (plainte du 14 février 2017, complément de plainte du 1er septembre 2017, plainte du 30 octobre 2018, plainte du 15 novembre 2018) démontrent que Mme [B] n’est pas constante dans sa façon de signer.
Par ailleurs, Mme [B] verse aux débats une étude graphologique réalisée par Mme [S], experte auprès de la cour de cassation, dont il ressort que « la signature sur le contrat entre modèle et artiste » est le fait d’une manipulation graphique à partir de la signature page 2 du procès-verbal de police n°2017/002597 daté du 14 août 2017. L’authenticité de ce document n’est donc pas avérée. ». Il est observé que cette étude n’a fait l’objet d’aucune critique de la part de l’intimé.
Les messages adressés par Mme [B] à M. [G] via le site Flickr tendent à accréditer la fausseté du contrat invoqué en ce qu’aux termes de ces messages, l’appelante indique « Il semblerait qu’en effet malgré mon opposition à tout usage de ces photos et au fait que je t’ai déjà interdit de le faire, tu as tout de même pris la liberté de les utiliser et donc par conséquent de les publier, sans mon accord. » avant de rappeler « qu’aucun accord n’a été signé ». Dans ces messages non datés, Mme [B] menace de déposer plainte. Ce dont il se déduit qu’ils sont antérieurs au 14 août 2017 et à la première assignation en référé délivrée le 13 novembre 2018. Or, on ne voit pas pourquoi Mme [B] affirmerait qu’il n’y a pas eu de contrat si tel n’était pas le cas ni quel était son intérêt d’assigner M. [G] en justice, si elle avait effectivement cédé son droit à l’image dans les termes du contrat litigieux.
Ce d’autant que Mme [B] produit également pas moins de quatre attestations et trois plaintes de jeunes femmes ayant posé pour M. [G], aux termes desquels, outre un comportement pour le moins déplacé lors des shootings, aucune signature de contrat n’est évoquée. Au contraire, il s’évince notamment des témoignages et des plaintes déposées par Mme [Z] [F] et par Mme [M] [A] que la problématique de la diffusion des photographies sans l’accord du modèle est récurrente.
Pour contrer ces témoignages, M. [G] produit quant à lui plusieurs attestations. Cependant, la plupart d’entre elles ne tendent qu’à démontrer que celui-ci n’est pas un prédateur sexuel, alors que tel n’est pas l’objet du litige. La cour observe en revanche, que sur les 12 attestations produites, seulement deux font expressément état de la signature préalable d’un contrat (pièces n°4 et 10) tandis que deux autres évoquent un simple accord sur les conditions du shooting. La cour en déduit que la signature d’un contrat préalable avec ses modèles n’était pas une pratique systématiquement mise en oeuvre par M. [G].
Enfin, il est relevé que même au stade des échanges préalables à la séance de photographie, l’établissement d’un contrat n’est jamais évoqué par M. [G] alors même que celui-ci précise « les gens qui posent pour moi s’engagent à ce que leur image soit utilisée (rien de plus logique) il y a les conditions que tu as vu sur le site et on en parlera lors de notre entrevue. »
Au regard de ces éléments, la cour considère que la preuve d’un contrat matérialisant l’accord express et préalable de Mme [B] à la diffusion des clichés litigieux sur internet et les réseaux sociaux n’est pas rapportée.
C’est encore vainement que M. [G] tente de faire valoir l’existence d’un consentement tacite en indiquant que Mme [B] a posé pour lui en toute connaissance de cause, en étant parfaitement informée dès les premiers échanges de ce que les photographies seraient utilisées, ce qu’elle a expressément accepté.
Cependant, il ressort des message téléphoniques (SMS) échangés entre les parties que M. [G] est resté très vague sur l’utilisation qui serait faite des photographies, renvoyant aux conditions de son site. Il n’est fait état d’aucun support ni d’aucune durée d’utilisation. Les conditions du site auxquelles il est fait référence ne sont pas produites.
En outre, il ne peut être considéré, contrairement à ce qu’a retenu le tribunal, que Mme [B] a implicitement consenti à l’utilisation de son image dès lors qu’en participant à un projet artistique, elle devait s’attendre à une diffusion des photographies si l’auteur estimait l”uvre réussie.
En effet, comme précédemment indiqué, le fait pour Mme [B] d’avoir accepté d’être photographiée n’autorisait pas de facto une utilisation inconditionnelle des clichés, en l’occurrence leur diffusion sur les réseaux sociaux avec au surplus, la mention des nom et prénom de Mme [B].
En définitive, M. [G] échoue à faire la preuve d’un accord écrit ou même tacite entre les parties sur les modalités précises d’utilisation des photographies. Or, celles-ci ont été diffusées publiquement notamment sur les réseaux sociaux, Mme [B] étant parfaitement identifiable et reconnaissable puisque son visage est très visible et ses nom et prénom figurent sous certaines publications.
L’utilisation de l’image d’autrui requiert un consentement spécial, ce qui suppose que les conditions d’utilisation aient été clairement et préalablement définies. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.
L’atteinte au droit à l’image est dès lors amplement caractérisée.
b. sur le préjudice
La cour de cassation a jugé que « le seul constat de l’atteinte au droit de chacun de s’opposer à la publication de son image, sans qu’il y ait lieu de s’expliquer davantage sur la nature du préjudice qui en est résulté, ouvre droit à réparation sur le fondement de l’article 9 du Code civil » ( Cass civ 2ème, 30 juin 2004, 03.13-416).
Il s’en suit que le seul constat d’une atteinte au droit de la personnalité que constitue le droit à l’image suffit à caractériser l’existence d’un préjudice moral, dont il appartient seulement à la victime de l’atteinte subie de démontrer l’ampleur.
En l’espèce, il y a lieu de considérer qu’au vu des pièces produites (attestation de suivi par un psychologue et attestations d’amis de Mme [B]) que l’atteinte portée à son droit à l’image par n’a fait que renforcer l’intensité du mal-être et les troubles anxieux qui pré-existaient déjà chez cette jeune femme fragile.
La gravité de l’atteinte portée doit s’apprécier au regard de la personnalité vulnérable de Mme [B] mais aussi de la nature particulière des photographies, s’agissant de clichés où elle apparaît nue et dans des positions particulièrement suggestives avec M. [G], lui-même nu.
Il n’est cependant pas justifié que la diffusion de ces clichés ait entraîné des conséquences particulières sur le lieu de travail de Mme [B] ou qu’ils aient impacté sa vie sentimentale.
En définitive, la cour dispose des éléments suffisants pour évaluer le préjudice moral de Mme [B] à hauteur de 4.000 euros. M. [G] sera condamné à lui payer cette somme à titre de dommages-et-intérêts. Le jugement sera infirmé en ce sens.
2°/ Sur la procédure abusive et la demande reconventionelle de M. [G]
La cour ayant consacré l’existence d’une atteinte au droit à l’image de Mme [B] et fait partiellement droit à ses demandes indemnitaires, la demande de dommages-et-intérêt formée par M. [G] sur le fondement de la procédure abusive et injustifiée doit être rejetée.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a débouté M. [G] de cette demande.
3°/ Sur les demandes accessoires
Il est observé qu’aux termes de la déclaration d’appel, Mme [B] n’a pas fait appel des dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles. La cour n’étant pas saisie de ces chefs, il n’y a pas lieu de statuer à nouveau.
Succombant en appel, M. [G] sera tenu au dépens d’appel et sera par conséquent débouté de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par ailleurs, il n’est pas inéquitable de le condamner à payer à Mme [J] [B] la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement rendu le 24 juillet 2020 par le tribunal judiciaire de Saint-Nazaire en ce qu’il a débouté M. [C] [G] de sa demande de dommages-et-intérêts pour procédure abusive;
Infirme le jugement pour le surplus des dispositions dont il a été fait appel ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Condamne M. [C] [G] à payer à Mme [J] [B] la somme de 4.000 euros en réparation du préjudice moral causé par l’atteinte à son droit à l’image ;
Condamne M. [C] [G] à payer à Mme [J] [B] la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [C] [G] aux dépens d’appel.
LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE